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« J’ai toujours su que l’amour exclusif n’est qu’une chimère »

Meta, réalisatrice radio de 37 ans, mariée et mère de deux enfants, est polyamoureuse.

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Publié le 07 juillet 2016 à 12h34, modifié le 13 juillet 2016 à 15h42

Temps de Lecture 6 min.

Le polyamour prône « la possibilité de vivre simultanément des relations amoureuses consensuelles et éthiques ».

« J’ai toujours su que l’amour exclusif n’était qu’une chimère, une norme sociale, qu’il m’était impossible de n’aimer qu’une seule personne à la fois. Cela me semble aussi absurde que d’essayer de préférer son père à sa mère, son frère à sa sœur. Cette idée, c’était même une intuition de l’enfance.

« J’avais 13 ans et déjà plusieurs relations en même temps, j’étais une amoureuse libre. »

En 1992, j’ai 13 ans, l’âge des premiers émois amoureux. L’été de ma 4e, je rencontre Erwan en colonie de vacances. C’est un adolescent en pleine mue, un brun fluet aux yeux verts, plus petit que moi, qui étais déjà une pulpeuse métisse de 1,75 m. On poursuit notre relation à distance, lui à Rennes et moi à Paris. Des heures à squatter la ligne téléphonique de nos parents. A la même période, j’ai commencé à sortir avec Jérôme, un copain d’aumônerie. Puis Rolph, un ami de Jérôme. J’avais 13 ans et déjà plusieurs relations en même temps, j’étais une amoureuse libre.

Avec Rolph et Jérôme, on était très amis tous les trois. Mes parents ? Ils étaient au courant, je suis une très mauvaise menteuse. Ma mère, une féministe avec le soutien-gorge entre les dents, m’a emmenée chez le gynécologue, j’ai eu mes préservatifs, ma pilule et mon cours sur la contraception. Mon père, c’était un patriarche africain qui a grandi au Congo. Les deux ne risquaient pas de s’opposer. Même vingt ans plus tard, quand je suis arrivée au réveillon de Noël avec mes deux amoureux, personne n’a tiqué.

Au lycée, ça jasait pas mal, mais je ne l’entendais pas. J’assumais ma sexualité. Le regard social, je ne le voyais pas, je ne l’ai jamais vu : je suis une femme, métisse et grosse, la peur du jugement des autres, j’ai dû l’affronter très tôt. Je me suis habillée avec mon intérieur, car à l’extérieur je n’avais rien pour moi.

Papillons dans le ventre et regards niais

En 1996, j’ai 17 ans, mon bac avec un an d’avance et je pars faire mes études de droit à Rennes. A une soirée, je rencontre Sébastien. Lui n’est pas comme les autres, il veut une relation exclusive. J’accepte et je rentre dans le rang. C’est comme tous les débuts d’histoire, les papillons dans le ventre, chabadabada, les regards niais et les corps scotchés. On emménage ensemble. Je m’occupe de notre appartement, je fais la vaisselle, je tente de m’adapter à sa vision rigide, traditionnelle et catholique de notre union. Au bout de trois ans, il finit par me quitter pour une autre femme.

« La séparation me laisse fracassée.
Je me suis fait une promesse : ne plus jamais être comme ça. »

La séparation me laisse clouée à mon canapé, en boule, fracassée, avec l’impression de devoir réapprendre à marcher. Une dichotomie totale entre mon esprit qui criait sa liberté retrouvée et mon corps amputé, on m’avait enlevé la moitié de moi-même. A dormir toutes les nuits avec la même personne pendant trois ans, j’étais désormais une vieille toxicomane, option drogue dure, en plein sevrage. J’allais à la fac, toute molle, pleurant au milieu du resto U. Ces scènes, c’était six mois de ma vie il y a presque vingt ans, mais je me souviens de toutes ces sensations. Je me suis fait une promesse : ne plus jamais être comme ça. C’était mon vaccin.

En 2008, j’ai presque 30 ans, je suis au chevet de mon père mourant. Le jour de son décès, je reçois sur ma messagerie une pub pour Adopteunmec.com. Avec ma mère et ma sœur, on rit du marketing de ce site de rencontres, où l’on peut mettre des hommes dans un Caddie, on rit de ce rire libérateur que seuls les deuils savent fabriquer. Quelques jours plus tard, je décide de m’inscrire. A midi, je poste mon annonce. A 14 heures, je reçois un mail d’un dénommé Thomas. On s’écrit tout l’après-midi. A 20 heures, je le retrouve pour dîner. A 22 heures, je le demande en mariage. Sept ans plus tard, je l’ai vraiment épousé.

Le pire ennemi : la passion

En 2009, à 31 ans, je rencontre Aurélien, grâce à Thomas. Thomas m’a appris que ma vision des amours libres, ça avait un nom, venu des Etats-Unis : polyamory, soit le polyamour. Et une définition, qui serait « la possibilité de vivre simultanément des relations amoureuses consensuelles et éthiques ». Un mercredi par mois, on va au Café Poly, un petit bar en sous-sol du 20e arrondissement où se retrouvent une douzaine de personnes, qui se présentent et échangent.

Là-bas, Aurélien me repère et me fait une cour assidue pendant des mois. Un soir, il passe prendre le thé et reste toute la nuit. Je l’ai complètement dans la peau, c’est la phase pathologique de l’amour, le pire ennemi : la passion. Un moment où la déontologie du polyamour est vitale et où, avec Thomas, on s’est juré de ne pas prendre de décisions. On s’en sort, en se disant qu’on peut survivre à tout et donc faire des enfants.

En 2011, j’ai 33 ans et on décide de faire un enfant à trois, avec Thomas et Aurélien. Thomas sera le père, Aurélien le parrain. Naît Aurore, et on emménage dans le quartier parisien de Belleville, dans un ancien atelier de couture transformé en loft. Un immense salon, des milliers de livres partout et trois chambres : une pour moi, une pour Thomas, une pour Aurore. Chacun son espace vital. Parfois, le soir, quand je rentre tard du boulot, j’entends de l’autre côté de la cloison Thomas rire avec l’une de ses autres amoureuses, Fred, une jolie jeune femme au carré fraîchement coupé, rencontrée à son cours de plongée. Je suis heureuse qu’elle le rende heureux.

Une « équipe parentale » à trois

Avec Aurélien et Thomas, on élève Aurore ainsi pendant quatre ans. On forme une « équipe parentale ». Aurélien habite dans un studio à dix minutes de notre appartement, il va chercher Aurore trois fois par semaine à la crèche, dort souvent à la maison avec moi. Toutes les décisions concernant notre enfant sont prises en concertation et à l’unanimité. Et puis les enfants prennent comme norme ce qu’ils voient chez eux, donc Aurore trouve très naturel de me voir embrasser plusieurs garçons sur la bouche devant elle, rien n’est caché. Une famille, c’est ce qu’on décide d’en faire, comme dit le proverbe africain : « Il faut tout un village pour élever un enfant. »

« Un jour, je découvre que pendant deux semaines, il n’a pas prévu de passer de temps avec nous. Cela aboutira à notre rupture. »

En 2015, j’ai 36 ans. C’est la séparation d’avec Aurélien. On avait un agenda partagé pour s’organiser, le polyamour au quotidien étant une logistique lourde. Un jour, je découvre que pendant deux semaines, il n’a pas prévu de passer de temps avec nous, et c’est le début d’un conflit larvé qui aboutit à notre rupture. Pour Aurore, c’est très dur, mais c’est une décision de protection. Ce « divorce », c’est l’histoire d’une divergence idéologique. Avec Thomas, on appartient à la branche historique et conservatrice du polyamour, celle qui veut que la famille soit prioritaire. A l’inverse, Aurélien était plutôt tenant d’une ligne dite « d’anarchie relationnelle », où il n’y a jamais de hiérarchisation entre les relations.

Aujourd’hui, j’ai 37 ans, je viens d’avoir un autre enfant avec Thomas, un petit Gabriel, 4 mois. On s’est mariés aussi. Sommes-nous des intellos partouzeurs qui maquillent d’intellectualisme le droit d’avoir une sexualité compulsive ? Je ne pense pas. Le non-dit est la première source de douleur dans une relation, et nous, on est dans la surcommunication. On n’a pas justifié l’adultère, on l’a aboli. »

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