L’aviez-vous remarqué ? C’est de New York que sont partis beaucoup des messages de soutien qui ont fait le tour du Web le week-end dernier : l’hommage bilingue de la comédienne Cecily Strong au début de l’émission Saturday Night Live, la rafale de « fucks » de l’humoriste John Oliver, La Marseillaise du chœur du Metropolitan Opera, les mots d’amour sincères d’une lectrice anonyme du New York Times.
Dans la rue aussi, New York pensait à Paris. Dès samedi, le parc de Washington Square s’était rempli de fleurs, de mots doux, de poèmes. Il y eut des veillées aux bougies à Carroll Gardens, la « petite France » de Brooklyn, comme à Jackson Heights, au cœur cosmopolite du Queens. Lundi, une foule majoritairement anglophone observait, les larmes aux yeux, une minute de silence pour Paris autour de l’« arbre survivant », ce poirier sauvé des ruines du World Trade Center, symbole de la renaissance de la ville. La nuit, les antennes des gratte-ciel brillaient en bleu blanc rouge. Partout, l’accent français déclenchait des vagues de sympathie. Toute la semaine, New York a eu l’air de dire : « On comprend. On a vécu ça. On est là. »
Deux époques, un même traumatisme
Le parallèle avec le 11-Septembre a des limites, bien sûr. D’abord l’échelle : près de 3 000 morts à Manhattan, dont 343 pompiers et 71 policiers. Paris n’est pas éventrée, elle n’a pas à se reconstruire, elle ne sentira pas pendant des mois la cendre et le caoutchouc brûlé. Pourtant, les New-Yorkais reconnaissent leur traumatisme dans l’épreuve vécue par les Parisiens. Il y a ces avis de recherche qui deviennent des faire-part de décès : avant l’ère des réseaux sociaux, c’était sous forme d’affichettes placardées dans les rues par milliers, autour notamment de l’Armory, l’ancienne armurerie de Manhattan reconvertie en cellule de crise. Longtemps, New York a été hantée par les visages de ces disparus, leurs histoires, leurs signes distinctifs (« diablotin tatoué sur la poitrine », « cicatrice de DT polio sur le bras gauche », « jambe droite plâtrée jusqu’au genou »). Paris aussi devra s’habituer aux images de ces vies arrêtées.
Il faudra vivre avec la peur, apprendre à avoir les bons réflexes. « Ce sera peut-être plus difficile à Paris, car une nouvelle attaque semble plus probable », admet Peter Debruge, le correspondant en France du magazine de spectacle Variety, qui a vécu à la fois le 11 septembre et le 13 novembre. Dimanche, il s’est retrouvé coincé dans un restaurant de la rue Montorgueil où s’étaient jetés des passants affolés par une rumeur de fusillade. Un homme avait le front ensanglanté, il s’était blessé dans la bousculade.
« C’est le problème de la peur, explique le journaliste américain. Elle fabrique une autre forme de danger. » On appelle ça le stress post-traumatique, et ça ne passe pas tout de suite. Un an après l’effondrement des tours jumelles, le nombre de visites aux urgences pour crises d’angoisse était toujours supérieur à la normale. A New York, on a longtemps sursauté quand un avion survolait la ville un peu trop bruyamment, un peu trop bas. A Paris, ce sera peut-être quand une voiture noire ralentira devant une terrasse de café.
Après le 11-Septembre, le meilleur antidote à l’angoisse avait été l’action. « Les New-Yorkais ont lutté contre la peur en volant au secours des autres », explique Robert Fanuzzi, un professeur d’études américaines de l’Université St John’s, qui a codirigé un ouvrage sur la convalescence de la ville après les attentats (Recovering 9/11 in New York, chez Cambridge Scholars Publishing). Les images des Parisiens faisant la queue pour donner leur sang lui a rappelé des scènes familières. Quant à l’autel improvisé place de la République, il a réveillé des souvenirs d’Union Square, lieu symbolique du deuil collectif pour les New-Yorkais.
Selon le chercheur, ce besoin viscéral qu’ont éprouvé les Parisiens de se réunir malgré l’interdiction des rassemblements est de bon augure. « Le fait de témoigner, de faire cause commune, de souffrir ensemble est thérapeutique. Ce type de commémoration populaire et spontanée est une grammaire née du 11-Septembre. Ici, elle a été réactivée tout le week-end en solidarité avec Paris. »
“Paris c’est notre sœur jumelle, la capitale où on rêve tous de prendre sa retraite ou d’envoyer ses enfants.” Robert Fanuzzi, professeur à l’Université St John’s
Il faudra enfin que Paris ne se laisse pas déposséder de son deuil, estime-t-on outre-Atlantique. En 2001, les New-Yorkais avaient su forger leur propre récit collectif, loin des discours de revanche et des mythes d’héroïsme en vigueur à Washington et sur les plateaux de télé. Leur endurance était trempée dans un patriotisme local plutôt que national. « Paris verra sûrement sa douleur instrumentalisée par certains médias, certaines forces politiques, prévient Michael Wolfe, le directeur du département de sciences sociales de l’université publique new-yorkaise Queens College. Déjà, on parle d’état de guerre, de République assiégée. Pour nous, c’est un refrain familier. »
Le message de New York ? Au travail, Parisiens. Vous êtes des bons vivants et des durs à cuire. Créez votre propre récit mémoriel, vous en ressortirez plus forts et plus unis. Honorez vos morts, mais n’oubliez pas de célébrer la vie. Comme nous, c’est ensemble que vous dominerez la peur. Et vous savez où nous trouver si vous avez besoin d’une oreille amie. « Paris c’est notre sœur jumelle, la capitale où on rêve tous de prendre sa retraite ou d’envoyer ses enfants, résume le professeur Fanuzzi. Le lien entre nos villes est très fort ces jours-ci. Tout le monde à New York porte Paris dans son cœur. »
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