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États-Unis

Réforme fiscale : pourquoi la victoire politique de Trump pourrait rapidement tourner au vinaigre

Aucun doute: le vote par Sénat de la réforme fiscale, la plus ambitieuse depuis trois décennies, est une victoire politique majeure pour Donald Trump. Mais après? Les Américains, hostiles à une réforme fiscale aggravant les inégalités et favorisant les grandes entreprises, vont découvrir une loi qui semble avoir été écrite par les lobbies et les riches donateurs du parti républicain.

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Donald Trump le 2 décembre 2017

Vendredi, deux événements majeurs ont fait un grand perdant et un grand vainqueur: Donald Trump.

Susan Walsh/AP/SIPA

C’est une journée extraordinaire, une journée historique dans tous les sens du terme qu’a vécue vendredi 1er décembre Washington. A quelques centaines de mètres de distance l’un de l’autre, deux événements majeurs ont fait un grand perdant et un grand vainqueur: Donald Trump.

Le premier? L’annonce que Michael Flynn, éphémère conseiller à la Sécurité nationale de Trump, acceptait de plaider coupable de l'accusation d'avoir menti au FBI. On ne saurait sous-estimer la gravité de cette nouvelle pour le clan Trump: l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur l’interférence de la Russie dans la campagne électorale et la possibilité d’une collusion avec l’équipe Trump, qui avance à grands pas, menace désormais très directement la Maison Blanche et la famille Trump, président compris.

Une victoire politique pour Trump et la droite

Heureusement pour lui, il y a l’autre grande nouvelle: l’adoption par le Sénat, 51 voix contre 49, de la réforme fiscale la plus ambitieuse depuis une trentaine d’années – depuis celle de Ronald Reagan, l’icône des républicains. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, impossible de ne pas reconnaître qu’il s’agit d’une victoire politique majeure:

– Elle met fin au reproche adressé aux républicains, qui risquait de leur coûter cher aux élections de mi-mandat de novembre prochain, d’être incapables de passer une réforme majeure malgré un contrôle de la présidence et des deux chambres du Congrès;

– Elle redore la réputation politique de "faiseur de deals" de Trump, qui est au cœur de sa personnalité et de sa popularité auprès de sa base;

– Elle minimise le risque d’une rébellion de cette base, à la Tea Party, contre l’"establishment" républicain du Congrès;

– Enfin et surtout, elle permet à un parti républicain divisé, fracturé de recoller les morceaux en validant la seule véritable idéologie qui le soude: la baisse des impôts.

Les deux chambres du Congrès doivent maintenant s’entendre pour réconcilier leurs deux versions de la loi. Elles ont jusqu’au 31 décembre pour le faire et, même si l’on peut s’attendre à des négociations compliquées, il ne fait guère de doute que le président aura sur son bureau, aux alentours de Noël, une loi à signer.

Une loi que ne demandaient pas les Américains   

Extraordinaire, cette loi l’est à la fois par son ampleur et son contenu. Elle inclut 1.400 milliards de dollars de baisses d’impôt sur dix ans, fait passer le taux de l’impôt sur les bénéfices de 35 à 20%, abaisse (temporairement) les taux de l’impôt sur le revenu, élimine ou réduit drastiquement (selon les versions de la Chambre des Représentants et du Sénat) les droits de succession, facilite le rapatriement de milliers de dollars de profits parqués par les multinationales à l’étranger, etc. Cette liste, partielle, n’inclut pas les multiples cadeaux fiscaux introduits à la dernière minute dans le texte de loi, ni les échappatoires (par exemple le "pass-through", qui permet à des millions d'entrepreneurs d’être taxés comme d’être individus mais à taux réduit) qui font tiquer jusqu'au "Wall Street Journal" : "Les analystes fiscaux", écrit le quotidien des milieux d’affaires, "affirment que cette déduction [associée au pass-through] ouvre des avenues nouvelles et sans précédent pour échapper à l'impôt, avec des individus qui risquent de déclarer la plus grande partie possible de leur revenu d'activité comme revenu taxé à taux réduit".

Mais le plus extraordinaire est encore ailleurs: allié à un président historiquement impopulaire, un Congrès historiquement impopulaire a voté une réforme fiscale historiquement impopulaire… On a beau fouiller dans le passé, on ne parvient pas à trouver un tel décalage entre une loi majeure et ce que demande la majorité des Américains. La réforme, en effet, favorise massivement les entreprises à un moment où elles affichent des profits records, sont assises sur des montagnes de cash et n'ont jamais payé aussi peu d'impôts en proportion du PIB, et des riches particuliers qui n'ont jamais été, dans l'histoire du pays, aussi fortunés. Dans un tweet, l'économiste Thomas Piketty, qui a mis en évidence ces inégalités, note que cette réforme est "du Reagan à la puissance 10", "dans la droite ligne de l'entreprise de démolition de l'impôt  progressif lancée par Reagan dans les années 80".

Avant même le vote de cette loi, l'inégalité était déjà très accentuée, aux Etats-Unis: les 1% les plus riches accaparent 20% de la richesse nationale, contre 7% dans les années 80. Ce sont pourtant eux qui bénéficieront en premier de la réforme. En 2019, selon une analyse du Tax Policy Center, les 20% de ménages les moins riches verront leurs impôts baisser de 50 dollars en moyenne, tandis que les 0,1% les plus riches bénéficieront d'un allègement de 85.640 dollars. En 2025, c'est encore mieux, si l'on peut dire: 60 dollars de baisse d'impôt pour les 20% les plus pauvres, 121.060 dollars pour les 0,1% les plus aisés. Deux mille dix-sept fois plus!

Côté entreprises, aucune étude n'a jamais validé la théorie du trickle-down ("ruissellement par le haut"), et rien ne permet de dire que les baisses d'impôt finiront en créations d'emplois plutôt qu'en dividendes et rachat d'actions. Plus préoccupant: quel sera l'effet macroéconomique de cette réforme sur une économie tournant déjà à plein régime? Si la surchauffe menace, la Fed n'hésitera pas à relever les taux d'intérêt. Autre question, encore plus grave: que restera-t-il au gouvernement comme marge de manœuvre si le cycle actuel de boom de l'économie, déjà très long (85 mois successifs de créations nettes d'emplois), se retourne? Elle sera dramatiquement réduite.

Pour les républicains, la fin justifie les moyens

Que disent les Américains, de la philosophie de cette réforme? Les sondages se suivent et se ressemblent. A en croire par exemple une enquête d'opinion du Pew Research Center, 52% souhaitent voir les impôts augmenter "un peu" ou "beaucoup" pour les grandes entreprises, et 43% pour les gros revenus. Les baisses spectaculaires d'impôt instituées par la loi ne recueillent que 10% d'approbation s'agissant des grandes entreprises, et 8% pour les gros revenus. Par ailleurs, les deux-tiers des Américains estiment qu'il faut réduire le fossé entre riches et pauvres (sondage du "New York Times"). Et ces chiffres ne tiennent même pas compte des coupes dans les programmes sociaux et d'assurance-maladie que prévoit la réforme fiscale.

A ce problème de fond s'ajoute la manière dont a été votée la réforme:

- Mensonges multiples et répétés, le plus époustouflant étant le secrétaire au Trésor citant une étude économique montrant que la réforme n'accroîtrait pas le déficit… étude qui n'existait pas!

- Hypocrisie à propos du déficit, censé être l'obsession d'une droite fiscalement vertueuse et aujourd'hui avalisé sans le moindre état d'âme. Pendant les années Obama, les républicains avaient rejeté comme trop coûteux un plan à 130 milliards de dollars instaurant la maternelle petite section pour tous et la gratuité des universités de proximité, qui aurait amélioré de façon spectaculaire le système éducatif; vendredi, ils ont voté sans broncher une loi qui augmentera de 1.000 milliards de dollars de déficit supplémentaire sur dix ans (estimation officielle du Congrès);

- Dévoiement sans précédent du processus parlementaire, avec une loi majeure préparée en catimini, votée sans débat et sans même que les sénateurs aient eu le temps de lire les modifications de dernière minute, écrites à la main en marge du texte;

- Trahison des classes moyennes, qui verront leurs impôts augmenter à nouveau à partir de 2025. Jusqu'à celle loi, qui semble littéralement avoir été écrite par les lobbies et les riches donateurs du parti, l'idée d'augmenter les impôts pour ces classes moyennes était un anathème pour les républicains.

Cela fait beaucoup, et les démocrates ne vont pas manquer de faire campagne, jusqu'en novembre prochain, contre cette réforme. L'emporteront-ils? Cela n'a rien de sûr. Les lois sont affaires complexes, et peu d'électeurs se plongent dans leur détail. Et puis, les Américains adorent les baisses d'impôt, même minimes et temporaires. La campagne qui s'ouvre sera donc un test majeur de l'état de santé de la démocratie américaine. Jusqu'à quel point peut-on affirmer, la main sur le cœur, que ce qui est noir est blanc et que la terre est plate? Réponse en novembre prochain.

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