Possession

Merry little exorcism

Nicolas Winter
Juste un mot
Published in
5 min readDec 13, 2018

--

Éditions Sonatine, 324 pages
Traduit par
Hubert Tezenas

Prix Bram Stoker du meilleur roman 2015

Totalement inconnu en France, l’américain Paul G. Tremblay nous vient du Colorado. Pour sa première publication dans l’Hexagone, les audacieuses éditions Sonatine ont décidé de miser sur son quatrième ouvrage, A Head Full of Ghosts, renommé pour l’occasion Possession. Lauréat du prix Bram Stoker et déjà en cours d’adaptation par un certain Robert Downey Jr (Iron Man, Kiss Kiss Bang Bang…), Possession n’a connu qu’une exposition toute relative lors de sa récente sortie française. Il faut dire que la lecture de sa quatrième de couverture n’a rien d’originale puisque l’on y parle (encore) d’une énième histoire d’exorcisme qui tourne mal. Qu’est-ce qui a donc bien pu impressionner le maître de l’horreur, Stephen King himself, dans ce Possession ?

L’exorcisme de Marjorie Barrett

Possession commence malheureusement de façon fort conventionnelle.
Dans sa première partie, nous découvrons une famille américaine moyenne, les Barrett, dont la fille aînée, Marjorie, souffre d’étranges problèmes psychiatriques. Ses parents, désemparées et au bord de la banqueroute, se tourne petit à petit vers un prêtre local, le père Wanderly, et vers une émission de télé-réalité, Possession, pour arriver à vaincre le mal qui ronge Marjorie. Dans son premier segment, le roman nous raconte les débuts de la supposée possession démoniaque de l’adolescente. Paul Tremblay recycle tout un pan de la pop-culture et semble même copier-coller L’Exorcisme d’un certain William Friedkin. Les scènes effrayantes s’empilent et le doute s’installe petit à petit dans le cœur du lecteur : Possession n’est-il qu’un roman opportuniste à la façon des dizaines de copies bon marché du film de Friedkin ?
La réponse est…non.

La porte de Marjorie devait être ouverte, parce que je l’entendais fredonner une chanson. Sûrement la plus triste de toutes les chansons tristes, et ses notes voletaient jusqu’en bas de l’escalier avant de tomber dans le hall comme des feuilles mortes: rouges, brunes et violettes.

Par les yeux d’une enfant devenue adulte

L’histoire de la famille Barrett n’est pas racontée par un narrateur omniscient mais bien par Meredith, surnommé Merry, la cadette de la famille et sœur de Marjorie. Au lieu de se borner à changer le point de vue de l’histoire, Paul Tremblay raconte les événements par l’intermédiaire de Merry…qui se confie en réalité à Rachel, une auteure venue l’interviewer bien des années après le drame pour en tirer une oeuvre de non-fiction. Dès lors, l’histoire prend un sens tout à fait différent car ce qui est raconté aux lecteurs devient la version propre de Merry et ce qu’elle en a gardé en mémoire. Pour pousser plus loin ce petit jeu, l’américain glisse des articles de blog d’une certaine Karen Brissette dissertant sur les épisodes de la fameuse télé-réalité Possession qui avait mis en scène ce qui était arrivé dans la maison Barrett. Cela a plusieurs effets tout à fait inattendus sur le récit. D’abord, il a celui de montrer différentes versions d’une même réalité et comment, selon la mise en scène et la volonté des participants, les choses ont pu être bien différentes de ce que l’on pourrait croire initialement. Ensuite, cela offre aux lecteurs une réflexion malicieuse sur le genre avec un regard critique de l’auteur à la fois sur les propres clichés qu’il recycle à tour de bras mais aussi sur l’influence de la pop-culture sur notre vie quotidienne. Mieux encore, cela donne une certaine auto-dérision à Possession, ou du moins à sa première partie, ce qui rattrape totalement le côté déjà-vu (mais efficace) de ce que l’on vient de lire.

Reality show

Vient ensuite la seconde partie du roman où l’on commence à discerner la véritable thématique de Possession. Dans celle-ci, le lecteur suit désormais l’intrusion de la télévision dans le quotidien des Barrett et l’influence du monde extérieur sur la cellule familiale. Arrivé ici, l’horreur se fait plus tenu, moins grossière et glisse irrésistiblement vers quelque chose de plus malicieux. À la façon d’une Douce Lueur de Malveillance de Dan Chaon, Possession brouille les pistes et joue sur la perception du réel. Petit à petit, on comprend que ce qui se trame ici n’est pas forcément une histoire de possession mais plutôt de perception. En imbriquant trois niveaux de lecture — le blog critique, l’interview et le récit principal de Merry — Paul Tremblay dessine une véritable labyrinthe où l’on cherche en vain le Minotaure. Si Possession risque de décevoir un certain nombre de lecteurs, c’est parce qu’il s’achemine vers une histoire terriblement ancrée dans le réel plutôt que dans une explication fantastique…ou pas. Jusqu’au bout du bout (et avec cette troisième partie dont nous ne parlerons volontairement pas), Paul Tremblay joue avec nos à priori, comme un film ou un tour de magie cache ses astuces de mise en scène sous un déluge pyrotechnique clinquant.

J’étais contente d’avoir enfin une chance de jouer un rôle dans quelque chose qui se passait à la maison. Depuis que ma sœur aspirait la quasi-totalité des ressources parentales, j’avais l’impression de me perdre, d’être une photo tombée de l’album de famille.

Démon, où es-tu ?

Tout aussi impressionnant, Possession aborde un nombre de thématiques proprement ahurissant. Du passage de l’adolescence perçu comme une véritable possession démoniaque au désespoir parental qui trouve en la religion un dernier souffle salvateur en passant par le pouvoir des histoires sur l’imaginaire de fillettes innocentes (ou presque), Possession regorge de propositions fascinantes à la fois sur le sous-genre du récit d’exorcisme mais aussi, et surtout, sur le rôle qu’il joue désormais dans la vie de l’américain moyen, croyant ou non. Grâce à un habile tour de passe-passe, le livre de Tremblay se transforme en une partie de cache-cache grandeur nature où le démon n’est jamais là où on le croit. L’américain finit par retourner sa problématique initiale comme un gant en accouchant d’un tableau flou où le lecteur a peur de véritablement lire entre les lignes…et d’y trouver son souffle glacé dans une pièce aux fenêtres fermées.

Délicieuse arnaque et formidable récit sur la perception du réel, Possession va beaucoup plus loin que le simple drame horrifique saupoudré de télé-réalité. Paul Tremblay dissèque le genre avec intelligence tout en développant une histoire d’autant plus effrayante qu’elle s’inscrit durablement dans le réel.
Roublard et passionnant.

Note : 9/10

>> Ce livre fait partie des 40 livres de la Bibliothèque idéale de l’Horreur

--

--