LE SACRÉ ET LE SALACE : FLÂNERIES TRADUCTOLOGIQUES À
TRAVERS LA BIBLE ET QUELQUES PASSAGES D’ARISTOPHANE ET
DE MARTIAL
Point de métier plus ingrat que celui de traducteur. Dénoncé comme
traître dans un adage célèbre, il se voit taxé de faussaire, voire de blasphémateur
quand il aborde la parole de Dieu1 ; dans le meilleur des cas, on lui reproche de
produire des « belles infidèles »2. L’accusé se défend en dénonçant à son tour le
mirage d’une communication pleine et substantielle entre un texte source et sa
transposition dans une langue cible donnée. Se plaçant résolument en position
de réécriture, le traducteur refuse de laisser à l’auteur premier la responsabilité
de l’action poétique en se contentant d’une sorte de fonction « ancillaire ». Il
arrive cependant que ces artisans de la langue trahissent, sciemment ou
insciemment, les textes qu’ils ont à charge de traduire sans pouvoir faire valoir
des problèmes d’ordre linguistique insurmontables. Nous verrons, à propos de
deux cas extrêmes – les traductions de la Bible et de quelques textes littéraires
obscènes3 – comment des présupposés religieux ainsi que la pudibonderie des
traducteurs et/ou des lecteurs ont pesé, au cours des siècles, sur la traduction des
textes sacrés et outrageusement défiguré d’innombrables passages dans les
comédies d’Aristophane et les Épigrammes de Martial.
1
« Celui qui traduit littéralement est un faussaire ; celui qui ajoute quelque chose est un
blasphémateur », dit de façon redoutable le Talmud.
2
On sait que Ménage observa malicieusement que telle traduction de Perrot d’Ablancourt lui
rappelait une femme qu’il aima autrefois « et qui était belle mais infidèle ». L’expression
désigne depuis les traductions classiques françaises, très élégantes, conformes au goût et aux
mœurs de l’époque.
3
Nous distinguons ces textes des écrits pornographiques à proprement parler qui doivent
servir à la même fin dans la traduction que dans l’original.
1
1. La Bible
Comme chacun sait, la Bible est un ensemble extrêmement composite, fait
de livres, de styles et de genres très divers, dont la date de composition s’étend
sur une dizaine de siècles (entre 1000 av. J.-C. et env. 100 apr. J.-C.). On ne
possède évidemment aucun des manuscrits originaux, mais seulement des copies
de copies. Les langues employées sont l’hébreu, l’araméen et le grec. La
première traduction des Écritures juives, la Septante4, fut effectuée entre 250 et
117 av. J.-C. La traduction complète en latin de l’Ancien et du Nouveau
Testament, achevée vers 405, fut l’œuvre de saint Jérôme ; cette traduction,
appelée Vulgate, resta jusqu’au 19e siècle l’unique Bible de référence pour le
monde catholique. En 1199, le pape Innocent III interdit aux laïques la lecture
de la Bible à cause des exemples d’immoralité contenus dans certains livres,
mais deux siècles plus tard, vers 1382, le précurseur de la Réforme John
Wycliffe traduisit la Bible du latin en anglais de son temps5.
En 1530, le savant humaniste et prêtre catholique Jacques Lefèvre
d’Étaples publie à Anvers une traduction complète de la Bible du latin en
français, signalant au passage diverses erreurs de la Vulgate par rapport au grec6.
Un énorme travail de recension et de comparaison, initié par Érasme, aboutit en
1550 au texte grec publié par Robert Estienne ; ce textus receptus, ou « texte
reçu », sera utilisé comme référence jusqu’au début du 19e siècle.
Après le développement de la Réforme en France et en Suisse, les
protestants souhaitent disposer eux aussi d’une traduction de la Bible. Dès 1535,
4
La Bible Grecque ou Septante, destinée aux Juifs de la diaspora, comprend la Bible
hébraïque – le Pentateuque, les Prophètes et les Écrits – ainsi que des livres
deutérocanoniques et apocryphes. On ne croit plus guère à la légende des 70 traducteurs
d’Alexandrie, produisant par miracle (sans se consulter) le même texte.
5
Dans les lignes qui suivent, nous ne citerons que les traductions les plus importantes. Pour
une histoire complète des traductions de la Bible en France, voir Daniel Lortsch, Histoire de
la Bible en France, Paris et Genève, 1910.
6
Lefèvre d’Étaples fut persécuté jusqu’à être condamné au bûcher à cause de son action en
faveur de la Bible. Grâce à la protection du roi François Ier, il put échapper aux sanctions
judiciaires.
2
Pierre-Robert Olivétan, un cousin éloigné de Calvin, publie une Bible en
français à partir des originaux hébreu et grec. Révisée à plusieurs reprises par
des théologiens de Genève – d’où son appellation Bible de Genève – la
traduction d’Olivétan connaît un succès considérable et s’impose comme la
référence pour le protestantisme de langue française jusqu’au début du
18e siècle, où elle subit d’importantes corrections dues aux pasteurs David
Martin (1707), puis Jean-Frédéric Ostervald (1744). Sa révision de 1910 est
connue sous la dénomination « Bible synodale »7.
Du côté catholique, l’Église atténue peu à peu son opposition à la
diffusion de la Bible. En 1550 paraît à Louvain une traduction corrigée de la
Bible de Lefèvre d’Étaples, en accord complet avec la Vulgate, déclarée la seule
Bible inspirée de Dieu par le concile de Trente ; révisée en 1578, elle connut un
succès exceptionnel jusqu’au triomphe de la Bible de Port-Royal, publiée
d’abord en 1696, puis avec des « Notes courtes » en 1699-1700, sous la
direction de Louis-Isaac Lemaître de Sacy. Sa carrière va durer deux siècles.
Il faut attendre le milieu du 19e siècle pour voir remplacées les Bibles
« canoniques » des catholiques et des protestants. En 1859, le prédicateur
protestant John Nelson Darby traduit les Écritures saintes directement à partir
des textes hébreu et grec en trois langues (français, anglais et allemand) ; sa
version a pour particularité d’être très littérale, de vouloir avant tout respecter le
texte, en sacrifiant au besoin l’élégance du style, voire la clarté du texte traduit.
Entre 1873 et 1880, le théologien suisse Louis Segond fait paraître une nouvelle
version française de la Bible, suivie immédiatement par la publication, à
Neuchâtel, de l’Ancien Testament sous le titre La Bible annotée, par une société
de théologiens et de pasteurs (1879-1900). Mais c’est la révision de la
traduction Segond, effectuée en 1910, qui va s’imposer du côté protestant au
7
Une révision de la Bible Ostervald a encore parue en 1996.
3
20e siècle8. De 1894 à 1904 paraît la traduction complète de la Bible du
chanoine Augustin Crampon, utilisée par les catholiques jusqu’aux années
quarante. Entre 1948 et 1954, l’École biblique et archéologique française de
Jérusalem fait paraître sa « Bible de Jérusalem », qui devient très rapidement le
texte français de référence. Une version remaniée a parue en 1973, la dernière
révision importante date de 1998. La dernière en date des Bibles modernes est la
TOB, ou « Traduction Œcuménique de la Bible » (1972-1975), due aux
meilleurs spécialistes catholiques, protestants et orthodoxes (plus de cent
collaborateurs). Citons enfin les Évangiles de l’ACÉBAC (Association
catholique pour l’étude de la Bible au Canada) parus en 1980 ; La Bible
expliquée, une traduction interconfessionnelle de la Bible « en français courant »
avec des commentaires, lancée par la Société biblique française en 1985 ; et
enfin, la traduction « ultralittérale » d’André Chouraqui (1974-77, 1985).
Il n’est pas nécessaire d’être un philologue averti pour deviner que cette
grande multitude de copies ait produit un texte de base peu sûr dont les
différentes traductions, traductions de traductions et retraductions présentent en
de nombreux endroits des versions fort divergentes, voire opposées9. Deux
exemples, pris respectivement dans l’Ancien et le Nouveau Testament,
8
Une Nouvelle Bible Segond a paru en 2001.
Le respect superstitieux professé pour la lettre même de l’Écriture avait jusqu’au 17e siècle
empêché l’esprit critique de s’exercer sur les livres considérés comme canoniques ; tout au
plus parmi les commentateurs juifs du Moyen Âge s’en était-il trouvé un ou deux assez hardis
pour élever quelques doutes sur l’attribution à Moïse de toutes les parties du Pentateuque ou à
Josué du livre qui porte son nom. L’incertitude même du texte en maint endroit, les difficultés
considérables de lecture qu’il présente, le désaccord existant parfois entre le texte hébreu
traditionnel (massorétique) et d’autres textes, en particulier la version des Septante et la
traduction latine de saint Jérôme, ne paraissent avoir éveillé l’attention d’aucun érudit avant le
théologien réformé Louis Cappel ; dans ses livres Arcanum punctationis revelatum (1624) et
Critica sacra (1650), cet hébraïsant eut le mérite d’établir que la façon dont l’Ancien
Testament était lu et compris reposait sur une tradition relativement récente, que ni les pointsvoyelles, ni même les consonnes du texte hébreu ne pouvaient être considérés comme faisant
partie de la révélation primitive. Du côté catholique, l’oratorien Jean Morin, dans ses
Exercitationes biblicæ (1633), soutenait la thèse qu’au texte hébreu, falsifié d’après lui en
maints endroits, l’on devait préférer le texte grec des Septante et celui de la Vulgate,
réellement inspirés par Dieu.
9
4
montreront que la traduction de certains passages de la Bible résulte d’un parti
pris théologique que les lecteurs de bonne foi sont généralement incapables de
déceler.
1.1. Une action sanglante du roi David
Dans l’article David du Dictionnaire philosophique, Voltaire cite un
passage de l’Ancien Testament en paraphrasant la traduction de Lemaître de
Sacy10 :
David s’empare de tout le royaume. Il surprend la petite
ville ou le village de Rabbath, et il fait mourir tous les habitants
par des supplices assez extraordinaires : on les scie en deux, on
les déchire avec des herses de fer, on les brûle dans des fours à
briques. Manière de faire la guerre tout à fait noble et généreuse
(2e Rois, chap. 1211).
La dernière phrase ne se trouve cependant pas dans le texte biblique : il
s’agit d’un commentaire ironique de Voltaire destiné à souligner le caractère
sanguinaire de David, l’« homme selon le cœur de Dieu » comme le veut la
tradition. Mais peut-être Voltaire a-t-il forcé le trait ? Le lecteur moderne peut
rapidement aboutir à cette conclusion car il suffit d’ouvrir n’importe quelle
Bible contemporaine pour lire une toute autre version de ce passage. Voici
comment la TOB (1972-75) traduit la fin de cet épisode sanglant : « Quant à la
population, il la fit partir pour la mettre à manier la scie, les pics de fer et les
haches de fer. Il les affecta au moulage des briques. » Commentaire des
traducteurs (ajouté en note) : « Cette phrase semble signifier que David a
astreint les Ammonites captifs à des travaux forcés. Aram. (cf. 1 Ch. 20.3)
comprend que David les supplicia au moyen des instruments énumérés. – Litt. Il
les fit passer au moule à briques. Traduction incertaine du texte lu (suivi par gr.
10
Voltaire, Dictionnaire philosophique. Présentation, notes, choix de variantes, annexe,
chronologie, bibliographie, index par Gerhardt Stenger, Paris, GF Flammarion, 2010, p. 248.
11
Aujourd’hui 2 Sam 12.31.
5
et lat.) »12. En clair, nous sommes en présence de deux traductions possibles,
dont l’une semble signifier que David ait astreint ses ennemis vaincus à des
travaux forcés, et l’autre qu’il les ait suppliciés de manière particulièrement
atroce, notamment en les faisant brûler vifs dans des… fours crématoires. Cette
dernière interprétation du texte, rejetée par les traducteurs, est cependant
cautionnée par un autre passage (1 Ch 20.3) où l’exploit de David est également
raconté. Pour y voir clair, allons au texte.
À défaut de lire l’hébreu, commençons par citer la traduction ultralittérale
d’André Chouraqui (1985-89) : « Il avait fait sortir le peuple qui s’y trouvait et
les avait mis à la scie, aux ciseaux de fer, aux haches de fer. Il les avait fait
passer à la briqueterie ». Cela reste ambigu en français. Dans la Septante, le
texte est traduit de manière plus précise : « καὶ τὸν λαὸν τὸν ὄντα ἐν αὐτῇ
ἐξήγαγεν καὶ ἔθηκεν ἐν τῷ πρίονι καὶ ἐν τοῖς τριβόλοις τοῖς σιδηροῖς καὶ
διήγαγεν αὐτοὺς διὰ τοῦ πλινθείου », ce qui signifie littéralement : « il les mit
dans la scie et dans les outils en fer tridentés, et il les conduisit à travers la
briqueterie ». Même son de cloche dans la Vulgate de saint Jérôme : Populum
quoque ejus adducens serravit, et circumegit super eos ferrata carpenta ;
divisitque cultris, et traduxit in typo laterum. Cette version, canonisée lors du
concile de Trente, est passée dans les traductions ultérieures. Exemples :
– Wycliffe (vers 1380) : « Also he ledde forth the puple therof, and sawide, and
`dide aboute hem `yrun instrumentis of turment, and departide with knyues, and
`ledde ouer bi the licnesse of tijl stoonus » ;
– Lefèvre d’Étaples (1530) : « Et amena le peuple d’icelle / et les sia : et feist
tourner sus eulx des ploutrois ferrez. Et les divisa par cousteaux : et les feist
passer oultre / par la forme des bricques » ;
– Luther (1545) : « Aber das Volck drinnen füret er eraus / und legt sie unter
eisern segen und zacken / und eisern keile / und verbrand sie in Zigelöfen » ;
12
L’abréviation « Aram. » désigne la traduction araméenne de l’Ancien Testament.
6
– Bible de Louvain (1550) : « Et amena le peuple d’icelle, et les scia, et feit
tourner sur eux des herces ferrées. Et les divisa p[ar] coulteaux, et les feit passer,
par la forme des bricques » ;
– Lemaître de Sacy (1696) : « Et ayant fait sortir les habitants, il les coupa avec
des scies, fit passer sur eux des chariots avec des roues de fer, les tailla en pièces
avec des couteaux, et les jeta dans les fourneaux où l’on cuit la brique. C’est
ainsi qu’il traita toutes les villes des Ammonites » ;
– Martin/Ostervald (1744) : « Il emmena aussi le peuple qui y était, et le mit
sous des scies, et sous des herses de fer, et sous des haches de fer, et il les fit
passer par un fourneau où l’on cuit les briques ».
Cette « manière de faire la guerre tout à fait noble et généreuse »
(Voltaire) de l’homme selon le cœur de Dieu a évidemment quelque chose de
choquant. Au début du 18e siècle, dom Calmet propose un commentaire savant
du passage tout en essayant d’expliquer la cruauté de David à ses lecteurs :
On a des exemples d’hommes sciés avec des scies de fer,
dont on se sert pour scier le bois. Les histoires de Suède et de
Naples, et celle des Turcs, en fournissent plusieurs expériences.
[…] Il y en a qui veulent qu’il les ait fait écraser dans l’endroit
où l’on broie la terre pour faire les briques ; d’autres, qu’on les
ait fait coucher et ensuite écraser dans un terrain raboteux, et
semé de briques ou de tuiles cassées. Mais ce qui paraît le plus
juste, c’est qu’il les fit jeter dans une fournaise ardente. Ce
supplice n’était point inconnu en Orient. […] Tous ces tourments
sont si éloignés de nos manières et nous paraissent si excessifs et
si cruels, surtout dans une guerre où il ne s’agissait que de
venger une insulte faite à des ambassadeurs par un jeune roi, à la
sollicitation de quelques mauvais conseillers, que quelques
habiles gens les ont regardé comme une exagération, ou comme
une suite de la mauvaise disposition de David, dans le temps que,
plongé dans le crime, il avait perdu cet esprit de piété et de
clémence, qui l’avait jusqu’alors fait admirer.
Mais il y a beaucoup d’apparence que David n’exerce
envers eux ces supplices, que parce qu’eux-mêmes les exerçaient
ordinairement envers les Hébreux pris à la guerre. […] Il est à
présumer que David ne suivit en cela que les lois communes de
la guerre de ce temps-là ; ou que les Ammonites s’étaient attiré
7
ce châtiment par des actions précédentes, qui ne nous sont point
connues : ce qui est certain, c’est que l’Écriture ne reproche rien
sur cela à David […]13
Jusqu’aux années 1870, la version hard du passage prévaut dans toutes les
traductions. Celle de Pierre Giguet (1872) est on ne peut plus claire : « Il
emmenait tout le peuple qui l’habitait, et il l’extermina en plaçant les uns sous
des scies, sous des herses de fer, sous des cognées de bûcherons ; en jetant les
autres dans les fours à briques »14. À la fin du 19e siècle, les atrocités commises
par David commencent cependant à poser problème. La Bible annotée de
Neuchâtel (1879-1900) rapporte qu’« un grand nombre de savants ont pensé que
David les avait seulement condamnés aux travaux forcés pour la fabrication des
instruments de fer », mais précise aussitôt que « les termes du texte se prêtent
difficilement à cette interprétation ». Ce n’est qu’au 20e siècle qu’une nouvelle
traduction, « politiquement correcte », va soudainement s’imposer :
– Bible de Jérusalem (1955) : « Quant à sa population, il la fit sortir, la mit à
manier la scie, les pics ou les haches de fer et l’employa au travail des briques ».
– La Bible expliquée (1985) : « David déporta les habitants et les affecta à des
travaux forcés, en tant que scieurs et tailleurs de pierres, bûcherons, ou mouleurs
de briques ».
Le phénomène que nous venons de décrire s’observe aussi dans les autres
langues. Depuis 1611, on lisait dans la célèbre King James Version : « And he
brought forth the people that were therein, and put them under saws, and under
harrows of iron, and under axes of iron, and made them pass through the brickkiln » ; à partir de 1975, la New King James Version propose : « And he brought
out the people who were in it, and put them to work with saws and iron picks
13
Dom Augustin Calmet, Commentaire littéral sur tous les livres de l’Ancien et du Nouveau
Testament. Les deux premiers livres des Rois. Tome premier, Paris, 1720, p. 527.
14
Lecteur de dom Calmet, le traducteur précise dans une note : « Tel était dans ces temps le
droit de la guerre suivant lequel David tirait vengeance du cruel affront subi par ses
envoyés ».
8
and iron axes, and made them cross over to the brick works ». La New
International Version (1973-84), quant à elle, propose : « and brought out the
people who were there, consigning them to labor with saws and with iron picks
and axes, and he made them work at brickmaking »15.
Même chose en allemand :
– Elberfeld (1871) : « Und das Volk, das darin war, führte er hinaus und legte es
unter die Säge und unter eiserne Dreschwagen und unter eiserne Beile (oder
Sensen) und ließ sie durch einen Ziegelofen gehen » ; nouvelle traduction en
1985 : « Das Volk aber, das darin war, führte er heraus und stellte es an die
Steinsäge, an die eisernen Pickel und an die eisernen Beile und ließ sie als
Sklaven an den Ziegelformen arbeiten. »
– Lutherbibel 1984 : « Aber das Volk darin führte er heraus und stellte sie als
Fronarbeiter an die Sägen, die eisernen Pickel und an die eisernen Äxte und ließ
sie an den Ziegelöfen arbeiten ».
Quel est le mot de la fin ? Existe-t-il une traduction « correcte » de notre
passage ? David fit-il couper les Ammonites en morceaux ou les condamna-t-il
seulement aux travaux forcés ? Le pasteur Alexandre Westphal opte résolument
pour une interprétation soft des événements :
Dans les deux derniers passages, la Version Synodale et d’autres
portent que lors du siège et de la prise de Rabba, Joab16 « fit
sortir les habitants et les plaça sous des scies, des herses de fer et
des haches de fer et les fit passer par des fours à briques ». Ce
serait barbare... mais le texte est à rectifier ; il dit simplement que
Joab employa les vaincus au travail des forges, à la fabrication
des briques : il les mit aux scies, aux pics de fer et aux haches, et
les fit travailler au « moule à briques », comme dit Crampon17.
Quant aux fameux fours à briques, « c’étaient probablement des ‘moules à
briques’, et il est vraisemblable qu’il faut lire dans 2 Sa 12.31 : ‘...les fit
15
On lit en note : « The meaning of the Hebrew for this clause is uncertain ».
Il s’agit en réalité de David.
17
Alexandre Westphal, Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Paris, Éditions « Je sers »,
1932, article Herse.
16
9
travailler au moule à briques’, et non plus : ‘...les fit jeter dans des fours à
briques’ »18. L’auteur n’en est pas vraiment sûr, il tient la chose seulement pour
probable, mais comme David n’était pas un barbare, il convient de rectifier le
texte. Trente ans plus tard, un érudit croit avoir trouvé la solution. Dans une
étude qui commence par la phrase fort significative « It is important, to Jews and
to Christians alike, finally to absolve David, noblest of Hebrew kings, and most
illustrious ancestor of Jesus, ‘Son of David’, from the charge of having
perpetrated an atrocious genocide »19, il prétend qu’il faut traduire ainsi la
première partie de notre passage : « And the people who were in her (the city) he
brought out and set at tearing her down, even with iron crows and iron
mattocks »20 (« Et les gens qui s’y trouvaient [dans la ville], il les fit sortir et les
employa à la démolir, même avec des corneilles [sic] de fer et des pioches de
fer »). En ce qui concerne la deuxième partie du verset 31, il propose la
traduction suivante : « And he made them transgress against (i.e., desecrate,
violate or destroy) the Molechs »21 (« il les fit transgresser, c’est-à-dire
désacraliser, violer ou détruire, les Molochs »), arguant que le mot hébreu
MLKN désignant les fours à briques signifie en réalité « dans le lieu de
Molech », c’est-à-dire dans le feu où les Ammonites faisaient passer leurs
enfants à Moloch. Plus circonspect, ou ignorant peut-être les conjectures
évoquées, Dominique Barthélemy résume enfin l’état de la question comme il
suit :
C’est Hoffmann qui a démontré que le vrai sens de ce mot
n’est pas « four » mais « moule » à briques, retrouvant ainsi sans
le savoir l’interprétation du karaïte Yéfet ben Ely qui traduit […]
« dans la forme à briques », ce qui correspond exactement au « in
typo laterum » de la V[ulgate]. Mais Hoffmann se distingue de
Yéfet en ce que celui-ci imaginait que David, après avoir haché
18
Ibid., article Four.
G. C. O’Ceallaigh, « ’And so David did to all the cities of Ammon », dans Vetus
Testamentum, 12, 1962, p. 179.
20
Ibid., p. 184.
21
Ibid., p. 185.
19
10
menu les Ammonites, avait pétri leur chair avec de l’argile pour
en faire des briques, ou bien encore que David avait pris les
nourrissons et les avait placés dans un moule à briques, laissant
en vie les plus malingres qui logeaient dans le moule, mais tuant
ceux qui n’entraient pas dans le moule parce qu’ils étaient bien
en chair.
On comprend que Hoffmann […] préfère ne pas imaginer
par quel procédé on avait fait « passer » les Ammonites dans le
moule à briques, mais propose de corriger [en] « et il les fit
travailler au moule à briques ».
Conclusion : « Il faudra que l’exégèse résiste à l’interprétation non fondée
de […] ‘four (à briques)’ et interprète : ‘et il les affecta au moulage des
briques’ »22. L’honneur de David est sauf23 !
1.2. Le Gloria
Notre deuxième exemple est emprunté au Nouveau Testament : il s’agit
d’un passage du Gloria (Luc 2.1424), cet hymne bien connu dont les premières
paroles reprennent le cantique des anges à Bethléem. Les paroles du chant
reprennent le texte de la vetus latina25 : Gloria in excelsis Deo et in terra pax
hominibus bonæ voluntatis. Traduction : « Gloire à Dieu, au plus haut des cieux,
et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ». En revanche, on lit dans la
Vulgate de saint Jérôme : Gloria in altissimis Deo et in terra pax in hominibus
bonæ voluntatis. Traduction : « Gloire à Dieu, au plus haut des cieux, et paix sur
la terre parmi les hommes de bonne volonté ». Disons que c’est la même chose,
22
Dominique Barthélemy, Critique textuelle de l’Ancien Testament. Rapport final du Comité
pour l’analyse textuelle de l’Ancien Testament […], Fribourg et Göttingen, 1982-, t. I, p. 264.
23
Nous avons limité notre étude, de manière un peu arbitraire il est vrai, aux traductions
chrétiennes de la Bible. On admirera sans retenue la solution trouvée par la Bible du Rabbinat
(1902, rév. 1966) : « Il emmena le peuple qui s’y trouvait, le condamna à la scie, aux herses
de fer, aux haches de fer, l’envoya au four à briques, et il en usa de même à l’égard de toutes
les villes des Ammonites. »
24
À comparer avec Is 57.19-21 : « Paix, paix à celui qui est loin et à celui qui est près ! dit
l’Éternel. Je les guérirai. Mais les méchants sont comme la mer agitée, Qui ne peut se calmer,
Et dont les eaux soulèvent la vase et le limon. Il n’y a point de paix pour les méchants, dit
mon Dieu » (Segond).
25
Vetus latina désigne les textes bibliques traduits en latin avant la Vulgate de saint Jérôme.
11
avec ou sans la préposition in26.
C’est bien ce qu’on lit dans la première traduction anglaise (nous ne
citons plus désormais la première partie de la phrase, qui ne pose pas de
problème de traduction) :
– Wycliffe (vers 1380) : « in erthe pees be to men of good wille ».
Mais ce n’est pas ce qu’on lit dans la première traduction française :
– Lefèvre d’Étaples (1530) : « en terre / paix : aux homes bonne volunte ».
Même chose dans la première traduction allemande :
– Luther (1545) : « Friede auff Erden / Und den Menschen ein wolgefallen »
(« paix sur la terre et bienveillance envers les hommes »).
Mais voici une troisième traduction qui arrive sur le marché :
– Lemaître de Sacy (1696) : « paix sur la terre aux hommes chéris de Dieu ».
Désormais, les trois traductions sont concurrentes :
– Martin/Ostervald (1744) : « que la paix soit sur la terre et la bonne volonté
dans les hommes ! »
– Darby (1859) : « sur la terre, paix ; et bon plaisir dans les hommes ! »
– Segond (1910) : « paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée27 ! »
– Crampon (1894-1904) : « paix chez les hommes de bon vouloir ! »
– La Bible expliquée (1985) : « paix sur la terre pour ceux qu’il aime ! »
– Chouraqui (1985-89) : « paix sur terre aux hommes de bon gré ! »
Quelle est l’explication de ce phénomène ? Elle est très simple. Il existe
en réalité deux versions grecques du texte :
– δόξα ἐν ὑψίστοις θεῷ καὶ ἐπὶ γῆς εἰρήνη ἐν ἀνθρώποις εὐδοκία ;
– δόξα ἐν ὑψίστοις θεῷ καὶ ἐπὶ γῆς εἰρήνη ἐν ἀνθρώποις εὐδοκίας28.
26
Il existe en réalité de nombreuses autres différences de détail (in altis Deo, super terra,
super terram,…). Voir Bibliorum sacrorum latinorum versiones antiquae, Reims, 1743, t. III,
p. 267-268.
27
C’est-à-dire recevoir favorablement, trouver bon.
28
ἐν ἀνθρώποις εὐδοκίας : *אA B* D W pc itd vgww vgst copsa goth Origengr(2/5) Origenlat
Cyril-Jerusalem Gaudentius Jerome4/15 Augustine2/41 NR CEI ND Riv TILC Nv NM ;
12
Dans la première version, le dernier mot (εὐδοκία) est au nominatif, dans
la deuxième, il est au génitif (εὐδοκίας). Le mot εὐδοκία, d’origine
néotestamentaire, est revêtu de trois significations :
1. bonne volonté, bienveillante intention, bienveillance ;
2. délices, plaisir, satisfaction ;
3. désir.
La traduction correcte de la première version est : « Gloire à Dieu au
Ciel ! Paix sur la terre ! Bienveillance envers les hommes ! » C’est ainsi que
traduisirent Lefèvre d’Étaples et Luther. Cette version, qui donne le même rôle
dans la phrase aux trois mots gloire, paix et bienveillance, « divise le cantique en
trois sentences, dont les deux premières sont parallèles, et dont la troisième
indique la cause ou le fondement des deux autres »29. On a objecté qu’elle
péchait par la répétition de la même idée dans les deux derniers membres de la
phrase (paix et bienveillance) ainsi que la présence de la conjonction et qui, ne
s’y trouvant qu’une fois (entre la gloire et la paix), divise la phrase en deux
termes (ciel et terre), sans opposer la terre et les hommes30. Mais ce sont là des
considérations littéraires et stylistiques qui ne conviennent pas forcément aux
auteurs du Nouveau Testament : s’ils étaient inspirés par Dieu, ils n’écrivaient
pas comme Platon.
Passons à la deuxième version maintenant. Nous avons alors le choix
entre deux traductions possibles du génétif εὐδοκίας, qui ne signifient pas du
hominibus bonæ voluntatis : ita itaur itb itβ itc ite itf (itff2) itl itq itr1 vgcl Irenaeuslat Origenlat
Ambrosiaster Hilary Athanasiuslat Ambrose Chromatius Jerome11/15 Augustine39/41 ; ἐν
ἀνθρώποις εὐδοκία : א2 B2 E G H K L P Δ Θ Ξ Ψ 053 0233vid f1 f13 28 157 180 205 565
579 597 700 892 1006 1009 1010 1071 1079 1195 1216 1230 1241 1242 1243 1253 1292
1342 1344 1365 1424 1505 1546 1646 2148 2174 Byz Lect syrpal(mss) copbo arm eth geo slav
Origen2/5 Jacob-Nisibis Eusebius Philo-Carpasia Basil Apostolic Constitutions GregoryNazianzus Didymus Epiphanius Chrysostom Severian Marcus Eremita Paul-Emesa Cyril
Proclus Theodotus-Ancyra Hesychius Teodoret Ps-Athanasius Cosmas Ps-GregoryThaumaturgus ς Dio.
29
Note de la Bible de Neuchâtel.
30
Voir A. Westphal, op. cit., art. Gloire.
13
tout la même chose. Si l’on voit dans le génétif un complément subjectif, on
comprend : aux hommes qui possèdent εὐδοκία, c’est-à-dire aux hommes « de
bonne volonté » (c’est la version du Gloria) ; si l’on y voit un complément
objectif, on doit comprendre : aux hommes qui reçoivent εὐδοκία de Dieu, aux
hommes « objet de (sa) bienveillance », aux hommes « qu’il agrée ».
Il est frappant de constater que le choix entre les deux leçons manuscrites
et les différentes traductions dépend de considérations théologiques importantes.
Voici comment dom Calmet a expliqué la version canonique de la Vulgate
(« aux hommes de bonne volonté ») :
[…] qui ont le cœur droit ; qui attendent avec empressement la
venue de leur Libérateur ; qui sont disposés à le revecoir ; qui
sont à lui par la disposition de leur cœur ; que Dieu a prévenus de
ses grâces ; qu’il a aimés, qu’il a prédestinés, qu’il a prévus de
toute éternité, par un effet de sa miséricorde. Ce sont là les
hommes de bonne volonté, dont l’Ange parle en cet endroit : ce
sont ceux dans qui Dieu a mis un cœur docile, et dont il a changé
la volonté par sa grâce toute puissante ; mais il y avait une
infinité de Juifs corrompus et endurcis, qui par la mauvaise
disposition de leur cœur méritainet d’être privés du bonheur, et
de la paix qu’il venait leur apporter. JESUS-CHRIST devait être la
ruine des uns, et la résurrection des autres31. Salut, et paix aux
bons ; et malheur aux méchants32.
Cette interprétation ne fait cependant pas l’affaire des protestants, comme
l’explique la Bible annotée de Neuchâtel (1900), qui opte résolument pour
l’autre leçon (εὐδοκία). Pourquoi ? parce qu’elle traduit la « manifestation de la
miséricorde infinie de Dieu, de sa bienveillance envers les hommes » ; les anges
« chantent ce qui est, dans le dessein de Dieu, et ce qui sera pleinement réalisé
en tous ceux qui auront part à la rédemption qu’ils annoncent ». La version
catholique du Gloria, en revanche, n’est pas recevable selon les commentateurs :
Elle donne au dernier membre de la phrase un autre tour et,
si l’on adopte l’explication vulgaire, un sens tout différent : Paix
31
32
Luc 2.34. [Note de dom Calmet]
Commentaire littéral […]. Les Évangiles de St Marc et de St Luc, Paris, 1730, p. 314.
14
sur la terre aux hommes de bonne volonté.
Nous aurions donc ici l’expression, non de la bienveillance
de Dieu, de son amour, mais d’une disposition du cœur de
l’homme nécessaire pour avoir la paix. La Vulgate a popularisé
en France cette version, qui convient parfaitement aux tendances
pélagiennes du catholicisme. Mais la leçon du texte reçu a pour
elle des autorités critiques considérables, la plupart des
majuscules et des versions.
L’Évangile de l’ACÉBAC (1983), quant à lui, propose la traduction
« paix sur la terre aux hommes qu’il aime », en l’expliquant ainsi : « L’étude
attentive du texte grec original et de certains textes du premier siècle après le
Christ qui utilisent la même expression (voir les écrits de Qumrân), montre sans
équivoque possible qu’il s’agit des hommes qui sont l’objet de la bienveillance
(« bonne volonté ») divine. Ainsi, le salut n’est pas offert au seul peuple d’Israël,
mais à tous ceux que Dieu aime, c’est-à-dire à tous les hommes »33. Désormais,
le salut est offert à tous les hommes sans exclusive. La TOB propose la même
traduction (« sur la terre paix pour ses bien-aimés ») en expliquant que la
formule « les hommes qui sont l’objet de la bienveillance divine » se retrouve
dans les textes de Qumran, où elle désigne les privilégiés de Dieu ; en revanche,
les commentateurs sont moins sûrs en ce qui concerne l’objet concret de la
bienveillance divine : « Le sens que Luc entend donner à ces mots n’est pas
clair ; ou bien il pense au peuple élu, comme au v. 10, ou bien sa perspective est
universaliste et ce sont tous les hommes qui sont l’objet de la bienveillance,
comme en 3.6 ».
Au 20e siècle, et malgré le texte bien connu du Gloria, c’est cette dernière
traduction, la plus « arrangeante » disons, qui va généralement s’imposer dans
les traductions :
33
Même avis chez les commentateurs de la Bible de Neuchâtel : « Et même en admettant la
variante [εὐδοκίας], il faut traduire : aux hommes de la bienveillance (de Dieu), […] car le
mot grec exprime, non un sentiment de l’homme envers Dieu, mais une disposition
miséricordieuse de Dieu envers l’homme. (Matthieu 11.26 ; Ephésiens 1.5,9 ; Philippiens
2.13) ».
15
– Bible de Jerusalem (1948-54) : « et sur la terre paix aux hommes objets de sa
complaisance ! »
– Bible de la liturgie (1977) : « paix sur la terre aux hommes qu’il aime ».
– La Bible expliquée (1985) : « paix sur la terre pour ceux qu’il aime ».
– Hoffnung für alle (1982-96) : « er bringt der Welt Frieden und wendet sich
den Menschen in Liebe zu ».
– New International Version (1973-84) : « and on earth peace to men on whom
his favor rests ».
Arrivés à la fin de notre parcours, nous ne pouvons qu’approuver la
conclusion d’un spécialiste – dont la « bonne volonté » est au-dessus de tout
soupçon – selon laquelle les différents traducteurs de la Bible « se sont laissé
conduire par des considérations doctrinales au lieu de s’en tenir à des
considérations purement linguistiques »34. La même remarque vaut peu ou prou
pour les retraductions d’Aristophane et de Martial, sauf que les considérations
doctrinales cèdent la place à des considérations d’ordre esthétique et moral.
Nous verrons dans notre deuxième partie comment certains textes, défigurés
voire censurés par leurs premiers traducteurs, sont peu à peu jugés dignes d’être
présentés sans fard aux lecteurs.
2. Aristophane et Martial
L’Antiquité classique ignorait à peu près complètement les bienséances.
Elle appelait un chat un chat quand, au 19e siècle, le mot mouchouir faisait
encore frissonner les puristes de la Comédie-Française. Il fut longtemps
impossible de traduire correctement les grasses plaisanteries dont Aristophane
agrémentait ses comédies, ou certaines épigrammes particulièrement obscènes
de Martial : on avait recours à de pâles et mensongères contrefaçons dans le cas
du premier, et à la censure ou à la paraphrase inintelligible dans le cas du
34
Jean-Marc Babut, Lire la Bible en traduction, Paris, Cerf, 1997, p. 109.
16
second. Pudibonderie de la part des traducteurs ou simple respect des
bienséances, d’un « horizon d’attente » esthétique (supposé ou réel) du public ?
Une recherche approfondie le dirait peut-être. Nous nous sommes contentés,
dans les pages qui suivent, de montrer, au gré de quelques exemples choisis au
hasard, comment la langue leste et truculente, truffée de calembours et de
grivoiseries, de nos deux auteurs a longtemps été défigurée par des traductions
châtiées et châtrées, vieillottes et raides. Nous constaterons toutefois que cette
pratique appartient heureusement au passé : les traducteurs modernes ont fini par
comprendre que des écrivains comme Aristophane et Martial, mais aussi Lucien,
Juvénal et bien d’autres encore sont des auteurs perdus si on continue à les
traduire dans une langue rasoir et prude.
2.1. Aristophane
Commençons par la comédie bien connue de Lysistrate (411 av. J.-C.).
On sait que l’héroïne éponyme de la pièce propose à ses congénères de forcer les
hommes à faire la paix en refusant dorénavant tout rapport sexuel avec eux, ce
qu’elle exprime tout simplement par (v. 124) : « Il faut nous abstenir du pénis
(τοῦ πέους) ». En voici les premières traductions :
– Poinsinet (1784) : « Eh bien, Mesdames, c’est l’office conjugal qu’il s’agit de
suspendre… »
– Artaud (1830) : « Il faut donc nous abstenir des hommes… »
– Talbot (1897) : « Il faut nous abstenir de la cohabitation ».
– Willems (1919) : « Eh bien, il faut nous abstenir du cas. (Grand émoi parmi
les femmes) ».
Il y a au moins l’idée – complétée par une indication scénique dans la
traduction belge au cas où elle ne fût pas comprise –, mais pas encore la chose.
Au début du 20e siècle, la collection Guillaume Budé ose enfin la nommer, et les
Classiques Garnier emboîtent immédiatement le pas :
17
– Van Daele (1923-30) : « Eh bien, il faut vous abstenir… du membre35 ».
– Alfonsi (1932) : « Eh bien, nous devons nous priver de… verge ».
La traduction est encore fort raide, si l’on ose dire, mais la digue est
rompue. Désormais les traducteurs vont s’ingénuer à imiter le style
d’Aristophane, qui tient davantage du langage des halles que du dictionnaire
médical :
– Debidour (1965-66) : « Eh bien, il nous faut renoncer au zob ».
– Thiercy (1997) : « Eh bien, nous devons nous passer de quéquette ! »
– Bianchi/Meltz (2003) : « Nous devons… nous passer de… bites ».
La proposition faite par Lysistrate indispose sérieusement les femmes
présentes qui commencent par rejeter vigoureusement l’idée de faire la grève
conjugale. Devant ce refus, Lysistrate s’exclame (v. 137) : « Ô sexe tout selon
les fesses (παγκατάπυγον) que le nôtre ! »36 Comme le mot grec n’a aucun
équivalent en français, les traducteurs se sont longtemps contentés d’une simple
paraphrase :
– Poinsinet (1784) : « Ô scandaleuse intempérance des femmes ! »
– Artaud (1830) : « Ô sexe dissolu ! »
– Talbot (1897) : « Ô lubricité commune à tout mon sexe ! »
– Willems (1919) : « Ô sexe tout entier voué à la luxure ! »
– Van Daele (1923-30) : « Ô sexe dissoulu que le nôtre tout entier ! »
– Alfonsi (1932) : « Ô sexe tout à fait débauché que le nôtre ! »
Il faut attendre les années soixante pour lire enfin des traductions
davantage conformes à l’esprit de l’original :
– Debidour (1965-66) : « Ah ! le beau sexe que le nôtre ! Il ne pense qu’à se
faire toujours boucher le petit coin ! »
– Thiercy (1997) : « Ah ! race toujours en rut que la nôtre ! »
35
Dans une note de l’édition de poche (1996), l’éditrice précise : « Peous, pénis ».
L’expression « tout selon les fesses » (ou « selon le cul ») provient de l’édition de poche de
la traduction de Van Daele. Le Dictionnaire grec-français de Bailly (1894) propose, y
compris dans ses révisions, comme unique traduction le pudique « infâme débauché ».
36
18
– Bianchi/Meltz (2003) : « Ah, les femmes… quelle bande de salopes ! »
So shocking ? Le lecteur pudibond n’a encore rien vu. Dans Les
Grenouilles (405 av. J.-C.), Aristophane raconte plaisamment (v. 422430) qu’un certain Clisthène épilait son anus (προκτὸν) sur les tombeaux ; qu’un
Sébinos, du dème d’Anaphlystos et fils d’Hippobinos, combattait sur mer
avec… une vulve (κύσθῳ)37 ! Ce court passage, truffé de doubles sens et de jeux
de mots salaces38, a fait l’objet d’une réécriture à la fin du 18e siècle :
– Poinsinet (1784) : « Il nous est aussi revenu que Clisthène, au lieu de
combattre, s’était caché dans les tombeaux, passant toute cette journée à s’épiler,
des pieds jusqu’au menton, et jusques sous les yeux, pour paraître plus femme.
En outre, il est venu ici un certain Anaphlystien39 qui dit, à qui veut l’entendre,
que Callias, fils d’Hippobinus40, était très reconnaissable dans le combat naval
d’Arginuse, à la crinière de femme, en guise de crinière de lion, qui lui flottait
sur les épaules ». On notera que le « traducteur » n’a rien compris aux goûts
sexuels de Clisthène : ce n’est pas pour ressembler aux femmes qu’il s’épilait les
poils malséants, mais aux jeunes garçons ! Au 19e siècle, on commence au
moins à devenir plus concret :
– Artaud (1830) : « J’appends que Clisthène, sur les tombes des morts, s’épile le
derrière […] il gémit, il se désole, et appelle à grands cris son cher Sébinos
d’Anaphlyste41. On dit aussi que Callias, le fameux fils d’Hippobinos, a pris une
37
Autre lecture : κύσθου. Ναυµαχεῖν peut signifier βινεῖν (voir la note suivante) en grec
argotique.
38
« Ce dernier mot [Anaphlystos] évoque plutôt la masturbation mais n’ajouter qu’une lettre
m’a semblé compenser cette légère inexactitude […]. Dans Sébinos, nom forgé ou
traditionnel, on reconnaît le verbe βινεῖν, baiser, comme deux vers plus bas, pour Callias, fils
d’Hipponicos, mais là, le français fait spontanément la plaisanterie d’Aristophane, qui
transforme Ἱππονίκου en Ἱπποβίνου. » [Note de Thiercy]
39
Le traducteur précise en note que le mot Anaphlystien peut aussi désigner un débauché.
40
Le traducteur explique en note qu’il s’agit d’un « infâme efféminé. Le poète affecte de dire
Hippobinus pour Hipponicus, comme par laps de mémoire ».
41
« L’auteur joue sur les mots, et en tire des équivoques obscènes : Sebinus, de βινεῖν, coire ;
Anaphlyste, bourg de l’Attique ; mais ressemblant au mot ἀναφλᾶν, masturbare. » [Note
d’Artaud]
19
étrange crinière de lion pour combattre sur mer42 ».
– Talbot (1897) : « J’apprends que Clisthène sur les tombeaux s’épile le derrière
[…] il gémit, il appelle Sébinos, d’Anaphlystos. […] l’illustre fils de
Hippobinos, s’est vêtu d’un pelage de lionne, pour aller combattre sur mer ».
– Willems (1919) : « J’ai ouï dire que le fils de [sic] Clisthène, parmi les
tombeaux, s’épilait le derrière […] il se désolait, gémissait et appelait à grands
cris Sébinos, un quidam qui est d’Anaphlyste43. / On dit aussi que Callias, le fils
fameux d’Hippobinos44, prend part aux batailles navales, revêtu d’une
pénillière45 en guise de peau de lion ».
Cette crinière ou pelage de lion ne dit que la moitié des choses. Les
traducteurs de la première moitié du 20e siècle ne pouvaient plus passer sous
silence le jeu de mots :
– Van Daele (1923-30) : « Le fils de Clisthène, ai-je ouï dire, parmi les
tombeaux s’épilait le derrière […] gémissait et appelait en criant Sébinos,
quelqu’un qui est d’Anaphlyste46. / On dit aussi que Callias, celui que vous
savez, le fils d’Hipponicos, s’est mis une vulve en guise de peau de lion pour
livrer un combat naval ».
– Alfonsi (1932) : « Le fils de Clisthène, me suis-je laissé dire, épilait son
derrière ; […] pleurait, appelait à grands cris Sébinos du dème d’Ana(l)…
phlyste. On dit aussi que Callias, ce fils d’Hipponicos, se bat sur mer revêtu
d’un sexe de femme en guise de peau de lion. »
42
« […] ici, il joue encore sur le mot βινεῖν. » [Note d’Artaud]
Dans une note, le traducteur, particulièrement pudibond ou incompétent (ou les deux),
précise : « Nouvelle allusion aux mœurs contre nature de Clisthène. S’épiler le derrière est
mis ici pour s’arracher les cheveux. Sébinos est un nom d’Athénien ; Anaphlyste, un dème de
l’Attique, mentionné dans Hérodote. Mais ces deux mots sont pris au sens étymologique, et
signifient : un paillard tout en rut ».
44
Nouvelle note du traducteur : « Hippobinos signifie un paillard renforcé ».
45
Pénillière : « Poil qui couvre la nature de la femme » (A. Delvau, Dictinnaire érotique
moderne)
46
Le traducteur explique en note le jeu de mots : le héros porte le « nom caractéristique
Sébinos (le verbe βινεῖν désigne les rapports sexuels) du dème d’Anaphlyste (littéralement
l’attouchement, ἀναφλάω) ».
43
20
On aura remarqué qu’un autre jeu de mot s’est glissé dans la dernière
traduction. Désormais, les traducteurs vont rivaliser d’ingéniosité dans leurs
trouvailles respectives, précisant au passage l’endroit précis où Clisthène
s’arrachait les poils :
– Debidour (1965-66) : « Quant au rejeton de Clisthène / […] à ce que l’on m’a
dit, / il s’arrachait les poils du cul / […] en appelant à grands abois Baisemignon
de Branlebourg ! / Et Callias, fils d’Hippobyte, / vous savez ? on dit qu’il a mis /
une peau de lion / pour livrer à coups d’éperon / de houleuses joutes
d’amour. »47
– Thiercy (1997) : « J’ai entendu dire que Clisthène, / sur les tombeaux,
s’arrachait les poils du cul […] pleurait et appelait à grands cris / Sébaise, celui
d’Analphlystos. […] le fils d’Hipponicos, / va au combat navaginal vêtu d’une
peau de lion. »
Les Thesmophories (411 av. J.-C.) contiennent le récit d’un adultère
commis par une jeune femme sur l’autel de l’Apollon Agyée (protecteur des
routes) : ayant rejoint son amant dans la rue, elle se fait prendre « penchée en
avant (κύβδ’ ἐχοµένη), cramponnée au laurier » (v. 479-489). La scène est
décrite d’abord de manière fort sobre, puis de plus en plus imagée :
– Poinsinet (1784) : « J’allai me jeter dans les bras de l’adultère, sans respect
pour le simulacre d’Apollon Agyée, ni pour celui de la pudique nymphe
Daphné, qui se dérobe aux poursuites ardentes de ce Dieu ». Une fois de plus, le
lecteur n’y comprend rien. Qu’est-ce que les statues d’Apollon Agyée et de la
nymphe Daphné viennent faire là-dedans ? Pour le savoir, il faut consulter les
autres traductions :
– Artaud (1830) : « je me livrai à lui, en me penchant sur l’autel d’Apollon, et
me tenant attachée au laurier ».
47
Le lecteur des années 1960 identifiait immédiatement le jeu de mots sur le nom de
Hippobyte alors que les lecteurs modernes se gausseront peut-être d’un nom grec dont la
dernière syllabe fait penser à la taille de la plus petite unité adressable à un ordinateur.
21
– Talbot (1897) : « je m’échappe auprès de mon amant. Je me livre à lui, à demi
couchée sur l’autel du Dieu des Rues, et me tenant attachée au laurier ».
– Willems (1919) : « j’allai trouver mon galant et subir son assaut à côté de
l’Aguieus, courbant l’échine et me tenant au laurier ».
– Van Daele (1923-30) : « je sors et vais trouver mon amant : puis, je
m’arcboutai près de l’Agueius en me courbant et cramponnée à son laurier ».
– Alfonsi (1932) : « je rejoignis mon amant, puis je m’appuyais près du petit
autel du coin, le corps penché, les mains accrochées au laurier ».
Ce n’est pas très clair non plus, y compris dans les éditions universitaires.
Au moins, Artaud propose-t-il une note explicative en bas de page : « κύβδα,
statum et habitum mulieris exprimit se componentis, ut ab amatore iniri possit.
Brunck ». Voici ce que le iniri donne à l’époque des films classés X :
– Debidour (1965-66) : « je m’évade vers mon gigolo. Et alors je me mets en
posture, près de l’Apollon-Voyer, cramponnée au laurier, et… saute bélier ! »
– Thiercy (1997) : « je suis sortie retrouver mon amant. Alors, je me suis fait
baiser / en levrette, près de l’Apollon de la rue, cramponnée au laurier ! »
Dernier exemple. Dans Les Cavaliers (424 av. J.-C.), Aristophane s’en
prend violemment à un certain Ariphradès, dont il est dit (v. 1284-86) qu’il
souille sa langue en des plaisirs immondes, léchant la hideuse rosée dans les
bordels, salissant sa barbe et remuant les vulves (ἐσχάρας)48. Poinsinet s’attaque
vaillamment à ce passage d’une rare obscénité : « c’est ce qui me contraint de
vous le déférer, comme l’être le plus impur, depuis les pieds jusqu’à la tête. Oui,
quiconque ne le regardera pas comme un personnage à fuir, et surtout comme
une langue profane et toute souillée, ne boira jamais avec moi dans une même
coupe ».
Artaud, quant à lui, refuse carrément de traduire ce passage en français
mais en propose une traduction en latin : « Il a fallu ici supprimer trois ou quatre
48
Selon le Dictionnaire de Bailly, ἐσχάρα signifie au singulier « fourneau », au pluriel
« orifice des parties de la femme ».
22
vers. Une langue moderne ne pourrait supporter les turpidudes des expressions
et des images que présente le texte »49. Willems, comme à son habitude, reste
extrêmement évasif : « Il va dans de mauvais lieux humer à même la liqueur
abominable, se souillant la moustache et farfouillant dans les lèvres ».
Talbot est le premier à donner une idée du texte original, même si l’on ne
sait pas d’où il sort la fin de la phrase : « Il salit sa langue des plus honteux
plaisirs, léchant la hideuse rosée des lupanars, souillant sa barbe, caressant les
pustules ». Même dans les éditions universitaires, le sens de la dernière partie du
texte reste dans le vague :
– Van Daele : « « dans les lupanars, il souille sa langue, débauché infâme, par
des lèchements immondes, salissant sa barbe, perturbant les organes ».
– Alfonsi (1932) : « Il souille sa langue en des plaisirs ignobles, se livrant à
d’immondes lèchements dans les mauvais lieux, salissant sa barbe en fouillant
dans les coins ».
Enfin, Debidour (1965-66) tranche avec ses prédécesseurs en ne nous
épargnant aucun détail : « Il met sa langue à toutes sauces en d’abjects délices,
dans les bordels, se pourléchant de glaires immondes, s’engluant la barbe, et
tripatouillant autour du trou ».
Trente ans plus tard, Thiercy (1997) reste plus près du texte (rosée) mais
se trompe sur les sens du dernier mot : « Il souille sa langue dans des plaisirs
honteux, / va dans les bordels lécher la rosée impure, / macule sa moustache,
trifouille les bords du fourneau ».
Osons une première conclusion avant de passer à Martial. Aux 18e et
49
Le recours pudique au latin pour rendre – ou ne pas rendre, voir les éditions de Martial, de
Juvénal, etc. – les passages les plus obscènes n’est pas réservé à la littérature greco-latine ou
aux traités de théologie morale (un classique allemand du genre, traduit en de nombreuses
langues, comporte de nombreux passages du genre « Pollution ist die volle geschlechtliche
Befriedigung cum effusione seminis aber ohne geschlechtlichen Verkehr » dans les articles
concernant le sixième commandement). Dans l’édition anglaise de La Vie sexuelle dans la
Chine ancienne de Robert Van Gulik publiée en 1961, la plus grande partie des traités taoïstes
est donnée en latin ; dans une édition anglaise pourtant édulcorée du Kin P’ing Mei, The
Golden Lotus, les passages les plus vifs parmi ceux qu’on a retenus sont imprimés en latin.
23
19e siècles, les différentes traductions des passages analysés présentent des
versions fortement atténuées, voire incompréhensibles. Cette pudibonderie s’est
même étendue au dictionnaire Bailly, car la traduction « infâme débauché » ne
rend absolument pas le sens de κατάπυγον ! Les mots et expressions salaces ne
sont rendus à peu près correctement que depuis le 20e siècle : les éditions
universitaires ont ouvert le bal, les années soixante ont fait le reste. On a fini par
découvrir derrière un Aristophane traduit dans la langue de Molière, un auteur
dont les cochonneries n’ont rien à envier à celles de nos dramaturges modernes.
2.2. Martial
L’auteur romain Martial est bien moins connu qu’Aristophane, dont les
pièces sont encore représentées aujourd’hui, parfois même par des lycéens. Les
épigrammes de Martial n’ont jamais été exposées à des yeux innocents, elles
s’adressent à des amateurs adultes, férus de latin ou pas. Point besoin de voile
pudique : dès le 19e siècle, des traductions relativement fidèles sinon littérales
existent sur le marché, même si les mots sans amidon ne font leur apparition que
dans les éditions universitaires du 20e siècle50. Cela dit, il manque encore une
traduction moderne et fidèle de l’ensemble des Épigrammes, l’équivalent de la
traduction d’Aristophane publiée par la Pléiade51. Un lecteur qui ne connaît pas
ou peu le latin ne saura pas toujours avec quelle mélange savoureux et
inimitable de poésie et d’obscénité Martial a tourné certaines de ses
épigrammes.
Il est relativement facile de traduire fidèlement les cochonneries
d’Aristophane ; quand il dit en grec « il se fait enculer », on peut traduire par « il
50
Et encore… Le traducteur de la collection Budé, H. J. Izaac, avoue dans son Introduction :
« l’expression est parfois cynique au point de ne pouvoir passer dans une traduction littérale.
[…] j’ai dû parfois atténuer la crudité du texte, dont l’équivalent exact aurait dû être cherché
dans les bas-fonds de notre langue » (t. I, p. xxv et xxxviii-xxxix).
51
En français, il n’existe actuellement que des traductions d’épigrammes choisies, celles de
D. Noguez et de J. Malaplate, qui satisfassent pleinement aux exigences de fidélité à l’orginal.
24
se fait enculer » en français. Avec Martial, c’est autre chose : une traduction
littérale non seulement ôte tout caractère poétique aux épigrammes, mais il y a
des passages où l’on peut faire trop ou pas assez. C’est une poésie érotique qu’il
est parfois malaisé de rendre52. Voyons quelques exemples :
1. Livre III, 71 : Mentula cum doleat puero, tibi, Nævole, culus, / non sum
divinus, sed scio quid facias. (« Tandis que ton mignon souffre de la verge, toi,
tu souffes du cul. »)
– Marolles (1655) : « Quelque chose faisant mal à ton garçon, et quelqu’autre
chose à toi, Neuole ; je ne suis pas devin, mais je sais bien ce que tu fais. »
Si le lecteur n’est pas devin non plus, il aura du mal à comprendre de quoi
souffrent les deux garçons…
– Volland (1807) : « Ton garçon ressent des douleurs à la béquille, tu souffres
des f… ; je ne suis pas devin, mais je sais ce que tu fais. »
Le mot béquille pour désigner le pénis appartient au vocabulaire
argotique ; malgré les points de suspension au mot « fesses », on commence à
comprendre l’enjeu de l’épigramme. Même chose dans la traduction suivante :
– Simon (1819) : « Ton jeune esclave est atteint d’un mal honteux ; tu te plains
d’une maladie analogue à la sienne ; je ne suis pas sorcier mais je connais vos
ébats. »
Le « mal honteux » désigne assez clairement la nature des « ébats », du
moins au lecteur averti. L’amateur de mots savants – la mentule désigne
effectivement le pénis – déchiffrera sans peine les traductions suivantes :
– Verger (1834-35) : « Tandis que ton jeune esclave souffre de la mentule, toi,
Névolus, tu souffres de la partie opposée : je ne suis pas devin, mais je sais ce
que tu fais. »
– Dubos (1841) : non traduit.
52
Voir aussi Pierre Laurens, « Traduire Martial », dans Revue d’études latines, 76, 1998,
p. 200-215. Laurens y plaide pour un art de traduire qui à la fois respecte à la fois la densité
poétique, la brièveté et le rythme des épigrammes.
25
– Nisard (1842) : « Tandis que ton jeune esclave souffre de la mentule, toi,
Névolus, tu souffres du derrière. Je ne suis pas sorcier, mais je sais ce que tu
fais. »
– B*** (1842-43) : « Quand je vois ce jeune garçon souffrir de sa mentula, et toi
de ton derrière, Nævolus, je ne suis pas sorcier, mais je sais bien quel rôle tu
remplis » (t. III, p. 193).
La révolution, à nouveau, vient de l’édition universitaire. Au début du
20e siècle, la verge et le cul apparaissent dans la collection Guillaume Budé :
– Izaac (1930-33) : « Ton jeune esclave a mal à la verge ; toi, Névolus, tu as mal
au cul. Je ne suis pas sorcier : mais je devine ce que tu fais. »
Cinquante ans plus tard, les traducteurs n’hésitent plus à appeler un chat
un chat :
– Noguez (1989) : « C’est du cul que tu souffres et ton boy de la queue : / Je
devine aisément de l’affaire le nœud ».
– Malaplate (1992) : « Ton esclave a mal à la … [pine] / Toi, c’est au cul. À ces
effets, / Sans être devin je devine, / Ô Névolus, ce que tu fais ».
2. Livre III, 72 : Vis futui […] aut infinito lacerum patet inguen hiatu / aut
aliquid cunni prominet ore tui. (« Tu veux être baisée […] ou bien ton sexe
déchiré (ou mutilé) présente une fente énorme, ou bien quelque chose dépasse
de l’orifice de ton con. »)
– Marolles (1655) : « Tu veux faire la coquette, […] ou quelque chose de pis ».
C’est tout ce que le bon abbé de Marolles consent à traduire. Les versions
suivantes restent assez dans le vague : les traducteurs s’en sortent en ayant
recours aux paraphrases ainsi qu’aux mots argotiques et savants.
– Volland (1807) : « tu veux que te t’aime […]. Ton anneau déchiré paraît-il un
gouffre, et quelque proéminence en dépare-t-elle l’entrée ? »
– Simon (1819) : « Vous voulez bien vous livrer tout entière – auriez-vous sur le
corps quelqu’ouverture exagérée, quelque tumeur extraordinaire ? »
– Verger (1834-35) : « Tu veux que je te fasse goûter les plaisirs de Vénus […]
26
ou bien l’ouverture inguinale53 est chez toi d’une énorme grandeur ».
– Dubos (1841) : non traduit.
– Nisard (1842) : « Tu veux bien, Laufeia, te livrer à moi, […] ou ta nymphe
déchirée présente un développement exagéré, ou quelque excroissance en dépare
les bords ».
Le traducteur anonyme est plus malin. Comme dans l’exemple précédent,
il refuse de traduire les mots qui fâchent mais il est évident que pour un lecteur
français cultivé, le sens des mots latins saute aux yeux :
– B*** (1842-43) : « Tu veux être fututa […] ou ta vulve déchirée est d’une
largeur infinie ; ou quelque excroissance domine l’orifice de ton cunnus » (t. III,
p. 111).
B*** anticipe même sur les traducteurs de la collection Budé dans
l’emploi du terme techique vulve. Ceux-ci, Izaac en l’occurrence, ont à leur tour
recours à l’argot pour exprimer les plaisirs de Vénus :
– Izaac (1930-33) : « Tu veux bien que je te besogne […] ou ton bas-ventre
pourfendu bâille sans mesure, ou quelque protubérance en dépare l’orifice ».
Traduction correcte, mais scolaire, et finalement peu claire. Avec un peu
de talent, on peut faire infiniment mieux :
– Noguez (1989) : « Tu veux bien que je te saute […]. Ou ta chatte mutilée bée
infiniment, / Ou quelque protubérance défigure l’orifice de ton con ».
Les deux exemples suivants, comme le précédent, montrent la gêne
éprouvée par les traducteurs à employer le mot juste :
3. Livre III, 74 : hoc fieri cunno, Gargiliane, solet (« cela ne convient qu’au
con »).
– Marolles (1655) : non traduit.
– Volland (1807) : « tant de soins, Gargilius, semblent ne convenir qu’au
53
Qui a rapport à l’aine.
27
breloqueur54 ».
– Simon (1819) : « Ce rôle ne convient qu’au bijou qui distingue un autre
sexe ».
– Verger (1834-35) : « Ce rôle ne convient qu’à l’organe caractéristique de la
femme ».
– Dubos (1841) : non traduit.
– Nisard (1842) : « qu’à l’organe secret des femmes ».
– B*** (1842-43) : « cette métamorphose ne sied qu’à un cunnus » (t. III,
p. 131).
– Izaac (1930-33) : « on ne traite ainsi pour l’ordinaire qu’une vulve ».
4. Livre III, 87 : Narrat te rumor, Chione, numquam esse fututam / atque nihil
cunno purius esse tuo (« Le bruit court, Chioné, que tu n’as jamais été baisée, et
qu’il n’y a rien de plus pur que ton con »).
– Marolles (1655) : « Le bruit commun nous apprend que tu n’as jamais été
baisée, Chione, et qu’il n’y a rien de si pur que toi ».
– Volland (1807) : « Chione, le bruit court que tu n’as jamais été aimée, et que
rien n’est plus chaste que ton anneau ».
– Simon (1819) : « On assure, Chione, que vous n’avez jamais goûté le plaisir
amoureux, et que la partie par où pèche votre sexe est chez vous de la plus pure
intégrité ».
– Verger (1834-35) : « Le bruit court, Chioné, que tu n’as jamais eu commerce
avec aucun homme, et qu’il n’est rien de plus pur que ton organe sexuel ».
– Dubos (1841) : non traduit.
– Nisard (1842) : « Le bruit court, Chioné, que jamais personne n’eut affaire
avec ton bijou, et qu’il n’est rien chez toi de plus pur que lui ».
Après ces tergiversations, c’est B*** qui décroche la palme en en
rajoutant – si l’on peut – sur le texte de Martial :
54
Les breloques désignent les testicules dans l’argot du 19e siècle.
28
– B*** (1842-43) : « Ceux qui se font sucer prétendent, Chioné, que tu ne fus
jamais fututa, et que rien n’est plus pur que ton cunnus (t. III, p. 141).
Après ce feu d’artifice, Izaac a l’air triste avec ses mots tirés de l’argot et
de l’anatomie médicale :
– Izaac (1930-33) : « La rumeur publique prétend, Chioné, que tu n’as jamais été
besognée et qu’il n’y a rien au monde de plus immaculé que ton vagin ».
Malaplate, en véritable poète, montre qu’on peut dire les choses de
manière élégante et fine, sans rechigner devant l’expression crue :
– Malaplate (1992) : « On prétend, Chioné, que nul ne t’a baisée / Et qu’il n’est
rien de plus pur au monde que ton … [con] »
Le dernier exemples dépasse les bornes de la bienséance pour plusieurs
traducteurs. Marolles déclare forfait : « Cette infâme pièce de douze vers est la
vingt-huitième indigne d’être expliquée [= traduite] » ; Simon et Dubos ne la
traduisent pas non plus.
5. Livre XI, 78 : Pedicare semel cupido dabit illa marito (« elle [la mariée] ne
permettra qu’une fois au mari ardent de la sodomiser »). Le verbe pedicare,
absent de l’honorable dictionnaire Gaffiot, va exercer l’imagination des
traducteurs successifs… s’ils consentent à traduire l’épigramme :
– Volland (1807) : « elle se prêtera une seule fois à tes désirs ».
– Verger (1834-35) : « Une fois seulement, elle laissera l’amour de son mari
s’égarer ».
L’action commence à se préciser petit à petit :
– Nisard (1842) : « Une fois seulement […] elle le laisse diriger ses attaques par
derrière ».
– B*** (1842-43) : « D’abord, elle va n’offrir que ses fesses à ta possession
conjugale » (t. III, p. 177-179).
Enfin, nous avons la chose, mais pas le mot :
– Izaac (1930-33) : « Elle ne permettra qu’une fois à son ardent époux de la
traiter comme eux [ses mignons] ».
29
Au début du 20e siècle, les traducteurs reculent devant le dernier tabou, le
mot « enculer ». Osons un pronostic : le prochain traducteur des Œuvres
complètes de Martial ne sera plus tourmenté de ces scrupules.
Pour compléter ce tableau rapide, il est intéressant de jeter un coup d’œil
sur les traductions de nos auteurs salaces faites dans quelques autres langues.
Sans entrer dans les détails, on constatera, en étudiant les exemples proposés
dans les Annexes 1 et 2, que les traductions en allemand suivent à peu près le
même chemin que les françaises, alors que les traductions universitaires
anglaises parues en même temps que la collection Budé restent encore loin
derrière les « audaces » de leurs homologues français, avant de se rattraper à
partir de 1968. Pour Aristophane, les éditeurs de langue allemande continuent à
rééditer la désormais classique traduction allemande de L. Seeger alors que
Martial a fait l’objet d’une traduction universitaire récente qui ne laisse rien à
désirer.
Arrivés au terme de nos flâneries, force est de constater que traduire est
toujours un parti pris. Non seulement parce que, quand on passe d’une langue à
une autre, on ne trouve pour ainsi dire jamais de l’identique, mais surtout parce
que certains traducteurs n’hésitent pas à « corriger » le texte chaque fois qu’il ne
leur plaît pas, soit pour un motif littéraire, soit pour un motif théologique. Dans
quelle version de la Bible se trouve l’inspiration divine ? aux fidèles de se faire
un avis. Quant aux œuvres d’Aristophane et de Martial, l’infidélité criante de la
plupart des versions anciennes mérite d’être dénoncée haut et fort. Il n’existe
sans doute pas de traduction parfaite, mais il est certain que les traductions
infidèles sont légion. Libre aux dramaturges et aux enseignants de remanier des
passages qu’ils jugent inconvenants pour leur public ; au 18e siècle, Voltaire
allait jusqu’à réécrire des pièces de Shakespeare pour les accommoder au goût
français. Mais qu’on ne présente plus des versions ad usum Delphini sous le
nom de leur auteur ! Si un Tartuffe traduit en allemand ou anglais s’adressait à
Dorine, dans la scène 2 de l’acte III de la pièce éponyme de Molière, en lui
30
lançant l’équivalent d’un « cache tes nichons qui me font bander », notre
vénérable auteur se retournerait dans sa tombe. Pourquoi les traductions
d’Aristophane dont les personnages s’expriment comme ceux de Molière
seraient-elles plus acceptables ?
Annexe 1 : Les Comédies d’Aristophane traduites en allemand et en anglais
1. Lysistrate, v. 124 :
– Seeger (1845-48) : « Der Männer müssen wir uns streng enthalten ».
– Schnitzer (1851-54) : « Enthalten also müssen wir uns von des Mannes
Ding. ».
– Minckwitz (1856-81) : « So wißt, entsagen müssen wir hinfort – dem Stift ».
– Schadewaldt (1964) : « Enthalten also müssen wir uns des – des Dings ».
– Fried (1985) : « Nun, gut : Wir dürfen mit den Männern nicht ins Bett ».
– Rodgers (1902-16) : « We must abstain – each – from the joys of Love ».
– Henderson (1998-2002) : « All right. We’re going to have to give up – the
prick ».
2. Lysistrate, v. 137 :
– Seeger (1845-48) : « O durch und durch verbuhlt ist dies Geschlecht! »
– Schnitzer (1851-54) : « O durch und durch verbuhltes ganzes
Weibergeschlecht! »
– Minckwitz (1856-81) : « Ach, unser Geschlecht ist wahrlich durch und durch
verbuhlt! »
– Schadewaldt (1964) : « Oh ! durch und durch verbuhlt ist unser ganz
31
Geschlecht! »
– Fried (1985) : « O Fraun! – Wie sind wir ohne allen Halt! / Das reinste
Trauerspiel! Für nichts als nur fürs Bett! »
– Rodgers (1902-16) : « O women! women! o our frail, frail sex! »
– Henderson (1998-2002) : « Oh what a low and horny race are we! »
3. Les Grenouilles, v. 422-430 :
– Seeger (1845-48) : « Von Kleisthenes aber hör ich: / Er sitzt am Grab und
rupft / sich bloß den Bloßen […] Un heult und schreit um Sebinos, / Den
reizenden Manustuprier! / Von Kallias dort vernahm ich, / Dem Hurensohn, er
diene / Zur See und trag’ als Löwenhaut – ein Schamfell! »
– Minckwitz (1856-81) : « Von Kleisthenes vernehm ich: / Im Reich der Gräber
rupft er / Den Steiß sich kahl […] und schreit und heult um seinen / Sebinos,
diesen Burschen aus Fließauerbach! / Und Kallias, Hipppospringers / Erzeuger,
hält, gekleidet / In Löwenhaut, Seeschlachten nur in – Weiberschoß! »
– Mähly (1885) : « Von Kleisthenes vernehm ich, / Er rupfe sich am Grabe / Das
Haar vom Steiß […] Verweint er un bejammert / Freund Stangemeier, der aus
Hinterpommern ist. / Von Kallias gar heißt es, / Dem Sohn des Hippobuhlen, /
Im Löwenfelle fecht’ er mit dem Unterrock ».
– Rodgers (1902-16) : « And Cleisthenes, they say, / Is among the tombs all day,
/ Bewailing for his lover with a lamentable whine. / And Callias, I’m told, / Has
become a sailor bold, / And casts a lion’s hide o’er his members feminine ».
– Henderson (1998-2002) : « And I hear that Cleisthenes’ son / is in the
graveyard, plucking / his arsehole […] waiting and weeping / for Humpus of
Wankton, whoever that may be55. And Callias, we’re told, / that son of
Hipocoitus, / fights at sea in a lionskin made of pussy ».
55
Le traducteur précise en note : « ‘Sebinus of Anaphlystus’ (suggesting se binein ‘fuck you’
and anaphlan ‘masturbate’) is evidently a factitious name ». To hump et to wank sont des
mots très explicites en anglais.
32
4. Les Thesmophories, v. 479-489 :
– Seeger (1845-48) : « Zum Liebsten, und, am Lorbeerbaum mich haltend, /
Beim Bild Apolls, gekrümmt lass’ ich ihn dran ».
– Schnitzer (1851-54) : « dann ergab ich mich / Beim Straßenhort56, krumm an
den Lorbeerbaum gelehnt ».
– Wessely (1856-81) : « zum Buhlen, dem ich, vorgebückt, / Mich klammernd
an den Lorbeerbaum beim Straßenhort, / mich überließ ».
– Rodgers (1902-16) : « and I and lover / Meet by Aguieus and his laurel-shade,
/ Billing and cooing to our hearts’ content »57.
– Henderson (1998-2002) : « Then I bend over, holding onto the laurel tree by
Apollo’s Pillar, and get my humping ».
5. Les Cavaliers, v. 1284-86 :
– Seeger (1845-48) : « Seine eigne Zunge schändet er mit ekelhafter Lust, / In
Bordellen leckt er züngelnd auf den geilen Hurenschleim, / Mit dem Abschaum
wüster Wollust, pfui, beschmiert er sich den Bart ».
– Wessely (1856-81) : « Denn die Zung’ im eignen Halse schändet er mit
schnöder Lust, / Leckt in Freudenmädchenhäusern auf den ekelhaften Schleim, /
Schmiert den Bart sich voll und wühlt in feilen Dirnen Schoß herum ».
– Rodgers (1902-16) : « Novel forms of self-pollution, bestial tricks unknown
before. / Yea, to nameless filth and horrors does the loathsome wretch
descend ».
– Henderson (1998-2002) : « He pollutes his own tongue with disgraceful
gratifications, licking the detestable dew in bawdyhouses, besmirching his
beard, disturbing ladies’ hotpots ».
56
Le traducteur indique dans une note qu’il s’agit de l’Apollon Aguiens.
La véritable traduction du passage est indiquée en note… en latin : « Inclinatio corpore
iuxta signum Apollinis, prehensaque lauro, subagitata sum ».
57
33
Annexe 2 : Les Épigrammes de Martial traduites en allemand et en anglais
1. Livre III, 71 :
– Barié/Schindler (2002) : « Wenn dem Jungen der Schwanz und dir, Naevolus,
der Arsch weh tut: / nun, ein Prophet bin ich nicht, aber ich weiß, was du
treibst. »
– Bohn (1875) : « Your slave, Naevolus, is suffering from a disgraceful disease;
yourself, from one analoguous to it. I am no sorcerer, but I know what you are
about. »
– Ker I (1919-1920) : « Seeing that the boy is sore, and you too, Naevolus,
though I am no diviner, I know what you are up to. »
– Ker II (1968) : « Seeing that the boy’s prick is sore, and your backside,
Naevolus, though I am no diviner, I know what you are up to. »
– Bovie (1970) : « Since your slave’s prick is as sore as your ass, without being
a prophet I can guess what you’re doing. »
– Shackleton Bailey (1993) : « The boy’s cock hurts him, Naevolus, your ring
hurts you. I am no diviner, but I know what you are up to. »
2. Livre III, 72 :
– Barié/Schindler (2002) : « Du willst, daß ich dich vögle […] oder dein
geschundenes Geschlecht klafft mit einem riesigen Spalt, / oder es ragt etwas
aus dem Eingang deiner Scham heraus ».
– Bohn (1875) : pas traduit
– Ker I (1919-20) : « You wish to have an amour with me […] or your person is
lacerated and used up, or you have a protuberance somewhere ».
– Ker II (1968) : « You wish to be poked by me […] or your groin is lacerated
and used up or you have a lump at the mouth of your quim ».
34
– Bovie (1970) : « You like to fuck […] or you worry about exposing the
scarred slot with its huge opening, or that some inner part may protrude from
your cunt ».
– Shackleton Bailey (1993) : « You want to be fucked, Saufeia […] or your split
groin yawns with a bottomless cavern, or something protrudes from the mouth
of your cunt ».
3. Livre III, 74 :
– Barié/Schindler (2002) : « So behandeln, Gargilianus, Frauen gewöhnlich –
ihre Scham ».
– Bohn (1875) : « leave such things for the other sex ».
– Ker I (1919-20) : « this is wont to be done by women elsewhere ».
– Ker II (1968) : « this is wont to be done by a woman with her quim ».
– Bovie (1970) : « That treatment is usually reserved for the cunt ».
– Shackleton Bailey (1993) : « This is what is usually done with a cunt ».
4. Livre III, 87 :
– Barié/Schindler (2002) : « Chione, es geht das Gerücht, du seiest noch nie
gevögelt worden / und nichts sei reiner als deine Möse ».
– Bohn (1875) : « Rumour says, Chione, that you have never had to do with
man, and that nothing can be purer than yourself ».
– Ker I (1919-20) : « Rumour reports that you, Chioné, have never had amour
with men, and that nothing is purer than your person ».
– Ker II (1968) : « Rumour reports that you, Chione, have never been poked,
and that nothing is purer than your quim ».
– Bovie (1970) : « The story gœs that you have never been fucked, Chione, and
that your midriff is inviolate ».
– Shackleton Bailey (1993) : « Rumour has it, Chione, that you have never been
fucked and that is nothing purer than your cunt ».
35
5. Livre XI, 78 :
– Barié/Schindler (2002) : « Daß er sie selbst von hinten nehme, wird sie dem
begehrlichen Mann nur einmal gestatten ».
– Ker I (1919-20) : « Essa darà una volta da pedicare all’avido marito ».
– Ker II (1968) : « Now, she will grant sodomy just once to her wishful
husband ».
– Shackleton Bailey (1993) : « She will let her eager sponse sodomize her
once ».
Annexe 3 : Éditions d’Aristophane
Théâtre, traduit en français […] par M. Poinsinet de Sivry, Paris, 1784, 4 vol.
Comédies, traduites du grec par M. Artaud, 4e édition, Paris, Didot, 1855, 2 vol.
(1ère éd. 1830)
[Œuvres complètes], traduction nouvelle par Eugène Talbot. Préface de Sully
Prudhomme, Paris, A. Lemerre, 1897, 2 vol.
[Œuvres complètes]. Traduction avec notes et commentaires critiques par
Alphonse Willems, Paris, Hachette, et Bruxelles, Lebègue, 1919, 3 vol.58
[Œuvres complètes]. Texte établi par V. Coulon et traduit par H. Van Daele,
Paris, Les Belles Lettres, 1923-30 (14e tirage revu et corrigé 2002), 5 vol.
(collection Guillaume Budé).
Théâtre. Nouvelle édition avec une introduction, des notices et des notes par
Marc-Jean Alfonsi [=traducteur], Paris, Garnier, 1932, 2 vol.
Théâtre complet. Texte traduit, présenté et annoté par Victor-Henry Debidour,
Paris, Gallimard, 1965-66, 2 vol.
58
Étant donné que le traducteur, d’origine belge, est né en 1839 et mort en 1912, sa traduction
date plutôt de la fin du 19e siècle.
36
Théâtre complet. Textes présentés, établis et annotés par Pascal Thiercy
[=traducteur], Paris, Gallimard, 1997 (Bibliothèque de la Pléiade).
Lysistrata. Traduit du grec par Lætitia Bianchi et Raphaël Meltz, Paris, Arléa,
2003.
Werke. Übersetzt von Ludwig Seeger, Frankfurt/Main, Rütten, 1845-48, 3 vol.
(de très nombreuses rééditions jusqu’à nos jours).
Werke. Im alten Versmaß übersetzt von Dr. C.F. Schnitzer, Stuttgart, Metzler,
1851-1854, 11 vol.
Lustspiele. Verdeutscht von Johannes Minckwitz, Stuttgart, Hoffmann, 18561881, 4 vol. (certaines pièces ont été traduites par I. E. Wessely).
Werke. I. Die Wolken – Die Frösche. Übersetzt […] von Jakob Mähly, Stuttgart
und Berlin, W. Spemann, [1885].
Lysistrata. Bühnenfassung. Übersetzung und Bearbeitung Wolfgang
Schadewaldt, Frankfurt/Main, Suhrkamp, 1964.
Lysistrata. Die Komödie des Aristophanes. Neu übersetzt von Erich Fried,
Berlin, Klaus Wagenbach, 1985.
[Comedies], edited translated, and explained by Benjamin Bickley Rodgers,
London, Bell, 1902-1916, 11 vol. Nouvelle édition dans :
[Works]. With an English translation of Benjamin Bickley Rogers, London,
Heinemann, et Cambridge, Harvard University Press, 1924, 2 vol. (Loeb
Classical Library).
[Works]. Edited and translated by Jeffrey Henderson. Cambridge, Harvard
University Press, et London, 1998-2002, 4 vol. (Loeb Classical Library).
Annexe 4 : Éditions de Martial
Toutes les épigrammes de Martial en latin et en français, avec de petites notes,
Paris, 1655 (traduction par l’abbé de Marolles, traducteur du… Nouveau
37
Testament en 1649 !).
Épigrammes, traduction nouvelle et complète par feu E.-T. Simon […], Paris,
Guitel, 1819, 3 vol.
Épigrammes, latines et françaises. À Paphos, de l’imprimerie du dieu des
amours, [1807], 3 vol. (traduction par Volland ; les épigrammes « libres » ont
été regroupées dans le troisième volume).
Épigrammes. Traduction nouvelle par V. Verger, N.-A. Dubois, J. Mangeart,
Paris, Panckoucke, 1834-35, 4 vol.
Épigrammes, traduites en vers français par Constant Dubos [...], Paris,
J. Chapelle, 1841.
Toutes les épigrammes de Martial, en latin et en français, distribuées dans un
nouvel ordre, avec notes, éclaircissements et commentaires, publiées par
M. B*** [Beau], Paris, 1842-43, 3 vol. L’éditeur a complètement changé l’ordre
des épigrammes.
Œuvres complètes, avec la traduction de V. Verger, N.-A. Dubois et
J. Mangeart. Nouvelle édition, revue par Félix Lemaistre, N.-A. Dubois [...],
Paris, Garnier frères, 1864, 2 vol.
Stace, Martial, […], Œuvres complètes, avec la traduction en français, publiées
sous la direction de M. Nisard, Paris, J.J. Dubochet, 1842.
Épigrammes. Texte établi et traduit par H. J. Izaac. Paris, Les Belles Lettres,
1930-33, 2 t. en 3 vol. (collection Guillaume Budé).
Épigrammes, choisies, traduites du latin et présentées par Dominique Noguez,
Paris, Orphée/La Découverte, 1989.
Épigrammes. Traduction nouvelle et présentation de Jean Malaplate. Édition
bilingue, Paris, Gallimard, 1992 (choix).
Epigramme, lateinisch-deutsch. Herausgegeben und übersetzt von Paul Barié
und Winfried Schindler, Düsseldorf und Zürich, Artemis und Winkler, 2002.
Epigrams. Translated into English Prose, London, Bell, 1875 (traduction par
Henry George Bohn ; il manque les livres XI et XIV).
38
Epigrams, trans. Walter C.A. Ker, London, W. Heinemann, et Cambridge,
Harvard University Press, 1919-20, 2 vol. (Lœb Classical Library). Une édition
révisée par un anonyme a paru en 1968.
Epigrams. Newly translated and with an introduction by Palmer Bovie, New
York, New American Library, [1970] (contient seulement les trois premiers
livres).
Epigrams, edited and translated by D.R. Shackleton Bailey, Cambridge et
London, Harvard University Press, 1993, 3 vol. (Lœb Classical Library).
39