Portrait

Nicolas Gardères, à dada sur ses idées

Iconoclaste et libertaire, cet avocat a tenu à défendre l’extrême droite par souci du respect des droits fondamentaux et amour de la provocation.
par Chloé Pilorget-Rezzouk, photo Edouard Caupeil pour Libération
publié le 15 janvier 2019 à 17h27
(mis à jour le 15 janvier 2019 à 19h59)

Il y a quelques années, Nicolas Gardères aurait été «comme un fou» à l'idée d'avoir son portrait de der dans Libération. De son propre aveu, ce barbu hirsute de 36 ans, tendance quelque peu mégalo, a un temps cherché la lumière. Entre deux volutes de cigarette électronique, l'avocat en droit public (urbanisme, environnement…) nous reçoit dans son cabinet du XVIIe parisien où il exerce seul. Il a le verbe facile, la référence et le name dropping abondants. Pour le définir, on pourrait emprunter cette phrase à Gardères lui-même : «Nobody complet pour le reste du monde, je me suis fait un petit nom dans le faf game parisien.» Défenseur affûté des libertés fondamentales, il raconte dans Voyages d'un avocat au pays des infréquentables comment l'exercice de son métier l'a amené à frayer avec le microcosme de l'extrême droite.

L'histoire commence en 2012. Chercheur sur la radicalité politique, il entreprend une série d'entretiens avec des dirigeants de groupuscules. Son premier cobaye ? Le chef des skinheads parisiens, leader nationaliste de Troisième Voie, aka Serge Ayoub. Ils se rencontrent au Local, bar associatif d'extrême droite logé dans le XVe. Un an plus tard, il défend le mouvement dans la procédure de dissolution ordonnée après la mort de l'antifa Clément Méric. Très vite, la porte du «faf game» s'ouvre : la robe noire représente Riposte laïque ou Daniel Conversano, youtubeur identitaire blanc. S'il défend «les pires fachos», c'est «parce que la restriction de leur liberté d'expression est une atteinte à notre liberté à tous», explique celui qui croit avant tout à la vertu du débat et ne supporte pas «l'assignation de paria imposée à l'autre». Même au facho. Il cite le situationniste belge Raoul Vaneigem, «rien n'est sacré, tout peut se dire», admire Henri Leclerc mais aussi Jacques Vergès, ces avocats de «l'indéfendable».

En 2015, l'iconoclaste est même invité aux Assises pour la liberté d'expression, organisées par Riposte laïque. «Je suis ici en tant qu'ennemi», lâche le «gauchiste» devant une assistance plutôt hostile. Avant de conclure, railleur : «Je vous aime, fils de putes !»Il pratique le grand écart sans scrupule, publiant des tribunes aussi bien sur le site de Boulevard Voltaire que dans Libération, s'invitant quatre années durant sur l'un des plateaux de TVLibertés, la chaîne de «réinformation» de l'ex-cadre FN Martial Bild.

Ceux dont il défend l'absolue liberté d'expression n'ont pas nécessairement la même ouverture d'esprit… Quand, en 2015, il devient l'avocat de la Ligue de défense judiciaire des musulmans fondée par le sulfureux Karim Achoui, au moment de l'affaire des repas de substitution dans les cantines de Chalon-sur-Saône, le faf game goûte peu le mélange des genres. «J'ai été un peu déçu qu'ils me retirent mes dossiers», avoue le colosse en costard. Sur le site de Riposte laïque, un article le campe désormais en «Narcisse compulsif en mal de scène».

Gamin, le petit Nicolas rêvait d'être Thierry Roland. Chaque dimanche devant Téléfoot, le fan du ballon rond coupait le son pour commenter à son tour. D'ailleurs, il est devenu récemment membre du conseil d'administration du Racing Club de France Football. «Obsédé par l'étranger», il se serait bien vu aussi ambassadeur. A 5 ans, ce fils d'un prospecteur dans le pétrole et d'une infirmière connaissait par cœur toutes les capitales mondiales. Mais s'il est né à Abou Dhabi, le garçon a grandi en banlieue parisienne. D'abord chez sa mère. Puis, à 14 ans, l'ado choisit le domicile paternel en attendant d'assouvir son obsession : rejoindre Paris. Loin des après-midi zonés avec les potes au centre commercial ou vautrés devant Fifa, il rêve «des lumières de la ville, de bistros animés, d'intelligence et d'esprit». De «filles aussi», rit ce séducteur, en couple et père de trois enfants de différents lits. Longtemps il a tiré «un mini-complexe» de son milieu d'origine, «ni prolétaire ni cultivé». Il fallait quitter ce ventre mou de la classe moyenne, cette vie pavillonnaire rythmée par des vacances estivales en Vendée ou en Bretagne.

Son bac ES en poche, le jeune homme s'inscrit en fac. Docteur en droit public, auteur d'une thèse sur la Constitution russe de 1993, il aime la politique depuis ses dimanches de débat en famille. Côté paternel, la droite «chiraquienne». Côté maternel, orientation «coco». A 10 ans, le voilà incollable sur le traité de Maastricht. A jour de ses cotisations EE-LV, il votera Jadot aux européennes mais, un poil agoraphobe, n'a pas participé aux récentes marches pour le climat. Anar libertaire, «pro-GPA et féministe», il considère que «la politique ne sert à rien d'autre qu'à rendre la vie des pauvres moins insupportable». A la dernière présidentielle, il n'a pas hésité entre «la peste brune et le banquier», après avoir voté Mélenchon au premier tour. Mais sa curiosité insatiable pour les franges les plus radicales, Gardères la doit sans aucun doute à Raymond, son grand-père, originaire du Sud-Ouest. Un gaulliste devenu lepéniste.

C'est avec Raymond que l'étudiant en droit et en sciences politiques partagera cinq ans de colocation, débattant quotidiennement. Avec lui aussi qu'il assiste à son premier meeting du FN, en 2000. Et écope d'un «connard» du papy, après avoir entonné l'Internationale en pleine assemblée frontiste. Etudiant, Nicolas Gardères s'invitera dans le salon de Jean-Marie Le Pen. Abhorrant l'esprit de sérieux, ce fan absolu de Queen s'amuse encore d'apporter une médiocre bouteille de Sidi Brahim en dîner mondain. L'intempérant reconnaît d'un ton presque coupable : «Le fil rouge de ma vie, c'est la peur de l'ennui. J'ai tout le temps ce besoin de vivre les choses avec une intensité extrême.»

De là à brûler la chandelle par les deux bouts ? «Je ne suis pas un money maker», glisse-t-il pudiquement. Aujourd'hui, il gagne en sérénité : «L'ado en moi me fout la paix.» Avec ce livre, il ne cache pas son soulagement de prendre de la distance avec ces années d'immersion au cœur de l'extrême droite. Attentats, gilets jaunes… l'avocat s'inquiète particulièrement du contexte actuel. «On trouve toujours d'excellentes raisons pour restreindre les libertés fondamentales. Les interpellations préventives ne sont pas acceptables. On met en garde à vue des mecs qui ont des lunettes de piscine et un gilet jaune dans leur coffre !» Désormais, le trentenaire qui déteste les religions - «ça [l]'oppresse» - aimerait, pourquoi pas, retrouver le temps de voyager : «J'ai envie d'aller à Calcutta, pas d'aller me faire chier à Deauville !» Sa dernière ambition pour 2019 ? Calmer un peu «la castagne»… Et lire, enfin, A la recherche du temps perdu.

1982 Naissance à Abou Dhabi.
3 novembre 2009 Prête serment.
Juin 2013 Avocat de Serge Ayoub.
16 janvier 2019 Voyages d'un avocat au pays des infréquentables (L'Observatoire).

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus