le programme CréaJeunes de l'Adie

L'Adie accorde des microcrédits pour les porteurs de projets éloignés de l'emploi.

Adie

C'est au Raincy, en Seine-Saint-Denis, qu'Aboubacar Youssouf, 31 ans, va ouvrir les portes de son restaurant en septembre. Au menu, cuisine française traditionnelle et burgers américains. De quoi régaler tout le monde et satisfaire les bourses.

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Son CAP de cuisinier en poche, Aboubacar a fait ses armes aux fourneaux à Marseille et au Raincy et a décidé de forcer le destin en devenant son propre patron. Il a déjà tout prévu: il sera en cuisine avec son père, son épouse servira en salle et un extra donnera un coup de main à midi. Au chômage depuis septembre 2016, Aboubacar Youssouf le sait: la route de la création d'entreprise est semée d'embûches.

Aussi, quand Pôle emploi lui parle cet hiver de CréaJeunes, un programme d'accompagnement gratuit à la création d'entreprise de l'Adie (Association pour le droit à l'initiative économique) dédié aux 18-32 ans éloignés de l'emploi, il postule sans hésiter. Six semaines de formation intensive, avec ateliers, mentorat et pitch devant un jury. Le jeune homme est enthousiaste: "J'ai appris à faire un business plan, une étude de marché, et à présenter mon projet avec clarté... Tout cela va m'éviter des erreurs de débutant!"

Comment maîtriser les codes de la création d'entreprise

Chez les jeunes, créer sa boîte est devenu tendance. Dans les écoles de commerce ou d'ingénieurs, on ne compte plus les incubateurs ou autres nurseries entièrement dédiés à ces futurs patrons qui se rêvent déjà un destin à la Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook. Mais pour les autres, ceux qui sont en dehors du système, difficile de maîtriser les codes. Surtout si on n'a pas les bons réseaux. "Or, dans certains quartiers difficiles où le taux de chômage des moins de 25 ans peut grimper à 42%, la création d'entreprise est souvent la seule porte de sortie", constate Géraldine Pinget, directrice du centre d'Asnières (Hauts-de-Seine) de CréaJeunes.

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"Ces aspirants chefs d'entreprise ont besoin, plus que d'autres, d'accompagnement et de conseil", ajoute Moussa Camara, président de l'association Les Déterminés, qui propose une formation de cinq semaines à la création d'entreprise. Chaque fois, il s'agit de donner les bonnes clefs pour ouvrir les bonnes portes.

Première étape: reprendre confiance en soi. "Quand j'ai créé ma boîte il y a deux ans, je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait et j'avais besoin d'être épaulé", confie Alexis Cocâtre, 26 ans, cofondateur d'Ornatis, une entreprise de décoration intérieure lancée avec un copain d'école.

Le coup de pouce de CréaJeunes: un tuteur, ancien cadre dirigeant et bénévole, les accompagne dans leurs moindres démarches. "Il nous a beaucoup conseillés, notamment pour établir notre politique commerciale, nos tarifs, et même pour définir notre clientèle cible." Il les a surtout aidés à ne pas tout laisser tomber au bout de quelques mois, alors que les commandes n'affluaient pas comme les deux jeunes hommes l'avaient imaginé.

Passer ses idées à la moulinette des chiffres

Autre obstacle rencontré par la plupart de ces jeunes: la méconnaissance des notions de base de comptabilité et des outils de gestion. "Avant la formation, je ne savais même pas ce que voulait dire un prix de revient ni même un point mort", reconnaît Aboubacar Youssouf. Or, pour valider la viabilité d'un projet, les chiffres sont le juge de paix.

"Nous demandons à nos élèves de passer leur idée à la moulinette des chiffres. On voit très vite si leur projet est viable, ou s'il doit être ajusté ou reporté", détaille Jean- Pierre Lefaucheux, ancien banquier en retraite, bénévole pour CréaJeunes.

Pour Sophie*, secrétaire au chômage depuis un an, le passage par les calculs sur tableaux Excel a été une douche froide. Cette jeune maman s'était récemment lancée, avec un certain succès, dans la location en ligne d'articles de puériculture (poussettes, lits pliables, etc.). Mais quand son tuteur chez CréaJeunes l'a informée qu'elle ne pouvait pas légalement exercer cette activité sous le régime de la micro-entreprise et qu'elle devait adopter celui de l'entreprise individuelle, elle a refait ses calculs. "En raison du taux de cotisation plus élevé, mon activité a perdu, en l'état, toute sa rentabilité", déplore la jeune femme.

Le challenge du changement d'échelle

Traditionnellement frileux quant au financement des petits entrepreneurs, les banquiers le sont plus encore quand le porteur de projet est jeune et qu'il ne sort pas d'une grande école de commerce. "On a fait la tournée des banques de la région. Mais, à l'époque, nous étions chômeurs et nous n'avions qu'un maigre apport de 1000 euros chacun à présenter. Aucun banquier ne nous a suivis", se souvient Alexis Cocâtre. S'ils ont décroché au final un emprunt, ce n'est pas auprès d'un établissement bancaire classique, mais grâce à l'Adie, qui leur a accordé un microcrédit de 5000 euros chacun.

Mais, pour ces jeunes, "le challenge majeur reste le changement d'échelle", explique Moussa Camara, des Déterminés. Bidouiller dans son coin et dégager quelques milliers d'euros de chiffre d'affaires, c'est facile. Grossir, sortir de son quartier et de son milieu, se professionnaliser, c'est souvent bien plus dur. "On continue de les accompagner longtemps après leur formation", explique un des tuteurs de CréaJeunes. Après avoir appris à marcher, il leur faut, ensuite, apprendre à courir.

* Son prénom a été changé.

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