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La fin de Ben Laden (4/4) : l'image manquante

Le récit de la fin de Ben Laden (4/4). Trois jours après l'annonce de la mort d'Oussama Ben Laden, aucune photo de sa dépouille mortelle n'a encore été publiée. Une attitude qui rompt avec la politique traditionnelle des Etats-Unis.

Par Aline Leclerc

Publié le 04 mai 2011 à 17h27, modifié le 14 mars 2012 à 13h00

Temps de Lecture 5 min.

Un photographe pakistanais expose ses photos d'Oussama Ben Laden. Trois jours après sa mort, celle de sa dépouille manque toujours.

Trois jours après l'annonce de l'élimination d'Oussama Ben Laden, les autorités américaines n'ont toujours pas produit de preuve de la mort du chef d'Al-Qaida. Le corps de l'ennemi public numéro un des Américains a été abandonné en mer (lire : "La fin de Ben Laden (3/4) : un mort sans cadavre"). Et le président américain, Barack Obama, a déclaré mercredi 4 mai à la chaîne de télévision CBS qu'il s'opposait finalement à la publication de photos de la dépouille mortelle d'Oussama Ben Laden. Une attitude qui rompt avec la politique des Etats-Unis, qui ont souvent choisi de diffuser les clichés de leurs ennemis, morts ou capturés.

  • Prouver la mort des ennemis, une habitude américaine

En 1967, pour prouver à ses partisans et à la communauté internationale que le révolutionnaire marxiste Che Guevara était bien mort, la CIA avait fait le choix d'exposer publiquement son cadavre. Des centaines de personnes et des journalistes du monde entier étaient venus voir son corps à l'hôpital de Vallegrande en Bolivie. De nombreuses photos avaient alors été prises, qui circulent encore aujourd'hui.

Des militaires boliviens présentent le 10 octobre 1967 à Vallegrande à la presse internationale le corps d'Ernesto

Par la suite, l'administration américaine a plusieurs fois fait la preuve de ses "succès" en divulguant au grand public l'image des "vaincus". Lors de la guerre en Irak, l'armée américaine a ainsi diffusé des photos de cadavres des combattants adverses, notamment de celui d'un des fils de Saddam Hussein, ou encore d'Abou Moussab Al-Zarkaoui, chef d'Al-Qaida en Irak, tué dans un raid en 2006.

Un soldat américain installe une photo du cadavre du chef d'Al-Qaida en Irak, Abou Moussab Al-Zarkaoui, tué dans un raid américain en 2006, à Bagdad.

Dès l'annonce de la mort d'Oussama Ben Laden, dimanche 1er mai au soir, on s'attendait donc à une publication rapide des photos du cadavre par les autorités américaines. Ce qui a d'ailleurs été réclamé dès lundi par des élus du Congrès américain.

  • La fausse photo

Lundi matin, les médias pakistanais ont diffusé une première image d'un visage extrêmement tuméfié, à la barbe fournie. La photo va circuler en quelques heures dans le monde entier et être présentée par des journalistes imprudents comme "la preuve par l'image de la mort d'Oussama Ben Laden." Il ne s'agissait pourtant que d'un grossier photomontage, qui circule sur Internet au moins depuis 2009.

Lire "Une fausse photo de Ben Laden mort fait le tour du monde"

Malgré le mea culpa des médias fautifs, malgré le démenti formel des autorités américaines rappelant qu'elles n'ont encore diffusé aucune photo du cadavre, l'image continue de circuler et d'alimenter les thèses conspirationnistes.

Le photomontage réalisé à partir du bas du visage sur la première image, et du haut de la seconde.
  • La première photo officielle, dans la "Situation Room"

La première série de photos officielles que va diffuser l'administration Obama ne sera pas celle du corps de Ben Laden, mais celle, en complet décalage, du président américain et de son équipe, suivant, dimanche soir, l'assaut contre Ben Laden dans la Situation Room, la salle de crise de la Maison Blanche.

Dans la salle de crise, pendant l'assaut, dimanche après-midi.

Que racontent ces images de ce qui se passe, au même moment, à Abbottabad ? Rien. De l'identité des occupants de la maison ? Rien. Devant les demandes pressées de photos du cadavre, ces photos-là, dignes d'un bon "feuilleton télévisé", ont fait office de "bouche-trou", selon les mots de Laurent Gervereau, président de l'Institut des images.

  • Une photo "atroce"

"Je serai franc, la publication des photos d'Oussama Ben Laden après cette fusillade est sensible, et nous évaluons la nécessité de le faire", avait déclaré mardi le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney. La question était de savoir si une telle publication "sert ou dessert nos intérêts, pas seulement ici mais dans le monde entier".

Le souvenir, justement, des conséquences de la diffusion des photos de la dépouille de Che Guevara hante encore les Américains. "Cela avait créé un mouvement d'opinion international extrêmement fort", rappelle Laurent Gervereau. Alors même que le visage du guérillero, tué de plusieurs balles dans le corps, était présentable. Ce qui ne serait pas le cas de celui d'Oussama Ben Laden, touché au visage. Selon les termes du porte-parole de la Maison Blanche, la photo prise dans la nuit de dimanche à lundi "est atroce".

La première crainte des Américains est donc que la violence de cette photo suscite l'indignation d'une partie de l'opinion, voire donne du grain à moudre aux extrémistes. Jugées dégradantes, les photos publiées en 2003 après la capture d'un autre ennemi historique des Etats-Unis, Saddam Hussein, avait suscité d'importantes critiques contre l'armée américaine, partout dans le monde.

Saddam Hussein is filmed after his capture in this footage released December 14, 2003.
  • Eviter la "propagande"

Mais, forts de l'expérience du Che, les Américains redoutent encore plus que la diffusion d'une photo fasse d'Oussama Ben Laden un martyr. Et que cette image elle-même devienne un nouveau symbole, voire un étendard que brandiront sur drapeaux et tee-shirts, les opposants des Etats-Unis lors de manifestations.

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Pas étonnant, donc, que les Etats-Unis aient pris le temps de la réflexion. Mais peuvent-ils pour autant décider de ne rien publier au risque de laisser libre court au doute et à la suspicion ? Mardi, le directeur de la CIA ne semblait pas de cet avis : "Le gouvernement discute évidemment de la meilleure manière de procéder, mais je crois que personne n'a douté un seul instant qu'au bout du compte une photographie sera présentée au public", a déclaré Leon Panetta dans une interview à la chaîne NBC News.

Cependant, rappelle Laurent Gervereau, "l'image n'est jamais une preuve, elle ne l'a jamais été. Ce sont toujours des documents à questionner".

Mercredi, après trois jours de réflexion, Barack Obama a finalement décidé de ne pas publier de photos de la dépouille estimant qu'elles constitueraient un "risque pour la sécurité" des Etats-Unis. "Nous avons discuté cela en interne, et souvenez-vous que nous sommes absolument certains que c'était lui. Il y a eu des prélèvements et des analyses ADN. Donc il n'y a aucun doute sur le fait que nous avons tué Oussama Ben Laden", a affirmé M. Obama lors de l'enregistrement de l'émission "60 minutes", sur la chaîne CBS. L'entretien sera diffusé dimanche en intégralité.

"Il est très important de ne pas laisser des preuves photographiques dans la nature comme un outil d'incitation [à la violence] ou de propagande. Ce n'est pas notre genre. Nous n'arborons pas ce genre de choses comme des trophées", a ajouté Barack Obama.

Pour certains commentateurs, cela ne veut pas dire, pour autant, que les photos ne seront jamais publiées. Mais lorsqu'elle le seront, cela apparaîtra davantage comme une concession, pour répondre aux doutes, que comme l'exhibition d'une prise de guerre.

Lire les autres volets de ce récit : "La traque"
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