2016 colloque gaspillage alimentaire montpellier - ACTES

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ACTES DU COLLOQUE Des chercheurs et des pionniers combattent des idées reçues

INNOVONS CONTRE LE GASPILLAGE ALIMENTAIRE EN OCCITANIE ! 17 novembre 2016

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PRÉSENTATION GÉNÉRALE

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e jeudi 17 novembre 2016 s'est tenu à Montpellier SupAgro le colloque « INNOVONS CONTRE LE

GASPILLAGE ALIMENTAIRE EN OCCITANIE! » fruit d'une organisation tripartite entre la

Direction régionale Occitanie de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt ( DRAAF Occitanie), la Direction régionale Occitanie de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ( ADEME Occitanie) et la

Chaire Unesco Alimentations du Monde . L'originalité de ce colloque a été de

rassembler des chercheurs et des acteurs de terrain qui

tout au long de la journée ont confronté leur point de vue et leurs expériences autour de

trois idées reçues

lors de trois tables rondes.

Idée reçue n°1. Idée reçue n°2.

« Les plus gros gaspilleurs, ce sont les supermarchés ! »

« Le gaspillage dans les cantines, impossible de faire autrement ! »

Idée reçue n°3.

« À la maison on ne gaspillage pas grand-chose ! »

Les objectifs de ce colloque, qui est également la première

rencontre régionale Occitanie sur

cette thématique, sont multiples : ✔

Présenter des retours d’expériences régionales. Le colloque a notamment été l'occasion de valoriser, lors des tables rondes et durant les temps de pause, les lauréats d'un appel à projet DRAAF/ADEME Occitanie spécifique à la lutte contre le gaspillage alimentaire

Entrevoir de nouvelles perspectives grâce aux apports de chercheurs

Créer des liens et échanger autour de plusieurs idées reçues et questions mises en débat

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SOMMAIRE Cliquez sur le numéro de la page que vous souhaitez consulter !

LE COLLOQUE EN CHIFFRES……………………………………………………………2 INTRODUCTION…………………………………………………………………………….3 Anne-Lucie Wack, Directrice de Montpellier SupAgro………………………………………………………………….3 Pierre Poüessel, Préfet de l'Hérault………………………………………………………………………………………………...3 Nicolas Bricas, Directeur de la Chaire Unesco Alimentations du Monde……………………………………..4

TABLE RONDE, Idée reçue n°1 « Les plus gros gaspilleurs, ce sont les supermarchés ! »………………………………………………………..……….7 ✔ Laurence Gouthière, ADEME : « Étude 2016 : Pertes et gaspillages ✔

✔ ✔

alimentaires »…………………………………………………………………………………………………………..………..…7 Guillaume Le Borgne, INRA UMR MOISA : « Moins c’est cher, plus j’achète Influence de l’anticipation d’un gaspillage sur l’attitude des consommateurs vis-à vis des promotions, et sur l’intention de choix»……………………………………………...……………………………..8 Audrey Hanan et Jean-Louis Moulins, Aix-Marseille Université : « Valoriser les produits invendables pour lutter contre le gaspillage : le cas des produits moches »…………………………………………………………………………………………………………………………...11 Nicolas Dubreil, CIVAM Bio 66 : « Réduction des pertes en production de fruits bio par la transformation »……………………………………………………………………………………………….15 Alexis Ménard, SO Phenix & Michel Place, Revivre Pays d'Oc : « Partenariat innovant contre le gaspillage: de la sensibilisation en magasin à la redistribution »………………………………………………………………………………………………..…………………15 SYNTHÈSE DES ÉCHANGES…………………………………………………………………………..14

TABLE RONDE, Idée reçue n°2 « Le gaspillage dans les cantines, impossible de faire autrement ! »……………………………………………16 ✔ Maxime Sebbane, ADEME / INRA UMR MOISA : « Gaspillage alimentaire en

restauration collective : une analyse de déterminants psycho-sociaux »……………………….17 ✔ Laure Saulais, Institut Paul Bocuse : « L'architecture des choix, un levier de réduction du gaspillage en restauration ? »……………………………………………………………………………………..20 ✔ Julien Labriet, Communauté d'agglomération du Pays de l'Or : « Projet REGARD'OR : sur l'alimentation, tout un réseau s'implique ! »………………………………………23 ✔ Stéphane Lasseur, Centre hospitalier de Perpignan : « Réduire le gaspillage alimentaire pour augmenter la qualité des repas »…………………………………………………………23 SYNTHÈSE DES ÉCHANGES…………………………………………………………………………..24 3


ZOOM…………………………………………………………………………………………26 Virginie Grzesiak, DRAAF Occitanie, Roxane Fages, DRAAF Occitanie & Christiane Chartier, ADEME Occitanie : « La lutte contre le gaspillage alimentaire en Occitanie : état des

lieux 2016 et pistes de travail »

TABLE RONDE, Idée reçue n°3 « À la maison on ne gaspille pas grand-chose ! »…………………………………………………………………...…29 ✔ Valérie Fointiat et Audrey Pelt, Université de Lorraine : « L'analyse des

déterminants psycho-sociaux du gaspillage en foyer, application du paradigme de l'hypocrisie induite »………………………………………………………………………………………………………….30 ✔ Séverine Gojard, INRA-ALISS : « Approvisionnement, préparation des repas et gestion des restes de denrées alimentaires. »………………………………………………………………….32 ✔ Laurence Gouthière, ADEME : « La campagne de communication nationale grand public « ça suffit de gâchis » et les opérations foyers témoins »……………………………………34 ✔ Corinne Chautard, Toulouse Métropole : « Le programme local de prévention des déchets, un cadre d'actions anti-gaspi »………………………………………………………………………….34 SYNTHÈSE DES ÉCHANGES…………………………………………………………………………..35

CONCLUSION………………………………………………………………………………36 Marie Mourad, Chercheur au Centre de sociologie des organisations………………………………………36 Frédéric Guillot, Directeur régional délégué de l'ADEME Occitanie…………………………………………..37

QU'EN ONT-ILS PENSÉ ?……………………………………………………………….38 Verbatims de participants issus du questionnaire d'évaluation du colloque.

RÉSULTATS DU COIN « NUDGE »…………………………………………………..39 Le jour du colloque, les participants ont pu proposer des idées de nudges pour réduire le gaspillage alimentaire. Les actes sont illustrés par les dessins réalisés lors du colloque par le dessinateur Éric Grelet. Plus d'informations sur : http://ericgrelet.strikingly.com/

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LE COLLOQUE EN CHIFFRES

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INTRODUCTION

ANNE-LUCIE WACK, DIRECTRICE DE MONTPELLIER SUPAGRO

PIERRE POÜESSEL, L'HÉRAULT

ans ses mots de bienvenue, Anne-Lucie Wack a souligné l'organisation conjointe du colloque par la DRAAF Occitanie, la direction régionale Occitanie de l'ADEME et la Chaire Unesco Alimentations du Monde, portée par Montpellier SupAgro et le Cirad, dont elle salue le rôle joué en formation, recherche et innovation sur le thème de l'alimentation durable. Anne-Lucie Wack a ensuite rappelé que le gaspillage alimentaire est une thématique nécessitant une approche très globale entraînant des réflexions à la fois sur les procédés technologiques, l’organisation et la logistique des circuits de distribution et les comportements individuels et collectifs. Le gaspillage alimentaire nécessite également une réflexivité sur nos pratiques et nos organisations, qui est particulièrement nécessaire dans un établissement d’enseignement supérieur. Dans cette optique Montpellier SupAgro a récemment transformé son restaurant collectif – qui sert 600 à 900 repas par jour - en cantine exemplaire avec des objectifs ambitieux : zéro gaspillage, zéro déchet, circuits courts, produits bio, mais aussi des objectifs de santé, plaisir et convivialité. Cette cantine exemplaire sert de « laboratoire vivant » - un Living Lab – sur les questions d'alimentation. Anne-Lucie Wack conclue sur l'importance de former les étudiants au développement durable et à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) afin que les jeunes diplômés soient en mesure de faire face aux défis sociaux et environnementaux actuels et futures. Elle évoque enfin le véritable mouvement de fond porté par les jeunes générations d’étudiants, très fortement engagés vers l’entrepreneuriat social, l’économie solidaire, ou les valeurs environnementales.

onsieur le préfet de l'Hérault a introduit le colloque en saluant l'intérêt porté à la réduction du gaspillage alimentaire qui s'est traduit par la présence de plus de 365 professionnels des métiers de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la distribution, de la restauration, des collectivités, d'associations environnementales, d'éducation, d'aide alimentaire et de consommateurs ainsi que de chercheurs et étudiants venus de toute la région. Il a ensuite été rappelé que cette journée est organisée dans le cadre du Plan régional de l'alimentation, animé par la DRAAF, dans le cadre d’un large partenariat interministériel. La lutte contre le gaspillage alimentaire est en effet une des priorités de la politique publique de l’alimentation et également inscrite dans la loi sur la transition énergétique sur le volet relatif à l'économie circulaire. La thématique est ainsi partagée entre les ministères en charge de l’agriculture et de l’environnement. C'est pourquoi depuis 2013 la DRAAF et l'ADEME agissent conjointement pour encourager sur le terrain le développement d'actions de prévention du gaspillage alimentaire, à tout niveau de la chaîne alimentaire, de la production à la consommation. Les deux institutions ont notamment lancé en 2015 des appels à projets permettant de soutenir des initiatives dont les résultats seront présentés lors de la journée. Monsieur le préfet a ensuite rappelé qu'un tiers de la production mondiale est gaspillée tandis qu'en France le gaspillage alimentaire est estimé à 10 millions de tonnes par an. M. Poüessel a ensuite évoqué les enjeux de la réduction du gaspilage alimentaire, défini comme « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à un endroit de la chaîne alimentaire, est jetée, perdue,

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dégradée ». Sur le plan environnemental, l'impact du gaspillage alimentaire est important car il s’accompagne d’un gaspillage de ressources. Le gaspillage alimentaire impacte également de façon significative notre économie : la réduction du gaspillage peut constituer un élément de compétitivité fort pour les entreprises, d’une part parce qu’elles peuvent réduire leurs coûts en réduisant leurs pertes mais également parce qu’en améliorant leurs pratiques, elles peuvent améliorer leur image et la qualité de leurs produits. Les enjeux sont donc à la fois environnementaux, économiques et sociaux et à ce titre la lutte contre le gaspillage alimentaire est un levier pour augmenter la durabilité de notre alimentation. Les récents textes réglementaires et mesures incitatives en lien avec la lutte contre le gaspillage alimentaire ont ensuite été évoqués. En 2015, un rapport a été remis par le député Guillaume Garot pour identifier les freins qui persistent tout au long de la chaîne alimentaire et proposer des adaptations du cadre législatif et réglementaire. Ainsi, la loi du 17 août 2015 relative à la transition

énergétique pour la croissante verte stipule que « l’État et ses établissements publics, ainsi que les collectivités territoriales mettent en place, avant le 1er septembre 2016, une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire au sein des services de restauration collective dont ils assurent la gestion ». Plus récemment, la loi du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, instaure une hiérarchie des actions à mettre en place par chaque acteur de la chaîne alimentaire, et s’adresse en particulier aux grandes surfaces afin de faciliter les dons alimentaires (interdiction de jeter et de détruire de la nourriture consommable, obligation de proposer une convention à une association caritative, ...). La lutte contre le gaspillage alimentaire fera en outre partie de l'éducation à l'alimentation durant le parcours scolaire. Monsieur le préfet a conclu sur l'importance du partage d'expérience et de la visibilité à donner aux projets de lutte contre le gaspillage alimentaire qui sont à faire connaître pour aider les autres structures à entreprendre à leur tour.

NICOLAS BRICAS, DIRECTEUR DE LA CHAIRE UNESCO ALIMENTATIONS DU MONDE

alimentaires sur les marchés internationaux en 2008 et en 2010 et les crises sociales qu'elles ont provoqué ont remis la question de l'alimentation au cœur des débats de société. Parce que cette crise et d'autres qui l'ont précédées et suivies (vache folle, pousses de soja toxiques, lasagnes au cheval, scandales des abattoirs, etc.) ont révélé que les systèmes alimentaires industrialisés ne sont pas durables : ils ne sont pas généralisables à l'ensemble de la planète, ils ne permettront pas de nourrir les 9 à 10 milliards d'habitants de la planète en 2050 sans provoquer d'irréversibles dégâts environnementaux et sociaux. Comme l'ont montrées les prospectives Cirad-Inra Agrimonde et Agrimonde-Terra ou la prospective du Ministère de l'Agriculture Mondalim, changer de système alimentaire rend nécessaire de changer les deux faces de la même pièce : d'une part changer l'offre alimentaire en inventant des systèmes de production basés sur l'usage de ressources renouvelables ; d'autre part changer la demande alimentaire. Agir sur l'une des deux faces seulement ne suffira pas, il faut agir sur les deux.

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ourquoi le gaspillage alimentaire est-il devenu, depuis quelques années, une question de société ? Une question dont les médias se saisissent régulièrement et qui fait l'objet de rapports internationaux, de mesures politiques, d'initiatives des entreprises, des collectivités locales et de la société civile. Le gaspillage alimentaire n'est pas nouveau. Il n'a pas augmenté ou provoqué de crises récemment. Et pourquoi parle t-on tant de gaspillage alimentaire et pas de gaspillage de l'emballage alimentaire ou du gaspillage des déplacements automobiles avec un seul passager, de l'obsolescence programmée, etc. ? D'une part parce que les flambées des prix des prix

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« Lutter contre le gaspillage est avant tout un enjeu environnemental » À l'échelle mondiale, on produit aujourd'hui largement plus que les besoins nutritionnels. L'extraordinaire augmentation de la production alimentaire que la terre a connue depuis la fin du XIXème siècle a été rendue possible par l'usage massif de ressources minières : le charbon, le pétrole et les mines de phosphate et de potassium. Les niveaux de production atteints aujourd'hui se traduisent par de faibles coûts de la matière première alimentaire et par un gaspillage croissant. Lutter contre le gaspillage est donc un enjeu avant tout environnemental. Il s'agit de réduire l'empreinte écologique et la sur-exploitation des ressources non renouvelables et non d'assurer la sécurité alimentaire de la planète. Car celle-ci ne souffre pas de pénurie et ce n'est pas parce que l'on réduira le gaspillage qu'on permettra aux millions de personnes sous-alimentées d'accéder aux moyens de produire ou d'acheter leur alimentation. Aujourd'hui, la France produit largement plus que ce dont elle a besoin mais il n’empêche que depuis 2008 le nombre de gens qui ont faim en France a doublé. Il y a une autre raison à l'importance donnée à la question du gaspillage alimentaire. Il atteint aujourd'hui de tels volumes dans les pays industrialisés que les déchets deviennent une nouvelle ressource exploitable dans le cadre d'une économie circulaire. On parle de gisement vert inexploité qui suscite l'intérêt de nombreuses entreprises de la bio-économie. Dans le même ordre d'idées, et bien qu'il ne s'agisse pas de déchets, les invendus de la grande distribution deviennent de nouvelles sources pour l'aide alimentaire suite à sa réforme à l'échelle européenne qui a réduit les financements. Valoriser des produits qui n'ont pas été consommés dans l'usage pour lequel ils ont été conçus est-il une forme de lutte contre le gaspillage ? Ou au contraire cette valorisation est-elle un moyen de ne pas remettre le système en cause et de continuer à surproduire en se donnant bonne conscience quitte à "donner de la confiture aux cochons" ! C'est là un des enjeux des définitions du gaspillage. Quoi qu'il en soit, il apparaît nécessaire, et c'est là un enjeu pour la recherche, de mieux évaluer les coûts énergétique et environnemental de cette économie

circulaire. Crée-t-elle plus d'activité économique et donc de consommation d'énergie, d'eau et donc de pression sur l'environnement ou au contraire, permet-elle de réduire cette pression ? Une autre controverse scientifique sur le gaspillage oppose une vision morale à une vision que l'on pourrait qualifier d'institutionnelle. Dans une vision morale, le gaspillage heurte notre raison. Il correspond à un non respect ou une non valorisation des efforts fournis pour produire. Si l'on définit le gaspillage comme "une production intentionnelle non utilisée aux fins auxquelles elle était destinée", le gaspillage est alors perçu comme une forme d'irrationalité. « Gaspiller est aussi le prix de la liberté» Dans une vision institutionnelle, le gaspillage est perçu comme un coût à payer pour un certain nombre d'avantages et s'inscrit alors dans le fonctionnement même de toutes les sociétés. Car effectivement le gaspillage a toujours et partout existé comme cette "part maudite" que nous a révélé Georges Bataille dans l'ouvrage qui porte justement ce titre. Le potlatch1 et la destruction institutionnalisée des richesses qu'ont révélé les anthropologues dans diverses sociétés préindustrielles, les dépenses somptuaires, le luxe, les consommations ostentatoires – pensons aux banquets, aux repas de fête toujours volontairement trop abondants – sont des signes de notre aisance, de notre richesse, de notre capacité à nous détacher des contingences matérielles, de notre affranchissement de la condition des rustres comme le dit Bataille. Il ne faut pas oublier la dimension ostentatoire du gaspillage. Gaspiller est aussi le prix de la liberté. La liberté de pouvoir choisir, de se donner des possibilités : possibilité de pouvoir cuisiner tel ou tel met si l'envie nous en prend au risque de ne pouvoir tout cuisiner avant que les produits se dégradent, possibilité de lire tel livre que nous ne lirons finalement peut être qu'à peine, de mettre tel vêtement que nous ne porterons finalement que rarement, etc. Le gaspillage est lié à la valeur que nous donnons à notre alimentation. La surproduction a permis de 1

Cérémonie, pratiquée notamment par les tribus indigènes d'Amérique du Nord, au cours de laquelle des clans ou des chefs de clans rivalisent de prodigalité, soit en détruisant des objets, soit en faisant des dons au rival qui est contraint à son tour à donner davantage.

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créer un marché des possibilités à un coût réduit. Car s'il y a gaspillage, c'est bien justement parce que la valeur des biens est réduite. Que les prix de l'alimentation augmentent et l'on peut parier que le gaspillage diminuera. C'est d'ailleurs sur ce registre de redonner de la valeur aux aliments que jouent par exemple les cuisiniers de cantines scolaires qui se montrent, qui réclament du respect, qui rappellent aux enfants les efforts qui ont été fournis pour leur proposer des repas. Le résultat est une réduction sensible du gaspillage. « Le gaspillage dans nos sociétés pose la question de la valeur de notre alimentation. » Le gaspillage dans nos sociétés pose la question de la valeur de notre alimentation. Si cette valeur est uniquement exprimée par la confrontation entre l'offre et la demande de marchandises, alors le gaspillage est le prix à payer de nos sociétés

d'abondance. Si cette valeur intègre des dimensions immatérielles, qui ne font pas aujourd'hui partie du coût des aliments tels qu'ils sont payés, celles du respect du travail donné par les hommes et le femmes, celles des effets sur l'environnement, celle du bien-être animal, alors lutter contre le gaspillage invite à prendre en compte ces valeurs, pas forcément uniquement sous forme économique, mais dans la construction d'un nouveau rapport aux biens et aux ressources, moins prédateur et plus frugal. Ceci suppose de construire de nouvelles règles collectives, de nouvelles institutions qui régissent nos rapports aux biens et aux ressources. Si la question est institutionnelle, il ne suffira pas de sensibiliser les consommateurs. C'est un nouvel environnement qui "routinise" leurs pratiques qu'il faut construire.

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TABLE RONDE 1 IDÉE REÇUE « LES PLUS GROS GASPILLEURS, CE SONT LES SUPERMARCHÉS »

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n amont du colloque les participants étaient invités à contribuer et à faire partager leurs réflexions en répondant à deux questions posées sur un espace collaboratif en ligne.

1. « Les plus gros gaspilleurs, ce sont les supermarchés ! », est-ce une idée reçue ? Les contributeurs s'accordent à dire que si l'on considère uniquement les chiffres des pertes et gaspillages à chaque étape de la chaîne alimentaire (de la production à la consommation), cette affirmation est effectivement une idée reçue puisque que la distribution n'est pas directement responsable de la plus grand part du gaspillage. Néanmoins la forte responsabilité indirecte de la grande distribution est soulignée par les contributeurs au travers de l'évocation de certaines pratiques : « retours au transformateur », « incitation à la surconsommation à l'approche de la date limite de consommation », « qualité de certains produits ne répondant pas aux attentes des consomateurs », « poubelles pleines de fruits et légumes moches « , …

2. Des idées pour lutter contre le gaspillage dans la grande distribution ? Les idées proposées concernent essentiellement les toutes dernières étapes avant la sortie de rayon des produits : vendre à prix réduits les produits approchant de leur date limite de consommation ou bien les redistribuer pour l'aide alimentaire. Les difficultés des associations d'aide alimentaire à absorber les dons de la grande distribution faute de moyens matériels et financiers sont soulignées. Pour remédier à ces difficultés, il est proposer de mutualiser les ressources logistiques entre les associations ainsi que d'inciter les grandes et moyennes surfaces à s'ancrer dans les réseaux locaux d'économie circulaire. La possibilité d'achats à l'unité, pour les yaourts notamment, sans augmentation du prix est également proposée. Rappelons que pour éviter les invendus des solutions sont également à trouver plus en amont, au niveau des politiques d'achat et de gestion des stocks notamment.

LAURENCE GOUTHIÈRE, ADEME « Étude 2016 : Pertes et gaspillages alimentaire »

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vant de revenir sur les grand chiffres du gaspillage alimentaire, il est important de rappeler la hiérarchisation des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire inscrite au sein de la loi du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Selon cette hiérarchisation la priorité est à l'évitement du gaspillage, par l'intermédiaire d'actions de prévention. Et ensuite, si la prévention n'est pas possible, des actions de valorisations peuvent être menées, tout d'abord pour la consommation humaine – notamment par le don - ensuite pour la consommation animale puis industrielle, énergétique et enfin organique. Les résultats présentés sont ceux d'une étude ADEME de 2016 intitulée « État des lieux des masses de pertes et gaspillages alimentaires et de leur gestion aux différentes étapes de la chaîne alimentaire ». Il faut noter que l'ADEME parle désormais systématiquement de « pertes et gaspillages » car la notion de « perte » renvoie à une

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notion économique qui incite davantage à l'action que la notion de « gaspillage » souvent perçue comme moralisatrice. Trois chiffres clés émergent de cette étude. 10 millions de tonnes de produits sont gaspillés chaque année en France soit 18 % de la production alimentaire annuelle (pour l'étude uniquement les produits arrivés à mâturité pour la consommation humaine sont pris en compte). Ce gaspillage alimentaire a une valeur théorique de 16 milliard d'euros par an et est responsable de plus de 15 millions de tonnes de gaz à effet de serre soit 3 % des émissions nationales. L'étude montre que les pertes et gaspillage sont réparties au sein de tous les secteurs de la chaîne alimentaire : 33% au moment de la consommation (foyer et hors foyer), 32% lors de la production, 21% lors de la transformation et 14% lors de la distribution. L’étude révèle également l’interdépendance des pratiques des différents acteurs de la chaîne alimentaire. De ce fait, le mot d'ordre de l'étude est que les efforts doivent être collectifs, partagés entre tous les acteurs de la chaîne. Contact : laurence.gouthiere@ademe.fr

GUILLAUME LE BORGNE, INRA UMR MOISA « Moins c’est cher, plus j’achète ? Influence de l’anticipation d’un gaspillage sur l’attitude des consommateurs vis-à-vis des promotions, et sur l’intention de choix » Résumé Sur la base d’une enquête auprès de plus de 400 consommateurs, cette recherche montre qu’en plus des variables habituellement considérées (implication pour le produit et sensibilité aux promotions), l’anticipation d’un possible gaspillage contribue à expliquer l’attitude face à une promotion et l’intention de choix de produits alimentaires périssables en promotion (emmental râpé et pain). Des recommandations en sont déduites pour les managers ainsi que pour les pouvoirs publics, afin de réduire les quantités gaspillées au niveau des ménages et prévenir un possible scepticisme face aux promotions, à une marque et/ou à un distributeur. es offres promotionnelles représentent une part croissante des achats - y compris alimentaires - des français. L’influence des promotions sur le choix des consommateurs a déjà fait l’objet d’études s’intéressant principalement à la nature des promotions, à

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des variables individuelles telles que la sensibilité aux promotions et à des variables tenant au couple consommateur-produit telle que l’implication dans la catégorie de produits. Plusieurs études se sont également intéressées aux conséquences de l’achat en promotion sur la consommation (ou sur-consommation) des produits, mais la possible non-consommation du produit n’a pas été prise en compte. Or un consommateur peut intégrer au moment du choix d’un produit en promotion la probabilité de non consommation de ce produit. Des travaux ont également mis en évidence des préoccupations des consommateurs liées au gaspillage alimentaire (auteurs, 2015) et l’influence des promotions en quantité, en particulier du « Buy One Get One Free » ou BOGOF, sur le gaspillage (WRAP, Exodus Market Research, 2007). Ces constats ont conduit les distributeurs à proposer de nouveaux formats de promotion tels que le BOGOF later (produit à récupérer plus tard), susceptibles de diminuer la probabilité perçue de gaspillage. Il apparaît clairement que les choix des consommateurs - en particulier celui de la quantité achetée pour un produit - sont influencés par la quantité que ceux-ci estiment consommer dans les jours à suivre. Par suite, les options correspondant à des quantités trop élevées peuvent être rejetées bien qu’ayant un prix au kilo plus faible 2, du fait de l’anticipation d’un probable gaspillage. Pourtant, aucune recherche ne s’est intéressée jusqu’à présent à l’influence de la probabilité de non consommation et de la prise en compte d’un possible gaspillage sur l’attitude (positive ou négative) envers une promotion et le choix de produits en fonction du type de promotion. Cette recherche a pour but de combler ce manque. Deux enquêtes ont été réalisées pour tester un modèle 2

Les promotions sur les quantités se traduisent par une dégressivité du prix (baisse - souvent forte - du prix marginal et donc baisse du prix moyen lorsque la quantité augmente).

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explicatif de l’attitude et du choix du consommateur face à différentes promotions (portant sur deux produits : emmental râpé et baguettes de pain). Le premier questionnaire met en situation fictive de choix entre différentes promotions sur un ou plusieurs sachets d’emmental râpé, le second porte sur un choix analogue où le produit concerné est le pain. Dans cette partie, le répondant est interrogé sur son attitude, la probabilité de non consommation (de tout ou partie du produit) et son intention de choix pour chaque promotion, puis répond à une question ouverte demandant d’expliquer son choix. La dernière partie des deux questionnaires est identique et mesure notamment la sensibilité aux promotions, la sensibilité au gaspillage et un ensemble de caractéristiques sociodémographiques. Les promotions choisies portent sur les quantités (lots à prix dégressif). Deux types de promotions ont été choisis de façon à faire varier le niveau de probabilité perçue de non consommation et le gain monétaire lié à la promotion :  Promotion P2 : Lot de deux produits, le second à 50% du prix de base (soit 25% de réduction sur le prix total pour l’achat de 2 unités).  Promotion P3 : Lot de trois produits, le troisième gratuit (soit 33% de réduction sur le prix total pour l’achat de 3 unités). Le troisième type, correspond à un lot de trois produits, le troisième gratuit devant être récupéré la semaine suivante au magasin (BOGOFL, Buy One Get One Free Later). Ce type de promotion a été particulièrement développé au Royaume-Uni afin de proposer des promotions sur les quantités permettant au consommateur de mieux gérer ses stocks et ainsi moins gaspiller. Tesco le propose depuis 2009. Il est testé en France par Auchan depuis début 2013. Ce mécanisme a été choisi pour cette étude car il est susceptible d’influencer la probabilité perçue de non consommation mais aussi l’attitude envers la promotion.  Promotion P4 (P3L) : Lot de trois

produits, le troisième gratuit à récupérer la semaine suivante au magasin (soit 33% de réduction sur le prix total pour l’achat de 3 unités). Cette configuration amenait ainsi à répondre à la question suivante : « Vous êtes en magasin face à ces quatre offres. En choisissez-vous une pour achat ? Si oui, laquelle ? » Les résultats du test des hypothèses associées à notre modèle montrent qu’en plus de la sensibilité aux promotions et de l’implication pour l’emmental râpé (i.e. l’importance de ce produit aux yeux du consommateur et sa familiarité avec celui-ci), la probabilité perçue de gaspillage influence l’attitude envers les différentes promotions. Plus la probabilité de ne pas consommer totalement une offre est élevée, moins l’attitude est favorable envers cette offre. Il y a donc un enjeu pour les distributeurs à réduire cette probabilité perçue de gaspillage, de préférence en réduisant la probabilité réelle de gaspillage (formats adaptés aux différents volumes de consommation, incitations raisonnables, conditionnements permettant une meilleure conservation, etc.). Le modèle montre en outre que la probabilité de gaspillage dépend faiblement mais négativement de deux variables : la sensibilité aux promotions et l’implication/familiarité avec le produit. Nous pouvons supposer que les consommateurs les plus sensibles aux promotions sont aussi les plus positifs quant aux conséquences de l’achat en promotion, comportement avec lequel ils sont familiers et qu’ils maîtrisent. De la même façon, l’effet de l’implication/familiarité (liée au volume et à la fréquence de consommation du produit) sur la probabilité perçue de gaspillage peut s’expliquer par l’influence de la connaissance du produit sur la maîtrise de ses conditions de conservation et de préparation. Les résultats du choix (quelle offre achèteriez-vous ?) montrent une préférence des répondants pour les promotions « le 2ème à 50% » et « le 3ème gratuit » :

Outre ces résultats descriptifs, notre étude montre par des analyses statistiques que le choix du produit dépend principalement de l’attitude envers la promotion et de la

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probabilité perçue de gaspillage, soulignant ainsi l’effet de ces deux variables sur le comportement des acheteurs. L’étude des réponses à la question ouverte « Pourquoi ce choix ? » fait ressortir les raisons principales de choix ou rejet des différentes offres. Plus précisément, les personnes qui décident de ne pas acheter de produit ou de l’acheter hors promotion sont celles qui ont l’attitude la plus négative envers la promotion, sont les moins sensibles aux promotions en général et perçoivent la plus forte probabilité de non consommation des produits. Ces personnes expliquent leur choix par leur volonté de ne pas trop acheter, ou d’acheter quotidiennement du pain frais dans le cas du pain, ou encore par leur rejet des promotions de façon générale et dans une moindre mesure par le fait que les produits ne leur plaisent pas. Dans le cas des baguettes de pain, les consommateurs habitués à congeler le pain perçoivent comme attendu une plus faible probabilité de gaspillage, et ont ainsi une attitude plus positive envers les promotions P2 et P3 que les autres consommateurs, entraînant également plus souvent le choix de P3 que chez ceux qui ne pratiquent pas la congélation du pain. Apports, limites et perspectives de l’étude Cette étude montre qu’en plus des variables habituellement considérées (implication pour le produit, sensibilité aux promotions), la probabilité perçue de gaspillage et la sensibilité au gaspillage contribuent à expliquer l’attitude face à une promotion et l’intention de choix de produits alimentaires périssables en promotion. L’ensemble de ces résultats permet de mieux comprendre la préférence des consommateurs pour les offres de type lots virtuels 3 identifiée par les distributeurs, et leur importance dans l’offre promotionnelle actuelle (27% en valeur de l’offre promotionnelle en 2014 ; Nielsen, LSA, 16/12/2014). Nos résultats montrent également que les réactions des consommateurs aux promotions ne sont pas homogènes, que les promotions P2 et P3 3

proposées dans notre étude rencontrent un certain succès et que le faible succès du nouveau format de promotion du type BOGOFL (buy one get one free later), développé dans l’optique de réduire le gaspillage alimentaire, est lié à un manque de confiance de la part des consommateurs. Ce nouveau format pourrait à terme rencontrer une forte adhésion des consommateurs, mais cela nécessite de mieux comprendre les freins actuels à son achat, notamment le scepticisme à l’égard des promotions et la propension à résister du consommateur, pour l’accompagner d’un dispositif expliquant son intérêt et son fonctionnement. Contact : guillaumeleborgne@gmail.com

Damien Conaré, Secrétaire Général de la Chaire Unesco Alimentations du Monde et animateur de la première table ronde

C’est-à-dire les promotions du type 1 acheté, 1 gratuit ; ou 2 achetés 1 gratuit

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AUDREY HANAN & JEAN-LOUIS MOULINS, AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ LABORATOIRE CRET LOG « Valoriser les produits invendables pour lutter contre le gaspillage : le cas des produits moches » Résumé L’obligation d’être beaux pour nos produits alimentaires en grande distribution contribue fortement au gaspillage alimentaire actuel. Ces critères de beauté écartent chaque année de la consommation plusieurs millions de tonnes de produits alimentaires, un gaspillage qui pourrait être évité ou à minima réduit. L’amélioration de la gestion des pertes est un axe de progrès évident et la valorisation de ces produits estimés « pas assez beaux » laisse envisager un potentiel intéressant. Une maîtrise de l’offre de produits habituellement non commercialisés peut amener à réduire les excès d’exigence du marché (recherche du zéro défaut, cahiers des charges, etc.) et de fait, participer à la prévention du gaspillage alimentaire. L’étude des fruits et légumes « moches », forts médiatisés ces dernières années, offre l’opportunité d’explorer les contradictions et les présupposés des consommateurs.

Introduction

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e marketing peut-il devenir un allié de choix dans la lutte contre le gaspillage alimentaire ? C’est une question à laquelle une majorité de personnes s’accorderait à répondre spontanément par la négative. Pourtant, et depuis longtemps, le marketing peut être aussi utilisé pour défendre des causes non marchandes. Qu’ils soient bios, éthiques, responsables, les produits peuvent bénéficier d’une marque et d’une stratégie marketing. Sans cette création de valeur aucun produit, aussi responsable soit-il, peut difficilement survivre dans le temps. En d’autres termes, si le partage de la valeur pour des produits responsables peut porter à discussion, la nécessité d’en créer est quant à elle indiscutable. Comment le marketing peut-il contribuer à la lutte

contre le gaspillage alimentaire ? Il peut jouer en aval, sur le registre de la persuasion, en sensibilisant les consommateurs aux coûts inhérents du gaspillage alimentaire. En effet, chaque français jette plusieurs kilos par an de produits non entamés4. Il peut aussi, plus en amont, s’intéresser aux pertes de productions agricoles, jetées directement sans passer par les étals. Cette deuxième approche présente un potentiel très intéressant puisqu’en France, 17 millions de tonnes de produits alimentaires récoltés ne sont pas proposés à la vente car estimés « pas assez beaux » par la grande distribution (Rapport Urban Food Lab, 2013). Pourtant ces défauts d’apparence n’altèrent en rien leurs qualités nutritives et gustatives. Ainsi, bien que parfaitement consommables, des milliers de kilos de pommes, d’abricots déformés, de cerises à peine fendues, de tomates biscornues sont jetés par les producteurs qui ne trouvent pas de débouchés valorisants pour ces fruits et légumes moins esthétiques. Face aux exigences, parfois excessives, du marché (recherche du zéro défaut, cahiers des charges) et de la grande distribution, la proposition de ce type de produits alimentaires n’est pas évidente. Plusieurs recherches soulignent d’ailleurs que les attributs esthétiques du produit sont sources de plaisir et facteurs incitatifs à l’achat, alors que des caractéristiques inverses sont rejetées par les consommateurs lorsqu’elles lui confèrent un aspect inhabituel, a fortiori lorsqu’il s’agit de produits alimentaires (Roehrich, 1993)5. Dès lors, proposer des produits alimentaires dont l’apparence visuelle est non conforme aux standards d’esthétique des produits habituellement commercialisés en hypermarché, présente un risque d’échec commercial. La récente offre du collectif « Les Gueules Cassées » de produits alimentaires dits « moches » illustre bien cette difficulté6. En effet, les fruits et légumes 4 Campagne nationale de caractérisation des ordures ménagères, ADEME, 2009 5 (Roehrich G. (1993), Les consommateurs innovateurs. Un essai d'identification, Thèse pour le doctorat d'Etat en Sciences de Gestion, École Supérieure des Affaires de Grenoble, Université Pierre Mendès France, Grenoble) 6 Quelques enseignes ont récemment proposé dans leur rayon des produits frais peu esthétiques, dits « moches »-.Une démarche dite « anti-gaspi » (suite page suivante)

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proposés sous la marque « Quoi ma gueule », n’ont pas encore réussi à s’imposer comme une offre permanente crédible7. Selon une enquête préliminaire à nos recherches, les consommateurs, pourtant favorables à cette démarche « anti-gaspi », ne sélectionnent finalement pas ces produits lorsqu’ils sont en situation achat et s’orientent plutôt vers les produits standards. Par conséquent, les grandes surfaces enregistrent un grand nombre d’invendus et l’objectif de réduire le gaspillage alimentaire n’est, en définitive, pas atteint. Ce constat amène légitimement à se demander pourquoi, si les consommateurs se déclarent favorables à cette proposition, le produit n’est-il pas acheté ? Et comment faire en sorte qu’un produit alimentaire invendable, et ainsi sans valeur, devienne vendable ? Cette recherche a donc pour ambition de comprendre les réactions du consommateur vis-àvis de ces fruits et légumes « moches ». Elle vise à analyser la manière dont les consommateurs perçoivent ces produits alimentaires et dans quelle mesure cela influence leur comportement. Au plan managérial, elle cherche à aider les responsables à envisager les actions qui en découlent, tout en leur permettant de mieux appréhender les difficultés associées. Résultats des premières enquêtes Deux enquêtes qualitatives exploratoires ont été réalisées, une in situ et une sur internet. Une première enquête a été menée dans le rayon fruits et légumes d’une enseigne nationale.Vingt-cinq consommateurs ont été interrogés suite à leurs achats de fruits « beaux/standards » ou de fruits « moches ». Une seconde enquête a été réalisée sur internet, à partir de 272 récits écrits d’internautes du réseau social du collectif « Les Gueules cassées », complétée par divers articles dédiés à ce sujet concernant la période 2014-2016. La mise en relation de ces deux enquêtes nous permet qui, depuis Novembre 2015, s’étend sur plusieurs familles de produits : les fruits/légumes, les céréales, les camemberts, la charcuterie et les biscuits. Ces produits sont proposés par le collectif « Gueule cassées » sous la marque « Quoi ma gueule » 7 Cette gamme de produits est à distinguer des produits appartenant aux catégories normalisées Extra, I ou II, car elle correspond à des produits alimentaires particulièrement déformés.

d’analyser d’une part, les réactions individuelles des consommateurs en situation d’achat et d’autre part, les réactions sociales des consommateurs en situation de non achat. Les résultats obtenus mettent en évidence deux types de réactions. Une partie d’entre eux perçoit le produit « moche » comme un sous-produit, un produit déclassé. La cassure avec les codes de consommation ravale ce produit à un rang inférieur. Ces consommateurs le destinent aux familles modestes ou pour une cuisson, afin d’en neutraliser les effets négatifs (tarte, compote). Ils perçoivent le fruit « moche » comme un produit ayant des qualités gustatives inférieures au fruit standard. Pour eux, le fruit beau est synonyme de « bon » alors qu’ils associent le fruit « moche » à des représentations mentales négatives, suscitant de l’incertitude voire de la méfiance sur sa qualité (son goût, sa maturité, sa texture). Le manque d’esthétisme, lié à ses taches ou ses aspérités, les rebute et génère une attitude négative envers le produit. Les associations mentales négatives peuvent s’apparenter à des rumeurs non crédibles, comme par exemple « la présence de vers de terre», « le risque d’en jeter la moitié», « les coups». Concernant les autres produits « moches » tels qu’un camembert déformé ou un biscuit cassé, l’avis des consommateurs à ce sujet est encore plus négatif, il s’agit d’un échec de la transformation du produit par l’industriel qui devrait « assumer son échec» en faisant don du produit s’il ne le met pas au rebut, mais pas en le vendant. A l’inverse, d’autres consommateurs ne perçoivent pas ces produits comme des produits déclassés, mais comme des produits nouveaux. Ce sentiment de nouveauté implique pour certains le besoin de goûter avant de l’acheter ainsi que l’attente de preuves. Les consommateurs ayant acheté le produit racontent leur expérience d’achat et signalent leur satisfaction post achat en exprimant une différence perçue en termes de saveur. Pour eux, les aspérités sont signes de qualités gustatives. Ces consommateurs sont prêts à aller dans le magasin référençant ces produits, quitte à changer d’enseigne. Ainsi, la disponibilité de produits alimentaires « moches » peut améliorer de façon significative la qualité perçue et la fidélité des consommateurs à l’enseigne. A l’inverse, ils perçoivent négativement le fait qu’une grande

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surface ne référence pas ce type de produit. Cette absence peut les conduire à adopter un nouveau comportement: substituer, changer de magasin, annuler ou reporter leur achat. Cependant, bien que plusieurs consommateurs manifestent une intention d’aller chez un concurrent, le comportement le plus fréquemment observé est d’annuler l’achat. La marque du collectif « Les Gueules Cassées » est donc la première victime de ce non référencement. Dans les deux cas, les produits « moches » sont perçus comme des produits responsables par la majorité des consommateurs. Habituellement le consommateur est prêt à payer plus cher pour un achat éthique,si cela implique un bénéfice pour lui.Dans le cas des produits « moches », en raison de leur aspect inhabituel, les consommateurs estiment qu’ils doivent être moins chers car il n’y a pas l’influence de l’homme sur les différences de forme entre les produits. Il faut donc absolument valoriser ces produits aux yeux des consommateurs, en leur trouvant un positionnement différent, afin qu’ils cessent d’apparaître comme des rebuts de consommation.

Conclusion Le choix d’étudier les fruits et légumes « moches » est intéressant car il offre l’opportunité de mettre les consommateurs en situation d’achat et d’explorer leurs présupposés. Quatre types de liens entre l’esthétisme du fruit « moche » et le comportement du consommateur ont été identifiés : l’esthétisme influence 1) la typicalité du produit, 2) les inférences du produit, 3) les attentes gustatives et 4) les intentions d’achat. Les réactions dichotomiques mettent en lumière la nécessité de mieux positionner et valoriser ce type de produit. En effet, les attitudes négatives sont liées à la perception d’un produit déclassé, et donc sans valeur, alors qu’à l’inverse les réactions positives sont induites par le sentiment de nouveauté. Ainsi, pour faire perdurer cette offre qui représente une opportunité de réduire le gaspillage alimentaire, il est nécessaire de changer la perception de ces produits majoritairement mal perçus par les consommateurs, en évitant notamment le paupérisme. Les résultats obtenus montrent qu’il faut positionner ces produits comme nouveaux et de les valoriser comme tels, plutôt que d’utiliser uniquement l’argument écologique qui les fait

paraître comme des produits rebuts aux yeux des consommateurs. Le produit « moche » doit apporter quelque chose de différent pour justifier son manque d’esthétisme qui cause une cassure avec les habitudes de consommation.Bien que le collectif actuel tente de les rendre « sympathiques » et « visibles » grâce à une étiquette positive au large sourire réconciliateur, leur valorisation est encore insuffisante pour une partie des consommateurs. Pour la mesurer, une troisième enquête portera sur la différence de valeur entre le produit nu et le produit marqué. Elle tentera de comprendre dans quelle mesure la marque « Quoi ma Gueule » donne de la valeur et améliore les attitudes vis-à-vis de ces produits. Par ailleurs, outre un mauvais positionnement, d’autres facteurs sont à prendre en considération tel que le merchandising. Certaines grandes surfaces présentent ces produits en tête de gondole, ce qui augmente leur visibilité mais les assimile aussi à des promotions, d’autres les disposent en bout de linéaire et peuvent de ce fait apparaître comme « délaissés »aux yeux des consommateurs.Nos premiers résultats soulignent l’intérêt pour les enseignes de participer à cette démarche « antigaspi », car un marché existe si l’on sait l’exploiter. Certains consommateurs sont même disposés à changer de magasin pour les trouver. L’amélioration de la gestion des pertes est un axe de progrès évident dont ces produits laissent envisager un potentiel intéressant. Une meilleure maîtrise marketing de cette offre de produits habituellement non commercialisés pourrait permettre de sauver plusieurs tonnes de produits alimentaires chaque année. Contacts : audrey.hanan@gmail.com, louis.moulins@univ-amu.fr

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Premier temps d'échanges avec la salle

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l'issue des deux premières interventions les échanges ont essentiellement portés sur l'intervention d'Audrey Hanan et de Jean-Louis Moulins concernant la valorisation des produits ivendables pour des raisons esthétiques, dits « produits moches ». La salle a questionné le choix de ne s'intéresser qu'aux circuits classiques de distribution en laissant de côté notamment les magasins proposant des produits issus de l'agriculture biologique et les marchés. Puis les questions du prix - doit-il être inférieur à celui de produits « classiques » ? - et de l'avancée de la France dans les pratiques en termes de ventes de ces produits ont été soulevées.

Les « produits moches », en rupture avec les codes de la grande distribution Des produits à l'esthétique imparfaite sont vendus depuis des années au sein de circuits alternatifs de distribution tels que les marchés ou les magasins bios. Les consommateurs fréquentant ces lieux de vente sont pour la plupart sensibles aux problématiques environnementales et ont tendance à voir les produits moches comme des « produits naturels » et leur achat comme une pratique de « sauvegarde de la nature ». En revanche, les produits moches vont totalement à l'encontre des codes de la grande distribution qui a habitué depuis ses débuts les consommateurs à des produits standardisés, à l'esthétique parfaite. En proposant à la vente des produits ne répondant pas à ces critères, la grande distribution est en « transgression » et perturbe des habitudes de consommation ancrées. Afin de développer la vente des « produits moches » ce sont ces consommateurs perturbés dans leurs habitudes d'achat qu'il faut toucher. L'une des premières questions que se sont posé Audrey Hanan et Jean-Louis Moulins à donc été de savoir ce qui se passait quand « l'offreur qui propose habituellement des produits beaux, propose des produits qui ne le sont pas ».

Comment donner de la valeur aux « produits moches » ? Les consommateurs interrogés dans le cadre de l'étude perçoivent les « produits moches » comme des produits responsables mais attendent un prix inférieur justifié selon le fait que le produit est moins beau. Et de fait, Audrey Hanan et Jean-Louis Moulins ont constaté que les distributeurs proposant des « produits moches » les vendent en moyenne 30 % moins chers que des produits classiques. Néanmoins, malgré ces prix bas, les « produits moches » ne se vendent pas. L'enjeu de la recherche menée par Audrey Hanan et Jean-Louis Moulins est de trouver comment redonner de la valeur à ces « produits moches ». Dans cette logique de valorisation baisser les prix est contre-productif. En effet un prix bas renforce l'idée d'un produit « déclassé », de qualité moindre. Le prix est un appréciateur de la qualité au moment de l'achat : un des seul éléments auquel le consommateur peut se fier pour juger le produit avant d'y avoir gouté. Ainsi le prix n'est pas le bon levier pour positionner les « produits moches » sur le marché et leur donner de la valeur. Pour M. Moulins, ces produits ne doivent donc pas être vendus moins cher que leurs homologues « beaux ».

La France, pionnière de la vente de « produits moches » Le collectif « Gueules cassées » né en France est très dynamique et le concept a été repris et décliné dans 25 autres pays qui ont repris et adapté le logo et le slogan. En revanche Audrey Hanan indique que la Norvège va beaucoup plus loin dans la démarche, en ouvrant notamment des magasins « 100 % antigaspi ».

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NICOLAS DUBREIL, CIVAM BIO 66 « Réduction des pertes en production de fruits bio par la transformation »

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ans les vergers bio des Pyrénées-Orientales, nous avons observé que 13% des fruits sont perdus en moyenne au niveau de la production ! Récolte, tri, conditionnement, stockage, non distribués, ces fruits hors calibres, « boisés » ou trop mûrs peuvent néanmoins être transformés en jus, et améliorer les revenus agricoles. L’étape préliminaire de ce projet d’expérimentation que nous vous présentons a été de quantifier les quantités de fruits gaspillées : disposant de très peu de ressources sur ce phénomène, nous pensons en effet que la production de données fiables est un levier indispensable à la réalisation d’actions concrètes afin de convaincre les acteurs impliqués. Nous vous présenterons ensuite la seconde partie de notre recherche qui identifie les pistes d’actions à engager pour réduire ce gaspillage en amont de la distribution, notamment via la transformation. Contact : nicolas.dubreil@bio66.com Retrouvez plus d'informations sur le projet : une fiche et une vidéo.

ALEXIS MÉNARD, SO PHENIX & MICHEL PLACE, REVIVRE PAYS D'OC « Partenariat innovant contre le gaspillage : de la sensibilisation en magasin à la redistribution »

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e partenariat entre SO PHENIX et REVIVRE PAYS d’OC s’inscrit dans la problématique du gaspillage alimentaire issu de la grande distribution. Le projet vise à intégrer toute la chaîne de revalorisation du produit, depuis le moment de son retrait en rayon jusqu’à la redistribution aux bénéficiaires des associations. Entre ces deux étapes, plusieurs éléments entrent en jeu : simplification des processus de tri en magasin, formation des employés, organisation logistique, recherche de partenaires, continuité de la démarche, etc. Face à ces multiples défis, SO PHENIX et REVIVRE PAYS D’OC ont décidé d’allier leurs compétences pour mettre en place une collecte de magasins de la région toulousaine. La présentation vise à développer tout particulièrement la partie opérationnelle et les efforts développés sur le terrain, en magasin, comme du côté de l’association. Contacts : alexis.m@wearephenix.com, michel.place@orange.fr

Second temps d'échanges avec la salle

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aute de temps, les échanges à l'issue de la première table ronde n'ont pu porter que sur la question des difficultés liées aux différentes dates (date limite de consommation (DLC), date de durabilité minimale (DDM, ex date limite d'utilisation optimale (DLUO), date de fabrication…) indiquées sur les emballages des produits alimentaires. Un représentant d'une épicerie solidaire témoigne des difficultés de compréhention de ces diverses dates qu'il constate quotidiennement et qui sont un frein à la redistribution des produits. Michel Place, président de l'association Revivre Pays d'Oc, indique que la question est traitée à la Direction générale de l'alimentation (DGAL) qui travaille notamment à informer les consommateurs. Laurence Gouthière de l'ADEME confirme que ces incompréhensions et confusions contribuent au gaspillage alimentaire au niveau des foyers et lors de la redistribution.

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TABLE RONDE 2 IDÉE REÇUE « LE GASPILLAGE DANS LES CANTINES: IMPOSSIBLE DE FAIRE AUTREMENT »

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n amont du colloque les participants étaient invités à contribuer et à faire partager leurs réflexions en répondant à deux questions posées sur un espace collaboratif en ligne.

1. Que peut-on faire pour lutter contre cette idée reçue ? D’après les contributeurs il faut montrer que des actions sont possibles en restauration collective pour réduire le gaspillage alimentaire en leur donnant de la visibilité. Afin de renforcer le poids de ces démonstrations par l’exemple un contributeur souligne qu’il est essentiel de donner des résultats quantitatifs.

2. Des idées pour lutter contre le gaspillage alimentaire en restauration collective ? Les contributions, nombreuses et variées, peuvent être regroupées en quatre principaux groupes d’idées. Tout d’abord plusieurs propositions concernent l’introduction de pratiques en cuisine et en salle permettant de réduire le gaspillage alimentaire : ✔ Investir dans une cellule de refroidissement afin de resservir les restes de repas le lendemain ; ✔ Améliorer la communication entre vie scolaire et équipe de cuisine afin d’estimer au plus près le nombre de convives présents chaque jour ; ✔ Mettre en place une table de troc pour les produits emballés pris par les élèves et non consommés ; ✔ Inclure au sein des marchés publics une clause de prise en compte de la lutte contre le gaspillage ; ✔ Plusieurs idées sont proposées pour réduire le gaspillage du pain : disposer le pain en bout de ligne de service, proposer du pain tranché plutôt qu’en portion individuelle et limiter le nombre de tranches pouvant être prises lors du passage au self mais avec possibilité de se resservir. Plusieurs contributeurs soulignent l’importance d’impliquer les convives, et notamment les élèves, dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Pour ce faire plusieurs idées sont avancées : ✔ Élire et former des éco-délégué responsables de sensibiliser leurs camarades ; ✔ Organiser des visites de la cuisine suivies de restitutions (exposés, reportages, affiches …) ; ✔ Inclure quelques élèves dans les commissions menus et travailler certaines recettes avec eux ; ✔ Faire trier les restes des plateaux par les élèves. De manière générale il semble important d’impliquer l’ensemble des corps de métiers des établissements scolaires : chef d’établissement, enseignants, infirmier(e), diététicien(ne), gestionnaire… Dans cette optique l’un des contributeurs propose la mise en place de temps d'échanges entre ces différents acteurs autour du gaspillage alimentaire. Plusieurs contributeurs proposent l’organisation d’évènements ponctuels de sensibilisation des convives tels que des repas « zéro gaspillage », des campagnes de pesée sur une semaine avec un affichage des résultats « qui parle aux élèves : le gaspillage de la semaine représente 1 tablette tactile, une semaine dans un parc d’attraction… » ou encore des animations de sensibilisation ludiques. Enfin, le besoin de formation des agents à la pédagogie et l'écoute des consommateurs mais aussi à la réduction des pertes en cuisine lors de la préparation et en fin de service est mis en avant.

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MAXIME SEBBANE, ADEME/INRA UMR MOISA

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Pour traiter ces questions de recherche, notre étude s’appuie sur la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991). Selon la théorie (Figure 1), le déterminant immédiat d’un acte est l’intention d’entreprendre ou de ne pas entreprendre l’action étudiée, cette intention comportementale étant ellemême formée à partir de 3 variables antécédentes, à savoir : • l’attitude qui exprime le jugement favorable ou défavorable vis-à-vis du comportement ; • la norme subjective qui représente la pression sociale perçue quand à accomplir ou non l’action ; • le contrôle perçu qui capte la perception du degré de facilité ou de difficulté à agir. Chacune de ces variables est le résultat de l’agrégation de croyances vis-à-vis du comportement (croyances comportementales), de la pression sociale (croyances normatives) et du niveau de contrôle que l’individu pense avoir (croyances de contrôle).

2. Ancrage théorique

L’importance relative de l’attitude, de la norme subjective et du contrôle perçu peut varier d’un comportement à l’autre et d’une population à l’autre. La mesure de chaque construit permet donc d’estimer leur poids relatif sur l’intention et le comportement cible. Ainsi, selon le comportement et la population observés, c’est l’attitude, le contrôle perçu ou la norme subjective qui déterminera le plus fortement l’intention qui elle-même peut prédire le comportement considéré. Le modèle permet ainsi de prédire et expliquer le comportement mais également de pointer des facteurs individuels sur lesquels peut s’appuyer un plan d’intervention visant à modifier des comportements.

« Gaspillage alimentaire en restauration collective : une analyse de déterminants psycho-sociaux » Résumé Comprendre le comportement du consommateur est une étape essentielle pour mettre en place des stratégies d’action efficaces visant à réduire le gaspillage alimentaire en restauration collective. Au printemps 2016, une expérimentation a été conduite sur le restaurant de Montpellier SupAgro afin d’évaluer l’impact du choix entre deux tailles d’assiette sur les déterminants psychosociaux et les comportements des usagers. Le protocole mis en place a permis de mesurer les changements cognitifs avant et après action et de les relier à l’évolution des comportements en mesurant les restes alimentaires laissés par chaque répondant en fin de repas. Les premiers résultats de ce travail de recherche seront présentés afin d’apporter un éclairage sur les mécanismes individuels qui influencent les comportements de gaspillage en restauration collective. 1. Contexte et questions de recherche elon une étude de l’ADEME 8 sur le coût complet du gaspillage en restauration collective, chaque repas produit et distribué dans ce secteur générerait, en moyenne, 113 grammes de gaspillage alimentaire, et la majeure partie de ce volume serait comptabilisé au niveau des restes laissés sur les plateaux repas par les consommateurs. Cette estimation du gaspillage, comme celle présente dans la quasi-totalité des rapports officiels, repose sur une pesée globale des déchets alimentaires à l’échelle d’un ou plusieurs sites, ce volume étant ensuite divisé par le nombre de convives pour une interprétation plus intuitive des résultats. Néanmoins, si cette méthode de quantification offre un aperçu de l’ampleur du gaspillage à l’échelle collective, elle masque l’hétérogénéité des comportements individuels. Notre travail se propose d’analyser la variabilité des quantités gaspillées entre les individus afin d’aborder les questions suivantes : • Qui sont les principaux contributeurs du gaspillage ? • Peut-on identifier des caractéristiques individuelles et collectives communes ? • Quels sont les déterminants psycho-sociaux de ces comportements ?

8 Approche du coût complet des pertes et gaspillage alimentaire en restauration collective, ADEME, 2016, http://www.rhonealpes.ademe.fr/sites/default/files/files/actualites/a_laune/cout-completpertes-gaspillagerestauration-collective-rapport.pdf

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3. Une enquête sur le restaurant de Montpellier SupAgro Une enquête de terrain a été réalisée entre les mois d’avril et juin 2016 sur le restaurant collectif de Montpellier SupAgro. Le protocole expérimental a notamment consisté à associer des mesures psychologiques via un questionnaire en ligne auprès des usagers du restaurant 2 avec des mesures individuelles des restes alimentaires consommables laissés par chaque répondant sur 4 repas. En outre, nous avons testé l’effet d’un dispositif permettant de choisir entre deux tailles d’assiettes pour le plat cuisiné. Néanmoins les données n’étant pas encore analysées, ce dernier point ne sera pas abordé dans le présent document. Au total, 260 usagers du restaurant 9 de SupAgro ont répondu au questionnaire en ligne. L’objectif étant d’analyser les réponses des individus au regard de leur gaspillage, seules les personnes ayant fait l’objet d’au moins une pesée individuelle de leurs déchets alimentaires ont été conservées dans l’échantillon. L’échantillon final est donc constitué de 216 usagers bien répartis en termes de sexe, âge et statut professionnel (Tableau 1).

peut paraître faible, les valeurs enregistrées vont néanmoins de 0 gramme par plateau à 225 grammes.Ainsi, la répartition des effectifs montre que 17% des individus n’a laissé aucun reste alimentaire (groupe 1). Plus de la moitié de l’échantillon a laissé moins de 50 grammes (groupe 2) et plus d’un quart a gaspillé plus de 50 grammes (groupe 3).

b. Quelles sont les caractéristiques socio-démographiques des groupes identifiés ? La répartition des effectifs de chaque groupe selon le sexe montre que le groupe n’ayant rien laissé est principalement composé d’hommes tandis que le groupe qui a laissé plus de 50 grammes est principalement composé de femmes. Cette différence est statistiquement significative (x²= 18,24 ; p<0.05). Il est à noter que nous n’observons pas de différences significatives entre les groupes selon l’âge et le statut professionnel.

4. Résultats provisoires a. Quelle quantité est gaspillée à l’échelle individuelle ? Le gaspillage moyen enregistré sur les 4 jours de pesées est de 34.66 grammes par individu avec un écart type important de 39.32 grammes. Si le gaspillage moyen tous individus confondus 9 Les questions ont permis de mesurer l’intention « de ne pas laisser d’aliments consommables » et ses antécédents à partir d’échelles psychométriques à 7 niveaux.

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c. Quelles sont les caractéristiques psychologiques des groupes identifiés ? A ce stade d’avancement de nos travaux nous avons effectué une analyse de variance (ANOVA) et des tests post-hoc (test de Bonferonni) pour vérifier si les scores moyens obtenus sur l’intention, l’attitude, la norme subjective et le contrôle perçu diffèrent significativement entre les 3 groupes identifiés (Tableau 2).

On note tout d’abord une forte intention de ne pas gaspiller avec une moyenne de 6,11 (sd=1,29) pour l’ensemble de l’échantillon. Néanmoins, le groupe 3 a un score moyen significativement plus faible que les 2 groupes qui gaspillent moins (`x = 5,35 ; sd=1,45 ; test de Bonferonni, p=0,000). Nous pouvons observer des résultats similaires concernant la mesure de l’attitude. Autrement dit, globalement, les individus interrogés n’ont pas l’intention de gaspiller et leur attitude vis-à-vis de l’absence de gaspillage est positive, même si le groupe le plus gaspilleur enregistre des scores significativement inférieurs aux 2 autres groupes. La norme subjective montre globalement des valeurs centrées sur le milieu de l’échelle (`x = 4,88 ; sd=1,27), ce qui laisse entendre une faible pression sociale perçue. Autrement dit, les individus n’ont pas le sentiment que « les autres » sanctionnent ou encouragent leur propre gaspillage. L’analyse de variance (ANOVA) ne montre pas de différence significative entre les 3 groupes (F=0,189 ; p=0,828). Enfin, il est intéressant de noter que le contrôle perçu est particulièrement faible dans le groupe 3 (`x = 4,17 ; sd=1,46), et présente un score significativement inférieur aux groupes les moins gaspilleurs (test de Bonferonni, p=0,000). Ainsi ceux qui gaspillent le plus, partagent le sentiment qu’il est difficile de ne pas gaspiller. Or, lors de travaux précédents, nous avons pu

identifier que les croyances sur lesquelles reposent le contrôle perçu portent principalement sur des facteurs liés à l’organisation du repas comme le fait d’avoir des portions inadaptées à son appétit (Sebbane et al., 2016). 5. Discussion En synthèse, on observe des comportements hétérogènes et les quantités gaspillées sont très variables d’un individu à l’autre. L’identification du gaspillage à l’échelle individuelle associée à une mesure d’un ensemble de variables psychologiques et sociodémographiques offre un premier aperçu des caractéristiques individuelles et collectives pouvant influer sur les comportements de gaspillage. Une première analyse sommaire des déterminants psycho-sociaux montre que la variable qui enregistre le score le plus faible dans le groupe qui gaspille le plus (groupe 3) est le contrôle perçu ; et que cette variable repose sur des croyances liées à l’environnement du repas comme l’inadéquation des portions servies. Compte tenu d’une forte intention de ne pas gaspiller et d’une attitude positive vis-à-vis de l’absence de gaspillage, y compris dans le groupe qui gaspille le plus, on peut supposer que des actions ciblant ces deux déterminants seraient moins efficaces que des actions visant à accroître le contrôle perçu. Contact : maxime.sebbane@supagro.fr

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LAURE SAULAIS, INSTITUT PAUL BOCUSE « L'architecture des choix, un levier de réduction du gaspillage en restauration ? Résumé Le gaspillage alimentaire attribué au secteur de la restauration résulte pour une part significative des comportements des consommateurs, en lien notamment avec des choix sousoptimaux de quantités. L’identification des instruments pertinents pour modifier ces comportements est un enjeu important, aussi bien au plan environnemental qu’économique et sociétal. Les recherches récentes mettent en évidence l’influence de la façon dont est présentée l’offre alimentaire sur les choix des consommateurs. Certains éléments du contexte de présentation, tels que la taille de portion ou la nature des plats proposés par défaut, pourraient ainsi favoriser le gaspillage alimentaire. Une meilleure compréhension des mécanismes sousjacents permettrait d’identifier de nouveaux leviers de prévention du gaspillage. Le projet GRENADINE (Gaspillage en RestaurationAnalyse, Diagnostic, Nudges et Expérimentation) a exploré la mise en œuvre de stratégies s’appuyant sur une modification éclairée du contexte de choix. Une étude expérimentale pilote a démontré le potentiel de ces approches pour modifier positivement les comportements des consommateurs, en complément d’autres instruments plus classiques.

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e projet GRENADINE : Gaspillage en Restauration- Analyse, Diagnostic, Nudges et Expérimentation, mené par l’Institut Paul Bocuse en 2014 avec le soutien de l’Institut Olga Triballat, avait pour but de contribuer au développement de stratégies innovantes de réduction du gaspillage alimentaire

dans la restauration,basées sur les nudges. Il a permis notamment de tester l’efficacité, la pertinence et la faisabilité de solutions s’appuyant sur le concept d’architecture des choix pour inciter des comportements plus durables au restaurant. Mieux comprendre les décisions des consommateurs aurestaurant pour réduire le gaspillage L’alimentation hors domicile occupe une place majeure et grandissante dans l’alimentation des français, et les activités qui lui sont associées ont des impacts sociétaux, environnementaux et économiques importants. La restauration, en particulier, se situe au cœur des enjeux liés à la durabilité de l’alimentation, notamment autour de la problématique du gaspillage alimentaire. On estime ainsi, par exemple, qu’environ 20% des 1438 millions de repas servis dans la restauration en Suède sont jetés, ce qui représenterait 1.5% de la terre cultivée dans le pays 10 . Une part importante du gaspillage alimentaire attribué à l’activité de restauration serait attribuable aux comportements des consommateurs (selon les types de restaurants, entre 20 et 50% des volumes d’aliments gaspillés) 11 12et en particulier de choix sous-optimaux en quantité et en qualité. Accompagner les consommateurs dans les prises de décisions plus optimales a donc le potentiel d’améliorer significativement la durabilité de l’alimentation. Les décisions alimentaires ont de multiples déterminants, parmi lesquels les facteurs biologiques, physiologiques et émotionnels, les caractéristiques des individus (préférences, connaissances, attitudes, croyances) et celles des environnements socio-culturels et économiques13. Lorsque l’on interroge les consommateurs, les facteurs de gaspillage en restauration déclarés se situent, d’une part, au niveau de l’individu (préférences, niveau de faim, budget) et d’autre part, à celui de l’offre (qualité insuffisante, quantités inadaptées, manque d’information, temps insuffisant pour consommer). Il est possible pour la restauration d’agir sur ceux parmi ces facteurs qui relèvent descaractéristiques de l’offre. Ainsi, les prix, l’information, la qualité des produits, l’accessibilité et la disponibilité de l’offre constituent autant de leviers potentiels pour accompagner une réduction du gaspillage 14. La 10 Engström, R. & Carlsson-Kanyama, A. Food losses in food service institutions examples from Sweden. Food Policy(2004) 11 Wrap. The Composition of Waste Disposed of by the UK Hospitality Industry. (2011). 12 Silvennoinen, K. & Katajajuuri, J. Food waste volume and composition in the Finnish supply chain: Special focus on food service sector. in Proceedings of the Fourth International Symposium on Energy from Biomass and Waste(CISA Publisher, 2012). 13 Köster, E. P. Diversity in the determinants of food choice: A psychological perspective. Food Qual. Prefer. 20,70–82 (2009).

14 Saulais, L. in The Routledge Handbook of Sustainable Food and Gastronomy(eds. Sloan, P., Legrand, W. & Hindley, C.) 253–266

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conception d’offres plus adéquates et générant moins de gaspillage est donc une voie à explorer. Il s’agit alors d’identifier lesquels ces facteurs contribuent le plus aux comportements de gaspillage, et dans quelle mesure leur impact peut être réduit. Pour cela, il est nécessaire d’aller au-delà des enquêtes déclaratives et d’observer les comportements, afin de mieux comprendre les mécanismes de choix des consommateurs face à une offre donnée. Agir sur les comportements : la voie des nudges pour minimiser les « erreurs » de jugement ? Si certains travaux ont analysé l’impact de l’information et des prix sur les comportements de gaspillage, la connaissance des liens entre contexte de présentation de l’offre et niveau de gaspillage alimentaire est limitée. Pourtant, des modifications simples du contexte pourraient contribuer à une réduction des quantités gaspillées sans pour autant affecter la valeur économique de l’offre ni la satisfaction du consommateur15 16. L’économie comportementale propose une approche de la prise de décision qui prend en compte la rationalité limitée des consommateurs et explique certaines déviations apparentes à la rationalité, observées lors des prises de décision, comme résultant de raccourcis de décision ou heuristiques s’appuyant sur la configuration des tâches de

choix17. Certains auteurs défendent l’hypothèse selon laquelle ces déviations sont systématiques, et qu’il est possible de les minimiser par des modifications du contexte de choix (architecture des choix ou « nudges ») favorisant les choix les plus rationnels, tout en laissant la possibilité d’opter pour d'autres choix18. Les partisans des « nudges » ambitionnent, en modifiant l’environnement des choix, d’accompagner les individus dans l’adoption de comportements plus bénéfiques, y compris des choix alimentaires plus sains ou plus durables, de façon à minimiser les effets négatifs de certains biais de décision auxquels ceux-ci seraient sujets. Cette hypothèse fait l’objet d’un intérêt croissant, notamment dans le domaine de la santé publique et de l’environnement,où les nudges sont présentés comme une alternativeaux stratégies employant des leviers tels que l’étiquetage environnemental ou nutritionnel ou bien l’éducation alimentaire (Bucher 2016). Selon ces travaux, l’échec des stratégies informationnelles ou d’éducation démontre la difficulté des consommateurs à effectuer des choix rationnels, et argumente en faveur de l’emploi de stratégies agissant sur l’inconscient19 20. Dans le domaine alimentaire, un nombre conséquent de nudges ont été expérimentés et évalués, dont certains concernant la réduction du gaspillage en restauration. Le projet GRENADINE s’inscrivait dans la lignée de ces travaux et explorait la possibilité de mettre en œuvre de telles approches pour minimiser la part inconsciente des erreurs de décision des consommateurs pouvant mener à du gaspillage. L’un des nudges souvent mis en avant en restauration est la présentation de l'option optimale comme choix par défaut. Ce principe du "par défaut" repose sur le constat que les individus tendent à favoriser exagérément la situation actuelle au changement, même si ce changement correspondrait à une option plus satisfaisante pour l'individu. Cette tendance, observée pour différents types de décisions économiques, a été nommée biais de statu quo par les économistes 21. Le choix de la taille des portions dans un restaurant répond à la logique du « choix par défaut » et pourrait donc faire l’objet d’un biais de statu quo. Les stratégies prétestées dans le projet GRENADINE (fig.1), mobilisant ce nudge, vont dans le sens de l’existence d’un tel biais pour les 17 Grüne-Yanoff, T. & Hertwig, R. Nudge Versus Boost: How Coherent are

(Routledge, 2015). 15 Kallbekken, S. & Sælen, H. ‘Nudging’ hotel guests to reduce food waste as a win-win environmental measure. Econ. Lett. 119,325– 327 (2013). 16 Thiagarajah, K. & Getty, V. M. Impact on Plate Waste of Switching from a Tray to a Trayless Delivery System in a University Dining Hall and Employee Response to the Switch. J. Acad. Nutr. Diet. 113,141–145 (2013).

Policy and Theory? Minds Mach.26,149–183 (2016). 18 Thaler, R. H. & Sunstein, C. R. Nudge: Improving decisions about health, wealth, and happiness. (Yale Univ Pr, 2008). 19 Keller, C., Markert, F. & Bucher, T. Nudging product choices : The effect of position change on snack bar choice. Food Qual. Prefer. 41,41–43 (2015). 20 Hollands, G. J. et al.Altering micro-environments to change population health behaviour: towards an evidence base for choice architecture interventions. BMC Public Health 13,1218 (2013). 21 Samuelson, W. & Zeckhauser, R. Status quo bias in decision making. J. Risk Uncertain. 1,7–59 (1988).

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choix de alimentaires au restaurant, et démontrent qu’il est possible d’agir sur la structure des choix pour réduire le gaspillage. Le projet a permis de montrer que les quantités gaspillées étaient fortement dépendantes de l’architecture des choix, et qu’une modification de celle-ci pouvait ainsi infléchir de façon conséquente le niveau de gaspillage : ainsi, l’introduction d’un choix de portion plus petit, présentécomme le choix par défaut, permettait de d’éviter le gaspillage de 7% des repas produits dans un contexte de restauration collective. L’expérimentation révèle cependant que l’impact de ce nudge « anti gaspillage» dépend également fortement de la nature de l’optionprésentée comme par défaut : ainsi, les consommateurs nudgésvers un plat de densité nutritionnelle réduite plutôt que le même plat en portion réduite sont moins sensibles à cette intervention, et le gaspillage généré est donc supérieur. Quels instruments pour lutter contre les comportements de gaspillage au restaurant ? Ces projets semblent démontrer les potentialités et la pertinence du cadre théorique de l’économie comportementale pour analyser les choix alimentaires hors domicile et concevoir des stratégies de réduction des impacts négatifs de la restauration. Cependant une meilleure prise en compte des spécificités des choix alimentaires semble nécessaire afin d’étendre ces approches et de développer des interventions plus raisonnées. En effet, en dépit d’un engouement croissant de la part des concepteurs de politiques publiques, la démonstration de l’efficacité des nudges pour corriger les « erreurs » de choix alimentaires demeure insuffisante. Ceci est dû en partie à la faible reproductibilité des

résultats actuels22, en particulier en ce qui concerne l’alimentation. Ainsi, les travaux menés sur les dispositifs de choix par défaut se rapportent à une multiplicité de modèles expérimentaux, de produits et des contextes, et le terme «par défaut» fait en réalité référence à un large éventail de stratégies sur le terrain. Comme la nature et l'ampleur des effets observés varient, des données supplémentaires sont nécessaires pour en tirer des principes d'architecture de choix pouvant être étendus à d’autres contextes. On ignore quels paramètres des tâches de choix par défaut contribuent le plus à l'effet observé, et donc comment maximiser la probabilité pour une telle action d'être efficace. Plus fondamentalement, les nudges restent une démarche controversée qui posent d’importantesquestions d’ordre éthique. Dans le domaine des choix alimentaires en particulier, des programmes s’appuyant sur les nudges sont couramment suggérés pour encourager des comportements plus sains dans des populations présentant des comportements risqués. Or, aucune recherche à notre connaissance n’a permis de déterminer dans quelle mesure l’efficacité des nudges est équivalente pour toutes les populations, ni d’évaluer l’acceptabilité de telles mesures ou, plus généralement, leurs coûts et bénéfices à l’échelle de la population 23. L’économie comportementale apporte un éclairage nouveau à la question des comportements de gaspillage, en mettant en avant la part automatiqueou inconsciente de ces derniers et l’impact du contexte sur leur déclenchement, Cependant les approches des nudges, bien que prometteuses, ne se substituent par intégralement à d’autres instruments, et en particulier à la sensibilisation active des consommateurs. Contact : laure.saulais@institutpaulbocuse.com

22 Johnson, E. J. et al.Beyond nudges: Tools of a choice architecture. Mark. Lett.1–18 (2012). 23 Marteau, T. M., Ogilvie, D., Roland, M., Suhrcke, M. & Kelly, M. P. Judging nudging: can nudging improve population health? BMJ Br. Med. J. 342,(2011).

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JULIEN LABRIET, COMMUNAUTÉ D'AGGLOMÉRATION DU PAYS DE L'OR « Projet REGARDOR : sur l’alimentation, tout un réseau s’implique ! »

D

epuis 2015, l’Agglomération du Pays de l’Or est engagée dans une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire via le projet REGARD’OR. Celui-ci est axé sur les deux postes de gaspillage alimentaire qui n'étaient pas encore traités : le nondistribué et les restes à l’assiette. Il permet ainsi la mise en place d’une approche systémique en faveur de la réduction du gaspillage alimentaire. Ce projet est porté par un Comité de pilotage qui regroupe élus, représentants de parents d’élèves, enseignants, agents de différents services (restauration, jeunesse, environnement,…). Afin d’établir un diagnostic, des pesées quotidiennes ont été réalisées pendant plusieurs mois par les enfants et par les agents. Celles-ci ont été analysées et des actions correctives ont été mises en place en cuisine et au restaurant scolaire. Il est vite apparu qu’une sensibilisation des convives était nécessaire et qu’il était important de la mener de façon pédagogique et ludique mais non culpabilisante. Une personne référente a été mobilisée sur ce projet et a élaboré plusieurs mallettes « ludo-pédagogiques » axées sur l’agriculture et l’alimentation, les sens et la nutrition. Ces activités ont été testées et déployées auprès des convives pendant les temps de pause méridienne puis également pendant les temps d’activité périscolaire. Contact : julien.labriet@paysdelor.fr Retrouvez plus d'informations sur le projet : une fiche et une vidéo

STÉPHANE LASSEUR, CENTRE HOSPITALIER DE PERPIGNAN « Réduire le gaspillage alimentaire pour améliorer la qualité des repas »

L

e Centre Hospitalier de Perpignan produit chaque année près de 740 000 repas. En 2014, un audit a montré qu’une grande partie du gaspillage alimentaire était liée à une mauvaise qualité des repas et à des surproductions. L’objectif du projet a donc été de réinvestir l’argent « mis à la poubelle » dans la qualité des plats en produisant au plus près des besoins. Un travail collaboratif entre cuisiniers et diététiciennes a permis de revoir les plans de menus et les recettes pour apporter davantage de goût et limiter la multiplication des productions. Des résultats significatifs ont été obtenus avec une baisse de près de 75 % des jetés en sortis de production et une meilleure alimentation des patients. Le projet doit à présent évoluer vers une conception plus rationnelle des plateaux des patients au plus près de leurs choix. Contact : stephane.lasseur@ch-perpignan.fr Retrouvez plus d'informations sur le projet : une fiche et une vidéo

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Synthèse des échanges avec la salle

À

l’issue de cette seconde table ronde consacrée à la lutte contre le gaspillage alimentaire en restauration collective les échanges ont essentiellement porté sur la réglementation encadrant la composition des repas. Cette réglementation, et notamment le GEMRCN, semble vécue par de nombreux participants comme un frein majeur à la prévention du gaspillage alimentaire comme l’illustre le témoignage d’un participant sur la difficulté d’élaborer des menus permettant de limiter le gaspillage, du fait des « prescriptions très strictes » du GEMRCN : « On sait très bien que quand on met du céleri rémoulade en entrée on va avoir 80% de gaspillage alors que si c’est une crêpe ou du melon il y aura zéro déchets ». L’essentiel de la table ronde et des échanges a concerné la restauration collective publique, ainsi l’un des participants a souhaité ouvrir le débat sur les actions entreprises par les restaurateurs privés. Enfin, à plusieurs reprises le rôle crucial des cuisiniers et des agents de restauration collective a été souligné et salué.

La réglementation, un frein à la lutte contre le gaspillage alimentaire en restauration collective ? Julien Labriet rappelle que si le GEMRCN ( Groupe d’étude des marchés de restauration collective et nutrition) donne une obligation de fréquence de présentation de certains types de produits sur un cycle de 20 repas, il ne donne que des recommandations au sujet des grammages à servir. Cette nuance est très importante à comprendre car selon lui dans de nombreuses cantines « les grammages du GEMRCN sont devenus la norme et c’est un vrai problème car ça entraîne directement du gaspillage alimentaire ». Maxime Sebbane insiste lui aussi sur « une très mauvaise interprétation du GEMRCN » et sur le fait qu’il n’y a aucune obligation réglementaire au niveau des grammages : « ce ne sont que des préconisations qui peuvent aider à quantifier les volumes de production ». Isabelle Touzard propose d’aller plus loin dans la réflexion autour de la composition des repas en restauration collective en interrogeant la salle sur la nécessité de toujours proposer 5 composantes repas (entrée, plat, accompagnement, fromage et dessert). En effet réduire le nombre de composantes repas est également un moyen de limiter le gaspillage alimentaire. Luc Lignon (directeur restauration scolaire à la Ville de Montpellier, particulièrement impliqué dans la réduction du gaspillage alimentaire au sein des services de restauration collective) répond en rappelant que le GEMRCN ne dit rien quant au nombre de composantes repas à proposer aux convives mais parle « d’équilibre nutritionnel » à atteindre. Ainsi l’enjeu est de réussir à couvrir les apports nutritionnels recommandés avec seulement 3 ou 4 composantes. Julien Labriet confirme que c’est tout à fait possible de ne proposer que 4 composantes, c’est d’ailleurs ce qui est pratiqué dans les restaurants scolaires de la CA du Pays de l’Or. Il explique néanmoins que « le GEMRCN a été conçu pour 5 composantes, donc dans une menu à 4 composantes il en faut par exemple une qui compte pour deux. C’est faisable mais ça demande un peu plus de travail ». Il est souligné que les recommandations du GEMRCN sur les grammages contribuent à alimenter le système de surproduction évoqué en introduction et qui conduit, entre autres, à un gaspillage alimentaire de grande ampleur. Luc Lignon propose de rappeler à l’ensemble des participants ce qu’est le contenu moyen d’un plateau d’un enfant selon le GEMRCN : 450 grammes pour un élève de maternelle et entre 475 et 500 grammes pour un élève du primaire, ce qui est énorme. Un participant, représentant d’une collectivité, témoigne de difficultés à expliquer que les grammages du GEMRCN ne sont que des recommandations face à des prestataires « qui assurent qu’ils sont obligés de fabriquer selon ces grammages ». Maxime Sebbane confirme que la question des grammages est particulièrement importante lorsque que le choix est faire de faire appel à un prestataire, en effet il explique que « si la loi n’impose pas de grammages, la passation d’un contrat avec un prestataire rend ces grammages contractuels ». Or pour fixer un prix avec un prestataire il est nécessaire de définir les quantités servies par repas. Ainsi les solutions sont à chercher au moment de la rédaction du cahier des charges en indiquant des quantités inférieures aux recommandations du GEMRCN. Les réglementations d’hygiène ont également été abordées au cours des échanges. Julien Labriet

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évoque notamment la rigidité des règles encadrant la réutilisation des produits et le don notamment au sein des services de restauration collective en liaison froide ou chaude. Il rappelle qu’une étude récente de l’ADEME montre que le gaspillage alimentaire est moins important au sein des restaurants où la production se fait sur place par rapport aux restaurants satellites.

L’importance du travail des cuisiniers et des agents de restauration collective Le savoir-faire des cuisiniers et le travail initié par grand nombre d’entre eux pour améliorer la qualité, notamment en termes de goût et de présentation, a été mis en avant plusieurs fois lors des échanges comme un facteur important pour la lutte contre le gaspillage alimentaire. L’évolution de ces métiers est également évoquée, il ne s’agit plus seulement de cuisiner mais aussi « d’acheter, d’animer, d’accueillir » et Isabelle Touzard soulève un enjeu de reconnaissance de cette évolution et de l’importance de ces métiers en travaillant par exemple sur les fiches de poste.

Isabelle Touzard (à droite), Vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole et Présidente déléguée de la commission Agroécologie et alimentation, anime la seconde table ronde

Quid de la restauration privée ? Un participant remarque que la plupart des initiatives présentées ont lieux au sein de services publics (hôpitaux et établissements scolaires) et pose la question de l’existence d’actions similaires dans la restauration privée. Laure Saulais confirme que les restaurateurs privés travaillent également à la restauration du gaspillage bien que les actions y soient moins nombreuses. Elle souligne qu’il y a moins de recherche centrée sur la restauration privée et relève des écarts de formation important entre les différents professionnels de la restauration commerciale.

Mais aussi … Un conseil pour réaliser une enquête auprès des convives sur leurs pratiques de gaspillage alimentaire Maxime Sebbane explique que lors du recrutement de volontaires parmi les convives du restaurant de Montpellier SupAgro il a parlé d’une étude sur « les pratiques alimentaires à la cantine » et non pas sur le « gaspillage alimentaire » qui aurait risqué de biaiser son échantillon. Puis au sein du questionnaire envoyé à tous les volontaires il n’a jamais été question de gaspillage mais plutôt de « restes alimentaires ». Attention aux actions non pertinentes de réduction du gaspillage alimentaire Laure Saulais pose la question de la recherche de la valorisation systématique de tous produits comestibles. Elle donne l’exemple d’une expérimentation menée dans le cadre de son projet de recherche : la proposition aux convives de chips de peau de poisson. Les chips n’ayant pas été appréciées par les convives elles ont été jetées en grande quantité. Ainsi au final, en plus du gaspillage de matière ce sont des ressources humaines et de l’énergie qui ont été gaspillées. Dans une logique de rationalisation et d’optimisation des produits, le principal levier de réduction du gaspillage alimentaire avait alors été oublié : le goût ! Collectivités, pensez au service civique ! Laurence Gouthière rappelle que l’ADEME finance 150 services civiques pour accompagner les collectivités à réduire le gaspillage alimentaire au sein de leurs services de restauration collective. Les collectivités intéressées doivent se rapprocher des antennes locales Uniscités.

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ZOOM LA LUTTE CONTRE LE GASPILLAGE ALIMENTAIRE EN OCCITANIE : État des lieux 2016 et pistes de travail

VIRGINIE GRZESIAK, ROXANE FAGES, DRAAF OCCITANIE ET CHRISTIANE CHARTIER, ADEME OCCITANIE

E

n 2016, avec la création de la région Occitanie, la DRAAF et l'ADEME ont du définir une nouvelle stratégie régionale commune de prévention du gaspillage alimentaire. Pour ce faire, un diagnostic régional de la lutte contre le gaspillage en Occitanie a été engagé. Ce diagnostic complète une première étude réalisée en 2014 au sein de l’ex Languedoc-Roussillon. Une des étapes principales de ce diagnostic consistait à recenser les actions et les acteurs régionaux de la prévention du gaspillage alimentaire. Les objectifs de ce recensement sont multiples. Pour la DRAAF et l’ADEME il s’agit de mieux connaitre pour mieux accompagner les acteurs et les projets régionaux. Pour les porteurs de projet il s’agit de rendre visibles leurs actions auprès de leurs pairs et de leurs potentiels partenaires afin de favoriser le partage d’expérience et la mise en lien. Un recensement des acteurs et des actions de prévention du gaspillage alimentaire en Occitanie Près de 300 acteurs régionaux ont été contacté permettant de recenser environ 200 actions de prévention du gaspillage alimentaire de natures diversifiées qui viennent s’ajouter à la centaine d'actions déjà identifiées en 2014. Quelques grands constats et caractéristiques se dégagent des actions recensées. Tout d'abord il faut noter que les actions les plus nombreuses sont celles concernant la restauration collective, essentiellement scolaire, et les actions destinées au grand public. Mais le faible nombre d'actions recensées au sein des secteurs amont (production agricole, industries agroalimentaires, distribution...) ne signifie pas une absence d’implication de leur part. Simplement il

s’agit d’actions difficilement identifiables car mise en place dans une logique d’optimisation des procédés et de réduction des pertes plutôt que de lutte contre le gaspillage. Par exemple des agriculteurs qui multiplient les débouchés pour écouler leur production ; des industriels qui incorporent les sousproduits d’un procédé de fabrication dans une autre préparation ; des restaurateurs qui estiment au plus juste la quantité de plats à produire, etc. On peut parler d’actions « cachées ». On peut s’interroger sur l’absence de communication sur ces bonnes pratiques de réduction des pertes et gaspillages qui pourraient contribuer à donner une image positive de ces entreprises. Les actions recensées se divisent en trois grandes catégories : les actions de sensibilisation uniquement, les actions de valorisation pour la consommation humaine de denrées comestibles sur le point d’être gaspillées et les actions visant à réduire à la source le gaspillage alimentaire. Ensuite, selon les porteurs de projets, les actions répondent à des objectifs différents et sont donc mises en place selon divers angles d’approche. Certaines actions sont mises en place pour des raisons économiques exclusivement, d’autres sont motivées par un souci éthique ou bien s’insèrent dans une démarche globale d’amélioration de la qualité et de la durabilité de l’offre alimentaire. Enfin, bien qu’une grande diversité d’initiatives ait pu être recensée un manque d’actions collectives est identifié dans les secteurs de l’amont. Or ces actions collectives sont un levier pour démultiplier l’impact des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire en les mettant en place auprès de plusieurs acteurs en même temps et en profitant des échanges et des partages d’expériences qui en découlent pour améliorer leur efficacité. D’autre part, de manière générale, l’impact des actions sur la réduction du gaspillage alimentaire est souvent trop peu évalué. Les acteurs liés au gaspillage alimentaire sont nombreux en Occitanie. Outre les entreprises et les structures qui agissent individuellement pour réduire leur quantité de produits gaspillés, de nombreux

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acteurs facilitateurs ou ressources peuvent initier ou accompagner des projets de lutte contre le gaspillage alimentaire. Il s’agit essentiellemment des associations - notamment environnementales - et des collectivités, plus particulièrement celles engagées dans des démarches de territoire telles que les Plans et programmes locaux de prévention des déchets (PLP) ou les territoires « zéro déchet zéro gaspillage » (TZDZG). Dans une moindre mesure, certaines chambres consulaires commencent à se pencher sur le sujet, c'est le cas de la Chambre d'agriculture de l'Hérault, la Chambre régionale de commerce et de l'industrie ou encore les Chambres des métiers et de l'artisanant du Gers et du Lot. De nombreuses actions sont également portées par les Conseils départementaux dans le cadre des Plans Climat ou des Plans départementaux de prévention des déchets, citons notamment les Départements de l'Hérault, du Gard, du Gers, de Lozère et du Tarn. La réforme territoriale entraine le transfert de la compétence planification de la prévention des déchets ménagers et assimilés au Conseil régional et l’inclusion de la lutte contre le gaspillage alimentaire au sein sa politique de développement de l’économie circulaire. Autant de facteurs qui permettent de réaffirmer le rôle du Conseil régional dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Il faut aussi citer les acteurs de la redistribution alimentaire et notamment les banques alimentaires. L’analyse de ce recensement a permis de poser un diagnostic sur l’avancement actuel de la lutte contre le gaspillage alimentaire en Occitanie et des pistes d’améliorations ont été identifiées sous formes de recommandations adressées aux porteurs de projet et de pistes de travail pour la DRAAF et l’ADEME. Recommandations adressées aux porteurs de projets actuels et futurs 1. Priorité aux actions de réduction du gaspillage alimentaire à la source Trop souvent la lutte contre le gaspillage alimentaire est présentée comme si elle se limitait à éviter que ce qui a été produit ne soit jeté, notamment par le don. Si ces actions permettent de réduire les quantités de produits jetés, elles ne règlent pas la question de la surproduction et du gaspillage des ressources associé au gaspillage alimentaire. Voire elles permettent également aux mauvaises pratiques à l’origine du gaspillage de perdurer, et presque de les dédramatiser ! Ainsi la lutte contre le gaspillage

alimentaire doit rester en priorité la limitation du gaspillage alimentaire à la source puis, lorsque ce n’est pas possible, la réorientation des denrées sur le point d'être gaspillées vers l'alimentation humaine par le don ou la transformation notamment. De même si la sensibilisation des consommateurs est importante elle ne se suffit pas à elle-même. Associer une action visant à un changement de pratiques avec de la sensibilisation permet de donner plus de poids à cette action. 2. Évaluer pour mieux communiquer Afin de rendre compte des impacts d’un projet de réduction du gaspillage et ainsi démontrer son intérêt, il est très important de disposer de résultats quantitatifs du gaspillage évité. Un diagnostic du gaspillage alimentaire en début de projet, en termes de volume gaspillé et de coût des pertes engendrées, puis un suivi régulier des évolutions permet d’évaluer l’efficacité des actions entreprises. Ainsi, à l’issue d’un projet de réduction du gaspillage alimentaire, le porteur de projet dispose de résultats chiffrés pouvant être mis en valeur. 3. Initier des actions collectives Il semble important que les collectivités et les chambres consulaires, notamment, puissent initier des actions collectives auprès d’établissements ou entreprises pilotes et amener du partage d’expériences entre professionnels. 4. Insérer le gaspillage alimentaire au sein de projets de territoires Les collectivités sont en position de connaître les acteurs de leur territoire et de créer du lien entre eux. Elles sont aussi en charge de différentes politiques publiques au sein desquelles le gaspillage alimentaire peut être intégré. Pour le moment l’essentiel des actions réalisées par les collectivités concernent le grand public, les scolaires ou la restauration collective. Nous les invitons à mettre en place des projets intégrant davantage les maillons amont de la chaîne alimentaire. Dans le cadre des démarches PLP et des TZDZG qu'elles mettent en place, mais aussi pourquoi pas la lutte contre le gaspillage alimentaire pourrait trouver toute sa place au sein des projets alimentaires territoriaux.

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Pistes de travail identifiées pour la DRAAF et l'ADEME Occitanie 1. Faciliter l’accès à l’information sur la prévention du gaspillage alimentaire, par : •

La mise à disposition du recensement des actions et des acteurs effectué en 2016

Le recensement des acteurs ressources régionaux au sein d’un annuaire : Un grand nombre de projets, notamment portés par les collectivités, associent des acteurs ressources (associations, bureaux d’études) bénéficiant d’une expertise sur le gaspillage alimentaire et capables de les accompagner sur des phases de diagnostic, de suivi de l’élaboration d’un plan d’action ou encore dans la réalisation d'animations de sensibilisation - en particulier dans le secteur de la restauration collective. La difficulté d’identifier de tels acteurs ressources a été fréquemment évoquée dans l'état des lieux.

Le recensement de l’offre de formation régionale en lien avec le gaspillage alimentaire : le besoin de former les acteurs à la lutte contre le gaspillage a souvent été souligné, notamment en restauration collective.

La valorisation des projets régionaux innovants notamment par la réalisation d’un recueil de fiches actions, afin de diffuser les innovations régionales identifiées notamment dans le cadre des appels à projets.

La mise en place d’une foire aux questions réglementaires en ligne : De nombreux freins à la mise en place d’actions de lutte contre le gaspillage alimentaire, exprimés par les acteurs interrogés, sont de nature réglementaire. Les questions du don de produits alimentaires et même s’il ne s’agit pas de prévention du gaspillage alimentaire – de la valorisation pour l’alimentation animale cristallisent de nombreuses interrogations. Le secteur de la restauration collective est également au centre de plusieurs questions. Enfin des collectivités ont exprimé l'envie d’aider les communes à insérer des clauses relatives au gaspillage alimentaire dans leurs marchés publics de restauration mais ne pas savoir comment s’y prendre. L'objectif de cette foire aux questions sera d'apporter des réponses

« officielles », législatives.

étayées

par

des

références

2. Favoriser et amplifier la mise en réseau des acteurs régionaux qui participent à la lutte contre le gaspillage alimentaire Ce colloque est une première rencontre à l'échelle de la région Occitanie. La DRAAF et l'ADEME jouent déjà un rôle de mise en lien au cas par cas, au grès des demandes et des besoins exprimés. Il s'agit maintenant d'amplifier cette action de mise en réseau sous des formes qui restent encore à déterminer et à discuter avec les différents partenaires régionaux. 3. Poursuivre le soutien financier à des opérations innovantes, démonstratices, en accompagnant notamment la lutte contre le gaspillage alimentaire au sein de démarches territoriales Via des appels à projets, comme l'appel à projets économie circulaire en cours lancé par la Région et l'ADEME Occitanie, en lien avec la DRAAF. Ou encore dans d'autres cadres comme les démarches TZDZG financées par l'ADEME ou l'appel à projets national annuel du programme national pour l'alimentation. Les collectivités sont également encouragées à lancer des appels à projets de lutte contre le gaspillage alimentaire au sein de leurs territoires, comme l'a fait le Parc Naturel Régional du Haut Languedoc par exemple. 4. Faire davantage remonter les informations au niveau national L’état des lieux montre que les niveaux d’action régional et local ne suffisent pas. Dans certains cas une intervention nationale est nécessaire. C’est notamment le cas pour le secteur de la grande distribution ou les actions collectives sont décidées au niveau national ce qui pose des difficultés pour engager un dialogue à l'échelle régionale. Une nouvelle version du Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire est actuellement en cours d’élaboration, les résultats de cet état des lieux et du présent colloque seront communiqués aux ministères. Contacts : virginie.grzesiak@agriculture.gouv.fr, christiane.chartier@ademe.fr Retrouvez plus d'informations sur l'étude et de nombreux documents à télécharger sur le site de la DRAAF Occitanie.

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TABLE RONDE 3 IDÉE REÇUE « À LA MAISON ON NE GASPILLE PAS GRAND CHOSE »

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n amont du colloque les participants étaient invités à contribuer et à faire partager leurs réflexions en répondant à deux questions posées sur un espace collaboratif en ligne.

1. « À la maison on ne gaspille pas grand chose ! », est-ce une idée reçue ? Les contributeurs apportent plusieurs éléments de réponse. Tout d'abord les quantités de produits gaspillés seraient différentes selon l'environnement familial et le lieu d'habitation (davantage de gaspillage en milieu urbain que rural). Il faut noter que si la vie en milieu rural offre souvent davantage de possibilités de valorisation des déchets alimentaires, utilisés en compost ou pour nourrir les animaux (chiens, poules, chevaux…), rien ne permet de penser que les familles vivant à la campagne gaspillent moins. Au contraire on peut imaginer que le compostage ou le nourissage des animaux puisse être perçu comme un « filet de sécurité » dont l'existence conduirait à moins de vigilence dans la gestion des aliments. Un contributeur pense que les comportements des ménages évoluent vers moins de gaspillage, mais indique que les changements de comportement sont des phénomènes très lents. Il est également souligné que si, effectivement, le gaspillage généré par chaque membre d'un foyer représente de petites quantités à chaque repas, ces petites quantitiés additionnées chaque jour et multipliées par l'ensemble des foyers français conduit à une somme considérable d'aliments jetés.

Enfin un contributeur rappelle avec justesse que « le lieu et l'acteur du gaspillage ne sont pas forcément les mêmes que le lieu de la faute ». Effectivement certaines pratiques de la grande distribution notamment sont connues pour entrainer du gaspillage au niveau de la consommation. Par exemple l'achat de fruits pas assez mûrs, pratiques pour la grande distribution car s'abîmant peu, qui ne mûriront jamais à la maison et finiront jetés.

2. Des idées pour lutter contre le gaspillage dans les foyers ? Trois idées clés émergent des propositions faites par les contributeurs. Tout d'abord l'importance de la sensibilisation, par l'intermédiaire d'ateliers et de stands d'information, et notamment la sensibilisation des enfants qui sont les consommateurs de demain. Ensuite plusieurs propositions concernent la réintroduction de savoir-faire oubliés tels que la réalisation de conserves, l'accomodation des restes de

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repas ou bien la cuisine de produits peu consommés (fânes, épluchures de légumes, pain rassis). Enfin, faisant écho à l'introduction de ce colloque, plusieurs contributeurs pensent que redonner de la valeur à notre alimentation est un levier incontournable de la réduction du gaspillage.

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n introduction, Raquel Hadida l'animatrice de cette troisième table ronde rappelle que 29 kilos d'aliments sont gaspillés par personne et par an au niveau des foyers, dont 7 kilos de produits encore emballés. Ce gaspillage en boût de chaîne alimentaire est le plus important en termes d'impact environnemental et économique. En effet c'est au moment de l'achat final par le consommateur que la valeur ajoutée d'un produit est maximale. De même, le bilan carbone du gaspillage d’un produit s’alourdit au fur et à mesure de l'accumulation des ressources mises en œuvre pour sa production, sa transformation, sa distribution et son acheminement jusqu'à son lieu de consommation.

VALÉRIE FOINTIAT & AUDREY PELT, UNIVERSITÉ DE LORRAINE « L’analyse des déterminants psycho-sociaux du gaspillage en foyer, application du paradigme de l’hypocrisie induite. » Résumé La question de la lutte contre le gaspillage alimentaire doit tenir compte d’un paradoxe : d’une part, gaspiller la nourriture est socialement dévalorisé et dans le même temps, les quantités de nourriture gaspillée sont importantes, attestant de pratiques effectives de gaspillage. En d’autres termes, la question du gaspillage alimentaire s’accompagne d’un certain déni, amenant les citoyens à considérer qu’eux-mêmes ne gaspillent pas la nourriture, contrairement aux « autres ». Forts de ces premiers résultats, nous avons conçu une recherche-action, en collaboration avec Metz-Métropole, le Conseil régional Lorraine, et le Conseil départemental de Moselle, réalisée auprès de foyers de la

Raquel Hadida, de l'association C4D (Communication pour le développement) anime la table ronde sur le gaspillage dans les foyers

communauté d’agglomération, dans l’objectif de dégager, à partir des pratiques professionnelles usuelles, une procédure d’interaction amenant à un changement effectif de comportement, débouchant sur une réduction quantifiable du gaspillage alimentaire.

Le gaspillage alimentaire : une thématique complexe

A

vec des conséquences en termes de développement durable, la question de la lutte contre le gaspillage alimentaire devient un véritable enjeux pour les politiques de prévention des déchets et de sécurité alimentaire. Les incitations à agir en faveur d’une réduction du gaspillage alimentaire sont nombreuses et concernent tous les acteurs de la chaîne alimentaire. Plus précisément, les ménages, responsable de plus de 40% du gaspillage, doivent modifier leurs comportements pour réduire les quantités de déchets alimentaires produites. Sous l’angle du comportement, la question de la lutte contre le gaspillage alimentaire doit tenir compte d’un paradoxe. D’une part, gaspiller la nourriture est socialement dévalorisé : les individus approuvent les messages préventifs qu’ils leur sont

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adressés et exprime des attitudes morales négative à l’égard du gaspillage alimentaire. Ne pas gaspiller la nourriture semble être la « bonne chose à faire ». D’autre part, les quantités de nourriture gaspillée sont importantes, attestant de pratiques effectives de gaspillage. Lorsque l’on demande aux individus d’estimer les quantités de nourriture jetées, la majorité des individus rapportent ne rien jeter ou très peu. En d’autres termes, la question du gaspillage alimentaire s’accompagne d’un certain déni, amenant les citoyens à considérer qu’euxmêmes ne gaspillent pas la nourriture, contrairement aux « autres ». Une recherche-action reposant sur l’hypocrisie provoquée : Sur la base de ce premier constat, nous avons développés une démarche d’intervention, reposant sur la technique d’hypocrisie provoquée. L’objectif de cette technique est d’amener les individus à prendre conscience qu’il existe un écart entre ce qu’ils connaissent de la norme (« je sais qu’il ne faut pas gaspiller ») et leurs comportements transgressant cette norme (« la dernière fois, j’ai jeté un reste de repas à la poubelle »). Prendre conscience de cet écart comportemental motive les individus à ajuster leurs comportements futurs dans un sens plus normatif. Pour tester cette démarche d’intervention, nous avons conçu une recherche-action, en collaboration avec Metz-Métropole, le Conseil Régional Lorraine, et le Conseil Général de Moselle. Réalisée auprès de foyers de la communauté d’agglomération. L’objectif était de dégager, à partir des pratiques professionnelles usuelles, une procédure d’interaction amenant à un changement effectif de comportement, débouchant sur une réduction quantifiable du gaspillage alimentaire. Plusieurs communes ont initialement été sélectionnées par Metz Métropole sur la base des critères suivants : une levée des déchets par semaine, non conteneurisées, avec un taux de compostage faible et composé majoritairement de logements individuels. Ces communes présentent des caractéristiques socio-démographiques stables. Pour des raisons essentiellement dues au terrain (récupération des sacs pour la pesée), seuls les ménages résidant en logement individuel ont été retenus. L’échantillon initial (état des lieux) était

composé de 235 ménages sélectionnés par tirage au sort aléatoire à partir d’un listing de Metz Métropole. Quatre procédures d’interaction en face-à-face ont été déployées. La première (groupe information) repose sur la mise en place d’une stratégie informative : les ménages recevaient des brochures d’information sur les conséquences du gaspillage alimentaire et les moyens à mettre en œuvre pour le réduire. Ce groupe correspond à une intervention classique préventive et constitue le groupe témoin. Dans la deuxième (groupe journal de bord), les ménages étaient invités à tenir un journal de bord des catégories et quantités de nourriture jetées. L’utilisation d’un journal de bord renvoie à une idée généralement partagée par les professionnels selon laquelle il suffirait de faire prendre conscience des comportements inappropriés pour que les individus ajustent d’euxmêmes leurs comportements futurs. Dans la troisième (groupe hypocrisie provoquée) , les participants indiquaient comment faire pour ne pas gaspiller, puis rappelaient leurs comportements transgressifs (3 questions viser à faire décrire les transgressions et une estimation de la quantité de nourriture jetée au cours des deux dernières semaines au sein de leur foyer). Enfin, dans une dernière groupe (groupe rappel des transgressions), les ménages rappelaient leurs transgressions sans évoquer comment faire pour ne pas gaspiller, complétaient l’implémentation d’intention puis recevaient les brochures informatives. Les déchets alimentaires ont été caractérisés une semaine avant l’intervention (état des lieux), à court terme (1 semaine après les interventions) et à moyen terme (5 semaines après les interventions). Les données recceuillies montrent que : - Dans la condition journal de bord, les quantités de déchets alimentaires produits par personne augmentent légèrement une semaine après les interventions, puis redeviennent stables cinq semaines après les interventions. - Dans le groupe hypocrisie provoquée : les quantités de déchets alimentaires produits par personne diminuent au fil du temps. - Dans le groupe rappel des transgressions : une réduction des déchets alimentaires produits par personne est observée au fil du temps. - Dans le groupe témoin, les résultats montrent une

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réduction des déchets alimentaires produits par personne, mais cette diminution ne se maintient pas dans le temps. Si les résultats en termes de quantités de déchets alimentaires par personne sont encourageants, les analyses statistiques révèlent que seuls les résultats du groupe hypocrisie provoquée sont significatifs et généralisables. En d’autres termes, recevoir uniquement de l’information sur le gaspillage, tenir un journal de bord des quantités gaspillées ou évoquer seulement ses mauvais comportements ne s’avèrent pas efficace pour enclencher un changement de comportement. En revanche, l’intervention reposant sur l’hypocrisie provoquée se révèle efficace non seulement pour enclencher

SÉVERINE ALISS

GOJARD,

INRA

"Approvisionnement, préparation des repas et gestion des restes de denrées alimentaires" Résumé Lors d’enquêtes auprès des ménages, on constate que les discours spontanés vont dans le sens d’une minimisation du gaspillage, associée à une forte moralisation du bon usage des aliments. L’enjeu de nos travaux est de rendre compte des mécanismes qui conduisent les ménages à jeter des denrées qu’ils ont initialement achetées pour les consommer. Cela passe par une attention précise au circuit des produits alimentaires dans l’espace domestique ; on restitue la chaîne d’activités liées à la préparation des repas et on identifie les moments où peuvent être produits des rebuts. Les ressorts du gaspillage et les leviers actionnables pour sa prévention dépendent des étapes de ce circuit. Une attention portée aux discours des enquêtés, qui donnent des éléments

des comportements de réduction du gaspillage alimentaire, mais aussi pour maintenir ce changement à long terme (5 semaines). Pourtant, nous n’observons pas d’effet à court terme de l’hypocrisie provoquée. Les changements comportementaux se produisent entre une semaine et cinq semaines après les interventions. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que l’évitement du gaspillage alimentaire demande la mise en œuvre de plusieurs comportements intégrés dans des pratiques temporellement situées. Réduire le gaspillage alimentaire de façon observable pourrait demander un certain laps de temps. Contacts : valerie.fointiat@univ-lorraine.fr, audrey.pelt@univ-lorraine.fr

aussi bien sur leurs conditions de vie que sur les normes qu’ils tentent de mettre en pratique, permet également de restituer les conditions dans lesquelles des denrées sont achetées, préparées ou servies en quantités excédentaires.

L

es recherches qui nous ont conduites à aborder la question du gaspillage alimentaire sont parties d’une problématique plus large, concernant la prise en compte (ou non) par les ménages d’enjeux environnementaux dans l’ensemble de leurs pratiques alimentaires. Ces travaux ont été financés par l’Ademe 24 puis par le ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie25. Nous avions pour cible des pratiques telles que l’achat de produits locaux ou de saison, l’attention portée aux labels (agriculture biologique, commerce équitable, labels environnementaux), mais aussi l’utilisation des denrées achetées (consommation, stockage, dons, alimentation d’animaux domestiques, compost, mise au rebut). Cette approche visant à restituer l’ensemble des activités d’achats, et préparation et de consommation des produits alimentaires permet de n’aborder la mise au rebut que comme un devenir possible des aliments (évitant ainsi une focalisation exclusive sur les questions de gaspillage). Par ailleurs, nous souhaitions étudier des consommateurs qui ne soient pas spécialement engagés dans la lutte contre le gaspillage ou pour la protection de l’environnement. Les ménages ont été recrutés sur une base résidentielle pour partie dans un quartier parisien en voie de gentrification, pour partie dans un quartier résidentiel d’une ville 24 Projet « Dimensions Durables de l’Alimentation Domestique – Dimdamdom » coordonné par Sophie Dubuisson-Quellier (CNRS-Sciences Po) 25 Projet « Logiques de consommation autour de l’alimentation durable » coordonné par Séverine Gojard (Inra).

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moyenne de province26. Ils ont été interrogés à plusieurs reprises, afin d’avoir une vision précise de leurs pratiques alimentaires. Le cadrage théorique est très largement inspiré de la théorie des pratiques anglosaxonne27, qui vise à restituer l’ensemble des activités, les discours qu’elles suscitent et leurs cadres matériels. On constate ainsi que tout au long de la chaîne d’activités qui se déroule entre l’achat et l’acte de consommation, des produits excédentaires sont susceptibles d’apparaître, qui peuvent soit être conservés pour un usage ultérieur, soit donnés, soit mis au rebut. Lors de la dernière phase, une fois que les aliments ont été mis dans l’assiette pour consommation, leur réutilisation devient plus rare, mais aux stades précédents on observe que les surplus n’ont pas forcément vocation à finir à la poubelle. Cependant un certain nombre de ressources et de compétences apparaissent nécessaires pour leur réutilisation. Ainsi, par exemple, le stockage des aliments nécessite d’avoir de la place, et éventuellement des équipements (réfrigérateur, congélateur). L’usage du congélateur luimême pour congeler des produits frais ou cuisinés à la maison (par opposition aux surgelés industriels) requiert un peu de savoir-faire et certains enquêtées disent qu’elles n’osent pas congeler, par peur de mal faire. Enfin, les durées de conservation au réfrigérateur (et même au congélateur) sont mal connues et leur estimation fait l’objet d’importantes 26 Les entretiens ont été réalisés par Ana Perrin Heredia, dans le cadre du projet Dimdamdom. 27 Voir par exemple Warde A., 2005, “Consumption and theories of practice”, Journal of Consumer Culture, vol. 5, n° 2, p. 131-153, et Evans D., 2014, Food Waste. Home consumption, material culture and everyday life. Bloosmbury pour une application au gaspillage en contexte britannique.

variations d’un individu à l’autre. Dans notre corpus, certains ménages donnent leurs restes, mais c’est toujours dans des circonstances bien spécifiques : donner aux invités (surtout s’ils font partie de la famille et surtout si ce sont des enfants ou petitsenfants) les restes d’un repas festif est une pratique assez courante, qu’il s’agisse de produits périssables (fromage) ou de plats cuisinés. De rares cas ont été observés où une enquêtée donne à une amie ou une voisine un plat préparé en quantités excédentaires, mais cela suppose une relation de proximité affective. En revanche, la circulation de produits au sein du voisinage, ou encore le don de restes à des associations caritatives, n’ont pas été observés dans ce corpus d’entretiens auprès de ménages dont nous rappelons qu’ils sont peu investis dans les questions alimentaires et environnementales.

Ce faible investissement n’empêche pas un discours généralisé et consensuel hostile au gaspillage alimentaire, associé à une forte moralisation du bon usage des aliments. Des normes issues de l’éducation, une conscience des inégalités d’accès à la nourriture en France et dans le monde, tout comme le coût financier du gaspillage, sont les principaux arguments mobilisés à l’appui de la condamnation morale du gaspillage. En revanche, on constate que les pratiques alimentaires dans leur ensemble sont régies par un ensemble de règles et de principes qui peuvent conduire à générer des surplus d’une part, à les jeter d’autre part. Notamment, les normes de convivialité et d’abondance qui imposent d’avoir assez de nourriture, voire trop pour les repas avec invités (pour leur offrir la possibilité de se resservir) conduisent à acheter, préparer, cuisiner, voire servir, de trop grandes quantités. Ces normes semblent moins prégnantes pour les repas quotidiens, mais dans les ménages avec enfants, les difficultés à prévoir ce qu’ils mangeront effectivement conduisent souvent à préparer un peu trop ou à stocker en permanence des produits de dépannage qui peuvent finir par se périmer. Plus les enfants grandissent plus la question même de savoir à l’avance s’ils seront présents aux repas, ou s’ils inviteront des amis, est

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susceptible de générer des surplus alimentaires. Enfin, l’attention portée aux enjeux de santé conduit certains ménages à acheter en grandes quantités des produits frais, variés et périssables (fruits et légumes par exemple) sans savoir toujours à l’avance si les enfants accepteront de les consommer. En l’absence des équipements et des compétences mentionnés ci-dessus, les surplus ainsi générés sont susceptibles de finir à la poubelle. L’attention portée aux enjeux de sécurité sanitaire conduit enfin un certain nombre de ménages à jeter des produits sur lesquels ils ont un doute. Le respect des dates limites, accompagné dans certains cas d’une confusion entre DLC et DLUO, est un exemple bien connu. Pour les produits qui ne comportent pas de dates, comme les produits frais ou les restes de plats cuisinés à la maison, la prudence peut conduire à des conservations courtes. On voit ainsi apparaître une autre dimension, qui est

le temps de latence entre la constitution du reste et sa mise au rebut : les produits que l’on n’a pas jeté tout de suite, parce qu’on pensait pouvoir les consommer, prennent au bout de quelques jours un aspect moins appétissant voire douteux et ils sont d’autant plus facilement jetés qu’ils ne sont plus considérés comme comestibles. L’ensemble de règles et de principes qui peuvent conduire à générer des excédents et à s’en débarrasser apparaît au final comme plus important que les normes qui condamnent le gaspillage, parce que la question des excédents se pose à toutes les étapes du circuit, parce qu’elle est multifactorielle et parce qu’elle s’appuie sur des principes très répandus. Si la constitution de surplus est en partie inévitable, parce qu’elle répond à des logiques propres, en revanche le devenir de ces excédents n’est pas fatalement la poubelle : des équipements, des compétences, des ressources sociales interviennent alors pour faciliter le stockage, la conservation, la réutilisation de ces denrées alimentaires. Contact : severine.gojard@inra.fr Du même auteur : •

Rapport

« Logiques de consommation autour de

l'alimentation durable » •

Topo de recherche « DIM DAM DOM : Infléchir les pratiques alimentaires des ménages »

LAURENCE GOUTHIÈRE, ADEME « La campagne de communication nationale grand public « ça suffit le gâchis » et les opérations foyers témoin »

E

n mai 2016, l'ADEME et le Ministère de l'environnement ont lancé une nouvelle campagne de communication, « ça suffit le gâchis », visant à interpeller les publics cibles (grand public, collectivités, industries agroalimentaires, grande distribution, restauration collective et restauration commerciale) sur la réalité du gaspillage alimentaire et favoriser les changements de comportement. Contact : laurence.gouthiere@ademe.fr Retrouvez en ligne plus d'informations sur la campagne « ça suffit le gâchis » et de nombreux outils et retours d'expériences.

CORINNE

CHAUTARD,

TOULOUSE

MÉTROPOLE

« Le programme local de prévention des déchets, un cadre d’actions anti-gaspi »

C

onformément aux orientations du Grenelle de l’environnement et de son Plan Climat Énergie Territorial, Toulouse Métropole a lancé un Programme Local de Prévention des Déchets en 2012, en vue de réduire de 7 % la production d’ordures ménagères et assimilées par habitant d’ici 2016, soit environ 25kg par habitant. Parmi les 10 actions, la lutte contre le gaspillage alimentaire est une action phare du programme de prévention. En effet chaque année, un habitant de Toulouse Métropole jette 65 kg par an de restes de repas, d’épluchures…et 7 kg de produits alimentaires encore emballés.

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Plusieurs astuces simples peuvent permettre de limiter le gaspillage alimentaire : acheter des quantités adaptées, examiner les dates de péremption, cuisiner les restes… Pour faire connaître ces astuces, Toulouse Métropole a développé des outils de sensibilisation et des actions communication auprès de la population. Toulouse Métropole a également travaillé sur la question du Gourmet bag, en déployant une expérimentation réelle sur un panel de restaurateurs qui constituait le chaînon manquant entre « intentions » (révélées dans l’enquête de la DRAAF Rhône Alpes) et « passage à l’acte » (déploiement de la pratique du Gourmet Bag). La question posée était : comment favoriser l’acceptation et la diffusion du « Gourmet Bag » dans la restauration commerciale ? Contact : corinne.chautard@toulouse-metropole.fr

Synthèse des échanges avec la salle À l'issue de la troisième table ronde sur le gaspillage alimentaire au sein des foyers la question de l'influence du développement des « drives » en grande distribution sur le gaspillage alimentaire au niveau des foyers a été soulevée. Puis le débat s'est élargi avec plusieurs remarques sur le périmètre d'étude de la définition du « gaspillage alimentaire » : peut-on considérer la surconsommation d'aliments, notamment de protéines carnées, et le gaspillage d'eau destinée à un usage alimentaire comme des formes de gaspillage alimentaire ?

Faire ses courses « en drive » pour réduire le gaspillage alimentaire ? A priori il n'existe aucune étude comparative du gaspillage alimentaire au sein des foyers en fonction de leur mode de réalisation des courses alimentaires. En revanche les distributeurs proposant un service de drive affirment que cette pratique contribue effectivement à lutter contre le gaspillage alimentaire en limitant les achats spontanés. Selon Valérie Fointiat réaliser ses courses via un service de drive permet de plannifier ses comportements et d'anticiper ses achats, ce qui permet probablement de réduire la quantité de produits perdus.

Vers la prise en compte de nouveaux types de gaspillage alimentaire ? Bruno Lhoste, auteur d'un ouvrage sur le gaspillage alimentaire, souhaite ouvrir le débat avec deux autres types de gaspillage qui n'ont pas été abordés. Il s'agit d'une part du gaspillage engendré par la surconsommation : c'est à dire ce que l'on mange en trop par rapport à nos besoins nutritionnels. Et d'autre part du gaspillage de ressources lié à la part croissante de protéines animales dans nos régimes alimentaires, l'élevage mettant en œuvre d'importantes quantités de ressources en eau et en protéines végétales pour nourrir le bétail. Dans le même esprit l'un des participants interroge les intervants sur la prise en compte dans les études du gaspillage de l'eau utilisée à des fins alimentaires. Séverine Gojard et Valérie Fointiat saluent l'intérêt de ces questions qui permettent d'élargir le débat. Toutefois dans le cadre des études réalisése ces sujets ne sont pas abordés car la plupart des consommateurs ne les associent pas au gaspillage alimentaire. Selon Valérie Foitiat, la préservation des ressources liée à une préoccupation environnementale n'est pas du tout connectée au gaspillage alimentaire dans l'esprit des consommateurs. Or pour travailler à changer les comportements il faut « travailler avec ce que les gens ont dans la tête, s'ils ne font pas cette connexion entre gaspillage des ressources et gaspillage alimentaire les leviers d'action sont peu importants ». Pour faire évoluer ces représentations et modes de pensées, les campagnes de sensibilisation, d'information et de prévention menées notamment par les collectivités sont importantes car « elles permettent de donner les informations permettant aux gens de faire ces connexions ».

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CONCLUSION

MARIE MOURAD, CHERCHEUR AU CENTRE DE SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS

L

a mobilisation autour du gaspillage alimentaire est variée, elle concerne plusieurs domaines et plusieurs secteurs. Cette mobilisation s’appuie sur une certaine définition du « gaspillage alimentaire » et des chiffres, qui sont indispensables pour fixer des objectifs et garder le cap. Il faut néanmoins garder à l’esprit que ces chiffres ne sont pas neutres, en prenant du recul sur leur construction. Selon le périmètre et la méthode choisie, le « gaspillage » ne sera pas le même pour chaque acteur ou secteurs, la « responsabilité » qu’on associe souvent à un pourcentage de gaspillage peut être partagée différemment et donc les actions à mener différentes. Par exemple, l’idée reçue que les supermarchés gaspillent beaucoup est remise en question par leur propre pourcentage de pertes, qui est assez faible, moins de 5%. Mais ce chiffre n’inclut pas le gaspillage qu’ils peuvent générer en amont ou en aval de le chaîne par des exigences strictes de qualité nutritionnelle ou esthétique, notamment, des pratiques commerciales incitant des consommateur à acheter, parfois acheter beaucoup, ou acheter trop. Il n’empêche que les chiffres jouent un rôle symbolique qui est majeur dans la mobilisation, et il est important de poursuivre les travaux de recherche pour l’établissement de chiffres de plus en plus précis et cohérent. D’où l’intérêt d’un premier lien entre action et recherche. Le rôle de la recherche c’est aussi de proposer une prise de recul sur les actions menées. Les actions autour du gaspillage alimentaire sont souvent présentées comme « gagnant gagnant », à chaque étape de la production, distribution, consommation. Si on regarde au global, on produit autour de

3500calories/jour/pers, pour des besoins autour de 2000. De façon un peu cynique on pourrait voir le gaspillage comme un débouché pour une partie de la production. Et donc il y aurait forcément des « perdants », à court ou long terme, dans la réduction du gaspillage. Cela amène à réfléchir à des changements plus systémiques, à revoir le système pour qu’il génère moins de surplus, notamment en reliant ce sujet à celui de l’alimentation durable ou de l’économie circulaire. Cela se fait déjà mais de façon très expérimentale, peut se généraliser davantage. Les acteurs publics ont un rôle spécifique à jouer en tant que garant de l’ « intérêt général », de protection des biens publics, là où les opérateurs économiques n’ont pas directement intérêt à réduire les surplus alimentaires. Dans la table ronde sur les supermarchés, on a parlé par exemple de la redistribution. Les politiques de lutte contre le gaspillage alimentaire même au niveau national se sont beaucoup focalisées sur le don. Bien sûr c’est important et tant que l’on peut redistribuer ça paraît « gagnant gagnant ». Mais ces actions ont un coût pour les citoyens à travers des dépenses fiscales, qui pourrait être investis pour un accès à l’alimentation qui ne repose pas, si on le voit de façon très schématique, sur le fait de donner aux plus vulnérables ce dont les autres ne veulent pas. La redistribution s’intéresse à l’aval et n’incite pas non plus à repenser les systèmes et réduire les surplus en amont, pour ne pas avoir à redistribuer justement. Dans la table ronde sur la restauration collective, on a vu des initiatives très intéressantes pour réduire le gaspillage mais aussi améliorer la qualité des repas à la cantine. C’est un lieu où il peut vraiment y avoir un levier vers une alimentation plus durable, orientée vers la qualité plus que vers la quantité. Malgré tout, est-ce que ces initiatives sont toujours gagnant gagnant ? Elles ont du mal à se généraliser en raison du coût financier, des changements à déployer. Dans ce genre de cas, les acteurs publics nationaux et locaux ont un rôle à jouer pour apporter des investissements de départs, soutenir

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les initiatives sur le plan financier, logistique, et social. Finalement la 3e table ronde est le cas le plus évident pour comprendre la nécessité d’une prise en charge politique de la lutte contre le gaspillage alimentaire. La prévention n’est pas quelque chose de mesurable, pas quelque chose qui « rapporte » directement, on ne peut pas l’évaluer par des « résultats ». Pour ne pas rester très marginale, pour aller plus loin, elle nécessite des moyens conséquents. C’est un investissement qui a des

bénéfices collectifs de long terme seulement, et il est donc important qu’il soit mené par des acteurs publics, qui ne sont pas en recherche de rentabilité directe. On a beaucoup parlé du gaspillage « à la maison », mais cela va au-delà. Si l’on prend du recul on se rend compte de l’importance des normes sociales qui génèrent des gaspillages, et elles ne peuvent évoluer que lentement, influencées – entre autres, pas seulement- par des campagnes de communication par exemple. Contact : marie.mourad@sciencespo.fr

FRÉDÉRIC GUILLOT, DIRECTEUR RÉGIONAL DÉLÉGUÉ DE L'ADEME OCCITANIE

l'engagement de la France à réduire le gaspillage de moitié d'ici 2025 au travers du Pacte national de réduction du gaspillage alimentaire. La lutte contre le gaspillage alimentaire est également l'un des quatre axes prioritaires du Plan national de l'alimentation et est abordée au sein du volet économie circulaire de la Loi relative à la transition énergetique pour une croissance verte de 2015. la lutte contre les pertes et gaspillage alimentaire fait partie intégrante des missions de l’ADEME depuis de nombreuses années, notamment au travers des actions menées sur la gestion des déchets et des bio déchets et sur la réduction des gaz à effet de serre. Une des fonctions de l'Agence est de produire des connaissances sur ces sujets afin de connaître avant d'agir. L'ADEME a produit de nombreuses études et outils sur le gaspillage alimentaire qui sont disponibles sur le site de l'ADEME Occitanie, permettant de mieux cerner et s'approprier le sujet. Aux côtées de la DRAAF Occitanie, l'ADEME a ainsi pour mission d’apporter un cadre et des outils favorables à l’action et à la diffusion des bonnes pratiques et de l’innovation au sein de la région Occitanie. Frédéric Guillot a conclu en rappelant le financement conjoint avec la DRAAF Occitanie de l'appel à projet relatif au Plan national de l'alimentation ainsi que d'un appel à projet relatif à l'économie circulaire, en lien avec la DRAAF et le Conseil régional Occitanie.

F

rédéric Guillot a conclu la journée en saluant la mobilisation de plus de 365 participants venus de toute la région ainsi que leur variété qui illustre le spectre d'acteurs très large concernés par le gaspillage alimentaire, ce qui rend cette thématique à la fois si particulière et complexe. Le colloque a également permis de montrer que le gaspillage alimentaire faisait l'objet de sujets de recherche très variés et intéressants. Les différentes voies d'entrée vers le gaspillage alimentaire ont bien été représentées aujourd'hui ainsi que l'importance de l'aspect partenarial des projets. Le directeur régional délégué a ensuite rappelé que le sujet du gaspillage alimentaire est inscrit au sein de grands textes de lois et de politiques nationales, ce qui lui confère de la crédibilité, de la visibilité et facilite l'engagement de chacun. Cette inscription du gaspillage alimentaire dans un cadre législatif et politique s'est d'abord traduit, en 2013, par

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QU'EN ONT-ILS PENSÉ ?

Les participants ont apprécié … « Les interventions de 10 minutes étaient parfaites, cela rendait la discussion très vivante » « Le dessinateur : la cerise sur le gâteau ! » « La diversité d'horizon des intervenants » « La diversité des approches développées » « La rencontre entre chercheurs et professionnels, c'est à recommencer ! » « Les temps en « off » lors du repas qui ont permis d'établir des contacts et d'échanger et d'établir des partenariats intéressants » « Les interventions très complémentaires et pédagogiques » « Le côté innovant du colloque, avec la mise en place d'une plate-forme de discussion en amont de la manifestation sur chacun des 3 thèmes abordés » « La pesée des restes du midi, trés bonne idée »

Même si… « 10min par personnes c'est trop court pour entrer dans un sujet » « Peut-être trop d'intervenants différents » « Le trop scientifique n'est pas à la portée de tous et nuit à la compréhension de sujets pourtant très pertinents » « Un approfondissement aurait été très intéressants pour les techniciens que nous sommes »

Quelques pistes d'amélioration « Des ateliers auraient sans doute permis d'aller plus loin et de profiter de la diversité des publics » « J'aurais bien voulu voir à la table un représentant d'une grande enseigne de la GMS » « L'intervention d'un cuisinier engagé, avec son équipe de cantine, montrant des exemples concrets de mise en pratique de gestes simples, aurait été un plus » 38


RÉSULTATS DU COIN « NUDGE »

Qu'est ce qu'un « nudge » ? Les nudges (ou « coups de pouce »), développés dans les années 2000, sont une nouvelle famille d’outils qui proposent des interventions visant à modifier l’architecture du choix inscrite dans l’environnement physique et social des individus. Il s’agit d’orienter les comportements tout en laissant l’individu libre d’agir de façon opposée à celle proposée par l’environnement. De façon concrète, ces dispositifs peuvent notamment jouer sur : •

Le changement du choix par défaut : - Programmation par défaut des photocopieurs pour que ceux-ci impriment recto-verso - Dématérialisation des envois de facture

La mise en scène ludique du « bon choix » : - Peintures d’empreintes de pieds au sol pour guider vers la poubelle la plus proche - Décoration des marches des escaliers pour les rendre plus attractifs par rapport aux ascenseurs

Le design des objets pour contraindre les choix : - Mise en place de cendriers publics avec des toits pentus pour éviter que les gens y laissent leurs déchets - Réduction de la taille des assiettes pour réduire les quantités servies en cantine, en espérant agir sur le gaspillage alimentaire

La disparition de la « mauvaise option » : - Retrait du bouton « veille » des téléviseurs

Quelques idées de nudges proposées par les participants

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