Jean-François Cail (1804-1871) aurait pu être un personnage de Balzac. Parti de son Poitou natal à l'âge de 12 ans avec seulement 6 francs en poche, il laisse à sa mort un empire industriel estimé à 28 millions de francs or. Celui qui, pour reprendre le titre du livre de Jean-Louis Thomas, fut "un acteur majeur de la première révolution industrielle" (Editions de l'association Cail, 2004), est aujourd'hui tombé dans l'oubli.
Apprenti chaudronnier, Jean-François Cail arpente les routes de France pour faire son compagnonnage. Il arrive à 20 ans chez un chimiste qui construit des appareils de distillation, Charles Derosne (1780-1846). Il montre de telles aptitudes à améliorer les machines que Derosne lui propose de l'associer à son entreprise dès 1836. L'aventure est lancée.
Après s'être engagés avec succès dans la fabrication de sucreries à partir de betteraves, les deux compères misent sur la production industrielle de sucre de canne dans les Caraïbes. Les Antillais manquent de capitaux. Jean-François Cail leur en prête, fait des avances de trésorerie, et entre même dans le capital des sucreries.
Selon le professeur Christian Schnakenbourg, de l'université de Picardie à Amiens, Jean-François Cail provoque le développement économique des îles. Mieux, l'industrialisation de la filière prépare la fin du système traditionnel de l'"habitation sucrerie", fondé sur l'esclavage. L'entreprise est florissante, les commandes affluent de toutes parts. Les innovations apportées aux machines propulsent la société au premier rang mondial.
CONQUETE DU RAIL
Mais une autre révolution attend Jean-François Cail. Armé d'une solide réputation dans la métallurgie, l'entreprise se lance dans la construction de locomotives à vapeur, au début des années 1840. Elles seront fabriquées à Paris, dans les ateliers de Chaillot, puis dans ceux de Grenelle qui formeront la plus grande usine de Paris. Pour se lancer, il achète la licence de la Crampton, la locomotive la plus rapide de son temps : 120 km/h. Une fois perfectionnée par les ingénieurs maison, ce choix se révèle judicieux : les commandes affluent de toutes parts.
A la mort de Derosne, en 1846, l'entreprise compte 1 500 personnes. Des usines ouvrent à Denain, Bruxelles, Amsterdam ou Saint-Pétersbourg. L'entreprise se diversifie dans les machines-outils, les ponts métalliques ou encore les lignes de chemin de fer. Jean-François Cail investit aussi dans de vastes domaines agricoles, comme celui de La Briche en Indre-et-Loire, qui dépasse les 2 000 ha, ou un autre de 18 000 ha en Ukraine qui fait tourner quatre sucreries. Rien ne semble trop grand.
L'insolente réussite de Cail ne lui fait pas perdre de vue ses origines modestes. Il crée ainsi une caisse d'aide mutuelle dans laquelle il verse 9 % des bénéfices de l'entreprise. Il érige aussi trente et un immeubles à Paris, avec tout le confort, pour y loger ses ouvriers. Il construit des crèches, des écoles, et même un théâtre, l'actuel théâtre des Bouffes du Nord.
Mais la mort d'un de ses fils, Adolphe, en 1869, assombrit le sort de la société. Ingénieur, il était destiné à reprendre les rênes de l'entreprise. Deux ans après, Jean-François Cail décède à son tour. L'entreprise, qui compte 5 000 ouvriers, est confiée au fils aîné, Alfred. Plus porté sur la vie mondaine, il coule l'entreprise en dix ans, signant la fin d'une des plus belles aventures industrielles.
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