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L’IA, bel exemple de l’intégration civilo-militaire chinoise pour la domination




Publié par Agnes Boschet le 11 Décembre 2019

la Chine digitale, dragon hacker de puissance



Le Plan 863 (plan national de développement de la haute technologie, 1986-2016) affirmait déjà les choix stratégiques pour une création endogène d’industries de pointe, à type de technologie de l’information (circuits intégrés, logiciels, réseaux du futur, informatique), automatisation, biotechnologie, aéronautique et aérospatiale, énergie, nouveaux matériaux, naval, mis depuis à la sauce « green by design ». Depuis lors, le Plan « Made in China 2025 » n’a eu de cesse de rebondir sur ce premier palier de création de valeur via l’essaimage de centres de recherche et d’innovation. Les projets en partenariat sont nombreux et le modèle du « Rêve chinois » a permis de stimuler la motivation des jeunes générations d’étudiants et d’entrepreneurs à l’éclairage de la réussite des BATX. 

L’État Parti s’est lancé dans un projet fou et a su prendre le risque de stimuler toutes les envies de créativité dans un univers relativement fermé et contrôlé. Alimenter la machine à rêves a été la condition sine qua non pour avancer à grande vitesse sans avoir à craindre la contestation. La question est désormais de savoir où placer le curseur pour se donner les moyens des ambitions politico-économiques tout en gardant le contrôle. 
La vision stratégique pour le Plan IA est le relais de croissance attendu pour 2030 (26 % du PIB, McKinsey Institute 2017) car il permet de fédérer des acteurs qui sont en passe d’atteindre la maturité technologique. L’IA est l’outil de contrôle de la population qui permet d’avoir un œil sur les provinces, mais également de développer un réseau vertical de création de valeur par les services. La WAIC (World artificial intelligence conference) est désormais la tête de proue de la communication internationale sur l’IA et permet à Pékin d’afficher ses ambitions. L’objectif pour 2020 est de former les ingénieurs, d’améliorer les structures et la qualité des publications scientifiques pour devenir « le centre d’innovation » mondial de l’intelligence artificielle. La guerre des talents a commencé.
La fusion civilo-militaire renforce la capacité de l’État-Parti à prendre des décisions politico-économiques et à accélérer les usages. 150 milliards de dollars de subvention ont déjà été injectés dans l’écosystème privé. 

D’après le Pentagone, un budget de 70 milliards de dollars serait actuellement dédié au Plan IA et dépasserait celui des États-Unis (5 milliards environ), mais avoisinerait celui des GAFAM (50 milliards). C’est entre-autre, grâce aux immenses lacs de données mis à disposition par les acteurs du e-commerce que l’entraînement des réseaux de neurones peut se faire et accélérer ainsi la prise de position dominante dans le cyber espace. L’institut du Deep Learning de Baidu est un des chefs de file du big data à la manœuvre pour alimenter la recherche en IA. 

Depuis 2010, les nombreuses expérimentations en vie réelle participent à l’efficacité de la reconnaissance faciale et vocale. On peut citer quelques fleurons qui tirent l’écosystème de l’IA chinois, mais qui à l’heure de la guerre économique se voient interdits d’acheter des composants à des sociétés américaines sans l’approbation de Washington. 
Megvii Technology, fondée en 2011 par des étudiants de la Tsinghua University, est une startup de l’IA spécialisée dans la reconnaissance faciale qui, dans le cadre de sa croissance a déjà levé 750 millions de dollars au printemps 2019. Ce nouveau tour de table valorise la société chinoise à plus de 4 milliards de dollars. Ses technologies sont appliquées au contrôle pour faciliter les paiements (Alipay), les modèles d’assurance, etc. Portée par Alibaba Group, en octobre, Megvii a été ajoutée à la liste noire des 8 entreprises spécialisées dans l’IA, le big data et la vidéosurveillance ciblées par Washington. 
SenseTime est quant à elle la startup la plus valorisée au monde. Sa dernière levée de fonds lui a permis de récolter 1,2 milliard de dollars en deux mois. Elle possède un laboratoire de R&D dans la Silicon Valley ainsi qu’au MIT. iFlytek est le leader de la reconnaissance vocale en Chine. Yitu Technologies fournit des applications pour la sûreté industrielle. Hikvision et Dahua Technology sont spécialisées dans l’audiovisuel et la vidéosurveillance. Elles réalisent respectivement 30 % et 36 % de leur chiffre d’affaires à l’international. Xiamen Meiya Pico Information est spécialiste en cybersécurité pour les états. Yixin Science and Technology fut quant à elle révélée lors des JO de Pékin de 2008 comme fournisseur d’alertes pour d’éventuelles attaques terroristes.
La « fusion civilo-militaire » permet à l’armée chinoise (APL) de bénéficier des développements accompagnant la double dynamique robotique et intelligence artificielle. L’APL travaille notamment sur la stratégie de cyber guerre via la conduite de véhicules sans pilote. Elle développe et teste aussi des sous-marins sans équipages. Dès 2017, China Electronics Technology Group réussissait à exploiter un essaim de soixante-dix drones intelligents sans pilote. 

La militarisation de l’IA amène à s’interroger sur les conséquences de ce processus sur le plan opérationnel et stratégique global, c’est-à-dire le niveau où les intérêts politiques, économiques et stratégiques se recoupent et s’amplifient. 
Comme ils l’ont déjà fait dans les autres secteurs normatifs (TIC/UIT, Agriculture/FAO, etc.), les experts chinois se sont engagés dans la nouvelle organisation internationale de la normalisation dédiée à l’IA, Partenership on AI.

Mais où est donc consignée la stratégie globale de développement technologique français ? Quand la technologie chinoise pourrait perturber l’ordre du commercial mondial, les États-Unis s’apprêtent à rebondir après avoir compris (début 2018 ) que l’avance chinoise en IA reposait sur la stimulation et l’accélération des partenariats de recherche et développement. En France, fin 2019, le ministre des Finances Bruno Lemaire confirme l’enveloppe de 1,5 milliard d’euros (annoncée il y a un an) dédiée au soutien de la recherche en IA pour 2022. Le focus est mis ici sur l’innovation de rupture « made in France » et soutient l’idée « d’augmenter la porosité entre la recherche publique et privée… dans la santé, la cybersécurité et la certification des algorithmes ». 

La position dominante des deux géants de l’économie numérique est indiscutable et offre peu de place à une Europe sans stratégie ni champions avérés. Le progrès technologique associé à l’abondante montagne de données produites par les géants GAFAM et BATX a déjà créé la distance et leur procure l’avantage. Dans la seconde partie du XXIe siècle, ils capteraient 70 % de la valeur financière produite par l’IA.
 



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