BlacKkKlansman

Do the right thing

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
5 min readAug 23, 2018

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Grand Prix du jury du festival de Cannes 2018

De Spike Lee, plus de nouvelle…ou presque. Ces dernières années, le cinéaste américain faisait davantage parler de lui pour ses critiques envers Quentin Tarantino ou Clint Eastwood que pour ses film. Il faut remonter à 2006 et Inside Man pour retrouver le grand Spike Lee d’antan. Depuis, le réalisateur n’avait tourné que des films mineurs (Miracle à St-Anna) ou des remakes inutiles (Old Boy). Son retour sur la Croisette cette année fut d’autant plus remarqué avec BlacKkKlansman, long-métrage engagé sur la cause noire aux États-Unis qui semble faire suite aux événements de Charlottesville l’année dernière. Couronné par rien de moins que le Grand Prix du Jury, Spike Lee semble revenu au sommet. Il était temps d’en savoir davantage.

Pour BlacKkKlansman (sous-titré J’ai infiltré le Ku Klux Klan en France pour une raison obscure), Spike Lee s’inspire de l’histoire vraie de Ron Stallworth, premier flic noir de Colorado Springs qui parvient à infiltrer le Ku Klux Klan, suprémacistes blancs et racistes notoires s’il en est, et découvre alors l’étendue du cancer qui ronge l’Amérique. Le cinéaste américain choisit de mélanger images d’archives et fiction tout en mixant trois genres filmiques différents : le film militant et engagé, le récit policier et le buddy-movie. Dans le rôle du duo de flics improbables : John David Washington et Adam Driver. Bouillonnant de la première à la dernière minute, BlacKkKlansman s’insurge avec raison.

Par le truchement de cette enquête policière, Spike Lee prend un malin plaisir à dépeindre les suprémacistes blancs jusqu’à la caricature avec des personnages tous plus bêtes, détestables et incultes les uns que les autres. Le procédé s’avère jouissif et ne semble, malheureusement, pas si éloigné du réel. À l’heure de Donald Trump, le message de Spike Lee résonne avec une force peu commune et fait fi de nombreux défauts dans la narration. Avec rage, le réalisateur explique les fondements du racisme anti-noirs aux États-Unis et élargit le scope vers les violences policières et la discrimination banalisée. Emporté par son enthousiasme manifeste (et légitime), Spike Lee en oublie pourtant des choses essentielles en route.

Tout d’abord, il faut avouer que BlacKkKlansman ne se sert de son enquête qu’en tant que prétexte. La résolution artificielle et ultra-rapide ainsi que le manque de tenue dans les enjeux de celle-ci révèle à quel point Spike Lee semble bien plus intéressé par sa charge militante que par le reste. L’aspect buddy-movie sur lequel est basé le film subit, malheureusement la même chose. Ron et Flip sont sous-exploités, ou du moins, leur interaction s’avère très limitée. Dommage car le temps d’une séquence-vérité où Ron interroge Flip sur son sentiment de juif confronté à des antisémites blancs, on sent que BlacKkKlansman aurait pu être tellement davantage qu’il n’est présentement. En l’état, le film reste pourtant dynamique et intelligemment pensé, jonglant avec un humour délicieux (les scènes de dialogues téléphoniques) et une radioscopie caustique et jouissive du milieu blanc américain. Lorsque Spike Lee capitalise sur des images d’archives en fin de métrage pour secouer le spectateur, le résultat s’avère d’une redoutable efficacité.

Pourtant, impossible de passer sous silence l’un des points les plus ennuyeux du film de Spike Lee. Pour une raison évidente lorsque l’on connaît les tendances politiques du réalisateur, Spike Lee introduit une sous-intrigue sur les Black Panthers américains sans véritablement expliquer aux spectateurs ce qu’il voit, ou du moins, omettant de mettre en avant le fond de la pensée des Black Panthers. Au cours de son épilogue, BlacKkKlansman montre des images de Donald Trump en train de mettre sur un pied d’égalité les néo-nazis qui ont défilé à Charlottesville en 2017 et les opposants, une comparaison aussi infâme que grotesque qui tendrait à faire croire aux américains que les deux se valent. Sauf que c’est bien évidemment faux. Le problème, c’est que Spike Lee tente pourtant une chose similaire de façon fort malhonnête au cœur de son récit. Lors d’une séquence pourtant magnifique, il alterne entre deux scènes fortes : d’un côté les membres du Ku Klux Klan assistant à la projection d’un film raciste notoire (Birth of a Nation), de l’autre une réunion Black Panthers/étudiants noirs venus écouter le vieux monsieur Turner (campé par Harry Belafonte, éminent défenseur de la cause noire aux USA) raconter une terrible histoire de lynchage populaire à l’encontre d’un jeune noir en 1916. Cette comparaison tend à montrer que les Black Panthers ont raison et se conclut sur un chœur de “Black Power” qui semble anodin. Sauf que Spike Lee affirme sa complaisance vis-à-vis d’un groupe suprémaciste noir revendiqué en justifiant l’appel à la haine par une haine plus importante en face. Pour un réalisateur plus jeune et moins expérimenté, on pourrait plaider l’erreur ou la maladresse. Sauf que Spike Lee n’en est pas un. Pire, il est même un identitaire noir reconnu entretenant d’étroites relations avec…Nation of Islam, un groupuscule extrémiste noir qui appelle régulièrement à la révolution face aux diables blancs qu’il faut éradiquer. Dès lors, et même si BlacKkKlansman n’insiste heureusement pas outre-mesure sur cet aspect, il faut être d’une grande vigilance par rapport à ce que sous-entend Spike Lee. Remplacer un extrémisme par un autre par vengeance et colère n’a jamais été une solution et n’en sera jamais une. En ce sens, BlacKkKlansman laisse parfois perplexe et se rattrape in extremis bien souvent.

BlacKkKlansman est un cri de colère et de rage d’un Spike Lee qui retrouve un peu la force qu’on lui connaissait par le passé. Il livre ici un film dynamique, engagé, qui questionne et qui révolte souvent. Même s’il manque de tenue dans son versant policier finalement prétexte à un plaidoyer à la puissance incontestable, BlacKkKlansman reste un film drôle et rythmé. Attention cependant à garder son sens critique en le visionnant en se rappelant des positions politiques souvent extrêmes de son auteur.
Quand à son Grand Prix…difficile de donner raison au jury cannois après avoir vu Le Poirier Sauvage de Nuri Bilge Ceylan, cinématographiquement bien plus impressionnant.

Note : 6/10

Meilleure scène : Le polaroid !

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