C’est une vague qui ne semble plus vouloir se calmer. Déjà propriétaire de Libération, Patrick Drahi, PDG d’Altice (Numéricable-SFR), a racheté ces derniers mois le groupe L’Express et a annoncé la prise de contrôle d’ici à 2019 de NextRadioTV (BFMTV, BFM Business, RMC). Il a aussi acquis les droits de diffusion du championnat de football d’Angleterre, au nez et à la barbe de Vincent Bolloré, devenu l’actionnaire majoritaire de Vivendi, maison-mère de Canal+ et de Dailymotion.

De son côté, Bernard Arnault (LVMH), qui avait racheté le quotidienLes Échos pour 240 millions d’euros en 2007, vient de s’offrir les titres Le Parisien et Aujourd’hui en France, pour un prix quatre fois inférieur. Dans le même temps, le groupe Le Figaro (Marcel Dassault) entrait en négociations exclusives pour acquérir l’éditeur de sites CCM Benchmark (L’Internaute, Le Journal du Net…).

Tandis que l’entrepreneur Xavier Niel (Free), le banquier Matthieu Pigasse et le producteur Pierre-Antoine Capton lançaient Media One, un fonds doté de 300 à 500 millions d’euros pour racheter des médias en Europe. La plupart de ces magnats de la presse l’affirment haut et fort : ils veulent édifier des groupes de médias de taille européenne, à l’image de l’allemand Bertelsmann, qui possède RTL group, M6 et de nombreux magazines.

Plusieurs raisons expliquent l’emballement récent de cette course au gigantisme. À commencer par le faible coût de l’argent – et des médias eux-mêmes. «Les médias intéressent d’autant plus les investisseurs aujourd’hui qu’ils sont peu chers et ont un potentiel de développement élevé, estime Dominique Augey, professeur d’économie à l’Université d’Aix-Marseille. Face à la masse d’informations qui circulent sur Internet, les médias reconnus sont considérés comme des références importantes. Ils ont une marque, qui a retrouvé de la valeur, en particulier avec la perspective du développement du numérique.»

En août dernier, le quotidien américain The New York Timesfranchissait ainsi le seuil du million d’abonnés à son édition numérique payante et enregistrait un bond de 78% de son bénéfice trimestriel. En France, le groupe Les Échos, de nouveau bénéficiaire, a connu en 2014 sa «meilleure hausse de la diffusion des dix dernières années (papier et digital)». Le Monde devrait sortir du rouge cette année et réaliser un bénéfice de 5 millions d’euros (hors imprimerie), grâce au numérique qui représente désormais 20% de son chiffre d’affaires (150 000 abonnés, dont 80 000 uniquement Web).

«Notre transformation numérique porte aujourd’hui ses fruits, estime le président du directoire du groupe Le Monde, Louis Dreyfus. Pour l’accélérer, disposer d’un outil de production et de diffusion de contenus audiovisuels serait un vrai plus. Nous étions candidat à la reprise de LCI et je pense que nous le serons à nouveau si le sujet se repose.» «Avec la convergence des médias sur tous les écrans, il n’existe plus de distinctions entre presse, radio et télévision, confirme l’historien Patrick Eveno.

Il y a des entreprises d’information ou de divertissement qui travaillent pour tous les médias. La concentration va donc s’accélérer, car elle permet à une industrie déclinante de réaliser des économies substantielles dans la diffusion, la publicité, l’imprimerie.» Le rapprochement entre Les Échos et Le Parisien permettrait ainsi «trois millions d’euros d’économies» par an, selon le patron du groupe, Francis Morel. Et ce, sans «synergie éditoriale» ni «impact social sur les deux rédactions».

La même logique a prévalu lorsque le trio Bergé-Niel-­Pigasse, surnommé BNP, a repris le groupe Le Monde en 2010. Sa «triple priorité» a été de «reconstruire un modèle économique pour ce groupe qui perdait 10 millions d’euros par an, de garantir la qualité des contenus et d’accélérer la transformation numérique», assure Louis Dreyfus. Pour réaliser des économies, comme avec le groupe Le Nouvel Observateur, repris en 2014, «nous avons remis à plat l’ensemble des coûts de fonctionnement», réalisé «des synergies dans les fonctions de support» et «renégocié des contrats historiques».

Altice va plus loin en externalisant les ressources humaines et la comptabilité, en filialisant la régie publicitaire ou le magazineL’Étudiant, ou encore en rapprochant «tuyaux» et «contenus» (avec un an d’abonnement à L’Express dans un pack SFR). «Le plan social prévoit un tiers de postes supprimés, un tiers filialisé et un tiers gardé. Le souci d’Altice est d’aller vite, car il fonctionne sur l’endettement et doit montrer que l’activité dégage du cash rapidement», résume Jacques Trentesaux, délégué CFDT et rédacteur en chef à L’Express.

«Nous nous reconcentrons sur notre cœur de métier : créer du contenu et le commercialiser, tout en développant des activités événementielles, se défend Marc Laufer, directeur général d’Altice Media. Nous allons repasser dans le vert, puis nous investirons pour sortir des contenus de qualité et développer des parts de marché.» «Patrick Drahi est un bon homme d’affaires, mais il se trompe pour la presse : on ne peut pas réduire les coûts comme dans un autre secteur sans perdre de la valeur», prévient Julia Cagé, économiste spécialiste des médias.

À l’inverse, elle estime que Xavier Niel a investi avec profit dans la production de l’information, tout comme le patron d’Amazon, Jeff Bezos, qui a repris le Washington Post. Les ambitions supposées des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) dans la production d’information ou l’achat de médias expliquent aussi les rapprochements en cours. Benoît Sillard, patron de CCM Benchmark, s’est félicité d’avoir été racheté par le groupe Le Figaro pour «se mesurer aux géants américains comme Google ou encore Facebook», en se hissant à la 4e place de l’audience des groupes Internet en France. Car c’est la mesure de l’audience qui détermine le prix de l’espace publicitaire.

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UNE CROISSANCE TIRÉE PAR LA PUBLICITÉ MOBILE ET SUR INTERNET

Le secteur des médias et loisirs (médias, édition, musique, jeux vidéo) devrait croître, en France,
de 3,2% en moyenne par an d’ici à 2019, selon l’étude «Global Entertainment & Media Outlook», publiée par le cabinet PwC.

La croissance du secteur est tirée par la publicité sur Internet (+ 14% par an),
la publicité vidéo (+ 15%) et la publicité mobile (+ 20%).

Si les revenus de la presse quotidienne devaient reculer de 2,5% par an sur la période,
ceux de la presse magazine progresseraient de 0,8% et ceux de la télévision de 1,8%.