Les Veuves

Braquage au féminin

Nicolas Winter
Juste un mot
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3 min readDec 7, 2018

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Adaptation de la série britannique des années 80, Widows, Les Veuves est également le quatrième long-métrage du réalisateur américain Steve McQueen après les remarquables 12 Years a slave et Shame. Scénarisé par Gillian Flynn (Gone Girl), le film s’attarde sur le destin de plusieurs femmes dont les maris, amants et petit-amis ont trouvé la mort dans une dernière tentative de braquage manqué. Bien décidées à ne pas subir les événements, Veronica organise un nouveau coup avec Linda, Alice et Belle pour se dépêtrer d’un imbroglio politico-gangsta avec Jamal Manning, l’un des deux principaux concurrents pour l’élection du Disctrict Sud de Chicago. Il est étrange à la lecture de ce pitch de se dire que c’est Steve McQueen lui-même qui occupe le poste de réalisateur. Non seulement Les Veuves semble être un polar-thriller tout à fait conventionnel, mais il ressemble aussi dangereusement à un film de commande. Qu’en est-il réellement ?

Combats de femmes

Tout d’abord, Les Veuves axe sa réflexion non pas sur l’élaboration d’un énième plan de braquage parfait (il arrive un peu tout cuit entre les mains de Veronica) mais bien sur l’obligation de trois femmes à se débrouiller seules dans une société où l’homme occupe toujours le devant de la scène. Le personnage de Veronica, interprété par l’impérial Viola Davis, incarne cette passation de pouvoir avec une classe et une force qui donne au message féministe du métrage une résonance toute particulière. Même si l’on reste largement plus dubitatif sur les deux autres histoires, notamment celle d’Alice, il faut avouer que Les Veuves met en scène des figures féminines fortes qui ont une toute autre envergure que les dernières entreprises putassières en date (Ocean Eight…). Ce qui aurait cependant pu devenir un véritable plaidoyer pour l’émancipation féminine finit par se noyer dans les deux autres thématiques abordés par Steve McQueen et Gillian Flynn.

Politique et Races

À force de vouloir manger à tous les râteliers, Les Veuves ajoute une histoire de compétition politique à son récit féministe. Même si le fond du message (à savoir que peu importe le milieu, les politiques sont toujours des escrocs) s’avère intéressant, il n’en reste pas moins qu’en surajoutant la question raciale aux Etats-unis ET les bavures policières ET les discriminations quotidiennes, Les Veuves dilue les différents angles d’attaque de sa narration pour accoucher d’un film trop plein qui ne sait plus où il va. Daniel Kaluuya a beau être impressionnant en méchant absolu et livrer quelques scènes remarquables (le rap tournoyant de la salle de sport), il n’arrive jamais à s’incarner aussi puissamment dans le récit que Veronica. C’est un peu là tout le problème d’un film tellement débordé par ses personnages et ses thématiques qu’il traite tout relativement bien mais jamais remarquablement. Que reste-t-il dès lors ? La mise en scène irréprochable de Steve McQueen qui se réinvente au cours d’une discussion en voiture filmée caméra sur le capot ou lors d’un passage à tabac en hors champ. Le problème, c’est que l’on savait déjà pertinemment que l’américain était intouchable sur ce plan et que Les Veuves n’a ni la puissance émotionnelle d’un 12 Years a slave ou l’audace d’un Shame.

Formellement impeccable mais narrativement foutraque et indigeste, Les Veuves offre au spectateur un bon polar qui n’arrive cependant jamais à sortir de son carcan d’origine pour offrir ce que l’on est en droit d’attendre d’un aussi grand réalisateur que Steve McQueen. Une (petite) déception qui se regarde comme un divertissement de qualité. C’est déjà ça.

Note : 7.5/10

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