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Professeur agrégé de philosophie, Ancien élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Jacques_Delfour

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Billet de blog 20 avril 2019

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La police et le débat en tant que spectacle

La violence élevée de la répression policière a pour fonction de former un abcès de fixation dans la guerre des signes qui dissimule la guerre des ultra-riches contre tous les autres, et la transformation des outils démocratiques en leurres oscillant entre divertissement et diversion.

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La violence élevée de la répression policière n’est pas seulement le signe que le pouvoir néo-libéral se croit invulnérable. Elle ne vise pas qu’à persuader de renoncer au droit de manifester en rendant son exercice difficile, coûteux et dangereux. Elle a pour fonction de former un abcès de fixation dans la guerre des signes qui est un des fronts de la guerre des ultra-riches contre tous les autres, et la transformation des outils démocratiques en leurres oscillant entre divertissement et diversion.

Les « casseurs », catégorie créée par les propriétaires, désignent des groupes sociaux hétérogènes limités aux classes populaires. C’est le mythe bourgeois de la foule criminelle et des classes laborieuses donc dangereuses. Les hordes de casseurs présentent au pouvoir une image spéculaire : les ultra-riches peuvent voir leur propre visage, leurs propres actions, dans le miroir des saccages urbains. C’est pourquoi le président des ultra-riches selon la sociologie (Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot), est si féroce contre eux.

Les spéculateurs financiers, les capitalistes de tous bords et de tous pays cassent chaque jour qui passe emplois et travailleurs. Via leurs représentants politiques, ils légalisent d’innombrables saccages sociaux, détruisent le code du travail, les services publics, tout ce qui contribue à donner une cohésion à la société. Ce sont eux les incendiaires.

Les casseurs de la solidarité, les vrais destructeurs de la société, ne courent pas dans les rues et ne jettent pas de misérables pavés sur les forces du désordre néo-libéral. Ils officient dans de beaux bureaux, portent costume et cravate, s’expriment élégamment et rationnellement dans les médias qui psalmodient leur évangile de destruction.

Les casseurs-de-la-rue sont quelques poignées, quelques milliers, à l’équipement ridiculement inefficace, comparé à celui des casseurs-des-bureaux qui disposent de la police, de la gendarmerie, des ministères, des médias, des banques, des industries. Si le ministre de la police n’avait, en parlant de « scènes de guerre civile », d’autre but que de dramatiser la violence de quelques-uns afin de justifier la violence de la répression contre tous, on rirait de bon cœur devant cette prétendue « guerre civile ». À moins de faire une autre hypothèse : la « guerre civile » désignerait la volonté de résistance populaire. Et ce serait celle-ci qu’il s’agirait de briser grâce à la violence policière, grâce aux mutilations trop nombreuses pour ne pas être voulues.

Non seulement les casseurs-de-la-rue sont inefficaces, mais il faut reconnaître qu’ils soutiennent les casseurs-des-bureaux. En effet, ceux-là détruisent seulement quelques signes du pouvoir néo-libéral, c’est-à-dire quelques marchandises : ils justifient ainsi la violence policière, et légitiment indirectement la violence des riches. Ceux-ci jouissent de la plus grande impunité possible, leur délinquance est invisible : la criminalité financière et fiscale atteint des sommets tandis que les moyens judiciaires, mobilisés contre elle, sont tragiquement, quoique volontairement, insuffisants. Les casseurs-des-bureaux cassent tous azimuts, quasiment partout et depuis des décennies. Situés tout au sommet de la pyramide, ils organisent la contagion épidémique de la violence néo-libérale, l’extension de la guerre économique mondiale.

Le combat police / casseur-de-la-rue occupe la scène médiatique, joue une parfaite fonction de leurre. Laquelle tend à dissimuler un autre fait : la généralisation des techniques de surveillance et de contrôle. L’intrusion des technologies de communication dans la vie professionnelle et privée semble sans fin. Le quadrillage social, matériel et mental, devient de plus en plus fin et de plus en plus rusé. La police électronique est bien plus discrète que la pauvre police des rues, chargée de rappeler l’usage exclusif de l’espace public comme espace marchand.

Les casseurs-de-la-rue, en ne s’attaquant qu’à quelques signes des riches (bijouteries, vitrines de banques, etc.), protègent ces derniers. Cette contradiction concerne aussi les policiers. Ils ont pour mission de protéger l’ordre public, mais en fait ils obéissent à des élus qui font la politique du grand désordre néo-libéral, appuyé sur la négation du bien public. Les uns croient agresser ceux qu’ils servent et les autres croient défendre ceux qui les trahissent légalement. L’on s’accoutume ainsi à la contradiction et à une apparence de résolution par la violence physique d’État, ouvrant la voie à une brutalisation contagieuse et risquée.

Enfin, le scandale est bien que le débat supposé démocratique se déroule pour répondre au vœu des manifestants que la répression policière désavoue en même temps. Le pouvoir dit d’une main de velours « ce débat est le vôtre », et, de l’autre main, tirant au LBD, il dit : « vous êtes disqualifiés comme antidémocratiques ».

Le « grand » débat est un spectacle qui simule la démocratie. Évidemment, le gouvernement n’accepte pas que ces micro-assemblées s’imaginent constituantes. Elles ne sont là que pour maquiller ce débat en plébiscite. Une synthèse gouvernementale, laminoir à visée funéraire, produira la confirmation populaire de sa propre politique et des miettes pour rapatrier quelques électeurs.

La police, en tant que spectacle de l’ordre néo-libéral violent, figure la vérité de ce gouvernement autoritaire pour lequel le débat et la démocratie ne sont qu’un spectacle de la légitimation, laquelle soutient le règne hégémonique de la seule finalité qui compte : le profit maximal à n’importe quel coût social.

Jean-Jacques Delfour

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