Publicité

Pour un accès libre et gratuit aux articles scientifiques

Un labyrinthe de livres à Londres, en 2012. © Olivia Harris / Reuters/Reuters

L'Académie des sciences propose d'élargir l'accès libre et gratuit aux travaux des chercheurs, tout en préservant la qualité des publications.

Pour favoriser l'accès libre et gratuit à la connaissance, l'Académie des sciences préconise de modifier en profondeur le monde de l'édition scientifique, dans un rapport rendu public vendredi. Les animateurs de ce groupe de travail, Jean-François Bach, professeur de médecine, et Denis Jérome, physicien au CNRS, constatent que le développement d'Internet a permis l'émergence de solutions alternatives plus séduisantes que le système classique des revues payantes.

Lorsque des chercheurs font une avancée ou une découverte, ils écrivent un article scientifique. Ils le soumettent alors à une ou plusieurs revues de leur choix (comme Nature, Science, PNAS, etc.). Mais ne publie pas qui veut. Les revues sélectionnent d'abord les articles qui leur semblent intéressants, puis montent un comité de lecture composé de scientifiques qui vont bénévolement évaluer la qualité du travail et réclamer certaines corrections ou précisions. Ce n'est qu'au terme de ce processus, appelé «peer-reviewing » (relecture par les pairs), que la publication est éventuellement acceptée et publiée.

Ce système n'est pas seulement indispensable au partage de connaissances fiables et vérifiées. Il fait désormais partie intégrante du processus très contesté d'évaluation des chercheurs et de leurs laboratoires. La publication est un passage obligé. Les Anglo-Saxons résument cette situation par l'adage «Publish or Perish » (publier ou mourir).

Ras-le-bol des pratiques actuelles

Si la soumission et la publication d'articles sont gratuites (dans la plupart des cas), les revues, elles, coûtent très cher : en France, le consortium Couperin, qui rassemble les universités et les instituts de recherche français, débourse chaque année plus de 100 millions d'euros en abonnements. Au niveau mondial, le marché de l'édition scientifique organisé autour de quelques grands éditeurs dominants (Elsevier, Springer, Wiley et Informa) pèse entre 7 et 10 milliards d'euros, selon l'Académie, qui évoque des marges considérables (plus de 30 %). Ces gains se font sur le dos des chercheurs qui travaillent le plus souvent sur des deniers publics, écrivent les articles et évaluent leurs pairs gratuitement avant de perdre les droits sur leurs propres travaux après publication.

L'Académie appelle donc à la mise en place d'un système alternatif : l'open-access institutionnel. L'open-access classique consiste, dans un cadre de «peer-review » traditionnel, à payer l'éditeur pour qu'il diffuse gratuitement l'article après publication. La version institutionnelle est une adaptation centralisée : il s'agit de négocier au niveau national un accord global avec les éditeurs, pour que l'ensemble des articles publiés par les chercheurs français soient mis gratuitement à la disposition de la communauté.

« La transition ne se fera pas en un ou deux ans »

Denis Jérome, physicien.

Si, et seulement si, tous les grands acteurs mondiaux (États-Unis, Chine, Europe, etc.) passent des accords similaires, alors les abonnements deviennent inutiles. L'idée est en somme de faire basculer le budget dédié aujourd'hui aux abonnements vers le financement de l'open-access. «Nous ne voulons pas tuer les éditeurs, ils ont un véritable savoir-faire et leur travail a un coût », assure Denis Jérome. «Mais nous aimerions que les chercheurs puissent remettre la main sur le processus de publication.» «Il faut monter une sorte de G8 entre les plus grosses académies mondiales pour discuter de la question », explique Jean-François Bach. La tâche s'annonce compliquée, mais elle n'est pas forcément impossible.

Le ras-le-bol des pratiques actuelles des grands éditeurs est un phénomène qui se mondialise depuis une dizaine d'années. L'essor considérable de la revue en ligne à but non-lucratif Plos One en est une preuve flagrante. Elle concentre aujourd'hui 2,5 % des articles scientifiques et 1,15 % des articles les plus cités (voir encadré). Sentant le vent tourner, les éditeurs commencent d'ailleurs à assouplir leur politique en autorisant la mise à disposition des articles gratuitement après un embargo dont la durée peut aller de 6 à 18 mois. Un premier pas permettant d'alimenter les grands projets d'archives ouvertes qui visent à stocker le savoir de façon pérenne et gratuite.

«Nous avons eu des premiers contacts avec les éditeurs», précise Denis Jérôme. «Ils ne semblent pas fermés à la discussion sur le principe, mais il faut être lucide, cela ne se fera pas en un an ou deux.» Étant donné que le débat sur la nécessaire diffusion libre et gratuite de la connaissance agite le monde académique depuis plus d'une décennie, le contraire eût été étonnant.


Les grandes revues perdent de leur prestige

Les revues scientifiques ne se valent pas toutes. Un petit nombre d'entre elles concentre historiquement la plupart des articles de première importance, à savoir ceux qui sont le plus fréquemment cités par d'autres études. Mais cette situation est en train d'évoluer. Une analyse réalisée sur les données de Google Scholar, la plus imposante banque de publications scientifiques au monde, montre que les «petites revues» publient un nombre croissant d'articles parmi les 1 000 les plus cités chaque année. Entre 1995 et 2013, ce taux est passé de 15 à 25 %.

«Ces chiffres confirment une tendance déjà observée dans d'autres jeux de données plus restreints, se félicite Vincent Larivière, spécialiste des transformations de la communication savante à l'université de Montréal. Nous remarquons, de façon plus générale, un étalement des citations.» Cette métamorphose est liée à une évolution des pratiques: avec Internet, un «bon» papier reste plus rarement confidentiel, ce qui pousse les chercheurs à diversifier leurs sources.

«Ce phénomène a une autre conséquence: le fait d'être publié dans une grande revue n'assure plus d'être cité un grand nombre de fois. C'est très important, car cela remet en cause les méthodes d'évaluation des chercheurs, qui reposent justement sur les “facteurs d'impact” des revues, c'est-à-dire le taux moyen de citations des articles qu'elles publient.»

Pour un accès libre et gratuit aux articles scientifiques

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
193 commentaires
    À lire aussi

    Les incroyables secrets de la momie décapitée enfin révélés

    Les incroyables secrets de la momie décapitée enfin révélés

    INFOGRAPHIE - Connaissez-vous l'histoire de la momie d'Amenhotep Ier, décapitée par les pilleurs de tombe et restaurée par les embaumeurs de la 21e dynastie ? Grâce aux scanners de tomographie, des images numériques saisissantes nous dévoilent la vie post-mortem trépidante de ce pharaon de 35 ans.