Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Le scandale d’United Airlines est-il (aussi) un incident raciste ?

David Dao, 69 ans, a été traîné hors d’un avion, dimanche 9 avril. Peu à peu, des voix émergent pour dénoncer un acte discriminatoire envers la communauté asiatique.

Publié le 14 avril 2017 à 16h56, modifié le 15 avril 2017 à 09h27 Temps de Lecture 4 min.

La vidéo a fait le tour du monde, dimanche 9 avril : David Dao, un médecin américain de 69 ans, a été brutalement évacué d’un vol de la compagnie United Airlines qui devait relier Chicago (Illinois) à Louisville (Kentucky). L’homme avait été tiré au sort pour quitter l’avion surbooké et ainsi lui permettre de décoller. Mais il a refusé de quitter son siège, car il devait rentrer pour voir ses patients.

Les images, tournées au téléphone portable par des passagers, ont suscité l’indignation. La valeur de l’action de la compagnie a subi un sévère décrochage en bourse. Son PDG, Oscar Munoz, s’est finalement excusé, mardi 11 avril.

Mercredi 12 avril en conférence de presse, les avocats de M. Dao ont annoncé que ce dernier avait l’intention de poursuivre la compagnie en justice. L’un d’eux a ajouté que l’expérience du médecin avec la United Airlines avait été plus traumatisante pour lui que celle de son immigration. L’origine de la victime est vite devenue un sujet polémique. Posant, en fait, la question d’un incident raciste, ou non.

Les protestations montent au Vietnam

En Chine, où cet épisode a suscité un tollé, certains ont estimé que l’origine du passager a joué dans la manière dont il a été traité. Un témoin ayant affirmé que l’homme était en fait d’origine vietnamienne, les protestations ont commencé à monter au Vietnam – Chrystal Dao Pepper, la fille du médecin, a précisé, au cours de la conférence du 13 avril, que ses parents étaient effectivement des immigrants vietnamiens.

Le journal Foreign Policy a, quant à lui, fait le rapprochement avec la mort de Liu Shaoyao lors d’une intervention de police à son domicile, le 26 mars, dans le 19arrondissement de Paris. Sa disparition avait provoqué la colère de la diaspora chinoise.

Aux Etats-Unis ont vite émergé des points de vue faisant le lien entre l’incident et le durcissement de la politique migratoire depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. « Cela arrivait déjà avant ce gouvernement, mais cela a aussi, très clairement, pris un autre tour depuis son arrivée », a déclaré le professeur Mimi Thi Nguyen, spécialiste de l’Asie à l’université de l’Illinois, interrogée par Vice.

Le journaliste James Yeh a noté, dans Vice également, qu’il était « difficile » d’imaginer la même scène arrivant à un médecin blanc, ou même à « n’importe qui de blanc, même si on est gêné de le dire ». Et de citer Phil Yu, l’auteur du blog Angry Asian man (Asiatique en colère), qui évoque régulièrement les questions de racisme et de discrimination aux Etats-Unis :

« Je vais vous dire une chose. Si ce passager “désigné au hasard” avait été une femme blonde à la peau blanche, et qu’elle avait refusé de quitter son siège, il n’y aurait eu absolument aucune chance pour que ces flics la traînent (…) en sang à l’extérieur. Ce genre d’indignité est manifestement réservé aux médecins asiatiques de 69 ans. »

Une minorité qui « respecte les règles »

Reste que, dans la presse, les voix de la communauté asiatique aux Etats-Unis ont d’abord été peu nombreuses à se manifester. Quelques articles ont néanmoins fini par émerger. « Pourquoi l’origine asiatique du passager qui a été traîné par terre a son importance », a ainsi titré Clio Chang sur le site New Republic, après avoir noté que de nombreux titres de presse n’ont, dans un premier temps, pas mentionné l’origine du docteur Dao.

Pour la journaliste, une expulsion comme celle dont a été victime David Dao peut certes arriver à tout le monde, montrant que les passagers sont impuissants face à des compagnies « sans visage » qui ne sont tenues responsables de rien. Mais « l’appartenance ethnique de la victime a son importance » et « la traiter comme un facteur sans conséquence est au mieux une omission, au pire un effacement », insiste-t-elle.

L’incident traduit, en tout cas, un certain regard porté par les Américains sur les Asiatiques : ceux-ci sont considérés comme une « minorité modèle », rappelle Clio Chang, une minorité qui « respecte les règles » et qui est souvent utilisée pour « prouver », dans le discours dominant, que les minorités peuvent s’intégrer en Amérique.

« Les questions qui se posent sur le comportement de M. Dao se basent sur un présupposé selon lequel les Asiatiques devraient être discrets, accommodants et, en définitive, reconnaissants », a également écrit James Yeh, dans Vice.

La ligne de défense de la police

M. Dao aurait sans doute pu éviter d’être ainsi traité s’il avait obéi, a, quant à lui, souligné Steven Thrasher, chroniqueur au Guardian. Ce qui a été, dans un premier temps, la ligne de défense de United Airlines et de la police de Chicago, estimant que l’homme s’était « mis à crier », qu’il s’était montré « bagarreur ». Ce qui est souvent la ligne de défense de la police américaine lorsqu’un Afro-Américain meurt sous les balles d’un agent, rappelle Steven Thrasher, tout en insistant sur le fait que :

« Tout statut de “minorité modèle” peut être retiré à n’importe quel moment. (…) Quel message cet incident renvoie-t-il aux autres Américains d’origine asiatique ? Cela renforce l’idée qu’ils feraient mieux d’obéir. »

Selon Jeff Yang, de CNN, les réactions en Chine, sur le réseau social Weibo, ont par ailleurs montré l’absence de solidarité des minorités entre elles. Il a pu y lire des messages comme : « S’il s’était agi d’Afro-Américains ou de musulmans, tout le monde aurait parlé de racisme. » Or, c’est là qu’est tout le problème, commente le journaliste sur Twitter, les Asiatiques sont loin d’être les seuls à faire l’expérience du racisme, ou d’y être les plus exposés.

« J’ai vu cette posture chez des Asiatiques américains également, qui se sentent victimisés de manière singulière. Ce qui est absurde, et c’est là toute l’horreur : nous ne sommes pas les seuls. »

Et Clio Chang de compléter : « Bien entendu, les Afro-Américains ont une expérience de la brutalité policière bien différente de celle des Asiatiques », qui ne constituent pas d’ailleurs un groupe homogène, précise-t-elle, dans la mesure où, selon elle, les gens d’Asie de l’Est sont traités différemment de ceux du sud par la police.

L’analyse de l’incident est encore compliquée par le fait que l’un des policiers était lui-même afro-américain.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.