Faisant le constat que la figure du hipster, avec sa barbe, son vélo à pignon fixe et ses chemises de bûcheron vintage, n’était plus qu’une caricature d’elle-même, L’Epoque a décidé de former un nouveau sociostyle. Pour cela, nous nous sommes fondés sur une observation quasi scientifique du biotope urbain, où une figure mutante a vu le jour, ces dernières années, que nous avons décidé d’appeler le « ploucster » (contraction de « plouc » et de « hipster »).
Le plouc, qui en constitue la base sociologique, a une qualité rare, aujourd’hui : celle de n’être absolument pas préoccupé par le regard des autres. Il possède donc une liberté incomparable, notamment dans le domaine des associations vestimentaires, là où tout un chacun est généralement pétrifié par l’image qu’il renvoie. En bon vampire, le ploucster a entrepris de s’approprier cette insouciance signalétique et de la faire fructifier sur le marché des valeurs symboliques. Fonctionnant comme un antidote à la tyrannie du paraître, les codes néobeaufs sont devenus le nouvel étalon de l’ultrabranchitude.
Lycra, Crocs et survêtement
A quoi reconnaît-on un ploucster ? C’est très simple : il porte souvent des claquettes de piscine pareilles à celles de Philippe Lucas (le concept store parisien Colette, toujours à l’avant-garde, en expose même dans sa vitrine) et un tee-shirt informe décoré d’une tête de loup hurlant à la lune, pièce de vestiaire que ne renierait pas un fan de Johnny. Ses chaussettes en Lycra arborées au plus fort de l’été le font ressembler à un camionneur moldave, tenue que vient compléter une vieille veste de survêtement achetée une fortune chez Kilo Shop et un bas de pantalon qui semble avoir été dérobé à un SDF en plein coma éthylique.
Cet ensemble d’éléments disparates affiché par le ploucster sert à envoyer un message sémaphorique au reste du monde, que l’on pourrait résumer ainsi : « Hé, les copains, regardez comme je me fous de la dictature du style ! » Pourtant, paradoxe suprême, nombre de ces codes ploucs ont été récupérés par les créateurs eux-mêmes, laissant entendre que la mode était devenue en grande partie un mouvement de réaction à son propre tropisme esthétisant. En 2015, le magazine de référence Vogue publiait une série de photos avec le mannequin Hanne Gaby Odiele chaussée de Crocs. Considérés initialement comme hideux, ces sabots en plastique prisés des aides-soignantes constituent aujourd’hui le sommet du raffinement ploucster, au même titre que le sac banane, les chaussures Nike « requin », le bas de jogging Kappa, les grosses gourmettes, la culture tuning, les chansons de Michel Delpech, la pétanque, l’émission de télé-réalité « Duck Dynasty », le karaoké ou encore le bon vieux bob de pêcheur à la ligne. Tous ces stigmates de la beaufitude ont ainsi fait leur grand retour, en réponse à l’excès de raffinement.
Un pied de nez au minimalisme ambiant
Etre paradoxal, le ploucster tente en permanence d’infirmer l’obsession stylistique qu’il met en scène par ailleurs. « Les codes ploucs servent à se distinguer de ce qui est très léché, minimal. Dans le design, les inscriptions graphiques des bars PMU sont, par exemple, à la pointe de la tendance. Mais au final, c’est une démarche hyperélitiste et moqueuse », regrette Elise d’Arbaumont, designer de 23 ans. Effectivement, le ploucster reste prisonnier du monde des signes dans lequel il baigne et, par le volontarisme distinctif qui est le sien, il ne fait que renforcer la tyrannie dont il prétend se libérer. Il peut bien revendiquer son amour de la saga Camping, sa passion pour le sandwich rillettes-cornichons et sa tendresse pour les vêtements qui grattent, il lui manquera toujours l’essentiel : l’authenticité.
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