ETATS-UNISComment Uber est devenu l'ennemi n°1

Comment Uber est devenu l'ennemi n°1

ETATS-UNISLa startup qui vaut 30 milliards de dollars a un vrai problème d'image...
Le PDG du VTC Uber, Travis Kalanick.
Le PDG du VTC Uber, Travis Kalanick. - SIPANY/SIPA
Philippe Berry

Philippe Berry

«Let's Uber to the bar!» Il était une fois un service tellement populaire aux Etats-Unis qu'il a mis moins de cinq ans à devenir un verbe. Haï par les syndicats de taxis, combattu par de nombreux conseils municipaux partout dans le monde, cette startup californienne de transport privé pouvait jusqu'ici compter sur le soutien le plus important: celui des utilisateurs, séduits par un service moderne, fiable et souvent bon marché. Mais pour gagner à tout prix, l'entreprise, qui devrait bientôt être valorisée à 30 milliards de dollars, flirte avec la ligne jaune. Et parfois avec la sortie de route.

Mardi, le fondateur et PDG d'Uber a dû s'excuser et jurer qu'il ne comptait pas s'attaquer à la vie privée des journalistes trop critiques, comme Emil Michael, un vice-président, l'avait suggéré à un dîner de gala. Dans la foulée, une enquête interne a été ouverte alors qu'un cadre new-yorkais est accusé d'avoir espionné les trajets d'une reporter de Buzzfeed sans son autorisation.

Pas d'action disciplinaire

Ces polémiques ne sont pas isolées. L'entreprise a été épinglée par une enquête de CNN révélant qu'elle encourageait des employés à réserver puis annuler des courses de son concurrent Lyft, ainsi qu'à débaucher ses chauffeurs. «Tant qu'Uber s'en prenait aux régulateurs et à ses adversaires, c'était acceptable dans l'opinion. Mais l'entreprise semble avoir franchi le Rubicon en s'attaquant à la presse», souligne l'expert en communication Gerard Braud.

Le PDG de l'entreprise, Travis Kalanick, n'aide pas vraiment sa cause. Pour l'instant, aucune action disciplinaire n'a été prise contre Emil Michael. Quand Uber Lyon a provoqué un tollé en envisageant de recruter des mannequins comme conductrices, aucune tête n'a été coupée. Kalanick, 38 ans, racontait lui-même au magazine GQ qu'il surnommait pour plaisanter l'entreprise «Boober» (un jeu de mots sur «boobs», «nichons» en VF) car son succès avait fait grimper sa cote auprès de la gente féminine. Selon la journaliste Sarah Lacy, visée par Uber, il perpétue la «tradition de sexisme et de misogynie qui règne dans la Silicon Valley», de Snapchat à Tinder.

«Un problème d'image et de culture»

«Uber a non seulement un problème d'image, mais aussi, semble-t-il, de culture», analyse Peter LaMotte, de l'agence de communication de crise Levick. Selon lui, il y a désormais «le sentiment que l'entreprise et ses dirigeants agissent sans morale ni éthique». Cela pourrait pousser certains utilisateurs à boycotter le service, refroidir des investisseurs et un peu plus mettre l'entreprise dans la ligne de mire des autorités, estime-t-il.

Uber a embauché cet automne l'ancien directeur de campagne de Barack Obama, David Plouffe, pour jouer les pompiers. Mais selon Peter LaMotte, «aucun communiqué de presse ne pourra réparer les dégâts. Uber doit prouver qu'il peut changer par des actions, pas des mots.»

En baissant les tarifs des courses sans diminuer sa commission, le VTC a récemment fâché ses conducteurs, qui ont manifesté dans plusieurs villes américaines. La pratique du «surge», une multiplication du prix de la course qui peut aller jusqu'à sept ou huit fois en période de pointe, fait de plus en plus grogner les utilisateurs. Si l'entreprise se met à dos ces derniers, Travis Kalanick pourrait se retrouver dans une position inconfortable. Le fondateur de Tinder, Sean Rad, peut en témoigner: il a récemment été viré par son Conseil d'administration.