Guy Béart est mort ce 16 septembre à l'âge de 85 ans. Il était l'un des derniers ambassadeurs d'une chanson française classique et intemporelle. En retrait ces dernières années à cause d'une santé fragile et d'une époque à laquelle il n'adhérait pas, il laisse derrière lui un héritage patrimonial assez conséquent.
Publié le 16 septembre 2015 à 19h43
Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h52
Dans sa vaste propriété de Garches, un fourbi dévastateur. S'entassaient une multitude de livres, guitares, cassettes VHS – aucune trace de DVD – et de cartons d'archives à perte de vue. C'était dans cet état-là, il y a cinq ans, lorsqu'on a lui a rendu visite. Rien n'augurait un éventuel ménage de printemps. Guy Béart n'aimait ni ranger ni jeter. Encore moins laisser un ouvrier franchir le seuil de sa porte. Les murs non-entretenus trahissaient un certain laisser-aller matériel. Bien qu'il convenait de l'illogique de la situation, il avait installé sept écrans de télévision. Dans sa folie des grandeurs, le plaisir coupable aussi d'avoir acquis aux enchères une partie des escaliers du troisième étage de la Tour Eiffel. Malgré donc des apparences de déménagement imminent, il n'avait nullement intention de quitter ce lieu dont il avait pris possession en 1967 et dans lequel il avait souvent pris l'habitude de recevoir ses amis dans le plus simple appareil. Il y aura vu Joan Baez se baigner nue dans sa piscine et essuyé un revers ferme de Brassens. Il allait fermer les yeux dans son lit, il le répétait assez. Finalement, il se sera effondré au grand air sur un trottoir, victime d'une crise cardiaque, à quelques encablures de chez lui. Il sortait de chez le coiffeur.
Guy Béart est mort. La question gênante ne se posera plus. A l'époque, lui préférait s'amuser de cette récurrente confusion inconsciente : « Êtes-vous Guy Béart ? Mais vous n'êtes pas décédé ? J'ai vu beaucoup de gens surpris de me voir encore dans ce monde ». A force de vivre caché, c'était peut-être le prix à payer. A force de l'enfermer dans la famille des « trois B » avec Brel et Brassens, il y avait aussi cette perte de repère temporel dans la mémoire collective. Et puis Béart, contrairement à un Aznavour, avait appuyé sur la pédale de frein. Une production quasi-nulle ces deux dernières décennies au cours desquelles il a lutté à deux reprises contre le crabe. Des concerts au compte-goutte, dont un ultime poussif en janvier dernier à l'Olympia. Tout juste lui doit-on deux disques à l'écho anorexique. Pour l'un (Il est temps en 1995), il imputera la faute à sa maison de disques. Pour l'autre (Le meilleur des choses en 2010), il bottera en touche. Elle n'avait cependant rien de honteuse sa dernière livraison. Toujours ce style léger et mélodique, d'un imparable classicisme et un rien daté. Toujours cette voix blanche rassurante et familière. Toujours cette guitare qui le démange sans bruit ni fureur. Toujours ce goût du mot simple et de la célébration des femmes. Mais ses ritournelles restent à quai. Elles n'ont pas l'attractivité immédiate de celles d'antan (Vive la rose, Chanderganor, La vérité, Les grands principes, Il n'y a plus d'après...). N'avait-il pas tout écrit, tout dit ? Rien de neuf à se mettre sous la dent hormis un levée de bouclier contre la dictature de l'image (Télé Attila).
« Ma petite est comme l'eau, elle est comme l'eau vive/ Elle court comme un ruisseau, que les enfants poursuivent/Courez, courez vite si vous le pouvez/ Jamais, jamais vous ne l'attraperez ». Là voilà, la chanson passeport vers le Graal. Écrite pour un film vite relégué aux oubliettes, elle s'installera dans les synapses et se propagera jusqu'aux classes de musique. On la récite comme une poésie, on l'apprend à la flûte, on la détourne même dans les cours de récré... Les parents comme les enfants la chantent dans le même élan. C'est le miracle du morceau populaire. Elle date de 1958. Elle ne connaîtra jamais de putsch. Béart est soutenu corps et âme par Jacques Canetti. Ce dernier, au détecteur implacable, lui avait auparavant fait faire ses armes dans les cabarets de la rive Gauche. C'est une période également où les chansons de ce diplômé des Ponts et Chaussés bénéficient d'un premier tremplin grâce aux femmes : Patachou et Juliette Gréco enregistrent respectivement Le bal chez temporel et Qu'on est bien. Son écriture intrigue et emballe. Sauf que son mauvais caractère transparaît déjà. Il tient tête à sa maison de disques. Se lance dans un interminable procès pour récupérer les droits de ses chansons. Monte sa propre maison d'édition. Il sait ce qu'il veut, on ne lui dicte pas sa conduite. Son désir soudain de télévision prend provisoirement le dessus. La présentation de l'émission culturelle Bienvenue devient son nouveau défi. Il y reçoit aussi bien Duke Ellington qu'Aragon. Fin de la parenthèse en 1970 parce que le Béart auteur de chansons commence à jalouser le Béart du tube cathodique.
La chanson est-elle un art mineur ? Question qui a donné droit à une passe d'armes légendaire avec Gainsbourg sur le plateau d'Apostrophes en 1986. Mémorable moment de télévision où il se fera insulter, traiter de « blaireau ». Les deux hommes ne se seront jamais réconciliés. De toute façon, Béart avait la rancune tenace. Ce n'était guère non plus un modeste. De ses apartés un brin mégalos, on se souviendra d'un « Je suis inimitable ». Mieux encore : « Il n'y a plus de création en France, on copie tout dans de nombreuses disciplines. Jacques Martin était un créateur, Béart aussi. Personne ne prend plus de risques ». Il avait dit ça sans ciller, installé tel un pacha sur son canapé. Ses yeux océan à tendance espiègle animaient un visage sobre et rondelet. Il enchaînait pratiquement sans interruption les longues cigarettes blondes. Une fâcheuse tendance également à souffler le chaud et le froid. Cela dépendait de la nature de la conversation ou de son humeur. C'était un homme chafouin à la fois accueillant et misanthrope, sédentaire et curieux, bavard et silencieux. Il savait esquiver les questions dérangeantes. Combien d'enfants ? « Un certain nombre... J'en ai découvert avec le succès ». Il sera plus prolixe sur le nombre de ses conquêtes : « Sept femmes ont réellement compté. Mais mes amours profondes n'auront duré que trois ans, voire cinq maximum et ça m'a donné de très belles chansons ». Les velléités éphémères ont parfois du bon.
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