Les adolescents qui ont grandi avec Totoro, Pompoko, Kiki, Chihiro ou Ponyo pour compagnons de rêveries, et les adultes qui ont conservé une part d’enfance, pousseront avec émerveillement les portes du Musée Art Ludique à Paris. Jusqu’au 1er mars, le lieu, situé en bord de Seine, présente, sur 1 200 mètres carrés, 1 300 dessins originaux issus du studio japonais Ghibli, d’où sont sorties ces merveilles de l’animation que sont Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké, Le Tombeau des Lucioles ou Mon Voisin Totoro, pour ne citer que les plus connus des films de Hayao Miyazaki ou de son partenaire Isao Takahata.
C’est la première fois que ces documents originaux, pour la plupart dessinés de la main même des deux fondateurs du studio tokyoïte, sont exposés en Europe. L’occasion pour les fans de ces deux maîtres de l’animation, et pour tous les passionnés d’un genre cinématographique trop souvent cantonné au public enfantin, de s’immerger dans leur univers et d’en découvrir les coulisses. Mais aussi de mesurer, en s’approchant au plus près du processus créatif, la virtuosité des deux artistes, dont chaque dessin, conjuguant encre, mine, crayon, gouache et aquarelle, constitue une œuvre en soi.
Des indications manuscrites
Le concepteur de l’exposition, Kazuyoshi Tanaka, a imaginé un parcours promenant le visiteur de film en film, chaque salle rassemblant, autour de l’un des longs-métrages produits par la maison Ghibli depuis sa fondation, en 1985, une sélection de dessins. Plus précisément des « layouts », feuilles de papier format 17,2 × 32 cm, à la bordure perforée et réunissant, pour chaque plan du film, les indications nécessaires à la mise en scène : dessins du décor, des personnages, des accessoires, et indications manuscrites du réalisateur à destination de ses collaborateurs (traduites en français et en anglais pour l’exposition).
Quels types de mouvement les personnages devront-ils accomplir ? Comment évoluent leurs expressions ? Comment la caméra doit-elle se déplacer ? Le souci du détail et le perfectionnisme de Miyazaki se devinent à travers les remarques qu’il appose sur les dessins : « Pigeon grillé, avec de nombreuses épices, doré au four, brillant d’huile, a l’air délicieux », indique ainsi Miyazaki dans le coin d’un layout représentant une scène de repas du Voyage de Chihiro. Parfois, le commentaire frise le reproche : « Le trait n’est pas assez précis, le visage du personnage est trop grand, merci de l’ajuster », écrit-il sur un autre carton. Ou encore : « On dirait un dessin abstrait ! »
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Amoureux de la nature
Dans chaque salle, un écran diffuse en boucle, sur fond musical, un extrait du film auquel se rapportent les layouts qui couvrent les murs parfois jusqu’au plafond. Les cartons ayant servi à la réalisation de la séquence sont rassemblés en regard de celle-ci, dans un souci pédagogique efficace. Pouvoir examiner les dessins en s’en approchant au plus près, comme le permet l’accrochage, est à chaque fois un ravissement : les paysages et les décors conçus par ces deux amoureux de la nature foisonnent de détails, les expressions des personnages – humains, animaux ou yokaïs, créatures imaginaires du folklore japonais – sont d’une subtilité étonnante, les jeux d’ombres et de perspective, le soin apporté aux mouvements des nuages comme aux dégradés des couchers de soleil, impressionnent.
Cette exposition marque-t-elle la fin d’une très belle aventure ? Ghibli, qui emploie 300 personnes, a annoncé, en octobre 2014, qu’il suspendait ses productions en raison des difficultés économiques que connaît la société d’animation. Dessiner à la main revient, en effet, beaucoup plus cher que de travailler sur ordinateur ; et le studio ne produit pas de séries pour la télévision, grâce auxquelles nombre d’entreprises du secteur réussissent à équilibrer leurs budgets.
Parallèlement, les deux fondateurs, tous deux septuagénaires, ont déclaré vouloir prendre leur retraite, au grand désarroi de millions d’admirateurs. Actuellement sur les écrans, Souvenir de Marnie, réalisé par Hiromasa Yonebayashi, pourrait être la dernière production d’une maison qui aura marqué, de son empreinte délicate, l’histoire du film d’animation.
« Dessins du Studio Ghibli », Art Ludique – Le Musée, 34, quai d’Austerlitz, Paris 13e. Jusqu’au 1er mars. artludique.com
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