PRESIDENTIELLE 2017 - Qui se douterait que sous ses allures de jeune homme bien sous tous rapports se dissimule un militant schizophrène qui consacre matinées, soirées et week-ends à tracter pour Macron, Le Pen, Fillon, Hamon et Mélenchon? "Schizophrène", c'est bien le mot qui revient dans la bouche de "Kokopello", son pseudo de dessinateur engagé, pour décrire le pari inédit qu'il a entamé depuis quelques mois: rejoindre sous des noms d'emprunt cinq comités de campagne opposés en pleine élection présidentielle pour découvrir la face cachée du militantisme. Et le raconter en bande dessinée.
Une aventure entamée il y a quelques mois sur son blog personnel et qu'il prolonge dès aujourd'hui et jusqu'à l'élection sur Le HuffPost.
"L'idée, ce n'est pas de dire du mal de la politique, mais de raconter comment fonctionne la démocratie sur le terrain", explique le jeune infiltré qui n'avait jamais milité ni été encarté jusqu'à cette expérience entamée fin 2016 par un passage dans l'écurie d'Arnaud Montebourg. "Mon intuition initiale consistait à tenter de comprendre l'engagement militant: pourquoi des gens pleurent un soir de premier tour? Comment on se retrouve dans un engagement total et désintéressé? Je voulais voir qui étaient ces anonymes derrières les hommes politiques", précise-t-il.
Résultat des courses: entre 4 et 5 "opérations" réalisées chaque semaine dans différents arrondissements de la capitale tout en jonglant avec son job. "Je peux enchaîner un tractage avec le FN puis un café-débat sur l'Europe avec les macronistes", résume-t-il.
Une fois embarqué dans la campagne, "Kokopello" a ouvert son Tumblr, Carnets de campagne 2017, où il décrit avec humour et un brin de tendresse ses expériences. Comme la concurrence amicale entre les soutiens de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon. Ou la difficulté pour les fillonistes à faire campagne en plein "PenelopeGate".
Avant de signer ses premières planches, "Kokopello" a dû démarcher les cinq principales écuries présidentielles pour leur proposer ses services. Loin des candidats embarqués dans le rouleau-compresseur de la campagne, les équipes présentes sur le terrain sont peu regardantes sur les intentions des petites mains qui se présentent bénévolement pour distribuer tracts et ballons, faire du porte à porte ou animer des soirées de soutien. Résidant à Paris, le dessinateur a ainsi réussi à concilier cinq activités militantes antagonistes en optant pour des comités de soutiens territorialement opposés.
"Je suis un mec assez lambda, je me fonds bien dans les éléments", explique-t-il tout en détaillant les menus subterfuges vestimentaires employés pour ne pas griller sa couverture. Pour se fondre dans ces environnements contradictoires, l'apprenti militant singe les éléments de langage entendus à la télé (Fillon sur la fin des 35h, Mélenchon sur la transition énergétique, Marine Le Pen sur la fin de l'Europe) et colle aux basques des "vrais" militants.
S'il assume une démarche artistique subjective, le jeune homme se fixe pour condition de "ne raconter que des choses vraiment entendues". "Je relate un vécu et un ressenti. C'est un démarche subjective où je veux me faire une expérience personnelle de la politique sans descendre les gens", précise-t-il, soucieux de préserver l'intimité des dizaines de sympathisants auxquels il s'est attaché.
"Le plus difficile, c'est de décevoir tous ces gens dont je partage la vie"
Dans ce petit monde militant, des profils se détachent, des personnalités émergent: chez Fillon, "les personnes âgées bien endimanchées", les jeunes du MJS qui roulent pour Hamon, les soutiens de Macron qui s'y voient déjà, un monde toujours très masculin où les femmes sont rares. "Au FN, j'avais une appréhension particulière : je ne savais pas où je mettais les pieds. Puis je suis tombé sur des gens sympas, très cultivés. Du coup je me suis demandé comment ces gens avaient rejoint un parti au passé si sulfureux", se remémore-t-il.
Parfois, le doute affleure: "Le plus difficile, c'est de décevoir tous ces gens dont je partage la vie. J'ai de la bienveillance à leur égard. Je les côtoie au quotidien depuis des mois, je bois des coups avec eux".
Mais la leçon est fructueuse. "Cela m'a déjà rendu beaucoup plus tolérant à l'égard des gens qui militent. J'ai arrêté de prendre pour des brebis galeuses les gens qui votent aux extrêmes. Je ressens de la bienveillance partout, quelles que soient les idées défendues. Cela me donne la sensation que la politique n'est pas pourrie".
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