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Attaques chimiques en Syrie : les intox de la Russie

Médias et officiels russes ont multiplié des déclarations cherchant à avertir de possibles bombardements au chlore par des « terroristes » qui chercheraient à « piéger » Bachar Al-Assad.

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Publié le 31 août 2018 à 18h25, modifié le 31 août 2018 à 19h12

Temps de Lecture 5 min.

« Des terroristes prépareraient une attaque chimique en Syrie dans deux jours pour piéger Al-Assad. » Cette attaque à Kafr Zita, dans la province d’Idlib, « annoncée » — au conditionnel — par des médias russes n’a finalement pas eu lieu. Mais la prochaine serait imminente, si l’on en croit Moscou. Où ? A Saraqeb ou « dans le sud », comme l’annonce l’ambassade de Russie en Israël ? Ou au contraire dans l’Ouest, près de Jisr al-Choughour, où des djihadistes ouïgours en auront la responsabilité avec l’aide de mercenaires britanniques, selon l’ambassade de Russie à Washington ?

Depuis que les bruits de bottes se font entendre autour de la province, dernier fief rebelle promis à une offensive militaire imminente, des responsables, ambassades russes, médias gouvernementaux et pro-Bachar Al-Assad multiplient les informations faisant état de préparatifs d’attaques chimiques dans la région. L’objectif serait de légitimer, selon eux, une intervention occidentale contre les forces gouvernementales syriennes et leurs alliés.

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Le 26 août, le major général Igor Konashenkov, porte-parole du ministère de la défense russe, avait lancé l’offensive en assurant que « des spécialistes anglophones sont arrivés dans la zone de désescalade d’Idlib pour organiser une attaque chimique à l’aide de roquettes remplies de chlore. Les gens s’habilleront comme des casques blancs [les secouristes de la défense civile] pour tourner des vidéos les montrant en train de souffrir de prétendues munitions chimiques lancées par les forces gouvernementales syriennes ».

Une déclaration naturellement relayée par RT (anciennement Russia Today) et Sputnik News, deux des principaux relais médiatiques d’influence de Moscou.

Igor Konashenkov avait précisé que l’opération devrait se dérouler dans le village de Kafr Zita « dans les deux prochains jours ». Si l’« opération » n’a pas eu lieu, son annonce a rappelé de mauvais souvenirs aux premiers intéressés, les habitants. La ville a en effet subi dix-sept attaques supposées au chlore depuis 2014

« Le régime et la Russie veulent forcer la population à fuir et veulent salir la réputation de la défense civile, a réagi le conseil local de la ville (la municipalité). Cela suggère que le régime a délibérément l’intention de [nous] bombarder avec du gaz chimique. »

Des casques blancs se mettent en scène, selon le Kremlin

Les médias prorusses attribuent des attaques chimiques aux rebelles ou aux services de secours depuis 2013 et une attaque au sarin dans la Ghouta, près de Damas, qui a fait des centaines de morts. Mais ces campagnes se sont accélérées après celle, toujours au sarin, de Khan Cheikhoun en 2017. Les enquêteurs de l’ONU en ont attribué la responsabilité au régime syrien.

Pour appuyer la démonstration de « Kafr Zita », la semaine passée, des images d’une mise en scène ont une nouvelle fois été exposées comme « preuve » par des comptes Twitter d’ambassades russes.

Les auteurs de ce hoax, qui s’adresse de toute évidence à un public occidental, n’ont pas pris la peine d’effacer le nom inscrit en arabe sur le clap utilisé pendant le tournage : Najdat Anzour, réalisateur présumé, donc, de la « mise en scène » rebelle.

L’auteur comme le tournage sont bien réels. Il s’agit du film Revolution Man, une fresque sur la guerre, produite par le ministère de la culture syrien et financée par l’entreprise d’Etat de télécommunications Syriatel. L’image en question figure d’ailleurs sur le compte Facebook promotionnel du film.

Ironiquement, le film, sorti en mars 2018, a pour but affiché de contrer la propagande adverse : « La Syrie a été soumise à beaucoup de désinformation et de fausses allégations […] et le film vise cet aspect pour livrer son message… », expliquait le responsable média de Syriatel le 3 mars.

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Difficile de ne pas déceler un fil conducteur dans la propagande russo-syrienne à la lecture du synopsis : « Le film raconte l’histoire d’un journaliste à la recherche de renommée et de prix internationaux qui entre illégalement en Syrie pour prendre des photos et des vidéos de la guerre. Après avoir échoué à atteindre son objectif, il aide les terroristes à fabriquer un incident avec des produits chimiques. »

Une vidéo « preuve » issue d’un making-of

Le 13 février déjà : mêmes accusations, et mêmes éléments de langage. En se basant sur des « renseignements anonymes » parvenus aux militaires russes déployés en Syrie, un article publié par RT accusait les casques blancs et les djihadistes du Front al-Nosra de planifier une attaque à l’arme chimique. Lieu de l’attaque prévue : Saraqeb. Soit le site, là encore, d’une attaque qui avait déjà eu lieu… neuf jours plus tôt, le 4 février.

L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) avait confirmé le 16 mai que du chlore avait été « vraisemblablement utilisé comme arme chimique ». « Du chlore a été libéré de cylindres par impact mécanique dans le quartier d’Al-Talil, à Saraqeb », affirmait un communiqué de l’institution.

En mars, dans la région d’Al-Tanf (Sud-Est), après une brusque montée des tensions entre des forces américaines et des rebelles locaux d’un côté, et des forces syriennes et pro-iraniennes de l’autre, Washington était cette fois accusé par le ministère de la défense russe de planifier des attaques chimiques dans le Sud.

« Nous disposons d’informations fiables selon lesquelles des instructeurs américains ont formé un certain nombre de groupes militants dans les environs de la ville d’At-Tanf pour organiser des provocations à l’aide d’agents chimiques dans le sud de la Syrie », déclarait alors le général Sergueï Rudskoy.

« Au début du mois de mars, les groupes de saboteurs ont été déployés dans la zone de désescalade sud vers la ville de Deraa, où sont stationnées les unités de la prétendue Armée syrienne libre. »

Des accusations là encore fantaisistes, non étayées et démenties par les faits. L’enclave de Deraa sera, elle, reprise par les forces gouvernementales quelques mois plus tard, au début de l’été.

Le 7 avril, une attaque, bien réelle celle-là, visait la ville de Douma, dans la Ghouta orientale, et tuait une quarantaine de personnes. Le fait qu’elle ait impliqué des hélicoptères gouvernementaux n’a pas empêché le gouvernement russe d’affirmer que le gouvernement britannique avait ordonné aux casques blancs de simuler une attaque.

Le 9 avril, la télévision d’Etat Russia-1 avait présenté des preuves de la mise en scène : des images… elles aussi empruntées au making-of du film Revolution Man.

La télévision d’Etat Russia-1 a présenté ces images (issues du making-of du film « Revolution Man ») comme ayant été tournées par les « casques blancs » à Douma.

Si ces « annonces » ne sont pas toujours liées à des attaques réelles, elles anticipent souvent des opérations des forces gouvernementales. Comme si Mosocu cherchait à systématiquement brouiller les pistes de façon préventive alors que des dizaines d’attaques — majoritairement au chlore — ont été documentées dans le pays. Que Damas envisage, ou pas, d’utiliser des armes chimiques dans la province d’Idlib, le compte à rebours de l’offensive est bel et bien lancé.

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