Exposition : Manguin rugit à Giverny

Le musée des Impressionnismes de Giverny célèbre Henri Manguin, peintre de la volupté, créateur du fauvisme avec Matisse. Une redécouverte magnifique.

Henri Manguin, «la Couseuse à la robe rouge, Jeanne», 1907. Huile sur toile.
Henri Manguin, «la Couseuse à la robe rouge, Jeanne», 1907. Huile sur toile. FABRICE LEPELTIER © ADAGP

    Vertige de l'amour. Une femme peut rendre un peintre meilleur. Plus radical. Réveiller l'animal. Jeanne a fait d'Henri Manguin (1874-1949) un fauve. Au musée des Impressionnismes de Giverny (Eure), qui présente près de cent oeuvres (huiles, aquarelles, encres) de lui, dans la première salle, Manguin n'est pas encore Manguin. On dirait du Gauguin époque Pont-Aven, parfois du Van Gogh, voire du Cézanne ou du Matisse. Il y a pire. Mais cherchez la femme, et vous trouverez l'artiste unique. La jeune épouse apparaît d'abord discrètement dans un tableau un peu raide, «Jeanne à la rose».

    Les fleurs, c'est bien, le nu c'est mieux. Le peintre et son modèle vont vite se lâcher. Les années fauves de Manguin s'ouvrent en 1904-1905. Ses copains Matisse et Marquet en sont. L'amour se nourrit de la magie du lieu : Saint-Tropez et la Ramade, une maison que Manguin loue juste après Matisse.

    Jeanne se déshabille peu à peu. D'abord en négligé, de dos, allongée, les hanches voluptueuses suggérées dans un tableau à l'érotisme d'autant plus expressif qu'il est sous-entendu : le modèle ne nous regarde pas et reste habillé, tout en adoptant une posture de nu. Contrastes violents mais solaires, vert et violet, jamais de noir. Les couleurs brutes d'un quotidien féerique.

    Après le paradis, le purgatoire

    Changement de tableau, de scène : Jeanne devant une fenêtre, à Paris, avec toujours cette cambrure affolante, nue, saisie par son coquin de peintre. Il ne montre presque rien, et presque tout, comme cette naissance des fesses. Dans ce théâtre de l'intime s'ajoute un décor, le paysage, avec la Méditerranée au bleu gourmand qui s'étale dans «Jeanne sur le balcon de la Villa Dernière», autre maison du bonheur à Saint-Tropez, en 1905, l'année de naissance du fauvisme. L'état de grâce. Jeanne est enceinte dans «la Faunesse», assise nue au pied d'un arbre, au bord de la mer. La peinture raconte la vie.

    Manguin comme Gauguin, presque à la lettre près -- la même toute-puissance de la couleur, de la féminité, des corps endormis, repus -- ou «mangue», pour la chair, son jus, son orange rayonnant. Le peintre, à la trentaine, est collectionné par les plus grands, du Russe Chtchoukine dont on a découvert récemment les trésors à Paris, à l'Américain Leo Stein. Pendant la guerre, il se retire en Suisse, puis s'installe définitivement à Saint-Tropez, où il meurt en 1949.

    Après le paradis, le purgatoire, presque l'enfer. Il passe pour un peintre de salles d'attente chez le médecin. Fauve domestiqué. «Il a trop produit et ne s'est pas renouvelé. Et puis, il n'a rien d'un écorché vif ou d'un peintre maudit», avance Frédéric Franck, directeur du musée, pour expliquer sa place discrète. L'exposition s'arrête en 1913, alors que Manguin n'a même pas 40 ans. Après ? Silence de politesse. Manguin a eu la vingtaine et la trentaine rugissantes. Peut-être a-t-il passé le reste de sa vie à s'en remettre. Les oeuvres de jeunesse restent parfois les plus belles.