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Gilets jaunes : deux journalistes interpellés à Paris lors de l'acte XXIII

Deux journalistes indépendants ont été placés en garde à vue. Le syndicat national des journalistes dénonce une entrave à la liberté d'informer.
par Cédric Mathiot et Jacques Pezet
publié le 20 avril 2019 à 21h28

Question posée par le 20/04/2019

Voici votre question : «Y a-t-il eu des arrestations ciblées de journalistes lors de la manifestation des Gilets Jaunes, lors de l'acte 23 ?» 

Bonjour, votre question renvoie à l’arrestation de deux journalistes indépendants, Gaspard Glanz et Alexis Kraland, à Paris lors de l'acte XXIII.

Gaspard Glanz arrêté à République

Le premier, fondateur de l’agence Taranis News, et spécialiste bien connu des conflits sociaux, a été interpellé violemment place de la République, dans l’après-midi. Plusieurs vidéos tournent de la scène. Sur celle-ci, on voit plusieurs policiers aller chercher le journaliste, identifiable à son casque siglé TV, et le mettre brutalement à terre après qu’un des policiers a tenté de lui faire une balayette.

Le compte twitter du collectif Lameutephotographie a également diffusé des photos où l'on voit le journaliste, debout, être escorté par les forces de l'ordre.

L'un des photographes du collectif, qui a assisté à la scène, raconte : «Il y avait des affrontements depuis plus d'une heure. Une colonne de CRS a été prise à partie. Les gendarmes, je crois, ont déclenché une charge pour les sortir de là et c'est à ce moment qu'ils ont attrapé Gaspard Glanz. C'était une interpellation ciblée. Ils l'ont emmené jusqu'au Go Sport. Pour éviter qu'on prenne des photos, ils ont plaqué sa tête sous un bras et ils masquaient son visage avec leurs gants»

Également témoin de l'interpellation, le photojournaliste Maxime Reynié indique qu'avant son interpellation Gaspard Glanz venait d'apostropher les forces de l'ordre suite à une «petite embrouille» causée par un projectile évité: «Il s'est énervé et s'est mis à gueuler qu'il voulait voir le commissaire. Puis deux flics sont revenus pour l'interpeller, en le plaquant au sol. Quand ils l'ont attrapé, on a tous protesté en criant: "c'est un journaliste", mais ils nous ont ignorés.»

Une autre source confirme que l'interpellation a eu lieu après un premier échange tendu avec les forces de l'ordre. Ces dernières étant «revenues le chercher.» Une vidéo montre le journaliste, avant son arrestation,  adresser un doigt d'honneur aux forces de l'ordre.

Selon le parquet de Paris, contacté par CheckNews, Gaspard Glanz a été placé en garde à vue du chef de «participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations», ainsi que pour «outrage sur personnes dépositaires de l'autorité publique».

Alexis Kraland arrêté dans la matinée à la Gare du Nord

L’autre journaliste, Alexis Kraland, également indépendant, et rompu lui aussi aux manifestations, a été arrêté dans la matinée, gare du Nord, ont indiqué plusieurs tweets, dont celui de Maxime Reynié, photographe.

Les photojournalistes Maxime Reynié et Robin Jafflin, ainsi qu'un troisième témoin indiquent à CheckNews que les policiers avaient repoussé les Gilets jaunes dans la gare du Nord, qui étaient ensuite descendus vers le métro. Le groupe de photojournalistes les suivait de loin, ils ont alors vu Alexis Kraland se faire interpeller par «la compagnie cynophile» de la police comme on peut le voir sur cette photo d'une journaliste également présente. Robin Jafflin raconte: «Ils ont commencé à le contrôler et à lui poser des questions sur son matériel. Il leur a répondu qu'il était journaliste. Le contrôle était tranquille au départ, puis ça a chauffé et ils l'ont plaqué contre le mur avant de lui mettre des serflexs». Le troisième photographe, témoin de la scène, a constaté qu'un des policiers «lui tapait sur la main avec laquelle il tenait son appareil photo». Le groupe de photographes, qui prenait des images de l'interpellation, a quitté la scène suite aux menaces des policiers de saisir leur matériel également.

«On penserait qu'ils le laisseraient partir au bout de 4 heures, après une vérification de son identité. C'est un moyen de l'empêcher de faire son travail, mais on n'a pas eu de nouvelles» raconte Robin Jafflin.

Alexis Kraland témoigne auprès de CheckNews

CheckNews a également contacté Alexis Kraland, alors qu'il venait de quitter le commissariat de la rue de l'Évangile, dans le 18e arrondissement de Paris.

«Je suivais les gilets manifestant de loin parce que j’étais arrivé un peu tard. Ils voulaient prendre le métro, mais là j’ai eu un "Monsieur, contrôle". C’était la brigade cynophile, mais ils n’avaient pas de chiens. Ils étaient habillés en tenue anti-émeute. J’ai demandé le motif du contrôle, ils m’ont répondu que c’était sur réquisition du procureur. Ils ont directement montré de l’intérêt pour ma caméra. Ils m’ont demandé de leur donner, mais j’ai refusé en leur disant que j’étais journaliste, que c’était mon matériel et que je ne leur donnerai que si j’étais en garde à vue. Ils se sont enervés. L’un d’entre eux a dit qu’il en avait marre et qu’ils allaient m’embarquer. Quand je leur ai demandé pourquoi ils voulaient mon appareil, ils m’ont répondu que ça pouvait être une arme par destination. On m’a mais les serflexs aux poignets, mais je n’ai pas lâché mon appareil, je ne voulais pas qu’ils l’abîment ou qu’ils prennent ma carte mémoire.

Ils m'ont ensuite emmené à la surface au niveau de la gare routière, où ils ont fouillé mon sac. Ils ont trouvé mon grinder, que j'avais laissé, où il restait une miette d'herbe. À ce moment-là, à l'oral, ils m'ont dit que le motif de mon interpellation était rébellion contre palpation. Puis au commissariat c'est devenu détention de produit stupéfiant.»

Aucun de ces deux motifs n'a visiblement été retenu, puisque selon le parquet de Paris, contacté par CheckNews, Alexis Kraland a été placé en garde à vue du chef de «participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations».

«Je tiens à préciser que durant toute ma garde à vue, je n'ai pas eu de notifications de mes droits à appeler un avocat ou un médecin, explique l'intéressé. J'ai passé environ 8 heures et quart en garde à vue. J'ai refusé de signer ma déclaration parce qu'il y avait des informations contradictoires: ils écrivaient que j'étais sans profession, sans ressources puis plus bas que j'étais photographe et combien je gagnais. Quand j'ai demandé à voir un médecin pour ma main, qui finalement n'a qu'un bleu, ils m'ont dit que s'ils en appelaient un, ils en profiteraient pour lui demander de me faire un test urinaire. J'ai aussi refusé de donner mon ADN et mon code de téléphone. Ils n'ont pas insisté».

Finalement, Alexis Kraland a été libéré peu avant 20 heures. Il indique n'avoir reçu aucun papier: «On est venu me chercher et on m'a dit c'est bon, je pouvais partir. Je n'ai rien eu. Personne ne m'a rien dit donc je suppose que c'est sans suite. J'ai récupéré mes affaires, où il manquait mon matériel de protection. On m'a répondu qu'il avait été détruit sur ordre du magistrat.»

Gaspard Glanz et Alexis Kraland avaient fait l'objet d'un portrait dans l'Obs, il y a deux ans.

D’autres témoignages font état de journalistes visés par les forces de l’ordre lors de cet acte XXIII.

Dans l’après midi, le SNJ (syndicat national des journalistes) a réagi aux interpellations, demandant au gouvernement de respecter la liberté d’informer et de ne pas bafouer l’état de droit.

Cordialement

Edit : Mise à jour à 23h34 samedi 20 avec ajout de la vidéo montrant le doigt d'honneur de Gaspard Glanz.

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