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« Il faut accepter de ne pas tout comprendre » de Dominique Cottrez

L’avocat général a requis 18 ans de prison contre cette mère de 51 ans, accusée d’avoir tué huit de ses nouveau-nés entre 1989 et 2000. La cour d’assises du Nord rendra son verdict jeudi.

Par  (Douai (Nord) - envoyée spéciale)

Publié le 02 juillet 2015 à 03h00, modifié le 02 juillet 2015 à 12h17

Temps de Lecture 5 min.

Dominique Cottrez avec ses avocats, à la cour d'assises de Douai, le 25 juin.

Le moment est arrivé où la justice criminelle atteint en même temps le point culminant de sa grandeur et sa limite. Où elle doit cesser de s’interroger, d’approfondir, de vaciller, de balancer, pour donner au crime, aussi mystérieux, aussi dérangeant soit-il, une réponse judiciaire. Jeudi 2 juillet, les six femmes – dont la présidente Anne Segond et ses deux assesseurs – et les trois hommes qui composent la cour d’assises du Nord vont dire à quelle peine ils condamnent Dominique Cottrez, 51 ans, pour avoir tué huit de ses nouveau-nés entre 1989 et 2000.

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C’est à eux qu’il revient désormais de concilier dans leur décision la mère aimante, la grand-mère attentionnée, l’épouse dévouée, l’aide-soignante méritante avec celle qui a caché à tout le monde ses huit grossesses dans sa montagne de chair, a accouché seule dans les toilettes, a étouffé huit fois de suite les corps de ses nouveau-nés dans une serviette.

De rassembler la femme qui a mis les bébés dans des sacs-poubelles, a fait le ménage avant de rejoindre la table familiale pour le dîner et de préparer comme chaque jour les vêtements et « la gamelle » de son mari charpentier, avec celle qui a gardé ces corps au plus près d’elle – pendant plus de vingt ans pour certains d’entre eux – dans sa chambre à coucher, à cinquante centimètres de sa tête de lit, puis dans le garage et au grenier.

Qui a veillé sur cette sorte de « deuxième famille » – l’expression est de l’avocate générale Annelise Cau – allant jusqu’à placer une couverture sur eux l’hiver « pour pas qu’ils aient froid », comme elle l’a dit à la cour. Qui, lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle ne les avait pas brûlés dans la chaudière à gaz de la maison, a répondu : « Parce que ça leur aurait fait mal. » Qui, pendant l’instruction, a convaincu la juge, le procureur, ses défenseurs Mes Franck Berton et Marie-Hélène Carlier, les psychologues et les deux collèges de psychiatres qui l’ont examinée, qu’elle avait été violée, enfant, par son père et qu’elle avait entretenu avec lui des relations sexuelles consenties à l’âge adulte « deux à trois fois par mois ».Qui a répété la même histoire devant la cour d’assises, avant de pulvériser quelques heures plus tard en direct cet argument de défense en affirmant que rien de tout cela n’était vrai. Un seul verdict pour une accusée aussi bouleversante de vulnérabilité que cadenassée dans ses mystères.

Soumission au regard des autres

Psychologues et psychiatres ont été appelés à la rescousse, lanterne à la main. De toutes les dépositions entendues, la plus lumineuse a été celle du docteur Roland Coutanceau. Entendu le lendemain des déclarations de Dominique Cottrez, il a beaucoup contribué à apaiser des jurés encore sous le coup de ce bouleversement d’audience. « On n’a pas besoin d’inceste pour comprendre », avait-il observé. Il les avait exhortés à retenir bien davantage « la pudeur au cube » de cette accusée encombrée d’un corps de 1,55 m pour 160 kg, qui l’avait amenée à fuir tout regard médical et a fortiori gynécologique depuis l’expérience, pour elle traumatisante, d’un premier accouchement pendant lequel elle s’est sentie humiliée par les remarques désobligeantes de la sage-femme. Dominique Cottrez, a-t-on appris pendant les débats, allait même jusqu’à réduire les doses de son traitement contre l’épilepsie pour ne pas avoir à consulter un médecin.

Roland Coutanceau avait encore insisté sur la passivité de cette femme, sa soumission au regard des autres – on le connaît ce regard, c’est le nôtre, celui que l’on porte sur les gens comme elle, que l’on traverse sans les voir, comme un objet inanimé – et sa « souffrance emmurée ». Il avait évoqué ces huit grossesses vécues « comme une boule qui grossit, mais qui n’a pas de sens », « ces enfants qu’elle porte et qui pour elle, n’existent pas ». « Ce n’est pas parce qu’il y a sérialité que c’est plus grave »,avait observé le psychiatre en ajoutant : « Les jurés voient bien qu’il n’y a pas un serial killer dans le prétoire. »

Il faut avoir vu leurs visages graves, presque affamés, pendant le réquisitoire à deux voix prononcé mercredi par Eric Vaillant et Annelise Cau, pour mesurer la tension qui est celle des jurés à quelques heures du délibéré. Une première échelle de peine leur a été proposée par l’avocat général qui, après avoir rappelé que Dominique Cottrez encourt la perpétuité, a requis contre elle dix-huit ans de réclusion criminelle. Les annales judiciaires leur en donnent une autre : huit ans de prison ont été prononcés contre Véronique Courjault, reconnue coupable de trois infanticides, quinze ans ont été retenus contre une autre mère pour six infanticides. A la fin des débats, Dominique Cottrez elle-même leur a dit : « Je me sens coupable et donc, c’est normal s’il faut que je retourne en prison. Il n’y a que ça qui fera qu’on pourra peut-être me pardonner. »

La sévérité de la peine requise tranche avec la subtilité de ce réquisitoire sur le fond. Comme tous ceux qui ont assisté à l’audience, les deux représentants de l’accusation ne sont pas sortis indemnes de cinq jours de confrontation avec les abîmes de Dominique Cottrez, « cette femme perdue, déconcertante, assise sur cette chaise, envahie de regards », comme l’a décrite Annelise Cau.

« On s’est plantés »

A la cour et aux jurés, Eric Vaillant a d’abord demandé « de ne pas retenir contre elle le mensonge de l’inceste ». « Il n’est qu’un énième élément des troubles psychiques dont elle souffre »,a-t-il observé. Ce mensonge a surtout été, comme l’a reconnu le procureur et comme l’avait avant lui observé son défenseur, Me Franck Berton, en quelque sorte « offert » par l’accusée à tous ceux qui le lui ont suggéré pendant l’instruction. Il les a rassurés, eux, plus qu’il ne la disculpait, elle. « Je ne sais pas qui a manipulé qui. On s’est plantés, on s’est tous planté sur cette histoire d’inceste et cela doit nous faire réfléchir à la manière dont nous menons les interrogatoires », a reconnu avec humilité l’avocat général.

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Mais il a aussi exhorté les juges de Dominique Cottrez à « mettre à distance la très grande compassion dont elle bénéficie ».Il a vu les larmes qui ont coulé sur les visages de certains jurés quand les deux filles de l’accusée sont venues les supplier de ne pas renvoyer leur mère en prison. « Vous allez mettre dans votre jugement de l’humanité, prendre en compte son hyperfragilité, son extrême souffrance. Mais ce n’est pas parce quelle souffrait qu’elle était obligée de tuer »,a-t-il observé. « Il faut accepter de ne pas tout comprendre. Vous êtes face à l’affaire criminelle la plus difficile qu’il soit à juger », a conclu Annelise Cau en leur confiant le fardeau.

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