L'écrivain Gaspard-Marie Janvier a longtemps eu l'impression que Robert Louis Stevenson était "un copain".

L'écrivain Gaspard-Marie Janvier a longtemps eu l'impression que Robert Louis Stevenson était "un copain".

L'Express

Pour eux tous, c'est un pic, un mythe, une Mecque : quel voyageur n'a pas rêvé de partir sur les traces de L'Ile au trésor, du Maître de Ballantrae, ou encore de L'Etrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde ? On sait ce que l'imaginaire de Michel Le Bris, écrivain-trotteur et créateur du festival Etonnants Voyageurs, doit à l'Ecossais Robert Louis Stevenson (1850- 1894), dont il est devenu le grand spécialiste et dont il réédita de nombreux textes. En 2011, il prolongera lui-même, armé de son autorité sur la question et du manuscrit déniché dans une bibliothèque américaine, le roman inachevé de l'Ecossais : La Malle en cuir ou la Société idéale. Tous ceux qui lorgnent vers le roman d'aventures parlent de L'Ile au trésor. Dans le cas de Gaspard-Marie Janvier, il s'agissait selon l'auteur lui-même d'un "rapport un peu particulier".

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Du coup, Quel trésor !, paru chez Fayard en cette rentrée littéraire, est un hommage autant qu'un jeu. C'est surtout un roman qui contrecolle à l'esprit d'aventure anglo-saxon une expérience narrative plus normée, plus française. D'un ton alerte, une voix nous fait entrer dans cette histoire foutraque au moment où un homme enterre son père. Ce personnage, c'est David Blair, héritier d'une lignée d'éditeurs écossais ayant publié Stevenson. Rangeant les affaires du défunt, il y retrouve un dessin. Représentant deux îlots séparés par une "étroiture", cette carte ressemble fort à celle que dessina en 1881 Stevenson himself, avec son beau-fils Lloyd Osbourne, pour établir les plans de son île au trésor. Et s'il s'agissait de l'original ? Blair lui-même refuse d'y croire. Jusqu'à l'arrivée des notaires et des experts chargés de la succession. Pour eux, "c'est de l'authentique à 75 %, comme vous diriez "Demain, il y a trois chances sur quatre pour qu'il pleuve"". N'oubliant pas le sens des affaires, le notaire choisit de se couvrir et fait une offre mirobolante. Que Blair retoque, tout en voulant non pas se séparer, mais s'éloigner de l'encombrant héritage. Et le descendant de trouver refuge dans l'une des îles de l'archipel des Hébrides, à l'ouest des côtes écossaises.

Une île aride où le principal trésor réside dans ses habitants forts en gueule et en alcool, tous musiciens, où tout le monde est arrivé par hasard ou par fuite, et où tous vivent autour du Lord of the Isles, le pub local qui fait aussi hôtel. Pas d'allusions au kilt écossais (une seule dans tout le roman), au whisky ou à la rage contre la Couronne. Janvier laisse la place aux chants de pub, aux expéditions sous la lune, au spleen et à la parano insulaire, aux rixes entre habitants, ou encore à un prêtre birman. Ici, on marche face au vent, et c'est lui qui mène Janvier vers une écriture fraîche, qui embrasse dialogues et descriptions et les porte dans un même élan. Lequel est, à lui seul, une ode au pouvoir de la littérature.

Ce roman sonne comme la rencontre de l'univers de la littérature d'aventures (L'Ile au trésor, forcément) et des histoires de voyages initiatiques à l'occidentale (dont Robinson Crusoé est l'étendard). Pour bien se faire comprendre, il a d'ailleurs fait partir Blair sur une île imaginaire de l'archipel des Hébrides. Partant de la carte de Stevenson et de son beau-fils (détail véridique dont les biographes de l'Ecossais ont aussi fait mention), Janvier était plus ou moins obligé de prendre l'Ecosse pour cadre. Cela lui a permis de retourner dans un pays qu'il connaît depuis ses 15 ans. A une époque "où les parents étaient plus cool que maintenant", il partit en effet "quelques jours avec une copine". C'était au moment de Noël, sur l'île de Skye, au nord des Hébrides. On comprend mieux pourquoi le vent, les chants, le froid, les étoiles nous semblent si proches, dans Quel trésor !. Pourquoi cette île, en 2012, nous paraît si intemporelle, universelle. Très attiré par l'Irlande et l'Ecosse où il est souvent retourné, Janvier se rappelle aussi que c'est là que lui vint son autre passion : voler. Les avions, l'aéronautique : une discipline dont il fit son activité journalistique durant "dix-douze ans". Pour apprendre à écrire, il publia des articles sur l'aéronautique dans un magazine spécialisé fondé par un ami. Dans Quel trésor !, cette passion est incarnée par le personnage de Warluis, un aviateur français vivant parmi ces Ecossais.

Air, terre et mer sont bien les trois éléments de base du livre. Mais on le sait : il n'est de roman sans main invisible pour l'écrire, sans main pour trouver la forme. Janvier a choisi de raconter cette carte, cette île, cette fuite, par trois voix, dont Blair n'est que la première. Trois voix, et trois "livres" qui constituent le corpus d'un roman où tout le monde a droit de cité. Il y a donc deux histoires dans Quel trésor ! : celle de la carte et celle de la vie au large de l'Ecosse. "Je crois que la littérature, le roman, c'est la pluralité des voix, admet Janvier. Surtout dans une démarche d'écriture qui essaie de se décaler de soi, de s'éviter soi-même. Et le meilleur moyen de s'éviter soi-même, c'est d'inventer des personnages et de les faire distincts de soi."

Avec ces voix, l'auteur a su recréer un univers imaginaire mais crédible, issu d'un monde tout à fait réel. Une entreprise qui rappelle forcément la vivacité à l'oeuvre chez Véronique Ovaldé ou chez Patrice Pluyette, qui eux aussi font naître un monde par des voix et par leur langue. Comme eux, Gaspard-Marie Janvier fait partie de ces romanciers qui, en France, opposent la fiction à l'autofiction. On sent chez Janvier une volonté d'y aller à fond dans l'aventure, un peu comme les comédies de Frank Capra où tout est bon pour la comédie. L'aventure pour l'aventure, écrite par un homme qui n'aime pas cette voie française où "toute une littérature classique s'est construite sur le refus du baroque, de l'aventure. Cette terrible volonté de stabilité : dans les idées, dans la conscience et la raison, dans les jardins à la française comme Versailles". Un romancier qui privilégie "le souffle, étroitement lié à la conquête de l'espace", dont "il vaut mieux qu'il s'exprime dans un roman que dans la réalité".

Dans la drue réalité, Quel trésor ! s'est vu figurer sur la première liste du Goncourt, et est donc en lice pour le Goncourt des lycéens. Une nomination qui fut un "soulagement" pour le romancier, "surtout pour mon éditrice. Je suis heureux car, grâce à ça, le livre a été lu et critiqué". Mais que vient faire un roman d'aventures après cette blague, un Rapide essai de théologie automobile (2006), après un premier roman portant sur la dominicale religion de la messe (Le Dernier Dimanche, 2009) et le pastiche Minutes pontificales sur le préservatif (2010), dans lequel Janvier feignait d'écrire "le compte rendu des séances d'un groupe de travail pontifical qui auditionna, en juillet 2005, au Vatican, experts et usagers du préservatif en vue de la rédaction de la première encyclique du pontificat" ? Il y a certes l'Ecosse, le thème de l'héritage, cher à l'écrivain, avant de baigner l'ambiance du roman. Mais il y a aussi... une sorte d'amitié de Gaspard-Marie Janvier envers Robert Louis Stevenson. "J'ai l'impression que c'est un copain, confesse-t-il. J'ai habité non loin d'un lieu hanté par Stevenson : Grez-sur-Loing [l'Ecossais vécut entre Grez et Barbizon, en 1876-1877 ; c'est là qu'il rencontrera son grand amour Fanny Osbourne, NDLR]. Il y a écrit ses premiers textes." Depuis longtemps, Janvier, bien que vivant désormais en Normandie, hanta ces lieux qui avaient accueilli l'écrivain, et spécialement l'hôtel Chevillon : "Pour moi, il y avait cette envie qu'en développant cette histoire de carte, je me retrouve en train d'écrire avec Stevenson."

Un hommage aussi simple, fin et discret que son auteur : sachez enfin que Gaspard-Marie Janvier est le pseudonyme d'un professeur de littérature en khâgne, à Paris, qui refuse d'en dire plus sur sa "vie de fonctionnaire de l'Etat. Je veux parler de mon roman, et refuse de mêler les deux identités". Ainsi, puisqu'il y a deux identités, il y aura assurément deux héritages.

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