L'œuvre du champion du patrimoine Eugène Viollet-le-Duc est à l'honneur à la Cité de l'Architecture, au moment où Paris s'interroge sur l'avenir des projets de gratte-ciel
Comment, et quoi, construire dans Paris? Eugène Viollet-le-Duc, 1814-1879, architecte éduqué par des membres de sa famille d'architectes, est lancé par Prosper Mérimée qui lui demande des restaurations dès les années 1840, à l'époque où Louis-Philippe, et bientôt Napoléon III, réconcilient les Français avec les structures si méprisées, et souvent saccagées quand ce n'était pas détruites, sous la Révolution.
Viollet-le-Duc est dès ses débuts en opposition avec l'École des Beaux-Arts. Il n'est pas sur la ligne officielle, mais a fait sa place néanmoins. Il a ses entrées auprès de l'Empereur, et les deux hommes partagent des vues semblables sur l'avenir du visage de Paris: plus lumineux, éclairé, mais avec des monuments et structures anciennes restaurées à leur niveau de splendeur maximale. Mission accomplie pour Notre-Dame de Paris, œuvre commencée déjà par Viollet-le-Duc sous Louis-Philippe et achevée en 1864. Le maître mot était de trouver un idéal dans la restauration d'édifices -- leur donner un éclat qu'elle n'ont sans doute jamais eu à un moment donné de leur passé. C'est la volonté d'amener le meilleur du passé qui le guide, avec quelques excès bien à lui.
Viollet-le-Duc n'a pas vu venir les gratte-ciel
Aurait-il approuvé la Tour Eiffel? Ce que l'on sait, c'est que l'Empereur, Saint-Simonien, impulse à la fois les restaurations et les constructions rationnelles et décorées -- le "haussmannisme" pourrait-on dire. Viollet-le-Duc approuve cette démarche, mais décède trop tôt pour voir venir la verticalité. Nous sommes donc obligés de deviner sa posture sur la question. Voyons Haussmann: peu favorable à la préservation systématique du patrimoine bâti, il épargnait uniquement des édifices d'intérêt historique. Lui aurait approuvé les grands ensembles verticaux.
Pour lier l'époque de Viollet-le-Duc à l'époque actuelle, une exposition connexe a été inaugurée ce 18 novembre, également à la Cité de l'Architecture: "Revoir Paris", une œuvre de talent de deux spécialistes des mondes imaginaires de la bande dessinée, François Schuiten et Benoît Peeters qui présentent "des tracés d'Haussmann aux projets du Grand Paris, en passant par les utopies de Robida et de Perret, ou les projets de Le Corbusier ou Jean Nouvel", en leur propres termes.
Futurisme et post-modernisme donc, qui font passer Viollet-le-Duc pour un simple restaurateur de talent engagé dans une voie de garage architectural, tellement il aurait raté l'émergence des utopies post-haussmanniennes.
Un Paris imaginaire en hauteur
Alors pourquoi réhabiliterait-on aujourd'hui Viollet-le-Duc, en supposant qu'il aurait opté pour la conservation de l'allure passéiste de Paris, alors même que l'on admirerait la Tour Triangle des architectes Herzog et De Meuron? Être à la fois enthousiasmé par un chantre de la restauration du passé et un chantre de l'architecture contemporaine est presque schizophrène. Aller de l'exposition de Viollet-le-Duc à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine à l'exposition connexe "Revoir Paris", qui montre les utopies futuristes sur Paris, puis se transporter au Pavillon de l'Arsenal, où a lieu l'exposition de cette célèbre Tour Triangle,
180 m de haut avec 50 étages. Un objet qui est censé recréer une urbanité de la contemplation des perspectives parisiennes, et sans doute permettre d'admirer Notre-Dame!
Et donc Viollet-le-Duc aurait bien été obligé de rejeter le voyeurisme patent de l'esprit des gratte-ciel. La Tour Eiffel, par sa singularité et son caractère de charpente gracile eût sans doute été tolérable, mais l'essaimage de quartiers comme Beaugrenelle, d'immeubles comme la Tour Montparnasse, et des tours de 20-30 étages dans le 20e et le 13e -- cela ne l'aurait guère ravi. Et la question se pose maintenant: que construirait un nouveau Viollet-le-Duc? Certainement pas la Tour Triangle. Il nous aurait sans doute reconstitué les Halles avant toute chose.