"Le confinement va être rude. C'est un accélérateur de tous les dynamiques de la relation", explique la psychologue et psychothérapeute Véronique Kohn.

Pour l'écrivain Christine Orban, "l'amour c'est l'indulgence".

L'Express

Les temps changent, les gens, pas tellement. L'antique notion de sagesse, qui veut qu'on gagne en raison ce qu'on perd en cheveux, n'a rien cédé de son ancienne vigueur. Pour peu qu'il s'en donne la peine, le vieux dispense toujours en société les fruits de l'expérience, moins à des jeunes gens qui n'écoutent pas qu'à ses contemporains qui le comprennent.

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Dans le rôle du sage assis sous son arbre, Pascal Bruckner excelle. Il a la pédagogie un peu malicieuse et l'assurance de celui qui a vécu, l'esprit français. Il parle de l'ordinaire avec une éloquence charmante et un peu retorse. L'ordinaire, au début du mois de février, c'est l'amour.

Là aussi, à quelques évolutions sentimentales près, les choses n'ont pas connu de bouleversement anthropologique notable. A la fin d'un hiver que les changements climatiques n'ont pas encore aboli, on se livre à des rituels d'accouplement et de fertilité qui remontent à la nuit des temps.

Bonne saison pour lire ou relire Bruckner, et nous demander ce que nous honorons quand nous parlons d'amour. "Nous vivons, écrit-il dans Le Paradoxe amoureux, dans une époque hypersentimentale et les couples meurent aujourd'hui parce qu'ils se placent sous la juridiction d'un dieu cruel et sans merci: l'Amour." L'accusation de cruauté est qualifiée. Ce qui l'est moins peut-être, c'est l'adverbe "aujourd'hui". Parce qu'enfin, quand on remonte la pendule, les couples qui meurent, ce n'est pas ce qui manque. A cette nuance près que la mort n'est pas métaphorique. Roméo et Juliette, Tristan et Yseult meurent en vrai. "Malheur dieu pâle aux yeux d'ivoire", "dieu qu'il ne faut pas croire", écrit en 1903 le très sentimental Guillaume Apollinaire dans La Chanson du mal-aimé.

Mourir dans une souffrance d'autant plus sublime qu'elle est atroce serait l'aboutissement de l'amour vrai, l'amour fatal dont la séparation n'est plus qu'une déclinaison bourgeoise et sans allure. Du Moyen Age à la fin du siècle dernier, on meurt plutôt que désaimer. Belle du seigneur, que la couverture de l'édition de poche présente comme le "chef-d'oeuvre de la littérature amoureuse de notre époque", est publié en 1968. Ce qui n'est pas si vieux. La passion torride qui enchaîne une jeune femme idiote à un jeune homme imbuvable s'étire sur plus de 1 000 pages. On ne comprend pas bien ce qu'ils se trouvent si ce n'est qu'ils s'entendent bien au lit. A la fin, ils se suicident. Le suicide semble être le meilleur moment de toute leur affaire, et surtout il n'occupe que trois pages. Au total, les tourtereaux bouclent le circuit Eros-Thanatos en deux ans tout compris. A côté de quoi, avec ses amours qui durent trois ans, Frédéric Beigbeder a quelque chose d'un peu popote. Trois ans? Une éternité...

Et puis cette idée qu'un amour peut en remplacer un autre évoque moins l'éternel retour que le deuxième service à la cantine. Idéalement, il faudrait que ça dure toujours. Faute de quoi, on s'administre la mort. Car c'est bien ce qui se passe dans Belle du seigneur. Ce poison qui les réconcilie enfin, ils se l'offrent. En somme, c'est: si tu m'aimes, je te tue. D'ailleurs, je ne te tue pas qu'à la fin. Je te tue tout le temps, à coups d'exigences répétées, de demandes de preuves jamais suffisantes d'un amour toujours imparfait. Il faudrait, pour mériter l'amour vrai, s'exclure du monde et même n'y avoir jamais vécu pour être tout à l'autre. Etonnez-vous que ça se termine mal. Plutôt que d'amour, on devrait parler d'amour de l'amour, construction mentale nourrie d'exemples littéraires, qui ne fait, elle, pas de quartier. L'amour de l'amour s'épuise d'ailleurs à s'exercer entre deux êtres marqués dès l'origine par l'imperfection.

L'humain, créature bricolée ou plus ou moins rafistolée, ne touche à l'absolu qu'à condition de sortir de son humanité. De rejoindre son origine divine, ou encore mieux, de rejoindre Dieu lui-même. Le pur amour est l'amour mystique, et les amoureux impitoyables lui empruntent largement lexique et images. L'Ariane d'Albert Cohen recycle ainsi à son usage le Cantique des cantiques : "Mon âme croyante/Soit fière et contente/Voici venir ton divin roi/Solal est près de toi." On ne peut pas lui en tenir rigueur, c'est tout le corpus religieux, biblique, chrétien, islamique, qui confond ainsi à longueur de textes les figures de la femme et de l'homme avec celle de l'âme et de Dieu. La fin' amor médiévale reprend, amplifie et codifie l'affaire. On ne sait plus à la fin qui parle à qui, dans ses invocations sublimes à l'aimé(e). C'est admirable, mais enfin ce n'est pas vivable. D'ailleurs, une fois de plus, on en meurt. Avec ce vice ultime que la mort, ici, n'est pas la mort, mais l'entrée dans la Vie. La Vie éternelle, s'entend.

Décidément, comme l'écrivait sainte Thérèse d'Avila: "L'amour est dur et inflexible comme l'enfer." On devrait s'en souvenir quand on se montre exigeant, despotique, tyrannique, au seul nom de l'amour. On devrait se rappeler cette ancienne confusion, à laquelle il nous semble si naturel d'obéir, qui dit que le bonheur, c'est le malheur, et la vie, c'est la mort. "Je crois encore au grand amour, entend-on souvent, écrit encore Pascal Bruckner, mais c'est aux personnes qu'il faut croire, vulnérables, imparfaites, pas à une abstraction, si admirable soit-elle. Aimer l'amour en général, plus que les êtres eux-mêmes, c'est se gargariser d'idéal." En lieu et place d'une intransigeance religieuse, un peu de tendresse séculière nous ferait l'amour plus doux.

Christine Orban

"L'intransigeance est irrémédiablement associée à l'amour. Elle en est l'une des facettes les plus répandues, alors qu'elle devrait en être éloignée, car l'amour, c'est l'indulgence. L'excessivité du début perd de sa violence avec les années. Certains le regretteront, la compréhension et autres onguents éloignent l'intolérance. En amour, il n'y a pas de place pour le calcul. Il coule de source. La seule chose que l'on ne peut pas lui pardonner, c'est le manque d'amour. J'ai ressenti de l'intransigeance en amour, mais je n'ai pas eu à en souffrir car je n'ai pas été trahie, et puis l'écriture est un exutoire, une façon d'avoir plusieurs vies. Un moyen de libérer la folie et les excès." Virginia et Vita, de Christine Orban, resort ce mois-ci chez Albin Michel (déjà publié en 1990 sous le titre Une année amoureuse de Virginia Woolf).

Pascal Bruckner

"Dans Le Paradoxe amoureux, je décris l'intransigeance en amour comme la grande maladie contemporaine, qui explique la dissolution de tant de couples: on aime l'amour plus que les êtres. On recherche l'effervescence permanente et, si l'autre déchoit, on le congédie car il n'est plus digne de notre idéal. Toutes nos mythologies sont des mythologies romantiques, comme l'Amour fou d'André Breton. Cette forme d'amour n'a pas grand-chose à voir avec l'affection, la tendresse qu'on peut éprouver pour quelqu'un. L'amour doit prendre en compte la richesse et la singularité des êtres. Refuser cette dimension, c'est le condamner à disparaître." Le Fanatisme de l'Apocalypse. Sauver la Terre, punir l'homme est le dernier livre de Pascal Bruckner, paru chez Grasset.

Coeur de pirate

"L'intransigeance induit l'idée d'une sévérité et d'une rigidité dans les normes de la relation amoureuse qui me paraît assez éloignée du plaisir. Or qui dit amour, dit plaisir, ou, en tout cas, sûrement pas opposition au plaisir. Apprendre à être amoureux sans être intransigeant demande une sagesse qui vient sans doute, je me le souhaite, avec le temps! Pour ma part, je me suis souvent tiré une balle dans le pied, en m'entêtant à vouloir obtenir des choses auxquelles je refusais de renoncer. Aimer réellement l'autre, c'est le laisser respirer un peu. C'est l'aimer pour ce qu'il est et non pour ce que l'on voudrait qu'il soit." Coeur de pirate est en tournée en France et en concert le 19 mars au Casino de Paris.

Olivier de Benoist

"Il y a un an, grâce à la télévision, j'ai été propulsé dans un monde où les tentations sont nombreuses. Mais, en amour, je ne peux transiger sur la fidélité: c'est l'essence même du couple. Si on lui enlève ça, qu'est-ce qu'il reste? Une forme de cohabitation... Qu'Anne Sinclair reste au côté d'un mari coureur de jupons, je n'en vois pas le sens. Je suis porté par l'exemple de mes parents, ainsi que par les principes de la religion catholique. Je sais, c'est démodé, mais j'assume. Etre fidèle, pour autant, ne veut pas dire être excessivement jaloux -cette forme d'intransigeance-là asphyxie un couple. Quand on a confiance, on peut transiger sur tout le reste." Olivier de Benoist, "porte-parole des hommes face à la dictature des femmes", est l'auteur et l'interprète de Très très haut débit, à La Cigale, Paris.

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