Atelier : Laguiole, l'âme d'un couteau

Dans le village de Laguiole (Aveyron), la coutellerie Honoré Durand perpétue des savoir-faire millénaires. Elle travaille notamment l'acier Damas, dont la réputation s'est forgée à l'époque des croisades.

Atelier : Laguiole, l'âme d'un couteau

    La forge de la coutellerie Honoré Durand, créée en 1987 et dirigée par les deux fils du fondateur, est un endroit mystérieux. Brandissant une tige à l'extrémité incandescente, une silhouette frappe violemment une pièce métallique, provoquant un bruit assourdissant. Le spectacle évoque le laboratoire d'un alchimiste en pleine transmutation du fer en métal précieux.

    Nous sommes dans l'atelier du premier artisan-fabricant de couteaux de Laguiole (Aveyron). Arnaud Grafteaux, « artisan taillandier et forgeron », suspend sa tâche : « Je réalise un feuilletage d'acier dur et d'acier doux. J'empile des plaquettes de dimensions identiques, en alternant les deux types d'acier, puis je martèle à chaud pour obtenir un bloc homogène. » Vieille de plus de deux mille ans, cette technique dite du Damas produit des lames ornées d'élégants reflets moirés et particulièrement solides.

    Un mille-feuille sur le feu

    Ensuite, Arnaud Grafteaux chauffe l'amas dans un four à gaz à 1 200 °C, puis l'écrase et l'étire au maximum avec un marteau-pilon. Il découpe alors la plaque ainsi obtenue en morceaux, qu'il entasse les uns sur les autres. « Je répète le processus jusqu'à obtenir plus de 300 couches d'acier », précise le forgeron. Le résultat de ces multiples superpositions est une barre dans laquelle seront taillées entre quatre et huit lames, elles-mêmes mises en forme et longuement travaillées à la main sur des bandes abrasives. Après avoir été trempées dans l'huile puis polies, elles sont plongées dans un bain d'acide qui, en les oxydant, révèle leurs motifs. Les amateurs feront ensuite leur choix parmi les manches en ivoire, bois, os, corail, ambre ou cuir. La fabrication d'un couteau requiert en moyenne deux jours de travail.

    Imaginé il y a plus de deux cents ans dans la commune dont il a fait la renommée, le couteau de Laguiole était à l'origine destiné aux paysans et bergers de la région. La traditionnelle petite abeille ciselée en haut du manche, les poinçons ou encore la qualité du ressort permettent de distinguer les pièces réalisées dans la tradition des nombreuses imitations qui circulent dans le monde. La maison Honoré Durand serait la seule, à ce jour, à forger le Damas à Laguiole. Seuls une dizaine d'artisans en France maîtrisent cette technique : de quoi allécher la concurrenceâ?¦ « Plusieurs entrepreneurs asiatiques m'ont offert des sommes mirobolantes en échange de ma collaboration », assure Arnaud. En vain, car il n'a pas l'intention de quitter sa forge du plateau de l'Aubrac.