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Syrie: Trolls et robots russes à la manœuvre après une attaque chimique

Selon une étude américaine, Moscou est à l'origine d'une campagne sur Twitter pour tenter d'empêcher les représailles occidentales après une attaque chimique dans la banlieue de Damas le 7 avril.
par Luc Mathieu
publié le 26 septembre 2018 à 9h58

«Une offensive tactique, de court terme et bien coordonnée». L'expression est militaire, et elle désigne une bataille virtuelle, menée sur Twitter. Le Centre américain des études sur la non-prolifération de Monterey (Etats-Unis) a analysé les messages qui niaient la responsabilité du régime syrien dans l'attaque chimique du 7 avril à Douma, une enclave rebelle de la banlieue damascène, et qui condamnaient les frappes lancées en représailles une semaine plus tard par Washington, Paris et Londres. Entre 16 et 20% de ces posts ont été envoyés par «un acteur étatique, très certainement la Russie», et la moitié d'entre eux ont été écrits par des trolls qui se coordonnaient ou des «bots», des comptes automatiques, révèle l'étude américaine.

L'attaque du 7 avril a fait une soixantaine de morts, selon l'Union des organisations de secours et soins médicaux, une ONG française. Trois jours plus tard, la France déclassifie un rapport de ses services de renseignement qui conclut à un bombardement chimique. Le 14 avril, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France répliquent et bombardent des sites de l'armée syrienne. Entre temps, les autorités russes avaient multiplié les narratifs, quitte à se contredire. L'attaque chimique est d'abord niée. Puis Moscou accuse les Occidentaux de détruire les preuves en bombardant. Le 21 avril, Damas finit par autoriser les enquêteurs de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) à se rendre sur les sites visés. Leur premier rapport conclut à la présence de «composés chlorés».

Théorie du complot

Sur Twitter, trolls et robots se déchaînent dès le 8 avril. Leurs tactiques se rejoignent. Ils peuvent par exemple user de théories du complot en affirmant que c'est l'Etat islamique, qui n'était pourtant pas présent à Douma, qui a utilisé des armes chimiques. Ils menacent de l'imminence d'une troisième guerre mondiale si les Etats-Unis interviennent contre le régime syrien. Ils affirment que l'OIAC, où siègent 192 pays, est un outil des Occidentaux pour discréditer Damas.

Parmi leurs auteurs, on trouve par exemple "@12wewvT5dWLwtyK", dont la photo de profil est celle d'une mannequin britannique. D'ordinaire, le compte poste surtout des liens vers des sites commerciaux et des articles en russe. Inactif depuis le 7 février, il se réveille brutalement le 11 avril, quatre jours après l'attaque, et interpelle en anglais le président américain Donald Trump : «Mieux vaut un monde mauvais qu'une bonne guerre. Vous savez qu'il n'y a pas eu d'attaque chimique !» ; «Nous ne voulons pas la guerre mais nous savons nous battre.» «Le basculement rapide de posts automatiques et commerciaux vers des discours politiques adaptés en anglais indique qu'il s'agit d'un robot», note l'étude.

Blocage

Comme lui, le dénommé «Christopher Arteaga» s'adresse directement à Trump pour tenter de gagner en visibilité et en impact. Ses premiers messages datent de début avril, quelques jours après un bombardement au sarin du régime de Bachar al-Assad contre la ville de Khan Cheikhoun (nord-ouest). Tout en reprenant les discours de Moscou, il se présente comme un supporteur déçu de Trump, une tactique là aussi courante selon le Centre de Monterey. Son dernier message remonte au 15 avril, lendemain des représailles occidentales en Syrie.

Depuis le début de son intervention en Syrie, à l'automne 2015, pour sauver le régime de Bachar al-Assad, Moscou multiplie les tentatives de désinformation, selon les diplomates occidentaux. Sa stratégie n'est pas uniquement pour promouvoir un discours alternatif mais d'accumuler les versions pour faire oublier les faits. «On ne peut plus s'accorder sur les bases minimales d'une discussion. Lavrov peut vous soutenir qu'une table que vous avez sous les yeux est rouge alors qu'elle est noire», expliquait récemment un diplomate français.

Le Kremlin s'emploie aussi à détruire les mécanismes internationaux de contrôle de l'emploi d'armes chimiques. En novembre 2017, il a empêché que le mandat de la commission d'enquête conjointe de l'ONU et l'OIAC soit renouvelé. C'est cette commission qui avait travaillé sur l'attaque de Khan Cheikhoun et conclu à la responsabilité du régime syrien. Face au blocage russe, plusieurs pays membres de l'OIAC ont riposté en faisant voter un changement des prérogatives de l'organisation. Depuis juin, elle peut désormais enquêter sur les auteurs d'un bombardement, et pas seulement sur sa nature chimique. Seuls 24 pays, sur les 106 qui ont voté, s'y étaient opposés. Parmi eux figuraient la Russie et la Syrie.

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