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Mort de Guy Béart, troubadour intransigeant

L’interprète de la chanson « L’Eau vive », père de l’actrice Emmanuelle Béart, est mort à l’âge de 85 ans. Il avait fait ses adieux à la scène en janvier.

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Publié le 16 septembre 2015 à 15h09, modifié le 16 septembre 2015 à 17h22

Temps de Lecture 8 min.

Guy Béart en 2012.

Guy Béart était né au Caire et vivait à Garches, dans les Hauts-de-Seine. A 80 ans, Guy Béart avait publié un nouvel album, Le Meilleur des choses, après onze ans d’un silence qui aurait pu avoir raison de sa carrière. Ce mercredi 16 septembre, frappé par une crise cardiaque, il est tombé en sortant de chez le coiffeur, à Garches, il n’a pu être réanimé.

A 84 ans, en janvier 2015, il avait tenu l’Olympia pendant près de quatre heures, sans vouloir décoller de la scène, aidé par Julien Clerc ou par sa fille Emmanuelle Béart, affolant la twittosphère des amateurs de chansons française – admiration et moqueries confondues.

Depuis Bal chez Temporel écrit en 1957, d’abord chanté par Patachou, l’auteur-compositeur avait écrit un chapitre entier de la chanson française (Qu’on est bien, Chandernagor, L’Eau vive, Suez, Les Grands Principes…) et accumulé un catalogue de près de 250 chansons. Guy Béart s’était parfois absenté, mais en vérité, il n’a jamais décroché. Il s’est parfois mis en retrait, pour cause de maladie (cancer avoué), mais aussi parce que le chat Guy était échaudé par les pratiques « des maisons de disques », majors ou labels indépendants, toutes dans le même sac.

Le chanteur et auteur-compositeur n’avait pas toujours bon caractère, c’est de notoriété publique. Et quand il brocardait les hommes pressés de l’industrie musicale, la radio et la télévision, cela donnait Télé Attila, une chanson déclinée à charge déclinée sur son ultime album, en 2010, en version longue (5’56) et en version courte (3’27) pour en rajouter une louche.

Guy Béart à l'Olympia en 1988.

La télévision, il l’avait pourtant pratiquée de l’autre côté du décor, en présentant « Bienvenue », créée en 1966, où il invita Jacques Duclos, Robert Boulin, Aragon, Devos, Brassens, Michel Simon ou Duke Ellington. Un rêve de télévision réalisé « sans fric » (en juin 1970, il avait enregistré vingt-deux émissions en un mois), expliquait-il au Monde en septembre 2003. C’est aussi à la télévision qu’il avait commis l’un de ses plus beaux esclandres, face à Serge Gainsbourg – « un petit-maître, à l’occasion plagiaire » – qui en bon Gainsbarre, l’avait traité de « blaireau » sur le plateau d’« Apostrophes », en 1986. Guy Béart n’avait pas supporté qu’on dise de la chanson française qu’elle était un art mineur.

Ingénieurs des Ponts et chaussées

Né le 16 juillet 1930 au Caire, en Egypte, comme Georges Moustaki, Claude François, Dalida ou Richard Anthony, il était le fils d’un expert-comptable qui voyageait à travers le monde par profession, entraînant sa famille vers la Grèce, Nice, le Liban, où le petit Guy Béhart (le h a sauté par la suite) passa son enfance, puis au Mexique et enfin à Paris, où il entre à 17 ans au lycée Henri IV. Guy Béart avait gardé de ces années de transhumance un attachement à l’Orient et des envies d’ailleurs, qu’il traduit dans une des chansons françaises les plus célèbres, L’Eau vive, hymne à la liberté composé pour le film militant (contre les barrages) de Jean Giono et François Villiers.

Guy Béart, qui se voyait en troubadour rêveur fut dans un premier temps un bâtisseur, membre du prestigieux corps des Ingénieurs des Ponts et chaussées, spécialiste de l’étude des cristaux et de la fissuration du béton. Il écrit des pièces de théâtre, travaille de-ci de-là, et chante avec sa guitare pour les copains de La Colombe, un bistrot du Quartier latin, dirigé par Michel Valette. Le patron des Trois Baudets Jacques Canetti l’embauche dans son cabaret de Pigalle, avec Mouloudji, Brel, Devos, Pierre Dac et Francis Blanche.

Guy Béart a une voix particulière, un ton, un accent chaud, et ses chansons sont déjà excellentes. En 1955, Brassens le reçoit et l’écoute dans sa loge du Théâtre de verdure de Nice en lâchant « une autre ! », après chaque chanson et en glissant à son copain Jacques Grello : « Ecoute ! Il sait les faire ! ». Zizi Jeanmaire, Patachou, Juliette Gréco, Yves Montand, Colette Renard, Marie Laforêt, Maurice Chevalier : tous adoptent le style Béart et l’interprètent. Avec Qu’on est bien, Le Quidam, Bal chez Temporel, Chandernagor, Le Chapeau, l’originalité de son talent éclate dès son premier disque 25 cm enregistré, à 27 ans, en présence de Boris Vian qui chantait dans les chœurs. « En 1957 j’étais une vedette, mais en 1963, le twist devant « régner sur le siècle », j’étais un has been. A 33 ans, je n’avais plus qu’un renom », confiait-il en septembre 2003 à notre confrère Robert Belleret. « Contrairement à Brel ou Brassens, je ne me destinais pas à la chanson, et, comme le succès a été immédiat, je n’ai pas connu les vaches maigres, je n’ai pas été obligé de me constituer un réseau ni un clan et je n’ai jamais eu à jouer un personnage ».

« Les paroles et les musiques viennent du rêve. Je prends des notes pendant la nuit. Pas pratique pour garder une femme, car on la réveille », nous disait-il en 2010, alors qu’après quinze ans de retraite anticipée, il avait accumulé les cahiers, les notes, les projets : « une centaine. J’en ai gardé quarante, puis j’ai réuni les femmes que j’ai connues dans ma jeunesse, des amis, afin de sélectionner, et j’en ai enregistré douze dans mon home studio ». Il avait ensuite reçu chez lui les prétendants à l’édition d’un disque, de chez lui, une magnifique maison d’architecte, parce que « rhumatisant depuis quarante ans », il recevait dans son salon. Pour le voir, il fallait traverser le vestibule, ses alignements de pipes et de guitares, les salons encombrés de cartons d’archives, de livres, « tous vitaux », et de vidéos, avant d’arriver au canapé tigré du living à verrière.

Une succession de transferts et de procédures

Sa maison de Garches était un lieu de pèlerinage. Des grands noms des arts et de la musique, des hommes politiques, peut-être même son ami Georges Pompidou, ont plongé dans la piscine, pris le frais sous les arbres centenaires et admiré l’esthétique Bauhaus de cet édifice de 1 200 m2, ancienne demeure de l’ambassadeur d’Autriche. Guy Béart l’avait achetée en 1967, après le succès de Vive la rose, titre phare d’un album consacré à la reprise de chansons du patrimoine français.

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Sa carrière phonographique est une succession de transferts et de procédures, dont celle qui l’opposa à Philips de 1963 à 1978, afin de récupérer les droits de ses chansons. « J’ai monté ma maison d’édition, Espace, très tôt. Puis Philips a viré Canetti [qui y était directeur artistique]. J’ai emprunté des sous à la Banque de Paris et des Pays-Bas, et j’ai fondé l’Auto Production des Artistes au Micro, une structure autogérée par les artistes. J’ai présenté l’affaire à Jean Ferrat, Anne Sylvestre, Claude François, Pierre Perret. Ils ont trouvé l’idée si bonne qu’ils ont tous créé leur propre société. » Il fonde alors Temporel, sa société de production phonographique, devenue Bienvenue.

En conséquence, ses partenaires sont ses distributeurs, « un point c’est tout ». Cette déclaration d’indépendance lui a valu l’une de ses manies les plus visibles : fumer cigarette sur cigarette. « Je vivais avec Popy, une Franco-Américaine. J’avais du mal à obtenir des rendez-vous. Elle m’a convaincu que le métier exigeait cigare et whisky. Ça a marché, j’ai pu approcher Eddie Barclay et d’autres, puis je me suis mis à la pipe. »

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