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La République en marche

ISF : pourquoi Macron a raison de s’en débarrasser

Il y a d’excellentes raisons économiques mais aussi politiques de ne pas céder à la démagogie des défenseurs du maintien de l’ISF. Voici pourquoi le président de la République va dans le bon sens.

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Emmanuel Macron le 9 octobre 2017

Le moins que l’on puisse dire est que, dans l’affaire de l’ISF, Emmanuel Macron ne prend pas le pays par surprise: la suppression de l’essentiel de cet impôt figurait dûment dans son programme.

LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Le moins que l’on puisse dire est que, dans l’affaire de l’ISF, Emmanuel Macron ne prend pas le pays par surprise: la suppression de l’essentiel de cet impôt figurait dûment dans son programme. Son élection n’a cependant pas ipso facto aboli les oppositions à cette mesure, ni dans la classe politique, ni dans les medias: au PS comme à Libé – qui vient de spectaculairement relancer le débat –, beaucoup de ceux que le succès de Macron a pris à contre-pied, voire laissés KO, voient au contraire dans ce dossier l’occasion de «se refaire».

Et l’opinion, très majoritairement hostile à la réforme selon les sondages, semble leur donner raison, en tout cas en termes de marché politique. Mais il faut voir plus loin, et le Président, qui mise beaucoup sur son image d’homme qui dit ce qu’il fait et qui ne plie pas devant la critique quand elle est mal fondée, a probablement raison de le faire. Du point de vue politique comme du point de vue économique, il s’agit tout simplement, pour lui, d’un investissement – ce qui consiste, techniquement, en la renonciation à un bienfait immédiat en vue d’un plus grand bienfait à venir. Or, investir est rarement un mauvais choix.

Coût économique élevé

Économiquement, le coût de la réforme est certes élevé en termes budgétaires: selon qu’on y inclut ou non le basculement vers une taxation forfaitaire des revenus du capital (flat tax), et en fonction des simulations que l’on fait en termes de comportement des ménages aisés (vont-ils, par exemple, réduire leurs patrimoines immobiliers pour échapper au futur l’IFI?), la note sera comprise entre 2,5 et 4 milliards d’euros. C’est considérable. Mais il faut, si l’on raisonne honnêtement, mettre en regard de cette facture les bénéfices que la nation tout entière, et pas seulement les heureux bénéficiaires de l’allègement, vont retirer de cette réforme. Ce n’est évidemment pas parce qu’ils sont tous débiles (tandis que nous serions, nous Français, si exceptionnellement brillants que seuls nous aurions tout compris) que tous nos voisins ou presque – y compris l’Espagne du socialiste Zapatero et la très social-démocrate Suède – ont aboli la taxation du patrimoine: c’est parce qu’ils ont fait le calcul montrant que ce serait payant! Pourquoi? Avançons, parmi tant d’autres, trois arguments.

  1. L’ISF fait fuir la matière imposable et les plus entreprenants. Une étude récente a montré que, avec seulement 4% du PIB mondial, la France «produit»… 20% des millionnaires en exil. Ce sont quelque 800 ménages dont le patrimoine est élevé ou très élevé qui quittent le pays chaque année. Ce chiffre peut paraître faible mais, d’une part, il ne recouvre pas toutes les situations (il est ainsi probable que beaucoup partent avant d’être assujettis, et précisément pour ne pas l’être, ce qui fait que, par définition, ils n’entrent pas dans la statistique) et, d’autre part, il correspond à des montants d’impôts perdus très considérables. Non seulement en effet l’ISF des exilés est perdu mais, au surplus, ce sont toutes les recettes l’IR et toute la TVA qu’ils auraient payés s’ils étaient restés qui l’est aussi. On évalue à 200 à 300 milliards d’euros sur 30 ans les pertes occasionnées par les départs de ménages français qui ont choisi d’autres cieux. Enfin, la «qualité» de ceux qui partent est particulière: bien souvent, il s’agit d’entrepreneurs, voire de multi-entrepreneurs, ayant réussi puis vendu. Leur fortune et leur succès passés les déterminent à être des investisseurs actifs, particulièrement en actions, et plus particulièrement en jeunes entreprises. Une fois basés à Bruxelles, Londres ou Lisbonne, ils investissent ou créent une nouvelle entreprise partout dans le monde plutôt que principalement en France comme ils l’auraient fait fussent-ils restés.
     
  2. L’ISF contribue puissamment à faire disparaître le tissu entrepreneurial français par le jeu des exemptions réservées aux familles d’entrepreneurs et des conditions requises pour y accéder. Ainsi voit-on aujourd’hui dans beaucoup de PME ou d’ETI un patriarche se maintenir à la direction pour continuer à bénéficier de la règle de l’exonération attachée à l’outil de travail alors même qu’il devrait passer la main – mais il risquerait alors de devenir assujetti à l’ISF. Souvent aussi on observe que des frères, des cousins, des oncles émargent dans l’entreprise avec des titres bidons inventés sur mesure pour cocher les bonnes cases et les faire échapper à l’impôt, ce qui est malsain en termes de management, mais aussi, tout bêtement, de coûts: l’entretien de la tribu à coup de salaires inutiles mais élevés pèse sur la rentabilité de la société, donc sur sa capacité à se développer. Symétriquement, lorsque les rejetons sont devenus, au fil des successions, de trop petits actionnaires et/ou qu’ils ne travaillent pas dans l’entreprise, ce qui les prive du bénéfice de l’ «outil de travail», alors ils exigent d’elle, pour maintenir leur train de vie malgré l’ISF, des dividendes généreux - ce qui, là encore, vient la vider de sa substance et réduire son potentiel d’investissement.
     
  3. L’ISF affecte le potentiel de croissance du pays. Pour les deux raisons évoquées ci-dessus, et bien d’autres encore, l’ISF est facteur de réduction du potentiel de croissance de notre pays. L’institut Coe-Rexecode estime ainsi dans l’une de ses dernières productions que le PIB a été amputé par le seul effet de l’exil fiscal de quelque 0,06% par an – soit presque 2 points de PIB sur 30 ans! Au total, il faudrait sans doute au moins doubler ce chiffre pour appréhender complètement les effets dévastateurs de la fiscalité du patrimoine très anormalement élevée qui caractérise la France, fiscalité qui, comme n’importe quel étudiant de première année en économie pourrait le deviner, a pour effet… de démobiliser et de faire disparaître le capital. Or, on ne le dira jamais assez, les premières victimes d’une économie atone sont ceux qui, avec une économie plus dynamique, auraient une chance de retrouver un emploi alors qu’ils peinent plus que les autres aujourd’hui – femmes, non-qualifiés, minorités visibles etc. Le «cadeau aux riches» qu’on dénonce aujourd’hui volontiers est en fait un cadeau au pays qui bénéficiera à tous.

Mauvais moment politique à passer

Et politiquement? Oui, la pilule sera dure à avaler tant il est vrai que, justement, la thématique du cadeau indu aux «riches» est porteuse à court terme. Les débats au Parlement sont et seront rudes. La presse, que le souci de la bonne conscience meut toujours plus que de raison, sera en grande partie soit très hostile soit, à tout le moins, critique. Mais ce n’est sans doute qu’un mauvais moment à passer: dans aucun des pays où l’équivalent de l’ISF a été aboli la polémique n’a duré au-delà des semaines entourant le débat législatif. Il est probable que, si l’ISF est supprimé au premier janvier, on n’en parlera plus, ou plus guère au-delà de l’hiver.

Pour aller jusqu’au bout, on peut même plaider que l’abolition de l’ISF abolit aussi… ses inconvénients politiques, en particulier la nécessité pour l’exécutif de s’expliquer une fois par an sur le montant du «chèque» fait chaque automne par le fisc aux plus riches d’entre les Français au titre du plafonnement. Pour mémoire, le dernier «remboursement» s’est élevé à… 1,6 milliard d’euros. Pas facile à expliquer aux enfants.

En revanche, et à condition que l’exécutif n’envoie pas de signaux contraires pendant au moins deux ou trois ans, il est à peu près certain que le retournement économique constaté depuis quelques mois sera affermi par les effets bienfaisants sur la croissance de la suppression de l’ISF, que les départs de Français fortunés se tariront et que les investisseurs et cadres supérieurs étrangers qui fuient la France la considéreront de nouveau avec faveur. Il sera presque impossible d’établir un lien de causalité solide entre ces bonnes nouvelles et la suppression de l’ISF. Mais du moins leur concomitance permettra-t-elle à Emmanuel Macron de dire « Veni, vedi, vici ». Comme tous les politiques, il ne demande rien d’autre.

Décidément, garder la posture sur l’ISF est dans l’intérêt du pays… et dans le sien.

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