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El Anatsui, artiste le plus cher d’Afrique

Les tapisseries de capsules de l’artiste ghanéen sont exposées à Chaumont sur Loire.

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Publié le 13 avril 2015 à 14h20, modifié le 19 août 2019 à 12h51

Temps de Lecture 4 min.

PHOTO ERIC SANDER POUR LE DOMAINE DE CHAUMONT SUR LOIRE-2015

N’essayez pas d’entraîner El Anatsui sur le terrain de la politique. L’artiste ghanéen a beau résider depuis quarante ans au Nigeria, il n’en commentera pas les récentes élections présidentielles ni la violence du groupe islamiste Boko Haram. « Le pays est volatile, beaucoup de choses peuvent se produire, vous vous y habituez et vous y restez », répond-il stoïque. Et d’ajouter : « Le piment a beau être brûlant, il y a toujours des vers qui vivent dedans».

El Anatsui s’exprime en oracle. Au Nigéria, on le révère d’ailleurs tel un vieux sage, mieux comme une fierté nationale. Il est aujourd’hui l’artiste africain le plus coté. A l’inverse de beaucoup de ses confrères, il a acquis une notoriété internationale sans quitter le continent. L’homme chenu qu’on a rencontré en France à Chaumont-sur-Loire, alors qu’il installait une de ses captivantes tentures métalliques, est imperturbable. S’il se prête de bonne grâce à l’entretien, son esprit est ailleurs, à son accrochage.

L’artiste n’est pas du genre à se perdre dans les détails biographiques. Tout juste livre-t-il quelques grandes lignes. Adolescent au Ghana, il décide d’étudier l’art sans idées précises sur la question. « Je ne connaissais pas Picasso ni Mondrian, pas plus que les artistes ghanéens, raconte-t-il. Mais j’aime prendre des risques. Je savais qu’à un moment ou un autre j'allais goûter ce que l'art avait à m’offrir. » A 18 ans, il maîtrise déjà un bon nombre de techniques. Mais c’est sur la sculpture qu’il choisit de se concentrer. Une fois sa scolarité finie, le voilà lui-même enseignant. Au bout de cinq ans, on l’invite à donner des cours à l’université de Nsukka au Nigeria. Il pensait y rester six ans, il n’en partira plus, séduit par le chaos.

Il se met d’abord à travailler à partir de pots en argile fissurés. « Dans ma culture, quand un pot se casse, il n’est pas perdu, il se régénère. Un pot intact ne sert qu’à une chose. Brisé il a plusieurs fonctions », explique-t-il. De là vient son intérêt pour les objets disqualifiés, en apparence inutiles et auxquels il redonne une nouvelle vie. En 1999, il tresse ses premières sculptures composées de capsules concassées. A première vue, ces sculptures brillent comme de l’or. Ce n’est qu’en s’approchant qu’on distingue les entrelacs de capsules aplaties. « Quand j’ai trouvé une capsule je ne l’ai pas immédiatement utilisée, raconte-t-il. Je l’ai gardée longtemps. Une unité minimale isolée ne veut pas dire grand-chose. Ça n’a pas beaucoup de présence. Mais si vous liez les unités entre elles, ça fait sens, ça prend forme. » Serait-ce une métaphore des individus en simples monades ? Ou le principe alchimique du vil métal transformé en or ? Un peu de tout ça répond l’artiste. El Anatsui n’est pas contrariant. Les exégèses interminables, très peu pour lui. « Une œuvre se défend toute seule », répète-t-il. Il se dérobe aussi à toute classification. « Je ne veux pas qu’on me considère comme un artiste africain, insiste-t-il. Qui aimerait être traité d’artiste européen ? Je suis artiste tout court ».

« Le recyclage n’est pas mon propos »

N’allez pas non plus lui parler d’art écologique. Le consumérisme, le gaspillage ou le recyclage, ce n’est pas son propos. « J’essaye tout simplement de voir jusqu’où je peux tirer un medium. Les capsules, je pensais que ça ne durerait pas. Au bout de la troisième œuvre que j’ai faite, j’ai commencé à en entrevoir les possibilités. » Voilà seize ans qu’il aplatit les capsules et les tricote dans ses tentures. Il a même passé des accords avec des distilleries locales qui le pourvoient en matériel. Sa plus grande tapisserie métallique, réalisée pour la façade de la Royal Academy à Londres en 2013, faisait seize mètres de haut et cinquante mètres de large.

Depuis sa participation à la Biennale de Venise en 2007, il séduit les directeurs de musées les plus blasés. Le marché l’avait déjà adoubé un an plus tôt avec la vente par Sotheby’s d’une de ses tentures pour 1,4 million de dollars. Devenu à soixante ans passés l’artiste africain le plus cher au monde, il rejoint les collections les plus prestigieuses, celle de François Pinault en tête. En mars dernier une de ses œuvres était proposée pour 1,5 million de dollars par la galerie Jack Shainman à New York. « En vingt ans, ses prix ont été multipliés par dix ou vingt », reconnaît Elisabeth Lalouschek, de la October gallery qui le représente depuis 22 ans à Londres. L’intéressé n’aime guère parler d’argent. « Ma carrière s’est développée de manière organique, défend-il. Je n’ai pas les yeux fixés sur mon marché. » Le succès ne lui est d’ailleurs pas monté à la tête. « Son travail a pris un tour majestueux, mais lui n’a pas changé, il est toujours cool », abonde Elisabeth Lalouschek.

Cool, mais entouré. Alors qu’il n’avait qu’un seul assistant à ses débuts, il en a recruté une quarantaine aujourd’hui. Il envisage même d’établir un atelier au Ghana et un autre, sans doute aux Etats-Unis. En migrant, même temporairement, son travail prendra forcément une autre tournure. Il sait surtout que depuis sa consécration vénitienne, il n’a pas droit à l’erreur : « vous ne pouvez pas décevoir, trop d’yeux vous regardent ».

 

El Anatsui, au centre d’arts et de nature de Chaumont-sur-Loire, jusqu’au 1er novembre, www.domaine-chaumont.fr

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