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Santé

La preuve par le détecteur de mensonge

Dans le but de renforcer la sécurité, les innovations destinées à traquer les menteurs se multiplient. Plusieurs techniques sont opérationnelles, mais manquent encore de fiabilité.

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La preuve par le détecteur de mensonge

Le programme Emotient, créé par des chercheurs de l'université de Californie (Etats-Unis), analyse les mouvements les plus infimes des muscles faciaux pour déterminer le type d'émotion qu'éprouve le sujet filmé : joie, colère, tristesse, surprise, peur, dégoût, mépris.

© Emotient

Aéroport JFK de New York, les voyageurs attendent patiemment leur tour devant une borne vidéo. Une fois leur passeport scanné, un visage virtuel apparaît à l’écran et les interroge aussitôt : "Êtes-vous citoyen des États-Unis ?" "Habitez-vous à l’adresse indiquée ?" "Est-ce votre premier voyage aux États-Unis ?"... Pris sous le feu roulant de questions, le passager répond du tac au tac à la machine, sans se rendre compte que les réactions de son visage sont scrutées et analysées.

Au moindre signe pouvant laisser suspecter un mensonge, il est signalé aux agents de sécurité qui prennent le relais pour un interrogatoire "classique" plus poussé. Science-fiction ? Non, réalité : le système Avatar (Automated Virtual Agent for Truth Assessments in Real-Time) développé par Jay Nunamaker et Douglas Derrick, chercheurs à l’université de l’Arizona, a été testé à l’aéroport international de Nogales (Arizona) puis en Pologne en 2013 où il a obtenu, selon les scientifiques, un taux d’exactitude de 94 %.

Pour ce faire, le système active une caméra vidéo haute définition qui capte les gestes et les expressions faciales. Un oculomètre (eye-tracker) enregistre les mouvements des yeux et la dilatation de la pupille. Enfin, un microphone relié à un logiciel de reconnaissance de langage naturel enregistre la voix du voyageur pour en capter les moindres intonations. L’ordinateur estampille alors chaque réponse selon trois catégories de risque (vert, jaune ou rouge), le rouge indiquant la suspicion. Le système est prêt à être exporté partout dans le monde. Car l’ère des détecteurs de mensonges high-tech a commencé.

Décoder les micro-expressions faciales

Depuis le bon vieux polygraphe, scientifiques et ingénieurs rivalisent pour traquer les menteurs. Et les projets se multiplient. Le laboratoire thaïlandais Nectec détecte le mensonge grâce à la mesure des variations thermiques de la face. L’équipe Emotient de Marian Bartlett, à l’université de New York, a breveté, elle, l’automated facial action coding system, un programme qui détecte automatiquement à partir de l’analyse des mouvements des muscles faciaux les expressions produites par les émotions primaires ( joie, peur, tristesse, surprise, dégoût, colère, dépit...), des sentiments généraux (positif, négatif et neutre) et complexes (frustration, confusion).

Ce système s’inspire des travaux anciens de Paul Ekman, un psychologue de l’université de Californie créateur du facial action coding system (FACS) en 1978 (révisé en 2002), l’inventaire des mouvements musculaires de la face. Ces derniers correspondent aux différentes émotions ressenties, qu’un observateur bien entraîné peut décoder. Emotient affirme surtout être capable de détecter les micro-expressions, ces mimiques faciales involontaires et ultrarapides (de 1/3 à 1/25 de seconde), témoins de l’état émotionnel intérieur, que personne ne peut contrôler totalement. En mai 2014, l’équipe a présenté l’Emotion-aware Google Glass, des lunettes interactives intégrant ce système. À quand des policiers chaussant de telles lunettes pour les interrogatoires ?

Décrypter les mouvements oculaires

Les mouvements des yeux trahissent autant que les expressions faciales selon les spécialistes informatiques du Center for Unified Biometrics and Sensors (CUBS) de l’université de Buffalo (États-Unis) qui ont analysé 40 conversations enregistrées par oculométrie (eye tracking), qui permet de suivre la direction du regard. Selon les experts, les yeux bougent en effet différemment selon qu’il s’agit d’une conversation normale ou d’un questionnement pouvant induire un mensonge. Ainsi, une personne qui maintient un mouvement oculaire constant dans les deux situations dirait plutôt la vérité mais on aurait affaire à un menteur quand les mouvements divergent. Le taux de réussite du système atteindrait 82,5 %. "C’est un meilleur score que ceux obtenus avec des interrogateurs humains qui avoisinent plutôt 65 % en moyenne", assure Ifeoma Nwogu, professeure assistante au CUBS.

La chercheuse relativise néanmoins. Quelques sujets étudiés ont réussi à maintenir un mouvement des yeux usuel tout en trompant les chercheurs. Pour rendre la détection plus fiable, ceux-ci tentent alors d’y associer la mesure du battement de cils. Une étude menée par Brandon Perelman, de la Michigan Technology University (États-Unis), a montré que la fréquence des clignements d’yeux, déterminée par vidéo et électromyographie (enregistrement électrique de l’activité musculaire), diminue lorsque l’on ment. 81,3 % des menteurs ont ainsi pu être confondus. "Cette technique est prometteuse d’autant qu’elle peut être utilisée à distance", conclut l’auteur.

Caractériser les nuances de la voix

La voix serait, elle aussi, un outil de détection à distance. Le Layered Voice Analysis (LVA), créé par la société israélienne Nemesysco est censé en analyser 120 caractéristiques pour déterminer 9 types d’émotions, parmi lesquelles le stress. Ce système a d’ores et déjà équipé en 2003 les serveurs téléphoniques d’une compagnie d’assurances britannique qui espérait ainsi repérer les fausses déclarations de sinistres de ses clients. Il est, depuis, utilisé par différents services policiers dans le monde, et a notamment servi d’élément à charge en 2013 en Inde lors d’une enquête sur un gang. Pourtant, Frank Horvath, chercheur émérite à l’université du Michigan (États-Unis), estime après, avoir étudié les enregistrements audio de 74 personnes (dont 31 menteurs) (Journal of Forensic Science, 2013) que le LVA ne repérerait que 25 % des menteurs. "Cette méthode a ses limites. Elle doit aider à repérer des éléments suspects dans une enquête, mais pas donner un jugement final", admet prudemment Amir Liberman, le fondateur de la socété Nemesysco.

Enregistrer les ondes cérébrales

"La différence fondamentale entre un meurtrier et un innocent est que le premier a enregistré les détails du crime dans son cerveau alors que le second en est exempt", explique Lawrence Farwell, chercheur en psychologie qui a travaillé pour l’agence américaine du renseignement extérieur (CIA) et le service fédéral de police judiciaire (FBI). Le scientifique a inventé le concept "d’empreinte cérébrale", un programme qui tend à détecter les faits cachés dans le cerveau grâce à la mesure de son activité électrique par électroencéphalographie (EEG). "On se focalise sur la P300, une onde est émise par le cortex 300 millisecondes après qu’une personne a reçu un stimulus." Surtout, la forme de cette onde varie selon que le stimulus est familier ou non. Ainsi, la tête ceinte d’un bandeau à électrodes, le suspect est appelé à regarder sur écran des mots ou des images liés au délit, mélangés à des mots ou images sans rapport avec lui. Le programme informatique analyse alors la forme de l’onde P300 et teste la familiarité du sujet avec la situation choisie. Si celui-ci reconnaît les images d’une scène de crime par exemple, la forme de l’onde 300 doit inévitablement en rendre compte.

"Le taux d’erreur est de 1 %. Mon laboratoire a même offert 100.000 dollars à qui réussirait à tromper le test, sans succès pour le moment, affirme Lawrence Farwell. Nous intervenons actuellement dans plusieurs procès aux États-Unis et souhaitons diffuser le système à large échelle." Pourtant, un procédé de détection fondé sur le même principe a suscité beaucoup de controverses en Inde en 2008 lors du procès d’une jeune femme accusée d’empoisonnement. Dans le rapport Le Cerveau et la loi : analyse de l’e?mergence du neurodroit (2012), Olivier Oullier, spécialiste français en neurosciences, met en garde contre des résultats obtenus en laboratoire et sur de trop petits échantillons. Il rappelle qu’il existe beaucoup de variabilités individuelles et que le fait de reconnaître une situation ou un objet — l’arme d’un crime par exemple — ne fait pas pour autant du suspect un coupable.

Percer le cerveau à jour

Autre technique qui pourrait se diffuser pour détecter le mensonge : l’IRM fonctionnelle. Elle évalue l’activité cérébrale par mesure indirecte de l’afflux d’oxygène sanguin aux neurones, ce qui révèlerait l’activité de certaines zones durant le mensonge. Cette technique repose sur le postulat que le cerveau est contraint de fournir un effort supplémentaire pour mentir, engendrant un surcroît d’activité destiné à inhiber la spontanéité ou à inventer une histoire. L’examen consiste donc à comparer les images cérébrales d’un sujet en situation d’honnêteté ou de tromperie.

© No lie MRI

"Nous observons plusieurs zones qui s’activent dans le cerveau en cas de mensonge", explique Joel Huizenga, de la société No Lie MRI, l’une des deux entreprises — avec Cephos — à commercialiser ce service aux États Unis et qui l’a déjà utilisé au tribunal. Pourtant, là encore, Olivier Oullier demeure très sceptique. Il souligne que, outre le peu d’études et leur grande hétérogénéité, "les réseaux spécifiques identifiés en IRM fonctionnelle sont variables en fonction de l’objet du mensonge. Il semble donc difficile d’en identifier précisément un". Si les technologies existent, aucune n’est donc totalement au point. Autant dire que les menteurs ont encore de beaux jours devant eux.

NUMÉRIQUE. Ce texte est extrait de Sciences et Avenir 815 en kiosque en janvier 2015. Le journal est également disponible à l'achat en version numérique via l'encadré ci-dessous.

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