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Séminaire organisé dans le cadre de l’ANR
« Les enjeux de la « patrimondialisation »
ou la fabrique touristique du patrimoine culturel dans la mondialisation :
modèles globaux, recompositions identitaires, hybridations
Mercredi 15 Novembre 2017
EIREST, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Textes réunis et édition : Maria Gravari-Barbas
2
ANGKOR
LABORATOIRE DE LA « PATRIMONDIALISATION » ?
Les enjeux de la « patrimondialisation »
ou la fabrique touristique du patrimoine culturel dans la mondialisation :
modèles globaux, recompositions identitaires, hybridations »
3
Ce texte est le fruit du séminaire organisé le 15 novembre 2017 par Maria Gravari-Barbas en
collaboration avec Virginie Picon-Lefebvre, dans le cadre de l’ANR PATRIMONDI.
Il est dédié à l’Architecte en Chef Pierre-André Lablaude, expert ad hoc auprès du CIC d’Angkor,
disparu prématurément le 26 juillet 2018.
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Maria Gravari-Barbas
Responsable scientifique de l’ANR
« Patrimondi »
1ère TABLE RONDE :
Le CIC, l’invention d’un laboratoire international de conservation
11
Pierre André Lablaude
Architecte en Chef des Monuments
Historiques, Expert Ad Hoc auprès
du CIC
31
Kérya Sun
Porte-parole du gouvernement
pour APSARA
35
Mounir Bouchenaki
Conseiller pour le patrimoine
culturel auprès de l’UNESCO et
membre du groupe Ad Hoc pour la
conservation du site d’Angkor
41
Azedine Beschaouch
Secrétaire scientifique du CIC pour
Angkor, Membre de l’Académie des
inscriptions et Belles lettres
45
Bruno Favel
Chef du département des affaires
européennes et internationales,
direction générale des patrimoines,
Ministère de la Culture
49
Première Session de Discussion
4
TABLE DES MATIÈRES
2ème TABLE RONDE :
Angkor entre le local et le global : territoire, populations locales,
mobilités touristiques et options de développement
63
Pierre Clément
Architecte, président de l’agence
ARTE CHARPENTIER
73
Florence Evin
Journaliste au Monde
5
75
Jacques Fournier
Expert Tourisme, Patrimoine,
Loisirs
83
Jean-Marie Furt
Maître de Conférences - HDR,
Université de Corse, expert Ad Hoc
pour le Tourisme
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Deuxième Session de Discussion
95
Yves Ubelmann
Société Iconem
6
INTRODUCTION
Maria GRAVARI-BARBAS
Responsable scientifique de l’ANR « Patrimondi »
Ce séminaire a été organisé dans le cadre de l’ANR « Les enjeux de La
« patrimondiaLisation » ou la fabrique touristique du patrimoine culturel dans
la mondialisation : modèles globaux, recompositions identitaires, hybridations »,
pilotée par l’EIREST, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a été organisé en
deux tables rondes réunissant les acteurs historiques majeurs d’Angkor.
L’objectif de cette journée est d’analyser Angkor en tant que laboratoire international
du patrimoine et de la patrimonialisation. Il s’agit de saisir Angkor comme un terrain
d’émergence d’approches de conservation et de restauration, voire de doctrines
patrimoniales, à la croisée Nord/Suds ; de discuter et d’analyser les impacts du
tourisme sur les options de conservation et de restauration ; d’examiner la façon
dont ces évolutions prennent place dans un contexte touristique caractérisée par la
massification et l’internationalisation.
Les recherches sur le patrimoine en France et dans plusieurs autres pays occidentaux
ont abordé le patrimoine dans son association avec les territoires et comme d’un
processus qui émane du territoire. Nous cherchons à explorer une autre possibilité
de patrimonialisation mettant l’accent non pas exclusivement sur des phénomènes
strictement endogènes mais qui cherche à comprendre de quelle façon les mobilités
internationales, et notamment les mobilités touristiques, contribuent aux processus
de patrimonialisation.
Est-ce que le regard des touristes produit du patrimoine (au sens bien entendu social
du terme) ? Est-ce que le fait que les populations touristiques venant d’ailleurs avec
un autre bagage culturel permettent d’activer différemment les ressources culturelles
locales en les patrimonialisant, par une reconnaissance symbolique activée par le
regard touristique ? Ces questionnements s’inscrivent dans le prolongement des
travaux de John Urry1 mais aussi des travaux menés au sein de notre labo (GravariBarbas, 20182). Au-delà de la reconnaissance patrimoniale, est-ce que ces mobilités
touristiques produisent ‘physiquement’ du patrimoine ? Et est-ce que la façon dont
aujourd’hui on conserve ou on restaure le patrimoine prend en compte - de façon
implicite ou explicite - cette prescription touristique ?
Cette journée, doit beaucoup à Pierre-André Lablaude, figure historique de la
conservation d’Angkor, et auteur d’un article très inspirant sur le Mont-SaintMichel3. Cet article, publié dans un volume des Entretiens du patrimoine 1991
a montré de quelle façon les projets de restauration du Mont-Saint-Michel - que
Pierre-André Lablaude qualifie de « produit monumental » - prennent en compte,
1
2
John Urry, 1990, The Tourist Gaze, Sage.
Maria Gravari-Barbas, Tourism as a heritage-producing machine, Tourism Management Perspec-
tives, Volume 26, April 2018, Pages 5-8.
3
Pierre-André Lablaude, « Le Mont-Saint-Michel ou la fabrication d’un Monument », in l’Utilité du
Patrimoine, Les Entretiens du patrimoine, 1991.
7
d’une certaine façon, toute cette antériorité touristique du Mont : le fait qu’il ait
été « découvert » à un certain moment, non pas par les Monuments Historiques
qui pendant longtemps ont hésité à l’inscrire sur la liste nationale française, mais
par la délectation esthétique des élites artistiques, et plus généralement des élites
touristiques, avant qu’il ne détienne finalement le produit monumental populaire. Il
convient de souligner qu’il est en effet très rare qu’un article rédigé par un architecte
porte un regard aussi réflexif sur ce processus de conservation et de restauration.
Dans le cadre de ce séminaire nous avons ainsi souhaité explorer la production du
patrimoine par les circulations et les mobilités. Ce qui nous intéresse ce n’est pas la
monographie (en l’occurrence Angkor, malgré l’intérêt capital de ce site), mais de
pouvoir proposer une théorie plus générale, fondée sur l’analyse d’un ensemble de
sites. Nous n’avons pas voulu nous limiter à un site spécifique mais nous avons pris
comme cas d’étude cinq terrains : i) trois sites du patrimoine mondial de l’UNESCO : Angkor, Marrakech, Québec ; ii) un site produit de l’internationalisation de la
fin du XIXe et du début du XXe siècles, les anciennes concessions internationales
de Tianjin en Chine iii) un bien du patrimoine immatériel, le tango, en mesurant
d’emblée les difficultés de ce cas en particulier. La « montée en généralité » est en
effet cruciale pour ce projet ANR.
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Ce projet collectif piloté par l’EIREST réunit quatre laboratoires : L’école d’Architecture de Paris Belleville ; l’équipe CITERES qui sont plus spécialisés dans
le monde arabe et qui donc suivent en particulier les terrains de Marrakech ; l’Observatoire de la Chine Contemporaine de la Cité de l’Architecture qui travaille essentiellement sur le cas de Tianjin ; et l’EIREST dont les chercheurs se sont plutôt
concentrés sur les cas de l’Arrondissement du Vieux Québec et du Tango. Nous
avons essayé de faire en sorte que chaque équipe ne travaille pas de façon isolée ;
plusieurs événements ont ainsi été organisées tout au long du projet pour croiser les
terrains. Plusieurs collègues qui participent au séminaire n’ont pas spécifiquement
travaillé sur Angkor mais maîtrisent la problématique générale, ce qui nous permettra après d’ouvrir la discussion. Il est en effet très important de pouvoir, à travers les
différents cas sur lesquels nous travaillons, de tirer des conclusions plus générales.
La journée représente pour nous une occasion rare pour réunit les acteurs historiques d’Angkor qui a été saisi dans notre projet comme un extraordinaire cas de
« patrimondialisation ». Le séminaire réunit les personnes qui travaillent sur le
site depuis maintenant plusieurs années, au moins depuis l’inscription du site au
patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous espérons que cette journée sera très interactive. Ainsi, nous n’avons pas demandé aux participants un discours préparé. Au
contraire, on aimerait bien qu’il y ait beaucoup de discussions, sur ce qui se produit
aujourd’hui à Angkor.
Angkor est un site exceptionnel, pour ce qu’il représente par son histoire, son architecture, son imaginaire. Mais il est aussi un cas d’étude en termes de développement touristique. Il s’agit d’un site qui subit aujourd’hui des pressions touristiques
extraordinaires. On aurait sans doute du mal à trouver une courbe d’évolution touristique aussi prononcée que celle d’Angkor.
Angkor peut ainsi être explorée comme un site-laboratoire pour voir comment est
‘fabriqué’ ce « produit monumental » qu’est Angkor (avec quelles contraintes,
quelles difficultés spécifiques, éventuellement quels compromis dans le cadre
d’équipes internationales), dans un site tellement sollicité par le tourisme. Comment le travail de très longue haleine des conservateurs et des architectes, est-il
conjugué avec les demandes et attentes de plus en plus pressantes des touristes ?
Avant de donner la parole aux intervenants, je propose que Virginie Picon-Lefevre
explique ce qui a été fait concrètement sur Angkor dans le cadre de l’ANR.
Virginie Picon-Lefebvre – Je souhaite dire ce qu’on a fait pour l’instant et préciser
que nous pouvons mettre à disposition l’ensemble de ces travaux. Nous avons fait
d’abord un travail sur les imaginaires d’Angkor qui a résulté en deux productions :
la première c’est un travail sur les guides touristiques et l’analyse de la manière
dont ils donnent à voir Angkor. On s’est aperçu que toutes les images se concentraient sur trois sites principaux. La deuxième est un catalogue de toutes les images
diffusées sur Angkor depuis les années 1980 pour établir la généalogie des images.
Ce document n’est pas encore exploité, il est pour l’instant simplement une source.
Trois autres travaux sont en cours : i) un premier sur les hôtels. Il s’agit de voir
comment le site est habité par les touristes qui viennent à Angkor. On peut penser
qu’il y a une sorte de relation entre la manière dont l’offre des hôtels se constitue et
les attentes des touristes vis-à-vis d’un site comme Angkor. Ii) Un deuxième travail
porte sur les rapports du CIC les occurrences de tourisme, de la pratique touristique
et la manière dont cette pratique a été abordée, comment elle montre en puissance
au cours des années et quels sont les types d’actions ou de discussions ayant lieu
sur ce sujet. Iii) Le troisième porte sur les images que les touristes mettent sur les
réseaux sociaux. Malgré les écueils et tous les problèmes que pose cette méthodologie, nous avons des résultats intéressants sur qui poste quoi et à quel moment,
quelles sont les pratiques touristiques par nationalité, etc.
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Figure 1 :
Carte du Cambodge
10
Figure 2 :
Le système d’Angkor (Angkor Vat,
Angkor Thom et les Baray).
Source : Pierre-André Lablaude.
1ère TABLE RONDE
LE CIC, L’INVENTION D’UN LABORATOIRE INTERNATIONAL DE
CONSERVATION
Pierre-André LABLAUDE
Architecte en Chef des Monuments Historique, Expert Ad Hoc
auprès du CIC
Comme tous les participants présents dans la salle ne connaissent pas forcément le site d’Angkor je voudrais faire un rappel général du contexte avant de rentrer dans des débats plus précis. Le séminaire s’intéresse aux images d’Angkor. Ce
que le visiteur ou le touriste vient chercher à Versailles c’est la chambre du roi. Ce
n’est qu’après qu’ils iront voir autre chose. Quand on visite les Pyramides souhaite
avoir la vue avec le Sphinx, les pyramides derrière et le chameau au premier plan.
Quand on visite la cathédrale de Chartres, on veut voir d’abord cette image des vitraux dans la deuxième travée du chœur. Nous avons tous des clichés et nous allons
sur un site les retrouver. Le cliché premier qu’on vient chercher à Angkor est la vue
d’Angkor Vat se reflétant dans l’un des deux bassins avec les lotus. Cette image
le visiteur veut absolument la retrouver. Ce n’est qu’après qu’il va poursuivre son
circuit de visite. Cette puissance de l’image est très importante. Paul Claudel disait
que Angkor Vat ressemble à « cinq ananas posés sur un plateau » et c’est cette
image que vient chercher le visiteur. Après seulement il rentrera dans un détail de
l’histoire, de l’archéologie, de l’histoire de l’art ou le rapport au paysage.
L’Empire khmer se constitue globalement au cours du VIIème siècle à partir du
bassin de Mékong (figure 1). A partir de là, son développement va s’étaler sur près
de six siècles par l’édification de dizaines de villes fondées, construites, parfois
abandonnées, règne après règne, par les souverains successifs. Le Cambodge sera
ponctué de centaines de temples mais il y aura une concentration plus importante
dans la zone d’Angkor. La géographie va évoluer avec l’histoire puisque, appuyé
sur une force militaire vigoureuse, l’Empire khmer va s’étaler sur une partie de la
Thaïlande, sur le sud du Laos et également sur le sud du Vietnam. La puissance
économique est fondée d’une part sur la densité de flux commerciaux entre l’Inde
et la Chine par voie terrestre et sur une production rizicole intense sur les terres les
plus fertiles d’Asie pour la production du riz.
C’est au centre du Cambodge, au nord du grand lac Tonlé Sap, un lac d’eau douce
qui est alimenté par le reflux des eaux du Mékong que se situe le site d’Angkor. Il
est structuré autour d’un ensemble hydraulique complexe et sophistiqué. Ce qu’on
11
12
Figure 3 :
La mission Française aux ruines
Khmers
Source : Archives P-A. Lablaude
Figure 4 :
Vue du temple d’Angkor, 1866
Émile Gsell
appelle le Baray, le grand réservoir, fait 8km sur 2,1km. Le système est complété
par le Baray oriental et le Baray Nord qui a été remis en eau. Tous ces plans d’eau
ont un rôle dans la mise en scène des monuments mais également dans la gestion de
l’eau sur le site, en particulier pour le développement de la culture du riz.
La culture et la civilisation d’Angkor sont aussi liées à la succession et parfois l’alternance de religions d’origine indienne, l’hindouisme, et puis, dans une seconde
période, le bouddhisme. Certains monuments connaîtront ces alternances, les deux
usages et les deux vocations religieuses.
A la fin de ce qui correspond à notre Moyen-Âge en Europe, XIIIème-XVIème siècles,
un certain nombre de sites sont progressivement abandonnés. Or, nous sommes
dans un contexte climatique qui est particulièrement dynamique en termes d’hydrométrie, d’humidité et d’ensoleillement. Une végétation à croissance relativement
rapide recouvrira pratiquement complètement ces temples et villes abandonnées.
Les rizières vont s’assécher, les villes seront désertifiées et les temples désertés. La
nature reprendra ces droits. Un linceul forestier composé de ficus qu’on appelle de
façon générale des fromagers, couvrira les temples. Cette végétation est très dynamique, avec des arbres de grande hauteur, mais avec essences qui sont peu longévives. Elles ne durent qu’entre 80-120 ans. Ainsi, au cours des siècles successifs,
il va y avoir plusieurs générations de végétation forestière qui va pousser sur ces
différents temples.
Angkor c’est ainsi également une histoire de ‘découverte’ ou plutôt de redécouverte. Dans les flux touristiques qui fréquentent aujourd’hui Angkor plane toujours
cette sorte de fantôme, cette espèce de cliché un petit peu « Indiana Jones », de
l’explorateur qui va découvrir une forêt perdue avec des mygales, des fourmis et
des indigènes qui tirent à l’arc sur les visiteurs. Cette vision complètement aventurière et fantasmée représente ce que les visiteurs, ou du moins certaines catégories
de visiteurs, viennent rechercher. Ceci est liée à l’histoire du site et au mythe de sa
redécouverte.
Les premières expéditions françaises se font dans le contexte d’une époque où l’Angleterre et la France rivalisent d’efficacité dans la colonisation. Les explorateurs
viennent en premier et ensuite viennent les militaires – mais parfois les explorateurs
sont eux-mêmes des militaires. La première expédition d’Angkor est dirigée par
Doudart de Lagrée en 1866. Une deuxième expédition aura lieu en 1870 dans le but
de voir s’il était possible de monter, à partir des premiers comptoirs français d’Indochine, des voies commerciales avec la Chine par le Mékong. Ces explorateurs
vont s’enfoncer dans le territoire cambodgien pour voir si le Mékong est navigable
et s’il y aurait des routes de substitution qui permettraient de casser le monopole
anglais de Hong Kong sur l’accès de la Chine intérieure. De voir donc si du côté
de l’Indochine française - ou ce que sera l’Indochine française - il est possible de
trouver une voie commerciale.
C’est dans ce contexte que se fait la « découverte » d’Angkor. Elle suscite un énorme
émerveillement qui se retranscrit d’abord par un certain nombre de gravures un peu
idéalisées et d’une qualité artistique un peu limitée mais qui présentent un grand
intérêt du point de vue documentaire. Ce sera ensuite les représentations photographiques avec en particulier les photos du photographe Émile Gsell, basé à Saïgon,
qui va faire les premières campagnes de photos (Figure 4). Il fait deux premières
campagnes de photos, en 1866 et 1873.
13
Ses photos montrent une forêt qui a envahi l’ensemble du site. Dans cette vision
d’Angkor Vat il y a la notion de la « découverte » de la forêt et de la jungle, mais
aussi une vision qui est très façonnée par une certaine forme d’idéal esthétique
français ou européen issu de la peinture du XVIIIème siècle telle que celle de Panini ou d’Hubert Robert. Une notion de sanctuaire, de temple à moitié en ruines, à
moitié abandonné et réinvesti par une vie rurale, populaire et qui finalement vit sur
les décombres de civilisation disparues. Ces photos expriment ce qu’on vient aussi
chercher : une vie indigène dans la tradition de Jean-Jacques Rousseau ou dans
l’idéalisation du ‘bon sauvage’ de Diderot ; une vie modeste, rurale avec l’idée que
plus on est proche de la nature plus on est proche de l’état de bonheur. Tout ceci a
une dimension philosophique aussi sur la permanence de la vie rurale et paysanne
alors que les empires périssent et avec eux leurs cultes et leurs divinités. C’est donc
cette vision romantique qu’on vient chercher à Angkor.
La découverte va se poursuivre par le dégagement et l’identification des principaux
temples (figure 6).
Les premiers dégagements sont faits par Jean Commaille à partir de 1908. Ce
travail de dégagement va s’accompagner d’un travail scientifique : notes, relevés,
descriptions (figure 7).
14
Figure 5 (page de gauche) :
Habitations dans les temples
d’Angkor
Photo Émile Gsell
Figure 6 (ci-contre) :
Temple de Bayon
Source : Archives P-A. Lablaude
Figure 7 (ci-dessous) :
Les cahiers de DELAPORTE
Source : Archives P-A. Lablaude
15
Parallèlement, sera créé au Trocadéro le premier musée indochinois où seront présentés un certain nombre d’originaux rares mais surtout des moulages ou des plâtres.
Le grand émerveillement de ces découvertes résulte de la qualité de l’art khmer :
Angkor Vat, ses bas-reliefs, ses architectures, ses décors sculptés, ses œuvres statuaires. Et leur incroyable quantité : les bas-reliefs ou les sculptures en France du
XIIème siècle ne dépassent pas 300m². Rien qu’à Angkor Vat, la surface dépasse
3000m², et on ne parle pas des dizaines d’autres temples où on a des décors sculptés absolument pharamineux, en comparaison desquels notre patrimoine national
apparaît bien modeste.
Dans la mise en valeur de cet art, un soutien sera apporté par le parti colonial.
C’est en même temps une fierté nationale : alors que l’Égypte, la Grèce, la Perse,
les anciens royaumes du Tigre et de l’Euphrate ont été fouillés, la France découvre
au Cambodge un art et une civilisation inconnue qu’elle vient mettre au jour sur la
place internationale. C’est pour cela que le site et l’art khmer ancien seront mis en
valeur dans les expositions universelles françaises et en particulier les expositions
coloniales. C’est comme si cette découverte justifie la colonisation en disant « regardez, dans nos colonies les merveilles qu’on découvre » ; des merveilles que la
France révèle à la connaissance universelle (Figure 8).
Parallèlement au travail de dégagement, dans la tradition des « envois de Rome » (ces
élèves architectes qu’on envoyait à Rome pour faire des relevés et des restitutions
théoriques des temples anciens - restitutions sur le papier en espérant peut être un
jour le faire en pierre) on a travaillé sur la restitution graphique et l’identification de
ces monuments. (Figure 9).
16
Figure 8 :
La Terrasse du Roi Lépreux.
Source : Archives P-A. Lablaude
Figure 9 :
L’imagerie coloniale : la machette pour dégager la
jungle qui enserre ces chefs-d’œuvre
Source : Archives P-A. Lablaude
Les travaux de restauration vont être conduits à partir de 1898 par la « Conservation
d’Angkor », créée en 1908 par l’École française d’Extrême Orient. On va rentrer
réellement dans un travail de sauvegarde et de restauration qui va se développer
sur tout le cours du XXème siècle avec par exemple la figure de Bernard-Philippe
Groslier.
A l’époque, la Conservation d’Angkor comporte deux mille personnes qui s’occupent aussi bien de la restauration, de la conservation que du gardiennage. Après
l’indépendance, en 1953, le roi va maintenir la Conservation d’Angkor et l’École
française d’Extrême-Orient dans leur rôle. On délègue donc, sans modifier le dispositif qui existait à l’époque du protectorat. Ce système va fonctionner jusqu’au
siège de Siem Reap au moment de la guerre, en 1971 ou 1972. Les services de la
Conservation d’Angkor vont même se maintenir pendant une partie du siège de
Siem Reap. Ensuite, les événements vont s’enchaîner très vite, les chantiers vont
être arrêtés. Il suit la prise de Phnom Penh par les khmers rouges le 17 avril 1975,
la chute de Saïgon quinze jours après et un régime qui va durer quatre ans dans
la capitale jusqu’à la reprise de Phnom Penh par les troupes vietnamiennes le 16
janvier 1979. Pendant ces quatre ans il va y avoir assez peu de dégâts sur les mo-
17
Figure 10 :
L’inscription au patrimoine
mondial et le logo d’Apsara
Source : Apsara
numents eux-mêmes. En revanche entre 1,7 million et 2 millions de cambodgiens
vont périr pendant cette période. L’élimination de l’élite intellectuelle, artistique et
professionnelle du pays sera systématique.
Malgré la reprise de Phnom Penh, la situation de guerre civile va durer pratiquement
pendant quinze ans jusqu’aux accords de Paris en 1991, qui vont placer le pays sous
l’administration provisoire des Nations Unies. C’est à partir de cette date que l’on
va se poser à nouveau la question de la protection et de la conservation d’Angkor.
En 1992 Angkor est inscrite sur la liste du Patrimoine mondial1 et directement sur
la liste du patrimoine en péril. (f.10)
18
En 1993 a lieu la création du CIC2, un Comité International de Coordination chargé
de coordonner les actions à entreprendre sur le site. En 1995 a lieu la création de
l’Autorité nationale c’est-à-dire la création d’une administration nationale cambodgienne en charge de ces monuments - c’était une des conditions de l’inscription sur
la liste du patrimoine mondial. En 2004, le site d’Angkor sera retiré de la liste du
patrimoine mondial en péril pour rentrer dans la liste du patrimoine mondial. (f.11)
APSARA3 dispose des services de conservation, de développement du tourisme,
d’aménagement du territoire, de développement agricole, de gestion de l’eau, de
gestion de la forêt, etc. Cet organigramme a été étoffé avec le temps.
1
Compte tenu de la situation très particulière du Cambodge, placé depuis les Accords de Paris, en juillet
1991, sous l’administration provisoire des Nations Unies, le Comité décide de renoncer à certaines conditions requises
par les orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial et sur la base des critères
(i), (li), (iii) et (iv) inscrit le site d’Angkor, avec ses ensembles monumentaux et sa zone archéologique, tel qu’il est
décrit dans le “Périmètre de protection” accompagnant le rapport de l’ICOMOS, sur la Liste du patrimoine mondial.
Cette action du Comité ne doit pas être interprétée comme créant un précédent en matière d’inscription, mais plutôt
comme une réponse à une situation unique. Par conséquent, pour assurer la protection du site pendant une période de
trois ans (1993-1995), le Comité décide qu’une étude approfondie spéciale sera effectuée sur le site d’Angkor et que
des rapports sur l’état des monuments et du périmètre de protection seront présentés périodiquement au Bureau et au
Comité ; le premier rapport devant être présenté à la session de juillet 1993 du Bureau, suivi par un autre auprès du
Comité au cours de sa 17e session en décembre 1993. MUSEUM, 2002, p. 107
2
Pour la coordination de L’effort international en coopération avec les autorités cambodgiennes et comme
suite aux décisions de la Conférence intergouvernementale de Tokyo sur la sauvegarde et le développement de la zone
archéologique d’Angkor (12-13 octobre 1993). Un Comité international de coordination pour Angkor (CU est créé
sous la présidence de la France et du Japon, l’UNESCO assurant son secrétariat scientifique et technique permanent.
Établi à Phnom Penh les 21 et 22 décembre 1993, il se réunit depuis lors. Régulièrement, deux fois par an, en séance
plénière et en session technique.
3
APSARA (Autorité pour la protection du site et l’aménagement de la région d’Angkor) a été instituée par
le décret royal du 19 janvier 1995 et mise en place en tant qu’établissement public doté de la personnalité juridique et
de l’autonomie administrative et financière.
Figure 11 :
Le Schéma d’APSARA avec les services de la conservation, du développement
du tourisme, de l’aménagement du territoire, du développement agricole, de la
gestion de l’eau et de la gestion de la forêt.
Source : Apsara
19
Figure 12 :
Les zones de protection du
site d’Angkor
Source : Apsara
La protection du site s’organise en deux zones : une zone centrale, la zone 1, et
une zone tampon en périphérie. Le site fait 48 hectares (30km de long sur 13km de
large) avec un certain nombre de satellites comme Banteay Srei. (Figure 12)
20
Le CIC associe un certain nombre d’institutions, dont l’UNESCO, avec le Centre
et le Comité du patrimoine mondial, le gouvernement cambodgien, et puis une
co-présidence assurée en partenariat entre la France et le Japon, les deux nations
qui se sont impliquées de la façon la plus rapide dans cette organisation. Le secrétaire est le Professeur Beschaouch. Le CIC se réunit deux fois par an, habituellement une fois en juin, une fois en décembre, avec des présentations, des débats,
l’avancement des recherches et des études, des visites de terrain qui sont suivies
ensuite de rapports effectués par un groupe d’experts Ad hoc. Le groupe d’experts
en conservation dans un premier temps a été complété ensuite d’experts spécialisés
dans le développement durable. Il associe aujoud’hui les différentes compétences :
archéologues, ingénieurs, architectes et historiens de l’architecture, spécialistes du
développement durable, du tourisme, de l’agriculture, du développement urbain et
des communautés etc. A chaque fois les experts vont sur le site, font des rapports,
des remarques, des observations, rapportent devant le CIC qui prend des décisions.
Parlons maintenant des monuments d’Angkor. On place habituellement les monuments khmers en deux catégories : ce qu’on appelle les « temples de montagne »
avec une partie centrale surélevée par rapport au reste. Ils sont des compositions absolument extraordinaires par le caractère inexorable de leurs symétries, où à chaque
fois, chaque pavillon, chaque bibliothèque compte son symétrique de l’autre côté
avec un jeu d’axe principal et un axe secondaire toujours décalé par rapport au
centre pour jouer sur la perspective. Le travail de mise en forme, de symétrie et
de perspective est extrêmement raffiné et élaboré et à des échelles considérables
puisque l’axe d’Angkor Vat représente plus d’un kilomètre. Ces structures sont
construites toujours selon les mêmes principes avec différents types de matériaux
- certains temples qui sont en pierre, certains temples sont en briques, certains
temples associent ces différents matériaux. Ses structures en élévation sont montées
sur des remblais faits entièrement en sable - c’est en réalité une montagne de sable
habillée avec une architecture de pierre. Le deuxième type, c’est ce qu’on appelle
« le temple à plat » comme par exemple le temple de Preah Khan. On retrouve des
plans qui ont pratiquement les mêmes caractéristiques, toujours ces symétries avec
un léger décalage de l’axe transversal. Cette symétrie a été un tout petit peu brouillé
à Preah Khan par la construction plus tardive d’un certain nombre de « chapelles »
à l’intérieur de l’enceinte. Pour ce type également de « temples à plat » nous avons
des monuments à très grande échelle.
Un phénomène important pour comprendre l’état de ces monuments, leurs pathologies et leurs problèmes de conservation sont les conditions climatiques. Les conditions « biologiques » du site font que très rapidement la végétation se développe sur
les monuments.
C’est par exemple le cas du temple en briques à Lolei où du fait de la végétation, la
tour commence à avoir un « petit chevelu » qui se développe et qui peut provoquer
des dégâts, des fissures avec des effets parfois très spectaculaires.
Mais ces images de temples « mangés » par les racines c’est vraiment ce que les
visiteurs viennent chercher … C’est le cas de Ta Prohm. Les services d’APSARA
ont monté, pour éviter que les gens piétinent les racines et qu’ils basculent en prenant les photos, un podium en bois avec une balustrade. On y voit quatre, cinq, six
personnes qui sont sur le podium et toute une foule derrière qui attend pour prendre
son portrait devant les racines (Figures 14, 15).
Figure 13 :
Le temple en briques à Lolei. On voit un départ de végétation sur une
saison. Source : P.-A. Lablaude.
Source : P.-A. Lablaude
21
Figure 14 :
Ta Prohm, les estrades
construites en bois pour la
prise des photos
M. Gravari-Barbas, 2015
Figure 15 :
Ta Prohm, imbrication de
l’œuvre de l’homme et de
l’œuvre de la nature.
22
M. Gravari-Barbas, 2015
Il y a donc un effet pittoresque, un émerveillement devant ces sortes de « monstruosités naturelles » qui sont très impressionnantes. Cette imbrication de l’œuvre
de l’homme et de l’œuvre de la nature, cet accouplement, a un caractère extrêmement surprenant et fantastique constitue un élément essentiel de l’attraction d’Angkor. Toujours est-il qu’au cours des cinq, six ou sept siècles d’abandon qu’ont pu
connaître certains sites d’Angkor, la forêt elle a poussé, les grands arbres sont retombés, et en tombant, ont cassé un certain nombre d’éléments monumentaux. Par
leurs racines, ils ont arraché souvent les structures de poutre. Puis, une deuxième
génération d’arbres a poussé pendant un siècle puis une troisième, puis une quatrième… à chaque siècle c’est la même histoire c’est-à-dire nous avons un stock de
matériaux monumentaux qui a été brassé, qui a été pétri sur plusieurs siècles par la
nature et l’action des racines. Cela produit un puzzle de matériaux, mais dont tous
les éléments sont en place, comme c’est le cas à Ta Prohm où il ne manque aucune
pierre de la construction d’origine. (Figure 16)
Il se pose évidemment une question classique en restauration : puisque nous avons
tous les matériaux et ce n’est pas difficile d’identifier à quoi correspondent ces
matériaux, qu’est ce qui nous empêche de reconstruire ? La question essentielle si
la ruine elle fait partie de l’histoire ou pas. Est-ce que c’est un épisode regrettable
qu’il faut éliminer afin de reconstruire les monuments comme ils étaient ? Ou estce qu’au contraire, la ruine fait partie de l’histoire ? En allant plus loin on peut dire
aussi que si on reconstruit la restauration peut aussi faire partie de l’histoire… donc
est ce qu’on arrête l’histoire un moment donné ou est-ce que finalement construction, destruction, reconstruction c’est l’histoire qui se poursuit ? Cette première
question est d’ordre philosophique. La deuxième question est d’ordre esthétique.
Est-ce que c’était plus beau avant que maintenant ? Est-ce que c’est plus beau en
ruines ou plus beau complet ? Qu’est ce qui est le plus facteur d’émotions : est-ce
Figure 16 :
Le puzzle de Ta Prohm.
Source : P.-A. Lablaude
23
que cette espèce de puzzle, de « coup de pied » donné dans la « pyramide de dominos », est ce finalement suscite plus d’émotions ou bien est ce qu’on considère que
c’est scandaleux de laisser le monument dans cet état ?
Or, on s’aperçoit que les publics touristiques qui viennent à Angkor ont des jugements différents sur cette problématique. Car qu’est-ce que le touriste vient rechercher comme image monumentale ?
A part la pathologie des structures du fait de la végétation, nous avons également
des pathologies de matériaux, des altérations par les sels solubles etc. Certains monuments sont en très grand état de péril entre autres du fait du dégagement et de la
végétation qui depuis le début du XXème siècle jouait un rôle d’écran climatique.
Ce sont tous ces problèmes que le groupe d’experts discute à chaque session du
CIC avec différents opérateurs. Par ailleurs, dans l’organisation du CIC il y a eu un
certain nombre de monuments affectés à différentes équipes internationales venues
se pencher au chevet de ces ensembles monumentaux.
La liste des pays qui interviennent ou qui sont intervenus est longue. En Asie, le
Japon, la Chine et l’Inde, l’Indonésie, Singapour la Corée du Sud. Même la Corée
du Nord était intervenue plutôt pour des équipements d’accueil. Il y a donc une
quinzaine de pays partenaires qui ont pris en charge chacun un, deux, trois monuments… Tous les opérateurs de ces différents pays exposent au CIC l’avancement
de leurs travaux à l’occasion des réunions annuelles du CIC. Figure 17.
24
Figure 17 :
CIC. Les pays qui interviennent
sur le site d’Angkor
Source : Apsara
Tableau 1
Équipes présentes dans les principaux monuments du site d’Angkor
Élaboration : Maria Gravari-Barbas
Source : CIC
ÉQUIPES
German APSARA conservation Project – GACP (Allemagne)
Université de Sydney (Australie)
ACTIVITÉS
Travaux de restauration : Angkor Vat, Apsaras, Bas Reliefs
des galeries, Barattage de la mer de lait (en coopération
avec WMF) ; les démons de la Porte Sud d’Angkor Thom
South Gate ; Baphuon (en coopération avec l’EFEO) ;
Bayon (en coopération avec JSA), Pre Rup (en coopération avec I.Ge.S.), Ta Keo (en coopération avec GEOLAB)
; Mebon oriental ; Preah Ko ; Bakong ; Lolei ; Bat Chum
; le linga du Phnom Bok ; les animaux monolithiques des
temples du Phnom Kulen (en coopération avec PKAP) ;
Ko Ker : Prasat Thom et Prasat Damrei ; Beng Mealea ;
Trapeng Phong ; Preah Khan Kompong Svay.
Travaux de recherche : Du paddy à Pura: les origines des
villages de Lovea et de Prei Khmeng ; Greater Angkor Project ; Les ateliers de sculpture de Roluos, d’Angkor Thom,
et de Phnom Dei du temps d’Angkor.
Chinese Academy of Cultural Heri- Restauration du Temple de Chau Sai Tevoda ; Restauration
tage (Chine)
du Temple de Ta Keo.
Chinese Government team for Safeguarding Angkor (Chine)
Ecole Française d’Extrême Orient Restauration des Temples du Bapuon, de la Terrasse des
(France)
Eléphants et du Roi Lépreux et du Mébon Occidental ; Recherche sur la cité d’Angkor Thom.
GEOLAB, Université Blaise Pascal, Travaux de recherche sur la détérioration des pierres du
CNRS (France)
Temple de Ta Keo.
Archeological Survey of India (Inde) Restauration du Temple de Ta Prohm.
UNESCO/I.Ge.S, Ingenieria Geothechnica e Strutturale (fond en
dépôt d’Italie)
Restauration des Temples de Pre Rup et d’Angkor Vat.
UNESCO/Japan/APSARA
Restauration des Temples d’Angkor Vat (bibliothèque Nord),
du Bayon, et de Prasat Suor Prat.
Japanese Government Team for Safeguarding Angkor (Japon)
Mission Internationale de l’Universi- Restauration de la Chaussée digue occidentale d’Angkor
té Sophia (Japon)
Vat, phase II.
Université Waseda (Japon)
Restauration du Bayon
Nara National Research Institute for Prasat Top Occidental, les fours anciens de Tani.
Cultural Properties (Japon)
National Federation of UNESCO
Associations in Japan (NFUAJ)
(Japon)
Bayon (en coopération avec Japan APSARA Safeguarding
Angkor - JASA).
Royal Angkor Foundation (Hongrie) Temple de Preah Kô à Roluos, en coopération avec l’Allemagne.
Swiss Agency for development and Banteay Srei : réhabilitation du système de drainage du
cooperation (Suisse): projet de Ban- gopura central et construction des centres d’accueil et
teay Srei Conservation
d’interprétation.
World Monuments Fund (USA)
Restauration du Temple d’Angkot Vat, Phnom Bakheng,
Preah Khan et Ta Som.
République de Corée (KOCHEF)
Temple de Preah Pithu.
GOPURA II (République Tchèque)
Ecole tchèque de restauration au temple de Phimeanakas.
25
On peut citer deux exemples de chantiers : le chantier du Bayon, géré par l’Université
Waseda de Tokyo en partenariat avec APSARA. Il s’agit d’un travail de démontage-remontage, d’anastylose partielle, c’est-à-dire de remontage de certaines parties du monument avec les matériaux provenant de sa démolition ; et le chantier du
Baphuon qui avait commencé par la Conservation d’Angkor dans la période 19751979. Il s’agit d’un monument qui s’était écroulé de façon récurrente (en 1908, en
1940, en 1948). La répétitivité des effondrements était due au fait que l’enveloppe
de pierres extérieures avait été perforée par les racines des arbres et les remblais se
vidaient provoquant ainsi des effondrements importants. Il y a donc eu un travail
systématique de démontage, de stockage et numérotage et d’enregistrement des matériaux. Le chantier s’est interrompu en 1974 et a été repris en 1992. Toute la partie
haute du temple a été remontée à partir de pierres qui avaient pu être déposées et
stockées au début des années 1970. (figure 18).
26
Le chantier de Ta Prohm a été conduit par l’Archeological Survey of India. Pour
ce temple, la Conservation d’Angkor avait pris un parti qui était de dire qu’il y
a une telle imbrication entre la forêt et le monument qu’on va garder cet équilibre, on ne va rien changer, on va laisser les choses en l’état parce qu’il y a une
poésie, une qualité esthétique tout à fait remarquable. Evidemment, cette position
était peut-être valable en 1960, mais cinquante ans après les arbres ont vieilli, ont
grandi, commencent à tomber… L’opérateur indien, Archeological Survey of India
dit : « ce sont des monuments de notre culture, de notre religion, on sait absolument
comment on va les restaurer ». Il y a eu des séries de débats extrêmement intéressants et instructifs : est-ce qu’on restaure ou pas, est ce qu’on remonte ou pas ? (F.
19a, 19b).
Figure 18 :
Baphuon, travaux après effondrement, EFEO
Source : P.-A. Lablaude
Figure 19a :
La restauration de Ta Prom par l’équipe archéologique de l’Inde.
Source : M. Gravari-Barbas, 2015
27
Figure 19b :
La restauration de Ta Prom par l’équipe archéologique de l’Inde.
Source : M. Gravari-Barbas, 2015
Ces travaux de restauration ne sont pas uniquement faits par les pays étrangers qui
interviennent sur le patrimoine cambodgien. Il y a, bien évidemment, un accompagnement national, avec un travail d’information et l’intégration des jeunes cambodgiens à la réalisation de ces chantiers - aussi bien dans les études d’architecture,
d’ingénierie, de restauration de la pierre, etc. Parmi les 250 personnes de l’équipe
qui travaillait sur le chantier du Baphuon il y avait 2 Français et 248 Cambodgiens.
Il convient ainsi d’insister sur l’intérêt que ces chantiers peuvent avoir en termes
d’économie locale, d’emplois, et aussi de qualification des équipes. Aujourd’hui,
après tout le travail de formation fait par les différentes équipes internationales on
peut reconstituer une compétence cambodgienne qui existait avant les événements
de guerre civile 1970 grâce à un travail de formation qui a permis de créer une
élite professionnelle cambodgienne dans ces disciplines. Certains chantiers sont
aujourd’hui entièrement conduits par des équipes de l’autorité nationale APSARA.
Il existe donc un « effet laboratoire » : l’effet « vitrine » d’Angkor, l’existence
et le fonctionnement du CIC font que dès qu’il y a une innovation technique en
Nouvelle-Zélande, en Inde, en Allemagne ou aux États-Unis, on ressent souvent
le besoin de dire il faut qu’on la présente au CIC à Angkor et qu’on essaie de l’expérimenter à Angkor. Donc toute une série de techniques telles que le LIDAR ont
permis de relever des structures de terrassement des structures architecturales sous
le voile de la forêt. (Figure 20)
Jusqu’ici la présence de la forêt sur certains sites empêchait absolument toute lecture par photos aériennes. Aujourd’hui on arrive à avoir une très bonne visibilité des
structures sous la forêt. Également le numérique a complètement explosé depuis
28
Figure 20 :
Exploration du site par Lidar.
Archives P.-A. Lablaude
Figure 21 :
Relevé Numérique du temple de Bayon.
Archives P.-A. Lablaude
une dizaine d’années et permet des représentations virtuelles d’un certain nombre
de monuments ou dans leur état d’origine ou dans leur état de projet. Ce côté « laboratoire », où chaque équipe montre chaque année les nouveaux perfectionnements,
les nouvelles techniques, c’est extrêmement stimulant pour le fonctionnement du
CIC. (Figure 21)
Dans plusieurs travaux de maintenance sur des travaux peints, comme par exemple
à Bakong, ou sur la conservation de la pierre on a des équipes qui sont entièrement
cambodgiennes. Il y a eu un transfert de compétences qui même s’il reste à enrichir,
a bien évolué, avec une très considérable participation des spécialistes locaux aussi
bien aux travaux d’archéologie qui accompagnent ou qui précèdent systématiquement toutes les opérations de restauration qu’aux travaux de restauration à proprement parler.
Le problème de l’eau est un des défis principaux : l’eau qui est l’écrin des monuments, mais également un des éléments structurants du site, pose des considérables
problèmes de gestion : on fait face aujourd’hui à des problèmes de dérèglement
climatique et le parti pris a été de remettre en eau un certain nombre de ces bassins
historiques pour parvenir à mieux réguler les aléas tenant à l’accélération et au
décalage des pluies de mousson. L’eau a évidemment une place considérable dans
le site et une incidence sur la vie locale, la pisciculture, l’aquaculture ou l’agriculture. Ces données viennent interférer avec les problèmes de conservation et se
29
confrontent à un moment ou à un autre à la question de la fréquentation touristique
qui n’a cessé de croître à très grande vitesse.
On sent qu’à partir du moment où on peut à nouveau venir visiter Angkor, après une
fermeture de la visite pendant pratiquement vingt ans, il y a une sorte de ‘rattrapage’
par rapport à la fréquentation qu’a pu connaître en parallèle pendant ce temps le Taj
Mahal ou le Palais d’Été à Pékin. La croissance de la courbe touristique qui avait
été bloquée pendant vingt ans au Cambodge se rattrape aujourd’hui très rapidement.
La densité de la présence touristique est très importante. Mais finalement les touristes ne sont pas gênés de cette cohabitation dense où les gens glissent ou parfois
tombent dans l’eau. Ils se bousculent avec l’idée qu’il faut avoir le soleil couchant
derrière une des tours, ce contre-jour absolument magnifique. C’est sans doute caricatural mais tous ceux qui sont déjà allés à Angkor ont probablement essayé de
faire cette photo.
La fréquentation, voire la sur-fréquentation, touristique a également un impact sur
la conservation du monument avec des problèmes tels que la présence de sacs à dos
qui grattent les inscriptions ou le piétinement des visiteurs qui affecte les dallages.
Est-ce que cette sur-fréquentation pose un vrai problème de conservation et si oui
comment le gérer ? Des expériences qui ont été faites, par exemple Banteay Srei
où l’installation d’un centre d’informations et d’un centre d’accueil permet non
seulement d’enrichir le contenu la visite mais également de réguler les flux. Mais
comment éviter cette vision du Phnom Bakheng où tous les visiteurs ont la volonté
de voir le coucher de soleil avec le soleil rouge se reflétant sur le grand Baray ?
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Le dernier volet de la problématique liée à cette renaissance touristique du site
d’Angkor c’est le développement de la ville, Siem Reap, qui était une petite ville
de 10 000 habitants en 1990 et qui en compte aujourd’hui plus de 100 000. Les
pratiques touristiques sont parfois en décalage par rapport à la noblesse, la monumentalité et la sacralité du site – compte-tenu de la permanence de l’utilisation religieuse de ces monuments. Comment arriver à faire cohabiter le tourisme avec un
usage symbolique et la fonction religieuse de ces monuments qui est extrêmement
vive aujourd’hui. Il y a certaine contradiction des usages à laquelle aujourd’hui
l’autorité nationale APSARA, appuyée sur les missions du CIC, doit faire face.
Maria Gravari-Barbas remercie Pierre-André Lablaude pour sa présentation qui a
donné à voir l’ensemble des enjeux complexes qui caractérisent aujourd’hui le site
d’Angkor. Elle donne la parole à Kérya Sun, porte-parole du gouvernement pour
APSARA et auteur d’une thèse sur « Angkor, le poids du mythe et les aléas du développement », soutenue le 17 décembre 2016 l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne4.
La parole est ensuite donnée à Mme Kérya Sun, porte-parole du gouvernement
pour APSARA.
4
Kérya Sun, « Angkor, le poids du mythe et les aléas du développement », thèse soutenue à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Ecole Doctorale de Géographie, sous la direction de Maria Gravari-Barbas, le 16 décembre 2016.
Kérya SUN
Porte-parole du gouvernement pour APSARA
J’ai la chance de faire partie des pionniers, de ceux qui ont créé APSARA
en 1995 avec son excellence Vann Molyvann1 décédé le 15 mars 2017. A l’époque
nous n’étions que quatre ou cinq cadres, qui revenaient au pays et qui avaient
décidé de se réunir derrière Vann Molyvann pour mettre en œuvre cette institution
qu’on appelle APSARA. APSARA, un acronyme proposé par un français, est un
clin d’œil aux danses célestes. Cela signifie « Autorité pour la Protection du Site et
l’Aménagement de la Région d’Angkor ». Le logo de l’Autorité, dessiné suite à un
concours lancé auprès des étudiants d’arts plastiques de l’Université de Cologne en
Allemagne, présente ces cinq APSARA très stylisés. Cinq, car aux débuts d’Apsara
il y avait cinq départements : la culture, les monuments, le tourisme, l’urbanisme,
le foncier. Actuellement, il y en a seize. L’évolution est donc significative par rapport aux débuts où APSARA était très concentrée sur la conservation et les questions techniques. Même si on avait un département tourisme on avait aucun moyen,
j’étais toute seule. Or, aujourd’hui APSARA est le plus gros employeur de Siem
Reap avec plus de 2700 personnes.
Pourquoi APSARA a-t-elle été fondée ? Car c’était une des conditions du Centre du
Patrimoine mondial pour inscrire Angkor sur la liste du patrimoine mondial et sur
la liste du patrimoine en péril. Aujourd’hui, APSARA représente le gouvernement
cambodgien au le CIC, aux côtés des trois autres membres permanents : l’actuelle
co-présidence française et japonaise, l’UNESCO qui tient le secrétariat permanent
(le professeur Beschaouch est le secrétaire scientifique permanent et j’ai été nommée représentante d’APSARA auprès du secrétariat) et APSARA.
1
S. E. Vann Molyvann était ministre d’État, conseiller privé de S. M. le roi et conseiller supérieur du
Gouvernement royal du Cambodge. Architecte de formation, M. Vann Moiyvann a travaillé de longues années
pour différentes agences des Nations Unies, notamment en Afrique, en Europe de l’Est et dans la région Pacifique. II est retourné au Cambodge après la signature des Accords de Paris et a pris en charge les questions
d’urbanisme et aménagement du territoire. II est l’un des principaux artisans du programme du site d’Angkor
et a été Président et directeur général d’APSARA.
31
Aux débuts d’APSARA les moyens étaient très limités : le budget annuel se limitait
à 400 000 dollars. Fort heureusement la communauté internationale a pris en charge
la restauration des chantiers. Quand on classe le patrimoine mondial (ceci n’est pas
uniquement le cas d’Angkor, mais de plusieurs sites du patrimoine mondial) on se
concentre plus sur la conservation et on tend à oublier le développement. Or, le développement n’attend pas… si donc au sein d’APSARA la conservation représente
un laboratoire-modèle, on ne peut pas dire la même chose pour le développement.
Nous payons aujourd’hui la grande erreur faite au début de ne pas considérer le
développement au même niveau que la conservation. L’arrivée massive des touristes ne permet pas de faire face ou de répondre immédiatement aux grands défis.
On ne peut pas construire un parvis aussi facilement et rapidement. L’exemple du
parvis de Banteay Srei a certes été fait très rapidement, dans deux ans, mais c’est
une exception expliquée par des contraintes politiques (il fallait dépenser le financement accordé rapidement). Or, depuis sa construction, aucun autre parvis n’a été
vraiment construit.
32
Les seize départements d’APSARA ont été créés un peu à l’emporte-pièce, pour
répondre aux besoins. Après le décès du président d’APSARA et Vice Premier Ministre du Cambodge, Sok An, la nouvelle présidence a le projet de regrouper les
départements en des grands secteurs car actuellement il est très difficile de réunir
tous les responsables pour travailler ensemble, d’autant plus qu’ils sont d’une très
grande diversité de parcours et disciplines. Il faut également être honnête et rappeler que les « pionniers » d’APSARA, des gens venus comme moi en tant que techniciens pour monter le projet, ont réussi parce que Angkor et APSARA n’intéressaient pas le gouvernement. Il avait autre chose à faire en 1995 : on était juste après
les Accords de Paix de Paris de 1991, les gens commençaient à peine à revenir au
Cambodge, et le gouvernement avait d’autres priorités que de s’occuper d’Angkor.
Ceci a permis de mettre beaucoup de choses en place. Mais le jour où le tourisme
a commencé à se développer et l’argent à affluer, le gouvernement a commencé à
intervenir politiquement. Il y a eu des nominations politiques à l’intérieur d’APSARA et cela a fait bloquer beaucoup de choses. Cela n’est évidemment pas unique
au Cambodge. Aujourd’hui avons quelques départements qui marchent très bien et
d’autres moins, parce que ce sont des nominations politiques.
Le plus grand défi d’APSARA aujourd’hui c’est la formation. L’EFEO, qui a tenu
Angkor pendant près de 100 ans, n’avait jamais formé de cadres. Ils avaient certes
formé des ouvriers spécialisés, mais pas de cadres. Par ailleurs, nous ne pouvons pas
retenir les bons architectes car nous n’avons pas les moyens de les payer. Comme
APSARA est une institution gouvernementale, nous sommes obligés d’appliquer
les barèmes du gouvernement. Les architectes d’un pays qui se construit ne gagnent
pas assez pour y rester. Nous avons beaucoup d’archéologues - les archéologues
ne travaillent pas pour le privé, ils travaillent pour une institution nationale – mais
pas d’architectes. Les experts comme les professeurs Lablaude, Bouchenaki et
Beschaouch, qui viennent deux fois par an, ne peuvent pas non plus former entièrement ces gens à la restauration. Sur les chantiers internationaux on exige toujours
qu’ils forment des gens ; les chantiers de l’EFEO payent plus que nous pour les garder, mais une fois le chantier terminé et qu’ils s’en vont, APSARA les reprend, au
salaire d’APSARA. Ce problème n’est la faute de personne mais crée des carences
au niveau de la conservation. Au niveau du développement on a beaucoup plus de
gens mais pas assez payés non plus. Cela est un des défis de la gestion actuels.
Un autre défi extrêmement important pour nous sont les zones protégées. En 1995
il n’y avait que 20 000 habitants dans le parc, aujourd’hui il y a plus de 130 000. Il
y a des constructions dans des zones qu’on aurait dû protéger dès le départ. Il aurait
fallu tout de suite mettre une borne et des limites. Mais pour cela, il aurait fallu une
volonté politique très forte or il n’y en avait pas. A certains moments, pendant les
élections par exemple, les gens construisent dans les parties protégées. Après, bien
évidemment, il faut qu’APSARA détruise... ce qui fait qu’APSARA n’a pas une
bonne image localement alors qu’au niveau international, APSARA est une vraie
institution, saluée comme une première mondiale. Car, une autorité qui conserve,
qui protège, qui développe, n’y en a pas sur d’autres sites du PM, elle est unique
au monde. Ce sont en général des institutions différentes qui travaillent ensemble.
Nous en sommes fiers, car c’est une réussite et il faut reconnaître qu’il y a une volonté politique cambodgienne, car sans les Cambodgiens cela n’aurait pas marché.
Mais les Cambodgiens sont moins fiers d’APSARA que la communauté internationale ! Localement nous ne sommes pas aimés parce nous sommes vus comme un
organe de répression. Le Cambodge est un pays pauvre et il y a de la corruption. Il
se peut que les gens chargés de surveiller les zones protégées sont davantage payés
par ceux qui souhaitent construire illégalement que par nous. Dernièrement le gouvernement affiche une volonté très forte pour gérer les zones protégées. Avec l’aide
des experts et l’encouragement du patrimoine mondial on va stopper ces constructions anarchiques. Ceci est le plus grand défi pour APSARA, car si on laisse le parc
devenir une ville, si on laisse construire des hôtels, on menace la nappe phréatique
et on met en péril la stabilité des monuments. Quand j’étais arrivée en 1995, il y
avait une société malaisienne qui avait demandé l’exclusivité de tout Angkor pour
la création de sons et lumière et la construction d’hôtels avec vue sur le monument.
Elle n’a jamais réussi grâce à des gens comme le professeur Beschaouch.
Aujourd’hui, il y a la population qui s’y est installée et le défi est aussi de s’occuper
de ces 130 000 personnes qui vivent à l’intérieur, parce que ces gens-là ne bénéficient pas véritablement des revenus du tourisme – ce n’est pas leur faute, c’est
pas notre faute mais ils n’ont pas les compétences qu’il faut pour travailler dans le
tourisme. Mais ces gens sont des terriens, des gens honnêtes, qui aiment leurs terres
et qui pendant les périodes où il n’y avait personne sur place ils ont été les gardiens
d’Angkor. APSARA est aujourd’hui le plus gros employeur. Malgré les réalisations, il y a une déficience en termes de communication. On n’a pas communiqué
sans doute assez auprès de la population. Depuis quelques années, les cadres d’APSARA, faisons des campagnes de sensibilisation de la population pour expliquer
pourquoi il faut protéger le patrimoine. Mais pour cela il faut aussi leur donner. Le
projet de Nouvelle-Zélande2 qui est un projet de participation communautaire est
2
« Angkor Park Livelihood and Heritage ». Le projet Angkor Community Heritage & Economic
Advancement (ACHA) était un projet pluriannuel financé par le gouvernement néo-zélandais pour établir
une gestion durable du parc d’Angkor, protégeant le patrimoine des monuments religieux tout en assurant la
prospérité économique et la sécurité alimentaire des populations qui vivent dans ce parc. Le projet a été achevé
fin 2018. Les activités se sont concentrées sur :
-Amélioration du revenu et de la sécurité alimentaire dans les collectivités participantes
-Augmentation des rendements et de la production agricole
-Renforcement de la protection du parc d’Angkor et des pratiques durables dans les communautés participantes et les zones ciblées
-Gestion communautaire inclusive des parcs dans les collectivités participantes. https://livelearn.org/projects/
ankor-park-livelihood-and-heritage
33
à cet égard très positif. Il faut expliquer que nous sommes dans un terrain où il ne
faut pas trop construire parce que si on construit, et si tout le monde pompe dans la
nappe phréatique, les monuments vont s’effondrer.
Tous ces défis-là, il faut qu’ils reviennent aux Cambodgiens, car il faut que l’on apprenne à nous approprier notre patrimoine aujourd’hui. Ce n’est plus le temps de la
colonisation. C’est pour cela que la formation représente le plus grand défi. Depuis
2015, il y a un centre de formation initié par professeur Beschaouch au sein d’APSARA et on fait venir des experts pour former, surtout en conservation. Il ne faut
pas oublier qu’à Angkor actuellement il y a plein de petits monuments qui tombent
en ruines parce qu’on n’a pas les moyens de les prendre en charge. Angkor n’est pas
uniquement Angkor Vat ou le Bayon, c’est un ensemble. Sur la liste du patrimoine
mondial, on a inscrit le groupe Angkor avec 91 monuments, dont les Baray qui sont
considérés comme des monuments. Le Baray occidental il est placé en deuxième
sur la liste après Angkor Vat, est c’est considéré, au même titre qu’Angkor Vat,
comme un monument construit. Il convient d’en prendre soin ! Par ailleurs, l’eau
des Baray continue d’alimenter la ville de Siem Reap. C’est la raison pour laquelle
le département de l’eau a été créé au sein d’APSARA en 2004-2005 pour répondre
à ce besoin-là, parce que Angkor et l’eau forment une seule entité.
34
Je dois reconnaître qu’à chaque CIC nous sommes fébriles parce qu’il faut faire
face aux défis et répondre aux questions des experts. Mais le problème est demain :
le CIC ne va pas durer cent ans, plusieurs experts sont partis à la retraite, il faut les
remplacer. APSARA doit prendre la relève. Le défi d’APSARA sont aussi les communautés ; les communautés ont toujours existé mais elles ne se plaignaient pas.
Maintenant ils ont droit à une voix. Donc il faut former, former, et encore former
des jeunes pour qu’ils prennent la relève.
Maria Gravari-Barbas remercie Kérya Sun et donne la parole à Mounir Bouchenaki, Conseiller pour le patrimoine cultuel auprès de l’UNESCO et expert ad hoc
pour la conservation du site d’Angkor.
Mounir BOUCHENAKI
Conseiller pour le patrimoine culturel auprès de l’UNESCO et
membre du groupe ad hoc pour la conservation du site d’Angkor
Je vous remercie pour l‘invitation à cette journée de travail sur Angkor,
sur les problématiques qui se posent sur le site emblématique et je vous remercie également d’avoir réuni les pionniers : Florence Evin, Azedine Beschaouch,
Pierre-André Lablaude, Bruno Favel, Francine D’Orgeval... On était très peu nombreux à l’époque à avoir ressenti, grâce à la présence du Roi à Paris et à sa demande
pressante auprès de l’UNESCO - non pas d’essayer de relancer le pays ou de faire
quelques actions spectaculaires, mais d’inscrire le site d’Angkor au patrimoine
mondial. Cette question, posée à un moment où le comité du patrimoine mondial
- fort heureusement - était présidé par Azedine Beschaouch. Les préparatifs ont
été faits en coordination avec le président et en accord, selon la convention, avec
l’ICOMOS, pour aller en décembre 1992 à Santa Fe, aux États-Unis, où le Comité
se réunissait avec, comme un des points à l’ordre du jour, la proposition d’inscription du site d’Angkor. En continuation de la présentation de Pierre-André Lablaude
sur le contexte et l’architecture de ce projet, le passé historique de sa découverte
puis son développement, je rappellerai rapidement l’aspect institutionnel : Comment en est-on arrivé, en 1992, à lancer le processus à la fois d’une opération de
conservation qu’on a pu qualifier, Azedine Beschaouch et moi, de ‘campagne internationale’, à l’image de la grande campagne internationale qui avait fait aussi la
réputation de l’UNESCO, celle d’Abou Simbel en Égypte dans les années 1960 ?
Et de faire en sorte qu’on puisse prendre en compte toutes les avancées doctrinales
en matière de relations entre conservation et développement ?
A notre arrivée à Santa Fe avec Azedine Beschaouch, je reçois un appel du directeur
général de l’UNESCO, Federico Mayor qui me dit : « je suis très inquiet parce
que l’ICOMOS a donné un avis négatif pour l’inscription d’Angkor sur la liste
du patrimoine mondial et je ne peux pas accepter cela parce que j’ai donné ma
parole que nous allons tout faire pour l’inscription du site ». On a passé une nuit –
Azedine Beschaouch, le nouveau président du comité américain et moi, à trouver
une formule. Cette formule a été suivie par d’autres nations. Le comité a accepté
l’inscription d’Angkor, avec conditions. Il faut dire qu’il y avait alors une véritable
conjonction d’axes positifs pour le site et pour le pays. On a eu la chance d’avoir
35
un président (Azedine Beschaouch) qui est archéologue, qui était directeur général
du patrimoine en Tunisie et responsable d’une autre campagne internationale, celle
de Carthage. Celle-ci avait également été une grande réussite pour la Tunisie et une
opération qui a fait la réputation de l’UNESCO pour des actions de coordination et
de suivi.
La solution qu’on a trouvée était la suivante : on a réussi à convaincre le comité,
composé de 21 Etats, que le site pouvait être inscrit sous conditions. Donc c’était
la première fois qu’on inscrivait un site sur la liste du patrimoine et sur la liste
du patrimoine en péril. On ne peut pas commencer par inscrire un site sur la liste
du patrimoine en péril ; on l’inscrit d’abord sur la liste du patrimoine mondial
avec conditions. Les conditions posées par l’ICOMOS elles étaient objectivement
acceptables : c’est vrai qu’il n’y avait pas d’administration, pas de législation,
pas de budget, pas de plans de gestion du site… La négociation a été vraiment
suivie d’un succès : L’action d’Azedine Beschaouch a réussi à convaincre son
successeur, le président américain, lui-même directeur général de National Parks
Administration aux États-Unis qui a dit « je vais apporter tout mon poids pour faire
passer ces conditions ». Rappelez-vous aussi qu’en 1992, les États-Unis n’étaient
pas Etat-Membre de l’UNESCO, ils n’en faisaient pas partie. Nous étions dans une
réunion du Comité du Patrimoine mondial dans un pays qui n’était pas membre de
l’UNESCO, ce qui, d’évidence, pose aussi quelques petits problèmes.
36
Le succès de cette opération a été donc l’inscription sous conditions. Celles-ci ont
ainsi justifié l’inscription immédiate du site sur la liste du patrimoine en péril. Cette
solution a eu un « effet boomerang » auprès d’autres pays, la France et le Japon. La
Françe où se sont déroulées les négociations pour amener aux Accords de Paix au
Cambodge et le Japon, parce qu’il était très lié sur le plan culturel et politique au
Cambodge mais aussi à l’UNESCO... Le Japon a lancé dans les années 1990 une
opération qu’on appelle le Japanese Fund Trust, des fonds japonais pour le soutien
à la sauvegarde du patrimoine culturel. Chaque pays a une contribution régulière du
fait de son appartenance à l’UNESCO mais chaque pays peut aussi, s’il le désire,
allouer des fonds extra-budgétaires pour des opérations particulières. Dès le départ,
le Japon avait commencé à financer un certain nombre d’opérations notamment
dans la vallée du Katmandou au Népal et dans le site de Hué au Vietnam. Cette
conjonction vraiment favorable (un président du Comité du patrimoine mondial
qui est archéologue, qui est un archéologue sensible au patrimoine et qui a suivi
l’opération d’une campagne internationale de sauvegarde sur un des sites importants
de la Méditerranée – Carthage - un président américain responsable des parcs
nationaux, spécialiste de la gestion des sites naturels), a fait que le Comité a suivi
les orientations des deux présidents. Le site a été inscrit, et l’UNESCO a suivi les
demandes faites par les États membres, la France et le Japon. Une réunion quelques
mois plus tard, en Octobre 1993, à Tokyo a porté sur la question de la gestion, de la
protection et du développement du site d’Angkor.
Dans les sites archéologiques, on ne peut pas ignorer l’histoire et évacuer la
population. Le seul exemple que j’ai vécu lorsque j’étais à l’UNESCO c’était
l’exemple du site de Pétra, où il y a eu une opération qui a proposé au gouvernement
de construire un petit village à côté de Pétra afin d’évacuer les Bédouins qui
habitaient dans les cavités et les anciennes tombes et de faire de Pétra uniquement
un site archéologique. Mais ces opérations-là sont très rares parce que notre position
est que la présentation d’un site ne doit pas se faire au détriment de la communauté
qui habite dans ou à côté du site. Cela dit, il faut ensuite faire des opérations
d’aménagement pour que les constructions ne se multiplient pas à l’intérieur du site
car à ce moment-là, c’est l’effet inverse que l’on obtient.
Voici pour le cadre général institutionnel qui a été mis place par l’UNESCO dès
les années 1993-1994. C’est avec un ministre remarquable qui vient de décéder,
Monsieur Vann Molyvann, que toute la structure de mise en place d’un plan de
zoning et d’un plan de gestion a été établi avec l’aide du PNUD et des pays qui se
sont constitués autour de cette notion de Comité International de Coordination que
nous appelons maintenant, le CIC ou bien le ICC en anglais.
Nous avons essayé de développer ce modèle de CIC dans les situations de conflits
qui se sont développés hélas un peu plus tard, d’abord en Afghanistan en 2001, après
la destruction des Buddhas de Bamiyan, du musée de Kaboul et de nombreux autres
sites dans ce pays ravagés par les Talibans. On a institué un CIC pour le patrimoine
culturel de l’Afghanistan. Mais ce CIC ne s’est jamais réuni en Afghanistan. Nous
avons toujours organisé les réunions du comité international de coordination pour
le patrimoine afghan soit à Paris, soit à Rome quand j’étais directeur de l’ICCROM,
soit à l’université technique de Munich, et tout dernièrement à Tokyo au mois
de septembre 2018. Pourquoi ? Les conditions de sécurité n’étaient pas assurées
pour recevoir une trentaine d’experts à Kaboul, une ville qui est malheureusement
sujette à des attentats réguliers et où les services de sécurité des Nations Unies
n’autorisent pas l’UNESCO, à organiser le CIC sur le territoire afghan. Plus tard,
en 2003, après la chute de régime de Saddam Hussein en Irak, les destructions du
patrimoine, et les vols dramatiques dans le musée national de Bagdad, ont conduit
l’UNESCO à créer également un CIC pour le patrimoine culturel irakien. De la
même façon, le CIC pour le patrimoine irakien ne s’est jamais réuni à Bagdad. On
se réunit à Paris, au siège de l’UNESCO, parce que les conditions de sécurité ne
sont pas encore établies dans la capitale irakienne. Mais vous pouvez noter que la
référence, pour des solutions de réhabilitation, de reconstruction, de restauration du
patrimoine lorsqu’il est endommagé, notamment par des conflits, aussi par l’absence
de maintenance et de gestion, est cette formule de la coopération internationale
autour d’un comité international. Et c’est pour cela que le CIC d’Angkor est une
référence et c’est pour le moment la seule structure internationale qui fonctionne
depuis vingt-cinq ans. Elle constitue une opération que l’on peut considérer comme
exemplaire et sur laquelle le Cambodge s’appuie de façon très solide.
Le sujet du séminaire se pose dans beaucoup de sites emblématiques. J’ai assisté
récemment à des réunions à l’UNESCO à propos du site de Pompéi. Il y a là des
problèmes assez similaires avec ceux qui se posent pour les populations dans le
site d’Angkor. Pompéi, ce n’est pas seulement le site archéologique, c’est aussi le
paysage du Vésuve et de Pompéi. Il y a toute une série d’habitations illicites qui
se sont développées et il a fallu que le gouvernement italien lance un projet qu’ils
ont appelé le Grand projet de Pompéi et qui est placé sous l’égide d’un Général des
Carabiniers car l’Italie est le seul pays du monde où une partie de l’armée consacre
son activité à la protection du patrimoine culture. On les appelle Carabinieri per la
Salvaguardia del Patrimonio Culturale. Florence Evin était avec moi à cette réunion
concernant Pompéi commencée à l’UNESCO et terminée au Centre culturel italien
de Paris.
C’est un sujet particulièrement important et présent dans le quotidien de ces
grands sites emblématiques reconnus par l’UNESCO qui font la fierté des pays :
37
l’Acropole d’Athènes ou le Machu Picchu, ces sites qu’on appelle ‘iconiques’, qui
attirent le tourisme et où se pose la relation tourisme-patrimoine-conservation de
façon aigue. Ce sujet n’est pas nouveau. Un livre publié par l’UNESCO dans les
années 1980 portait un titre en point d’interrogation : « Tourisme, passeport pour
le développement ? ». On se posait ces questions il y a déjà trente ans. Est-ce que
le tourisme va avoir un effet positif en ce qui concerne le patrimoine culturel ? Et
pendant des années, pendant pratiquement deux décennies, les positions étaient tout
à fait tranchées : d’un côté il y avait une communauté d’architectes, conservateurs,
d’archéologues spécialistes de musées qui étaient très prudents et prenaient toutes
les précautions pour éviter qu’il y ait un afflux et un tourisme de masse sur les sites.
Pour nous tous, la définition du patrimoine culturel et la façon dont les documents
et les législations ont été élaborées pour les sites culturels c’est pour leur protection,
parce que ce sont des sites fragiles. Pierre-André Lablaude a très bien montré les
effets de la nature ou de l’action de l’homme à Angkor. Le travail qui se fait
aujourd’hui sur le plan législatif, à partir de la notion initiée il y a déjà deux siècles
par Prosper Mérimée, est de préserver ce patrimoine pour notre satisfaction, pour
nos émotions, mais aussi parce qu’il ne nous appartient pas, c’est un leg et nous
devons le transmettre aux générations futures en le préservant le mieux possible.
38
Et puis, nous avons ce challenge, défi ou opportunité du tourisme. Le début du
dialogue a commencé au début de ce siècle, dans les années 2004-2005, avec l’ancien
secrétaire général de l’Organisation Mondiale du Tourisme, M. Francesco Frangialli
et Federico Mayor, cela a continué ensuite avec le directeur général de l’UNESCO
qui a commencé à entamer des discussions avec l’Organisation Mondiale du
Tourisme pour voir de quelles manières les préoccupations de l’UNESCO et l’OMT,
sont prises en charge. Ensuite, à l’époque de Monsieur Koïchiro Matsuura, nous
avons fait un pas en avant et nous sommes allés à l’ITB Berlin. C’était la première
fois que l’UNESCO assistait à la foire internationale du tourisme de Berlin (ITB),
la plus grande réunion des tour-opérateurs et de tous les spécialistes du tourisme.
Nous avons organisé une exposition sur le patrimoine à Berlin. Et il y a eu là un
premier accord avec certains acteurs du tourisme pour le Cambodge, et notamment
Jet Tours. Nos préoccupations consistaient à souligner le fait que le touriste vient
pour voir un site, pour son bénéfice personnel, pour enrichir sa connaissance, pour
voir aussi, comprendre comment vivaient les civilisations anciennes, il apporte
une contribution par sa présence dans les hôtels, les restaurants, en achetant des
souvenirs etc. donc il y a un apport financier, une contribution dans le pays. Mais où
va cette contribution ? Est-ce que la contribution du tourisme ne devrait pas aller au
moins par une petite proportion vers la conservation du patrimoine ? C’est comme
cela que nous avons commencé à sensibiliser les grosses structures touristiques
comme TUI, JetTours, Nouvelles Frontières etc., en leur disant : attention, nous
voulons que votre travail et vos opérations soient productives pour vous - vous
devez faire vos bénéfices, bien entendu, mais nous voulons qu’il y ait une partie de
ces bénéfices qui puissent aller à la conservation du patrimoine. Une des premières
opérations a été conclue avec JetTours.
Le dialogue a continué avec l’OMT par des conférences. La première conférence
UNESCO – OMT a eu lieu en 2015, très exactement à Siem Reap, au Cambodge.
Nous voulions, dans notre approche associer l’Organisation Mondiale du Tourisme,
alors dirigée par le Jordanien Taleb Rifai, ancien ministre dans son pays, à la prise
en compte de l’approche culturelle et patrimoniale et qui a intégré le concept de
développement du tourisme culturel. La conférence avait été précédée par une autre
réunion régionale, toujours à Siem Reap, sur le développement touristique dans
les sites culturels et naturels au mois de novembre 2014. C’est cette réunion qui a
préparé une réunion internationale pour discuter de ces questions.
Dans toutes ces inscriptions au patrimoine mondial (en 2019 : 1121 sites, 39 sites
transfrontières, 53 en danger, 869 culturels, 213 naturels, 39 mixtes et 2 délistés)
il y a toujours l’aspect de développement touristique lié à l’inscription d’un site.
Nous savons qu’il y a développement économique certain suite à l’inscription
d’un site au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Des professeurs d’économie dans
les facultés françaises mais aussi à l’étranger travaillent sur l’impact économique
du tourisme dans les sites patrimoniaux. Le centre Catégorie 2 créé sous l’égide
du professeur Santagata à Turin travaille essentiellement sur la relation culture,
patrimoine et développement. « Tourism is managed carrefuly to the benefits of the
host communities provides significant leads between heritage assets and sustainable
development ». On voit qu’à chaque fois que Madame Bokova remet un certificat
d’inscription combien les autorités qui la reçoivent s’intéressent à cette relation
tourisme et patrimoine. Le Docteur Taleb Rifai, secrétaire général de l’Organisation
Mondiale du Tourisme, déclarait : « UNWTO and UNESCO have been working
for many years to ensure a sustainable approach to Heritage management and
Tourism with their distinct, yet complementary roles within the UN system and such
a cooperation has entered a new dynamic level ».
Donc là nous avons évolué par rapport à une approche très prudente vis-à-vis du
tourisme. Nous ne voulions pas par exemple que les fresques et les gravures du
néolithique du Tassili connaissent un afflux massif de touristes et on a formé les
Touaregs pour encadrer chaque groupe qui venait en accord avec les opérateurs
touristiques. Parce que les groupes terroristes par exemple en Libye se sont attaqués
même aux fresques au sud de la Libye qu’ils ont détruit en mettant de la peinture
noire avec des goudrons sur des fresques néolithiques.
Nous discutons de ce sujet du tourisme à plusieurs niveaux, à la fois au niveau des
organisations étatiques mais aussi avec les représentants des organisations privées
en charge du tourisme. En 2012 cela a été un des sujets majeurs au moment de
la célébration du 40ème anniversaire de la convention de 1972. Comme cela se
passait à Tokyo on a appelé cela « The Tokyo vision » : « l’attention doit être donnée
au développement d’un tourisme soutenable, durable, comme source de bénéfices
économiques et de prise en compte pour les communautés locales ». Remarquez
l’attention accordée aux communautés locales et l’appréciation par les touristes de
la diversité culturelle.
Le problème c’est que nous sommes maintenant devant un phénomène contre
lequel on ne peut plus rien faire. Juste quelques chiffres : l’OMT a annoncé 1,235
milliards de touristes en 2016. Les recettes, équivalentes à 7000 milliards de dollars
internes et externes, représentent 9 % du PIB mondial. Mais l’industrie du tourisme
est également responsable de 5 % des émissions totales de gaz à effet de serre.
Les chiffres sont impressionnants et c’est un mouvement qui ne peut plus s’arrêter.
Qu’est-ce que le Cambodge et le site d’Angkor peuvent faire dans la région ? Le
cas d’étude d’Angkor montre qu’il y a des menaces réelles et des véritables défis.
Lorsque Angkor a été inscrite sur la liste du patrimoine mondial en 1992 elle a été
immédiatement mise sur la liste du patrimoine en danger pour répondre au danger
qui résultait du conflit. Le site a été retiré de la liste en 2004, car il n’y avait plus
ce danger. Mais on arrivait vers de nouveaux défis que connait ce grand site de 400
39
000 hectares, visité actuellement par une moyenne de 3 et peut-être 4 millions de
touristes annuellement, en augmentation constante d’une année à l’autre (Kérya
Sun : 5,5 millions, d’après les Cambodgiens).
L’impact du tourisme est une des préoccupations majeures pour nous. La réponse
réside dans sa gestion : L’établissement au sein de l’Autorité Nationale APSARA
d’un Tourism Management Plan, un plan de gestion du tourisme dans le cadre
du Angkor Heritage Management Framework. Il y a actuellement une réelle prise
en compte mais on doit continuer à travailler avec APSARA et le Ministère du
tourisme. Côté gouvernemental il faut que des mesures soient prises. Les groupes de
touristes au Louvre sont dirigés très souvent par les guides directement vers Mona
Lisa, comme s’il n’y avait que cette œuvre majeure dans ce musée extraordinaire.
Les gestionnaires du Louvre ont diversifié les visites de façon à ce qu’il n’y ait
pas un encombrement directement sur une pièce majeure. Le travail des collègues
de l’APSARA chargés du département tourisme est de faire en sorte qu’on n’ait
pas cet afflux majeur sur le Temple d’Angkor Vat alors qu’il y a des sites qui sont
complètement vides. Il y a donc un vrai travail de diversification et de réorientation
qui doit se faire en amont avec les tour-opérateurs. Un travail d’éducation et de
sensibilisation des tour-opérateurs parce que ce sont eux qui transmettent l’image
qui consiste à aller voir le temple d’Angkor Vat devant les bassins où sa structure
se reflète sur l’eau. C’est incontestablement très beau, mais quand il y a un millier
de personnes qui sont là, cela change complètement l’esprit et les sensations que
l’on ressent.
40
Un travail doit également être fait avec les responsables du tourisme pour qu’ils
prennent en compte les préoccupations des conservateurs. Nous faisons déjà des
recommandations très précises à propos des temples pour que les touristes avec
leurs sacs à dos ne grattent pas les inscriptions qui sont d’une très grande valeur.
Des protections en fibre plastique ont été mises devant certaines inscriptions pour
éviter justement les frottements des sacs à dos. L’image du Ta Prohm avec ces
fromagers qui s’incrustent sur la pierre est en effet une image extraordinaire qui
fait rêver et qui est reprise dans toutes les brochures - mais il faut que les brochures
diversifient leur présentation.
L’UNESCO ne peut pas aller dans chaque site pour s’en occuper mais essaye, en
amont, de travailler et d’étudier les impacts négatifs du tourisme, sans négliger les
nombreux aspects positifs. Le tourisme peut être aussi porteur de connaissance,
de traditions, d’ouverture à l’Autre pour faire en sorte que nous puissions vivre en
harmonie et pour qu’il y ait une appréciation mutuelle.
Maria Gravari-Barbas remercie très sincèrement M. Mounir Bouchenaki pour cet
éclairage très précieux sur les relations entre l’UNESCO et le tourisme et leur
évolution. Elle donne la parole au Pr. Azedine Beschaouch, secrétaire scientifique
du CIC pour Angkor.
Azedine BESCHAOUCH1
Secrétaire scientifique du CIC pour Angkor, Membre de l’Académie
des inscriptions et Belles lettres
Puisque presque tout a été si bien dit je ne vais pas reprendre tous les points
à propos d’une opération que tout le monde juge réussie et même exemplaire. Vous
allez me permettre de revenir à mon métier d’historien et d’essayer en battant le pas
à ceux qui expliquent l’histoire par « l’amour et la haine ». Des grands historiens
expliquent en effet que Carthage a été détruite parce qu’il y avait la haine des
Romains qui elle-même répondait à la haine des Carthaginois. « Le poids de la
haine » a été récurrent, jusqu’à Montesquieu et les grandes théories, pour expliquer
l’histoire. Pour moi, après pratiquement 25 ans sur le terrain d’Angkor, les résultats
obtenues et cette grande aventure s’expliquent par une grande « histoire d’amour ».
D’abord, l’homme qui a fondamentalement lancé ces opérations, sa majesté Feu le
Roi Norodom Sihanouk, était passionné par Angkor, au point que, dans ses écrits
et dans des films le thème d’Angkor revenait toujours. Une des fois où il a reçu les
protagonistes d’Angkor (les Français, les Japonais et l’UNESCO), il a expliqué que
chaque fois qu’il avait des gros problèmes à résoudre pour l’avenir du Cambodge,
il revenait à Siem Reap. C’est pour cela qu’il avait une résidence ici. Il a dit «Je
tiens à cette résidence, parce que c’est là où je revenais m’inspirer d’Angkor».
Je crois que toute l’affaire a commencé là. Je rappellerai comment à ce déjeuner
à l’ambassade du Cambodge, où le directeur général de l’UNESCO, M. Federico
Mayor, nous avait invités pour discuter de cette question, le roi nous a fait un
discours que je trouve fondamental. Il a dit : « sans la reconstitution de la culture et
de la civilisation, il n’y aura pas d’avenir pour la royauté ». Il a expliqué de façon
simple la passion angkorienne. C’est lui qui a demandé qu’il y ait entre Japonais
et Français un accord pour, qu’après l’inscription qu’il avait demandé à monsieur
Federico Mayor, il y ait un organisme pour coordonner les efforts internationaux.
Il a envoyé une grande délégation à laquelle a participé, pour la première fois,
Azedine Beschaouch est conseiller à l’UNESCO auprès du Directeur général adjoint pour la culture
pour le Programme international de sauvegarde d’Angkor. En sa qualité de président du Comifé du patrimoine
mondial, il a joué un rôle essentiel dans le processus de décision qui a conduit à l’inscription d’Angkor sur la
Liste du patrimoine mondial et dans la mise en œuvre du programme de sauvegarde. Il chargé du secrétariat
permanent du Comifé international de coordination (CIC) depuis sa création.
1
41
SE Vann Mollyvan, architecte de métier et grand visionnaire qui a été, pour le
patrimoine, le grand homme du Cambodge. Nous avons ainsi eu grâce au défunt roi
du Cambodge, cette réunion de Tokyo, qui a été fondamentale.
42
Dans les coulisses, où souvent l’histoire se prépare, nous avons appris, grâce au sousdirecteur général de l’UNESCO pour la culture, Henri Lopez, qu’on veut éliminer
l’UNESCO. La France a alors dit «pas d’avenir au Cambodge sans l’UNESCO».
Et ce sont précisément les vœux du défunt roi. C’est lui qui disait «L’avenir du
Cambodge, c’est l’avenir d’Angkor, et pour cela, je veux qu’il soit inscrit sur la
liste de l’UNESCO». Il avait fait un appel à l’UNESCO, en 1991, il avait facilité
l’ouverture d’un bureau, et il a fait en sorte qu’il y ait la conférence de Tokyo.
Nous lui devons tant de choses, y compris d’avoir investi, de ce rôle fondamental,
le « second homme », de cette histoire angkorienne, Monsieur Vann Molyvann.
Tout le monde dit que c’est lui qui a fondé APSARA avec très peu de moyens. Il
avait une petite équipe autour de lui, mais il était un visionnaire. Permettez-moi de
rappeler qu’à l’époque nous n’avions pas la carte si précieuse de Christophe Pottier.
Quand l’UNESCO a inscrit le site et qu’on nous a demandé à donner dans l’année
« un périmètre » nous nous sommes adressés à l’EFEO. L’EFEO nous a donné ce
dont elle disposait, mais elle ne pouvait pas disposer d’un énorme travail qui n’a
été fait que par la suite. Qu’est-ce que nous avions fait avec SE Vann Molyvann ?
Nous avions pris pour la zone 1, la zone essentielle, en se basant sur l’énorme
travail centenaire de l'EFEO. Ce travail de l’EFEO nous a permis de délimiter une
zone 1 – qui depuis n’a pas bougé, elle est à peu près la même maintenant. Mais
pour le reste, tout le monde nous disait « Mais qu’est-ce que c’est que cela ? Vous
avez tiré un périmètre au cordeau ? ». On avait en effet fait un quadrilatère. Mais
c’était une décision à prendre et je suis très heureux aujourd’hui, d’avoir été un
homme de confiance pour monsieur Vann Molyvann. Il m’a dit « Qu’est-ce qu’on
fait ? » et j’ai proposé : « On va prendre le maximum ». Et nous avons en effet pris
le maximum. Même dans la ville, parce que, la zone incluait déjà à l'époque une
partie de la ville de Siem Reap. Les gens ne savent pas, et on ne pouvait pas leur
dire parce qu’on ouvrait la porte à des protestations : « Oh mais alors ce n’est pas
archéologique, qu’est-ce que vous faites ? ». Mais c’était le moyen de sauver le
maximum. Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à la vigilance, mais quelques
fois, excusez-moi, moi cela m’amuse, quand il y a des gens qui disent «Vous avez
vu là-bas ?» «Mais là-bas c’est hors zone». Mais nous nous l’avions mis dans la
zone. Le travail fait par Vann Molyvann a été exemplaire. Il ne faut pas oublier qu’il
était lié au grand archéologue Henri Marchal (il avait épousé sa petite fille). Et
Henri Marchal, c’est un géant. Heureusement que l’EFEO a eu un Marchal, parce
qu’à deux reprises il devait quitter Angkor, l’âge arrivant, il est revenu et il est resté.
Son histoire est exemplaire. Tout seul, il a pu faire ce que l’EFEO est aujourd’hui.
Vann Molyvann avait autour de lui une petite équipe dans laquelle ont œuvré deux
« fées » que je dois nommer. Une que nous avons perdue, remarquable architecte,
très attachée à Angkor, Vatho, et Kérya Sun. Vann Molyvann travaillait donc avec
autour de lui ces quelques personnes.
La troisième histoire d’amour pour Angkor c’est celle de la France. Comme je viens
d’un pays de l’ex-empire, on ne va pas m’accuser de faire le panégyrique de la
France. Mais j’ai vu ce que la France - les archéologues français, l’EFEO - ont fait.
La première fois que nous avons vu Bruno Favel, c’était à la réunion de Tokyo.
Il y avait avec lui, madame Francine d’Orgeval, qui représentait le ministère des
affaires étrangères et qui, vingt-cinq ans plus tard, est toujours là. Ces personnes
ont joué un rôle déterminant : Parler d’Angkor comme s’il s’agissait de Vézelay ou
du Mont Saint-Michel, comme si c’était une partie de leur patrimoine national et
non pas du tout d’un patrimoine asiatique si éloigné. C’est comme cela qu’Angkor
a été sauvée, car on a eu la chance d’avoir, non seulement l’histoire de l’EFEO,
mais l’histoire de l’EFEO renouvelée. Je me souviens quand Christophe Pottier
a commencé à restaurer la terrasse des éléphants. C’était au tout début, personne
encore n’était là. Quand l’EFEO est revenue, je voyais la joie des Cambodgiens.
Ils souhaitent le retour de l’EFEO. Quand je parle de cette histoire d’amour de la
France, c’est que c’est à la fois, l’Etat, en tant qu’entité politique mais qu’est-ce que
la politique sans les hommes et les femmes ? Nous avons eu la chance d’avoir des
représentants de la France qui ont soutenu l’action de l’EFEO.
Ici cela s’est mis en place comme il faut et les experts y ont travaillé. Le choix des
experts et le fait que ces experts se soient entendus entre eux, n’est pas facile. Qui
peut assurer qu’un Shinji Tsukawaki va être d’accord avec le professeur Jean-Marie
Furt ? A la fin, nous avons toutefois constitué une véritable équipe, qui travaille
solidairement. Les experts sont attachés à Angkor. Nous devons à nos experts la
sauvegarde d’Angkor, car c’eux qui ont contribué à donner la crédibilité au projet
de sauvegarde. Les experts du CIC ont eu un rôle fondamental et continuent à en
avoir et sans leur attachement à Angkor, sans cette passion qu’ils ont pour Angkor,
nous n’aurions pas pu continuer à le faire. Et je suis très heureux de leur rendre
hommage parce que c’est un ensemble de personnalités remarquable.
Je finis par quelqu’un que nous venons de perdre aussi, SE le docteur Sok An, vicepremier ministre. Grâce à lui, beaucoup de choses ont pu être sauvegardées. Quand
on a été contactés par des personnes soutenues par une grande autorité de l’Etat,
qui souhaitaient vendre des chaussures en caoutchouc pour ne pas marcher sur les
pierres et les abimer, c’est M. Sok An qui a pu arranger politiquement cette question.
Ce projet aurait pu créer un problème environnemental considérable : comment
aurions pu traiter plusieurs millions de chaussures par an ? Un jour, j’étais en train
de donner des cours à Tokyo, quand on m’appelle au téléphone pour me demander
de revenir à Angkor pour une raison très grave. L’Inde avait donné cinq millions
de dollars pour la sauvegarde par la consolidation des digues du grand barrage
occidental. Mais des gens d’affaires avec un secrétaire d’Etat, un secrétaire d’Etat
en aménagement du territoire et un secrétaire d’Etat au tourisme, sans l’accord
de leur ministre, avaient décidé quoi faire avec les 5 millions : une route autour
d’Angkor de 12 mètres de large. Quand j’ai demandé, on m’a répondu : «Ah vous
êtes archéologue, vous ne devez rien connaître aux routes, il faut bien 12 mètres».
On s’est rendu compte après qu’un haut placé à l’APSARA, avait préparé le plan
avec eux. La meilleure manière de sauver le Baray occidental était selon eux de
construire autour une centaine de villas résidentielles qu’on allait vendre ! Si on
avait laissé faire cela, c’aurait été le scandale universel ! Devant mes réactions,
un des secrétaires d’Etat évoqués m’a dit «Jusqu’à quand l’UNESCO va nous
traiter comme des colonialistes ?» J’ai répondu : «Ecoutez, vous vous êtes trompé,
moi aussi je viens d’une colonie. Alors commencez pas à me faire la leçon sur les
colonies». Finalement, c’est monsieur Sok An qui a sévi et nous avons éliminé
ce projet. Et je finirai par lui faire hommage. Il a expliqué au Premier ministre
que ce serait la honte du Cambodge, par rapport à la communauté internationale
et la communauté du Patrimoine Mondial, de laisser construire ce terrain. Il s’est
rendu compte qu’il y avait un grand personnage, du même niveau que lui, vicepremier ministre, qui était derrière l’affaire. Au lieu de le dénoncer M. Sok An a
43
dit : «Laissez-moi faire». Et il a obtenu gain de cause, quelques mois après. Ceux
qui vont venir à Angkor ne se rendent pas compte qu’on a démoli. Quand j’étais à
Carthage, après une démolition d’une centaine de maisons j’ai été convoqué par le
président de la République, Bourguiba, qui me dit «Toi, tu vas mal finir». «Monsieur
le Président, c’est vous qui m’avez dit de sauver Carthage », je lui ai répondu. Il me
dit «Tu vas mal parce que tu n’as pas compris que tous ces gens-là, moi, toi, tout le
monde, cela les intéresse parce que cela les intéresse. C’est leurs petites affaires !
Ils veulent construire... Aller, je vais mettre l’armée avec toi, dans une semaine, tu
me règles ce problème». Mais à Angkor, j’ai fait le tour, il y a un mois et demi, je
n’ai pas l’armée ... Je ne sais pas par quel miracle, ils ont réussi à démolir plus de
562 constructions.
(Kérya Sun : Il y a 68% qui se sont portés volontaires pour démolir eux-mêmes,
dans les zones protégées ! Il y en a même à côté de Pre Kuk)
C’est le résultat de l’action d’un homme qui savait agir « en douce ». Sans faire de
scandale. C’est un art cambodgien de résoudre les problèmes, en douceur. C’est
ainsi que nous arrivons à faire en sorte que nous ayons l’essentiel du point de vue
international, c’est-à-dire la sauvegarde. Certains vont dire : «Et toi, qu’est-ce que
tu as fait ?». Moi, je me suis contenté de suivre tout cela depuis vingt-cinq ans.
Cette année nous fêtons 25 ans d’inscription et l’année prochaine 25 ans de mise en
place du CIC.
44
Mounir Bouchenaki : Monsieur Azedine Beschaouch a oublié de dire qu’il a été
ministre de la culture dans une période très difficile en Tunisie. Je peux dire, par ma
position à l’UNESCO, qu’il a été la personne qui a réglé d’énormes problèmes. Un
chantier comme celui d’Angkor n’est pas un chantier facile : avoir l’accord de toutes
les équipes, travailler dans une coordination harmonieuse, obtenir des résultats
concrets qui, d’années en années ont été porté à la connaissance des donateurs et
à la connaissance du public, cela ne s’est pas fait tout seul. Nous à l’UNESCO,
nous considérons le rôle d’Azedine Beschaouch comme étant un rôle essentiel,
fondamental dans le succès du CIC. Je voudrais qu’on lui rende publiquement
hommage parce que, dès le début, nous avons eu beaucoup de problèmes. Nous
avons même eu un article du ministre de la culture, Monsieur Vann Mollyvan,
déclarant la personne qui était chargée du bureau UNESCO persona non grata. Et
c’est grâce à Azedine que les choses sont rentrées dans l’ordre.
Maria Gravari-Barbas remercie le Pr. Beschaouch et donne la parole à M. Bruno
Favel, Chef du département des affaires européennes et internationales, du
Ministère de la Culture et de la Communication.
Bruno FAVEL
Chef du département des affaires européennes et internationales,
direction générale des patrimoines, Ministère de la Culture
Merci de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur un sujet que je suis
depuis 1991, devant un parterre de scientifiques, c’est assez rare. Je suis convié
dans des événements à l’étranger, mais rarement en France. Je ne vais pas revenir
sur les Accords de Paris ni sur la conférence de Tokyo. Mais il faut savoir que le
président Mitterrand avait souhaité que les actions de l’UNESCO et de M. Vann
Molyvann soient suivies dans des plans d’action de 3 ans ou de 5 ans, très précis,
mis en œuvre par les Affaires étrangères avec comme maître d’œuvre l’EFEO. Il y a
eu plusieurs plans qui prévoyaient toute la reconstruction culturelle du Cambodge.
Pas seulement Angkor mais aussi concernant le patrimoine urbain du Cambodge.
Ces actions coordonnées autour des questions culturelles intégrant d’abord Angkor,
ont donné naissance à l’Autorité nationale APSARA (pour la protection du site et
l’aménagement de la région d’Angkor). Je rappelle qu’il y avait des milliers d’ONG
qui débarquaient au Cambodge… le gouvernement cambodgien nous avait demandé de mettre aussi en cohérence toutes ces actions. Il y a eu des premières missions
de Pierre-André Lablaude et de monsieur Boyer. A l'époque on ne pouvait pas se
rendre sur le site d’Angkor car miné, . Il a d’ailleurs été déminé assez tardivement.
Quelques actions méritent d’être retenues. Dès 1991 a eu lieu la restauration à Phnom Penh du Pavillon de Napoléon III, pavillon offert par l’impératrice Eugénie à la
suite de l’inauguration du Canal de Suez. C'est un architecte en chef des monuments
historiques, monsieur Didier Repellin, qui avait organisé un chantier-école avec
des élèves français de l’école de Chaillot , et des Cambodgiens, coordonnés par
l’association Avenir et Patrimoine dirigée par Madame Gradis. Ce chantier avait
permis de redonner déjà un embryon d’identité aux Cambodgiens. Par la suite, il
y a eu le travail fait par Christophe Pottier, tout à fait important, sur la Terrasse du
Roi Lépreux, la Terrasse des éléphants. Il avait montré qu’une nouvelle génération
d’architectes et de conservateurs à l’Ecole Française d’Extrême-Orient pouvaient
se préoccuper de la conservation et de la restauration des temples dans un plan intégré. On associera le travail emblématique de Pascal Royère, pendant 17 ans, qui
a remonté le Baphuon. Ici, le chantier a fait l'homme et l’homme a fait chantier. Ils
se sont mutuellement nourris d'une approche tout à fait unique au monde. C'est le
seul chantier qui a duré aussi longtemps. Pascal Royère avait été choisi par celui qui
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avait restauré Borobudur en Indonésie, monsieur Dumarçay. Ces deux jeunes architectes et archéologues, archéologue pour Christophe Potier et architecte pour Pascal
Royère, ont permis de redonner une identité française de rayonnement scientifique
en formant des Cambodgiens Nous avons eu de longues discussions sur l’approche
méthodologique. Pour nous, au ministère de la Culture, il était fondamental de former une génération de Cambodgiens. Ce n’était pas le discours des autorités, et je
ne vais pas être très correct politiquement nous n’avions pas du tout au ministère
de la Culture le même point de vue que les Affaires étrangères. Mais j’ai trouvé
un appui à l’UNESCO sur ce sujet, puisque nous voulions absolument que ce soit
les Cambodgiens qui soient formés par d’excellents professionnels français pour
justement avoir une approche croisée, une génération d'archéologues, d'architectes,
de scientifiques. D'ailleurs l'école d'architectes de Chaillot au Cambodge mis en
œuvre par Mireille Grubert (directrice de l’école de Chaillot, Cité de l’Architecture et du Patrimoine) et Kulachad Sisowath en est la preuve. Le but était que des
architectes cambodgiens deviennent autonomes dans l’appropriation de leur propre
patrimoine, qu’il y ait une re-légitimation par eux-mêmes. Certains ont parlé de
période coloniale ou de néo-colonialisme. Or ce n’était pas du tout ce qui était
prévu dans les Accords de Paris. C’était de redonner au Cambodge sa mémoire et
son identité avec des moyens conséquents y compris financiers. Et surtout de nous
inscrire dans la durée. Nous ne voulions pas avoir l’expérience - ne prenez pas cela
pour une arrogance - d’autres pays venant fouiller pendant 1 ou 2 ans qui repartent
en publiant des livres en disant «On a fait notre travail et au revoir ! On s’est
connus, on s’est appréciés, on s’est aimés, Bye-Bye». C’était pas du tout cela. C’est
pour cela que, conjointement avec le travail de l’EFEO, l’implication personnelle
de Pierre-André Lablaude et des autres experts sur le développement durable, a été
très important. Il y a eu une présence réelle, une alchimie qu’on ne retrouve pas
dans d’autres scénarios, que vous avez décrit : ni en Irak, ni en Afghanistan et encore moins, malheureusement, en Haïti, - parce qu’on a oublié le CIC raté d’Haïti,
en roue libre. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Tout ce travail à Angkor a ainsi permis d’avoir une véritable logique, une convergence des énergies. J’ai toutefois un grand regret : que les aspects culturels n’aient
pas été intégrés dès le départ dans la problématique d’Angkor. Je vous en ai parlé
pendant des années : j’ai toujours déploré la mésentente entre le ministre de la
Culture du Cambodge et SE Vann Molyvann. Je pense qu’il aurait fallu plus de
coordination au niveau culturel pour rendre optimale la préservation du patrimoine
immatériel, du patrimoine identitaire et d’autres genres culturels. C’est mon grand
regret. Cela aurait peut-être permis d’éviter que l’architecture de certains monuments historiques soit imité par d’autres bâtiments. C’est un phénomène aussi pervers de l’action touristique et je l’ai dit à chaque CIC. Dès le départ nous avons
considéré que notre action s’inscrivait dans un site sacré. Je reprends un décret du
roi Sihanouk où est dit qu’il est fondamental de respecter l’identité sacrée de ce
lieu habité par des Cambodgiens, qui n’a jamais été déserté et demeure un lieu de
culte. Pour nous c'était important de se situer aussi là-dedans. Toutes nos prises de
position, très véhémentes lorsqu'il y a eu des dérives, intégraient cette dimension.
Je fais référence ici à la mondialisation touristique et aux projets de faire d’Angkor,
parfois un « dancing », avec des spectacles qui renforçaient encore plus le côté
mercantile et le côté complètement dénaturé des sites. Le site mérite un traitement
et un respect comme à Carthage, comme à Versailles, et à Notre Dame de Paris dans
d’autres endroits où on respecte les sites. C’est ce qu’il s’est passé : le respect du
site a permis d’éviter des choses parfois compliquées et qui auraient déplacé des
foules de façon inutile.
En organisant le Comité du Patrimoine Mondial en 2013, le Cambodge a montré à
la planète qu’il avait reconquis son indépendance patrimoniale et qu’il invitait toute
la planète à venir au Cambodge voir comment on pouvait travailler. On y a inscrit
des sites de la planète entière et je dois dire que ce Comité du Patrimoine Mondial a
permis, grâce au travail de Kérya Sun, de montrer comment les Cambodgiens s’inscrivent dans l’universel. La durabilité et la pérennisation du CIC peut être aussi
cela : d'avoir réintégré les Cambodgiens dans la communauté internationale. Je dois
dire que 25 ans après, le Cambodge, où il n'y avait pas de voitures, d'infrastructures,
de toilettes, où il n'y avait rien, de voir maintenant le parcours accompli pour de
former une génération. Car on ne se souvient pas - et cela est un autre problème de
l’effet pervers de la mondialisation et de l’oubli - du drame de son pays… Il faudra
quand même qu’on se préoccupe ensemble au sein du CIC que - sans arriver pour
autant à un culte morbide du génocide - il n’y ait pas complètement effacement de
la mémoire dans une espèce de jouissance matérielle complètement démente.
En ce qui concerne le tourisme asiatique de masse, il faudrait peut-être essayer de
mieux cerner le tourisme chinois ou coréen. Ce sont des formes de tourismes différentes des nôtres. Il n’y a pas les mêmes besoins ni les mêmes offres, et surtout
pas les mêmes attentes. Il faut penser aussi a travailler à l’équilibre entre Angkor et
les autres provinces du Cambodge en termes de restauration et de conservation du
patrimoine. Je me réfère au travail magnifique réalisé par Aline Hetreau-Pottier et
autres collègues sur un livre que l’on avait publié ensemble sur l’inventaire de Phnom Penh. Je suis toujours sur ma faim concernant le patrimoine urbain. Vous avez
un travail de sauvegarde aussi de la mémoire du patrimoine urbain du XXe siècle,
mais il y a encore des choses à faire dans ce domaine. Ros Borath fait également
beaucoup de choses à l’Ecole d’Architecture de Paris-Belleville.
Je suis assez optimiste sur l’avenir - d’autres pays sont bien plus ravagés, pensons
à la Syrie ou à d’autres parties du monde. Mais tout cela reste fragile et à entretenir.
Le maintien d’une structure de coordination me semble indispensable pour continuer à aider à conseiller au mieux, pas forcément toujours avec la France - il y en
d’autres pays qui pourraient prendre le relais - pour essayer de maintenir nos amis
cambodgiens dans une logique de partager dans l’universel. M’occupant du Patrimoine Mondial en France, c’est ce que j’ai expliqué, à certains maires de communes
qui commencent à me dire «c’est important pour mon terroir». Je réponds «Mais
monsieur, vous n’avez strictement rien compris. Quand vous candidatez à l’inscription sur le Patrimoine Mondial, vous êtes sensible aux Pyramides d’Egypte, vous
êtes sensible à la cité de Xi’An en Chine, vous êtes sensible à d’autres formes de
patrimoines, mais vous n’êtes pas que dans votre terroir local à vous occuper à une
chasse au label». Il faut rappeler aux élus, que ce n’est pas seulement une logique
de représentation identitaire et de célébrations annuelles : ce CIC est là aussi pour
leur rappeler de temps en temps la Convention de 72, la méthodologie de travail,
la lutte contre les effets pervers de la mondialisation touristique. Car cette dernière
n’a pas que des aspects positifs, elle induit parfois des comportements pervers.
Des faits hallucinants nous ont été rapportés de comportements particulièrement bizarres dans un site sacré comme celui d’Angkor. Je crains que les gens qui viennent
n’aient absolument pas compris l’importance de ce patrimoine, dans un pays qui a
connu un génocide. Mais remarquez, à Auschwitz, il y a aussi des choses abomi-
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nables perpétrées.
Angkor n’est pas que l’affaire de spécialistes, c’est aussi l’affaire du grand public
et de son comportement, de son éducation Il vaut mieux faire connaître les sites du
Patrimoine Mondial par les pays qui, au sein de l’UNESCO, travaillent sur cette
question, via les questions touristiques. Il faut aussi avoir une réflexion sur comment induire la compréhension de groupes par des publications et par des actions
concrètes.
Et pour finir, je distinguerais trois décennies à Angkor. La première (1992-2002) a
été centrée sur la conservation et la restauration des monuments historiques. Pour
la France elle est représentée par monsieur Toubon. La deuxième (2002-2011 ou
2013) est une décennie de développement culturel et durable. Elle est représentée
pour la France par monsieur Frédéric Mitterrand. Enfin, celle qui a ouvert la troisième décennie, pour les communautés, est madame Aurélie Filippetti.
On doit vraiment continuer les actions de formation. Pour moi, c’est indispensable
de continuer à mettre des moyens pour former les Cambodgiens sous différentes
formes sur place ou en France, de donner des bourses, de construire des programmes
adaptés et surtout d’inclure la problématique du tourisme mondialisé dès le départ,
pour sensibiliser les jeunes professionnels à ces discours.
Ce travail résulte également d’une coopération exemplaire avec ma collègue madame Francine d’Orgeval, experte au MEAE et ce dès l’origine ; notons également
l’implication, depuis de nombreuses années, de Véronique Dez dans la formation
de jeunes professionnels cambodgiens.
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Maria Gravari-Barbas remercie M. Bruno Favel ainsi que tous les intervenants
de la première demi-journée du séminaire. Une session de discussion a lieu avec
l’ensemble des intervenants et les participants au séminaire.
Première Session de Discussion
Maria Gravari-Barbas Comment a évolué la question du rapport aux communautés
et la doctrine en termes de leur présence sur le site ? Quelle est la vision actuelle et
comment a-t-elle évolué au cours des dernières années ?
Kérya Sun – Au moment de l’inscription je n’étais pas encore au Cambodge. Il
y avait le choix d’inscrire le site sur la liste du patrimoine mondial en dégageant
tous les habitants - c’est plus facile à conserver - ou de les garder et en faire un site
vivant. L’UNESCO a choisi de garder ces habitants.
Azedine Beschaouch – On ne peut pas dire que l’UNESCO a décidé… Au contraire,
une grande partie du Comité voulait une inscription sans la population. Cela aurait
été un désastre, et nous nous sommes battus contre cette approche. Par chance, on
avait un directeur général qui nous a soutenus, mais tout l’ensemble de l’UNESCO
était contre l’idée de conserver. Mais et la France nous a aidé, et on a pu finalement
inscrire avec la population. Beaucoup de gens nous le reproche, mais qu’est-ce
qu’un site comme Angkor qui devient une archéologie ! Ce serait un scandale.
Il faut remettre les choses au point. Donc l’UNESCO à l’époque, hélas, sauf le
directeur général et Mounir Bouchenaki qui avait des fonctions pour le patrimoine
à l’époque, c’est tout ! Mais au sein du Comité, que je présidais, qu’est-ce qu’on
s’est battus ! Il y avait un grand pays, que je ne nommerai pas, qui était le plus
farouche. Son représentant disait « tout le monde dehors sinon nous n’inscrivons
pas ». Et finalement, le délégué français a dit : « nous, nous n’inscrirons jamais s’il
n’y a pas la population ».
Kérya Sun – Nous avons mis en place en 2008 un projet avec la Nouvelle-Zélande
qui travaille avec les communautés – ses propres communautés Maori tout d’abord
– et qui a mis en place plusieurs projets-pilote. J’ai participé à plusieurs voyages
pour mettre en place le projet de la Nouvelle-Zélande qui nous a aidé dans nos
efforts pour faire participer la population dans le processus de développement. Dans
les zones protégées, vous avez des populations endogènes et des exogènes. Il y a
et ceux qui sont là, et en particulier les plus pauvres qui sont nés là, dont la famille
est là, et qui, compte-tenu de la zone protégée n’ont pas le droit d’agrandir ou
de construire de nouvelles maisons. Or la famille cambodgienne habite ensemble.
Nous avons donc créé une autre zone, en dehors des zones protégées, où on leur
donne un hectare de terrain et les aide à construire. Ces communautés pratiquent
une agriculture traditionnelle qui n’a pas beaucoup d’impacts aujourd’hui dans la
mesure où les terres à Angkor sont appauvries par toutes ces années d’abandon.
Récemment, l’ingénieur hydraulique Hang Peou a réussi à remplir le Baray Nord
qui était asséché depuis le XVIème siècle. Quand il m’avait dit « je vais remplir le
Baray Nord », j’ai dit « Comment peux-tu dire cela ? Depuis que je suis sur Angkor
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tous les experts européens me disent qu’on ne remplirait jamais aucun Baray ». Il
m’a répondu « parce que je suis Cambodgien » ; « pourquoi au XVème - XVIème siècle
on aurait fait une route comme cela ? Ce n’est pas une route, c’est une digue ». Et
il a fouillé cette direction et hypothèse. En effet, l’eau tombe du Coulen, traverse
la plaine d’Angkor, et se jette dans le Tonlé Sap. Il a trouvé que si le Baray est
asséché c’est parce que la population a coupé 56 points sur la digue pour déverser
l’eau dans leur rizière. Il a donc réparé les 56 points, en mettant des portes d’eau.
Mais il a fallu expliquer aux gens parce que certains ont construit et cultivé dans le
Baray mis en eau. Il a donc travaillé sous la protection de l’armée pendant presque
trois ans pour mettre le Baray en eau et pour faire comprendre à la population
que ce n’est pas contre eux. Maintenant c’est rentré dans l’esprit, la population a
compris. Depuis ces travaux, la zone d’Angkor est la seule province qui n’est pas
inondé au Cambodge. Je me rappelle une époque où il a fallu aller au Banteay Srei
en radeau et où le Premier Ministre a dû envoyer un hélicoptère pour évacuer des
touristes prisonniers ! La gestion de l’eau est extrêmement importante et il est crucial
d’expliquer aux communautés leurs intérêts. Mais le discours sur les communautés
est aujourd’hui à mode ! Pourquoi on ne s’en est jamais occupé et maintenant tout le
monde s’en occupe… Mais évidemment leur participation est nécessaire, APSARA
ne peut pas faire quelque chose sans travailler avec les communautés.
Virginie Picon – Est ce que le CIC peut être encore amené à durer ?
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Mounir Bouchenaki – Un CIC n’a pas été une invention ex-nihilo. L’UNESCO
a une longue histoire de ce qu’on appelle les campagnes internationales de
sauvegarde. Dans ces campagnes, comme celle de la Nubie par exemple, il y
avait un groupe d’experts qui était dirigé par Madame Desroches-Noblecourt, la
directrice du département Antiquités égyptiennes du Louvre, archéologue aussi en
Égypte. On ne l’appelait certes pas le CIC. Mais autour d’elle il y avait toute une
équipe de savants qui se réunissait mais essentiellement pour parler des résultats de
la recherche archéologique. A Carthage on réunissait également où chaque année
les chefs de missions archéologiques, les Italiens, les Français, les Allemands etc.,
autour du Pr Beschaouch et on faisait le point sur les recherches archéologiques. La
nouveauté qui a été introduite avec le CIC à Angkor, est qu’on a relié les aspects
de conservation avec les aspects de développement. On peut voir comment on allie
à la fois les résultats de ces recherches qui apportent énormément, notamment la
technologie du lidar qui a complètement révolutionné notre connaissance du site
d’Angkor.
Bruno Favel: J’ai participé aux négociations des Accords de Paris en 1992. Pour
la première fois, la communauté internationale s’est prononcée dans des accords
politiques internationaux sur la question de la reconstruction culturelle d’un
Etat, le Cambodge. Aux Accords de Paris, co-présidés par la France et l’Indonésie
qui s’est retirée par la suite, il avait été prévu une série de réunions, sans l’UNESCO
d’ailleurs, de cette reconstruction culturelle. Et une conférence nous a réuni à Tokyo
en octobre en 1993, où vous étiez messieurs, avec madame Francine D’Orgeval, où
il avait été décidé que le secrétariat de la reconstruction identitaire, monumentale et
culturelle du Cambodge serait à l’UNESCO. Le cas de figure est exceptionnel pour
le Cambodge, parce qu'au niveau international, l'ONU, tous les acteurs, y compris
les acteurs internes au royaume du Cambodge, étaient d’accord sur la nécessité
de reconstruire à l’identique une mémoire, de travailler ensemble. Nous avons eu
une approche à peu près similaire sur l’Afghanistan. Mais il a manqué quelque
chose pour l’Afghanistan - très peu de choses en fait : des moyens financiers et
une convergence. Nous n’étions pas en terrain asiatique, nous étions ailleurs, nous
étions dans une autre approche géographique. Quant à l’Irak, je dois ferai dire
que la méthodologie avait été reprise mais pour des raisons de non-entente des
belligérants, il n’a jamais été possible de travailler correctement sur ces questions.
Mais je dois dire que sans l’implication politique des Etats et des gouvernements, le
Cambodge n’aurait pas eu la pérennité d’un comité qui continue d’ailleurs, puisque
ce comité d’Angkor, on ne le dit pas, mais a donné naissance au CIC de Preah
Vihear qui est co-présidé par l’Inde et la Chine. Mais je dois dire qu’il y a un suivi
politique de la France et du Japon, très particulier, sur ce CIC d’Angkor, ce n’est
pas seulement une communauté de scientifiques qui se réunit pour discuter d’avenir
et de conservation, de la restauration c’est un évènement politique - j’insiste
beaucoup sur le mot politique au sens noble du terme, puisqu’il permet maintenant
de citer en référence Angkor. En 1991, Angkor était le symbole de la misère du
patrimoine : patrimoine martyrisé, patrimoine massacré. Maintenant Angkor est
une autre vision de patrimoine Je rappelle que la conférence d’Abu Dhabi n’a cessé
de faire référence au « modèle » d’Angkor. Angkor est donc devenu un modèle
gouvernemental mondial de conservation et de restauration. Je ne rentrerai pas
dans les développements des questions telles que la zone tampon, les problèmes de
tourisme ou d’autres problèmes. Pour nous ce modèle d’Angkor est très précieux.
En 1991, il y avait d’autres petites expériences, on en parlera tout à l’heure quand je
parlerai de la restauration du patrimoine au Cambodge notamment avec monsieur
Repellin, architecte en chef des Monuments Historiques, ainsi que du travail
de Christophe Pottier sur la terrasse du Roi lépreux. Ces événements-là ont été
importants avant la création du CIC. Je crois en effet que depuis 1991 il y a un fil
conducteur de toutes ces questions que j’analyse et que j’observe en spectateur.
Azedine Beschaouch - Je voulais remercier Bruno Favel pour avoir insisté sur le
patrimoine cam-bodgien en général et pas seulement sur Angkor. Je crois qu’il y a
un effort à faire au sein du CIC. Il faudrait que ce soit introduit à mon sens, soit par
les autorités cambodgiennes ou mieux par un des deux co-présidents – sans doute
la France puisque c’est une initiative française.
Bruno Favel : Il y a déjà un changement très positif, indépendamment du remarquable
travail fait par le Vice premier ministre M. Sok An : la présidente actuelle d’Apsara,
Mme Sakona, est aussi Ministre de la culture. Elle a par conséquent une vision
globale du patrimoine du pays ainsi que l’autorité sur tous les sites, dans toutes les
provinces du Cambodge. Elle couvre un périmètre très large qui va des musées aux
archives en passant par l’enseignement supérieur, l’enseignement du patrimoine
urbain, culturel et autre. Le fait d’avoir cette personnalité, Mme Sakona, rend
possible un dialogue pour faire prendre conscience du rééquilibrage géographique
à induire sur justement tout le territoire du Cambodge.
Kérya Sun : Je voulais rajouter quelque chose. J’évoquais qu’APSARA est mal
vue par les Cambodgiens parce qu’elle considérée être un organe de répression. Je
pense que cela est une carence de la communauté internationale. Quand on avait
créé APSARA avec les lois qui s’ensuivent, on ne pouvait pas deviner ce qui se
passerait. A savoir qu’à APSARA nous avons le droit de dire « non », mais on n’a
pas le droit de verbaliser quelqu’un qui fait une erreur. Il faut que l’on s’adresse à la
police du patrimoine. Le Cambodge est un des seuls pays à l’avoir, depuis je crois
1997, une police du patrimoine, avec l’assistance de la France, pour éradiquer le
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trafic illicite des objets d’art. Cette protection, efficace, est même un exemple pour
l’ICOM pour le retour des objets d’arts anciens parce qu’on les réclame et on les
obtienne. On n’a même pas besoin d’aller au procès. Le gouvernement américain
nous avait soutenu pour faire revenir les pièces qui avaient disparues et dont on
ne savait même pas où s’étaient. Nous devons donc s’appuyer sur toutes la police
touristique et cela représente une faiblesse pour APSARA. APSARA contrôle en
effet les lois, a le droit de dire non, mais pas de verbaliser. Le fait que l’on doit
toujours s’appuyer sur une autorité engendre des problèmes, par exemple avec les
constructions illicites, parce que nous pouvons dire « vous n’avez pas le droit » mais
si le contrevenant ne répond pas positivement, il faut que l’on demande à la police
provinciale de nous aider et elle le fait si elle n’est pas politiquement impliquée.
Le vice premier ministre qui a voulu que l’on arrête les constructions illicites a
été contré par un autre vice-premier ministre beaucoup plus puissant, car il détient
l’armée, qui disait au moment de la campagne électorale : « Si je suis élu, je vous
donnerai la permission de construire partout où vous voulez ». Apsara se trouve au
centre du contexte politique cambodgien. Et nous avons également le Patrimoine
mondial qui a ses règles. Il se trouve que la situation politique a changée et il faut
remercier la France pour ça. Parce que c’est la France qui a soulevé ces problèmes ;
l’ancien ambassadeur de France, Jean-Claude Poinmboeuf, au moment où il partait
du Cambodge a vu le premier ministre et a soulevé ce problème. Qui a également
été soulevé au CIC grâce à M. Bruno Favel et à Mme Francine d’Orgeval. Les
japonais n’en parlent pas car ils ne veulent pas de remue politique. Suite à cela le
vice premier-ministre de la défense a convenu : « Il faut aider APSARA, on va les
aider à démanteler ». A partir de là les choses sont allés assez bien. Maintenant
les experts vont travailler sur ce dossier mais il faut y aller doucement et leur
apporter quelque chose qu’ils peuvent appliquer. Je n’espérais pas démanteler 70%
volontairement, il faut le faire ! Maintenant les choses s’arrangent pour la zone 2
mais le problème qui reste est la gestion des flux touristiques.
Jean Marie Furt : Plusieurs questions renvoient à la problématique de modélisation.
Je pense effectivement qu’en matière de conservation il y a une expérience à tirer,
on est véritablement sur un laboratoire il y a des transpositions possibles sans
aucun problème. Je suis plus dubitatif - je choisis mes mots pour ne pas être trop
violent d’entrée de jeu - sur le volet tourisme et développement durable. On peut
me répondre que c’est une affaire qui vient de démarrer. On a compris ce matin
l’importance du temps long, voire très long, pour voir évoluer certaines choses. La
problématique du développement durable, même si elle était inscrite quelque part
depuis 1993, dans la réalité opérationnelle elle a démarrée vers 2007-2008, il y a
donc une petite dizaine d’années. Nous pouvons qualifier ce démarrage d’erratique :
on ne savait pas trop où aller, on n’avait pas de repères, on essayait de copier ce qui
était fait par les autres, on s’est retrouvé souvent seuls avec la difficulté à former
une équipe et à penser ensemble. Mais les choses ont fini par prendre corps.
A la différence du temps long du patrimoine, ici on parle d’humains. On ne peut
pas attendre trop longtemps. A un moment donné le dialogue et la concertation ne
suffisent plus, il faut de la coercition, il faut de la normalisation qui soit applicable.
Mais qui dit une ‘normalisation applicable’, dit derrière une équipe formée, capable
et en pouvoir de prendre en charge cette normalisation définie en concertation.
Effectivement, on peut négocier avec un TO ou on peut faire signer des chartes,
mais à un mo-ment donné nous arrivons au problème de l’application. Le problème
de l’application on le voit tous les jours avec la « charte de bonne conduite » qui a
été mise en place et son application ré-elle qui laisse à désirer. Ensuite il faut que
l’action publique soit véritablement en phase avec les objectifs généraux. Sur les
constructions illégales, nous avons ce problème des objectifs et de la nécessité de
leur application. Sur ce sujet, les gens dont les constructions ont été démolies, ontils été rapatriés quelque part ?
Kérya Sun : Les gens qui y ont construit possèdent déjà tous des maisons mais
profitent pour faire un petit commerce, un petit quelque chose, donc ils ne perdent
rien du tout.
Virginie Picon : On peut dire qu’ils perdent leurs boulots.
Kérya Sun : Non, ils sont venus construire à un endroit où il n’y avait rien. C’est à
leurs risques et périls si c’est interdit. Je ne vois pas pourquoi je pleurerais sur leurs
sorts. Au contraire, ils nous ont fait dépenser beaucoup d’argent parce qu’on a dû
payer pour que les gens aillent arrêter.
Azedine Beschaouch : C’est de la spéculation. Ils voulaient construire soit pour
loueur, soit pour vendre. Aucun d’entre eux n’est dans le besoin ?
Kérya Sun : Aucun.
Jean-Marie Furt : Bien. Cela peut marcher effectivement à partir du moment où
on dit il faut aller.
Kérya Sun : Il faut une volonté politique.
Jean-Marie Furt : Nous avons bataillé énormément, même si on a pas de résultat,
pour inscrire le management du tourisme à l’échelon territorial. Les prestataires qui
étaient en charge de ce plan de management voulaient le réduire au site d’Angkor
et on a dû batailler pour élargir au champ territorial. Maintenant que c’est inscrit
dans un document sur l’opérationnalité, on peut se de-mander sur l’opérationnalité
de la chose - quand on voit les distorsions en termes de développement sur
certaines portions du territoire. Mais c’est quasiment une règle générale : dans tout
développement touristique il y a des gens qui vont en profiter directement et puis
il va y avoir une élévation du niveau de vie global. Il faut se donner les moyens de
mieux répartir la valeur ajoutée.
Tout ceci revient, de manière directe ou indirecte, à un problème d’argent, légal ou
illégal d’ailleurs, on voit cela dans toutes les affaires de développement touristique.
On a parlé de Pompéi et de l’armée, il faut savoir que l’armée n’est pas à Pompéi
que pour réguler la gestion des flux touristiques mais peut-être pour s’interroger sur
où va l’argent de manière directe. La ques-tion de l’argent est en rapport avec la
problématique de la billetterie. A un moment donné on a une délégation du service
public avec un prestataire puis du jour au lendemain on a la personne privée qui voit
son contrat rompu et on a une reprise en main par la personne publique par exemple
le ministère de la culture. Certes, c’est un choix politique, mais derrière il y a des
choix en termes de management. A un moment donné, l’investissement qui est fait
à ce niveau-là doit être un investissement moderne, qui puisse servir de manière très
simple à réguler les flux.
Quand on a une traçabilité sur les billets vendus - on les vend en ligne ou on connait
le code barre sur les billets - on a la possibilité de réguler les flux en disant : « Non, à
Preah Kan il n’y a plus personne qui rentre de 10h à midi, jeudi 15 décembre, parce
que c’est plein », c’est aussi simple que cela. Mais cela implique que nous savons
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exactement combien de billets ont été vendus, combien cela rapporte et combien
cela devrait rapporter et je suis en mesure de savoir où va l’argent, qu’est-ce qu’on
peut en faire etc. Voici comment, d’une certaine manière, on pourrait répondre à la
question de la gestion des flux. Cela a été dit au CIC y a un an et demi, il y a eu des
interrogations fortes, car le management des flux était complètement aberrant. Il y
a eu tout un temps de non-réponse. A chaque fois on essaye de poser des questions
pour faire avancer le sys-tème là-dessus et comme on n’arrive pas on bricole sur
d’autres éléments. On évoque de temps en temps les problèmes fondamentaux mais
en ne les enlève pas. Sok An a été un appui fort, mais une fois qu’on aura soulevé cet
après-midi tout un tas de problèmes sur des questions de développement - durable
ou pas d’ailleurs - quid de l’organisation qu’on devra mettre en place pour faire
évoluer les choses « dans le bon sens » ?
Maria Gravari-Barbas : Comment évoluent les choses après la disparition du
Vice-Premier Mi-nistre Sok An ?
Jean-Marie Furt : Pour la nouvelle présidente du CIC, la Ministre de la culture,
cette question est fondamentale. S’il n’y a pas d’engagement nous allons continuer
à bricoler.
Azedine Beschaouch : On va provoquer une réunion dès que possible pour que
cette question soit réglée parce que nous ne pouvons pas continuer à ingénier
comme cela.
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Maria-Gravari-Barbas : Je souhaiterais revenir sur la dualité patrimoine et
mondialisation. Nous n’avons pas assez parlé de la doctrine de restauration et de
conservation qui a été mise en place au sein du CIC. J’aurai aimé savoir comment
se fait ce travail commun de tous les Etats. Comment a-t-il évolué avec l’arrivée
progressive de nouveaux pays. Evolue-t-on vers une nouvelle approche commune
une doctrine éventuellement ? Il y a eu certes la Charte d’Angkor qui témoigne
d’une volonté d’affirmer une doctrine commune élaborée communément au cours
des dernières an-nées.
Pierre-André Lablaude : Bien sûr il y a des textes internationaux sur la conservation
du patrimoine, la charte de Venise, le document Nara sur l’authenticité qui est déjà
une dénonciation de la charte de Venise. Nous sommes déjà dans la dialectique. Et
puis nous avons des cultures de la restauration. Ce qui m’a toujours frappé dans
les chantiers à Angkor est, qu’en gros, tous les monuments ont sensiblement les
mêmes pathologies et posent les mêmes problèmes. Mais chaque pays voit ce même
problème avec un angle d’attaque qui est parfois assez différent. Les Français ils
mon-tent une grue, ils embauchent deux-cents gars et ils commencent à bouger les
pierres. Les Japonais, pendant dix ans font des études de pédologie, d’hydrologie,
d’archéologie, de pétrographie, etc. et puis au bout de dix ans ils commencent
à bouger deux pierres. Les Indiens ne voient pas vraiment la différence entre la
dimension culturelle et religieuse du monument et sa restauration, c’est-à-dire que
le temple correspond à un modèle de leur pays, de leur culture, de leur religion, on
doit le refaire comme il l’était. Les Chinois, quand ils sont venus travailler sur le
chantier de Chau Say Tevoda avaient un peu un complexe termes techniques visà-vis des autres pays et ils ont fait un très gros effort, un très gros investissement
pour être au niveau des autres pays. Les japonais c’est un peu la même chose, mais
les japonais sont plus prudents, disons que les japonais ne veulent jamais être pris
en défaut.
On voit ainsi qu’on a des contradictions. Ce qui est amusant c’est de voir comment
chaque pays a une approche différente avec également une autre ligne de rupture
entre ce que je disais ce matin, la demande, l’esthétique, ce qu’on apprécie dans
un monument quand on a une culture occidentale, dans ces monuments c’est
l’envahissement par la jungle, c’est la ruine, c’est l’aventure, c’est Indiana Jones,
c’est la chanson de Mowgli dans Walt Disney dans Le livre de la Jungle où il
monte sur un temple. Donc, nous, on a cette culture-là. C’est cette poésie de la
ruine de Hubert Robert, l’harmonie entre le paysage, une population modeste et
un temple évoquant une dynastie ou une religion déchue... Alors que les asiatiques
lisent cela comme des monuments religieux, des monuments bouddhiques. Il suffit
de voir comment les Japonais veulent remettre le bouddha au Bayon1. Donc on a
des significations différentes et la demande asiatique est pour moi imprégnée du
document Nara sur l’authenticité et c’est, d’une certaine façon, refaire le monument
comme il était. C’est-à-dire que l’état de ruine est un état de déchéance, un état
indigne du sens de ces monuments et il faut le rétablir autant que possible dans
l’état dans lequel il était. Je me souviens très bien de la discussion qu’on avait eu
sur place, cette espèce de drame collectif à Ta Prohm, où on disait « il faut garder
les arbres » et on avait en face des Indiens et Cambodgiens qui disaient « vous vous
n’intéressez qu’à nos monuments que quand ils sont en ruine ». Quand vous prenez
cela en pleine figure il y a un effet miroir qui est intéressant…
Azedine Beschaouch : Je me suis fait traiter en ce qui me concerne de « romantique
attardé »…
Pierre-André Lablaude : Ce qui est intéressant c’est l’effet miroir qu’on a. De voir
que nous, on est fasciné par les ruines de Rome et par l’antiquité méditerranéenne.
Mais la culture qu’on a en face de nous elle est différente. Et c’est là, dans ces
interventions sur des monuments qu’on voit les différences de culture. Le CIC à
mon avis n’est pas là pour déterminer une norme, en disant « Vous avez le droit de
faire cela, vous n’avez pas le droit de faire cela ». Il suffit de voir la façon dont la
charte de Venise a explosé en Europe où on reconstruit la Frauenkirche de Berlin,
la cathé-drale du Christ Sauveur à Moscou ou le théâtre du Globe à Londres. La
charte de Venise est partie dans le virage ! C’est vrai que le document de Nara sur
l’authenticité, quand il a été rédigé en 1994, était la première attaque contre la
charte de Venise.
Nous sommes donc dans cette dialectique-là, et finalement, on ne s’est pas vraiment
fixé de reli-gion en disant on va pas refaire une charte d’Angkor qui va dire « On
a le droit de faire cela, on a pas le droit de faire cela ». Mais il faut admettre qu’il
y a plusieurs pièges dans la maison du père… Y a certains cas où la restitution, où
le remontage intégral est parfaitement admissible et puis il y a d’autres où on est
plus sur un travail de gros entretien, de maintien de la ruine. Mais les grands arbres
qui poussent sont des arbres qui ont une faible longévité, et donc l’image poétique
du Ta Prohm que l’EFEO avait voulu garder, que les Indiens ont voulu remettre en
La statue du Buddha du Bayon, de 3m50 de haut, a été découverte en 1933, brisée et ensevelie sous
1
la tour centrale du temple du Bayon. Après sa restauration, elle est placée en 1935 sur l’une des terrasses bouddhiques de la place Royale d’Angkor Thom, derrière les tours du Prasat Suor Prat. Une grande cérémonie royale
a lieu en 1935 pour sa reconsécration. Depuis 2012 existe un projet pour introduire une copie en grès du Buddha
du Bayon dans la tour centrale du sanctuaire. L’opération est menée par la Japanese Government Team for
Saveguarding Angkor, dirigée par Takeshi Nakagawa, en collaboration avec l’APSARA. Sophie Biard (2017)
Réflexions sur l’histoire de l’exposition et de la restauration des effigies de culte anciennes au Cambodge Moussons, pp.131-151
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question en disant « On enlève tous ces arbres pour reconstruire le temple », elle se
règle par le vieillissement des arbres qui dégringolent les uns après les autres, on
ne va pas replanter des arbres sur les temples. Donc de toute façon le fait d’avoir
dégager les temples, le fait de les ouvrir au public est incompatible avec la présence
des grands arbres. C’est regrettable mais il est évident que le jour où il y a un arbre
qui tombe sur un groupe de touristes, nous aurons des problèmes.
Christophe Pottier : C’est intrinsèque à Angkor. Depuis un siècle l’accessibilité
des piétons passe par le dégagement, cela a toujours été le cas et c’est toujours la
même chose. Et même un site comme Ta Prohm qui avait été laissé en état, qui avait
été nettoyé, dégagé, on avait gardé juste-ment la partie spectaculaire - il n’est pas
en état. Ta Prohm a été théâtralisée et laissée comme telle mais effectivement avec
cette reconnaissance mais à terme il finira comme les autres.
Virginie Picon : Qui a fait cette théâtralisation ?
Kérya Sun : Ce sont les Français. Cela date des années 1920. Henri Marshall a écrit
à ce sujet.
Christophe Pottier : L’imaginaire romantique est devenu un élément marquant
de toute la propagande, de toute la communication de construction de l’identité du
Cambodge.
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Maria Gravari-Barbas : C’est très intéressant ce que vous dites à propos de cette
approche. Mais cela n’est pas qu’une culture technique, cela ne concerne pas que les
architectes, on peut suppo-ser que cela concerne également les publics qui visitent
aujourd’hui les temples et qui en fonction de leur provenance ne viennent avec les
mêmes attentes.
Pierre-André Lablaude : Oui il y a bien des attentes qui sont différentes. C’est
évident qu’un occidental quand il vient à Angkor pour lui la nuisance maximale
c’est l’autre touriste sur le site ; on n’attend qu’une chose : que l’autre touriste sorte
du champ pour faire la photo, comme celle qu’on a vu dans les livres prises y a
trente ans quand il n’y avait personne à Angkor. C’est quand même cela le reflet de
l’attente occidentale. Alors que les asiatiques, au contraire, plus on est sur la photo,
plus c’est sympa ; il suffit de voir en Chine les photos dès que vous avez un colloque
avec trois cents personnes, y a des bancs, et on prend une photo avec les trois cent
personnes parce qu’on veut montrer qu’on est tous ensemble. Nous avons donc à
faire à une relation différente aux monuments.
Maria Gravari-Barbas : Mais même au-delà de cela, même la question de
l’anastylose que vous évoquiez tout à l’heure, est-elle culturellement plus acceptée,
voire souhaitée, ou même nécessaire, pour les publics asiatiques ?
Pierre-Lablaude : Oui mais il y a une autre chose. Cela nous amène aussi à nous
remettre en question : d’abord à identifier que l’on aime les ruines donc on est dans
une culture qui est laïque. La mise en place du service des Monuments Historiques
en France se fait sur des ruines religieuses désacralisées et qu’on ne veut pas
resacraliser. Pour la fonction, que ce soit une église ou non, c’est avant tout un chef
d’œuvre. Je sais par exemple qu’au Mont Saint-Michel pendant quinze ans, on n’a
pas remis d’autel dans le chœur. Avant tout c’est un chef d’œuvre d’architecture, ce
n’est pas parce qu’il y avait trois curés qui avaient dit à une époque des messes ici
que c’est important. Le sens religieux était complètement abstrait donc on voyait
l’œuvre d’architecture comme une œuvre d’art en tout, indépendamment du tout
sens. Et on est encore façonné par cette approche-là. Un contre-exemple fantastique
est le Ta Prohm, la salle des danseurs qui a été un des coups de maître du professeur
Beschaouch. 99,99% de pierres sont là. Donc vous vous dites : « J’ai tout le puzzle,
est-ce que ce n’est pas un crime contre l’esprit de laisser cela en tas de cailloux
? ». Bon, et à la fin, je ne dis pas que nos collègues indiens nous ont convaincus
mais on se dit, mais on est vraiment bloqué, par cette espèce de… Surtout ce qui
est très drôle est que dans la charte de Venise, l’anastylose est autorisée mais elle
est autorisée dans le chapitre « fouilles » ! Bon, et à la fin, je ne dis pas que nos
collègues indiens nous ont convaincus mais on se dit, mais on est vraiment bloqué,
par cette espèce de… Surtout ce qui est très drôle est que dans la charte de Venise,
l’anastylose est autorisée mais elle est autorisée dans le chapitre « fouilles » !
Elle n’est pas marquée dans le chapitre « restauration ». Donc en fouille, cela veut
dire, on fait un trou, on trouve une pierre sous le sol, on a le droit de la remonter ;
mais un tas de cailloux on n’a pas le droit de le remonter. Donc y a ce côté crime
contre l’esprit de ce renoncement à l’anastylose ?
Azedine Beschaouch : Le plus gros c’est qu’au Ta Prohm, pour la salle des
danseurs salle, tout est là et on avait commencé par faire un choix d’avoir la
moitié de la salle… (Pierre-André Lablaude : Le choix de Salomon !). On avait
commencé par la moitié de la salle, on l’a restaurée, c’est très bien, puis on s’est
dit « Ils vont nous prendre pour des idiots ». Ils vont se dire « Mais ce sont des
incapables, ils n’ont fait qu’une partie ». Et à la fin on a été obligé de…
Pierre-André Lablaude : Donc c’est vraiment un doigt dans l’engrenage qu’on
met, mais parallèlement on voit qu’en Europe on a des chantiers de reconstruction
où il n’y a même plus les matériaux : à la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou,
il ne restait plus un parpaing, Staline avait tout fait sauter en 1930, mais on l’a
reconstruite quand même. Alors on peut dire « La Russie c’est la Russie », mais
quand même, ce qu’on prépare pour la flèche de Saint-Denis ce n’est pas loin de
cela. Je ne dis pas que c’est l’exemple Angkorien qui fait évoluer les pratiques en
Europe mais cela participe du même mouvement.
Maria Gravari-Barbas : C’est une très bonne question : est-ce que c’est vraiment
l’exemple qui fait évoluer ou est-ce que Angkor est beaucoup plus dans l’air du
temps et dans le sens de l’Histoire ?
Pierre-André Lablaude : Ce qui est quand même intéressant est le document
de Nara sur l’authenticité ; dans la charte de Venise a un article qui dit une fois
« dans le respect de l’authenticité du monument » et on ne dit pas ce que c’est
l’authenticité. Mais qu’est-ce que c’est l’authenticité ? Et la charte de Nara elle
décompose, elle « saucissonne » la notion d’authenticité et elle met en évidence que
nous, Occidentaux, on entend l’authenticité en termes d’authenticité du matériel
alors qu’en Asie, que ce soit au Japon ou ailleurs, c’est l’authenticité de la forme et
de la fonction. Donc on a une notion d’authenticité issue de la culture de la ruine.
On parle de mon-dialisation, il peut y avoir une mondialisation de la doctrine et
quand vous allez par exemple à Vé ? Cela a été totalement détruit par l’offensive
du Têt et quand vous voyez les reconstructions qu’ont fait les Vietnamiens depuis
vingt ans, c’est quand même extraordinaire. Alors on peut dire : « C’est trop neuf,
c’est trop doré, c’est trop laqué » etc., mais on a quand même une authen-ticité de
la forme et l’exactitude de la restitution même s’il y a plus les de bois d’origine.
Voix homme : J’ajouterais qu’à Bagan en Birmanie il y a eu une opération de
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reconstruction absolument incroyable. La différence est énorme entre ma visite
en 1970 et celle il y a deux ans. Je ne reconnaissais même pas, tellement ils ont
reconstruit à l’identique, sur un petit socle de brique et tout le reste est neuf. Je
voulais faire la remarque sur l’étude sur les images d’Angkor. Je crois que parler de
touristes et d’occidentaux sans doute, peut-être c’est bien Ta Prohm qui générait le
plus de photos, de photos touristiques, même rapporté aux terrasses du Bayon ou
à la perspective ouest d’Angkor Wat. Ta Prohm c’est un « délire » de photos. Dès
que quelqu’un vous mettre ses photos d’Angkor, vous en avez la moitié c’est Ta
Prohm : les arbres et les racines.
Pierre-André Lablaude : Ce qui ne justifie pas pour autant de ne pas y toucher.
Azedine Beschaouch : Sur la question de la reconstruction, ce qui a ouvert la voie
à mon sens, c’est l’inscription de la vieille ville de Varsovie sur la liste du Patrimoine mondial. On a mis au Patrimoine mondial un faux avec l’accord de tout le
monde pour des raisons politiques. Alors là c’était fini, on ne pouvait plus. Après
on nous a présenté un tas de choses. J’ai passé sept ans de ma vie avec Mounir
Bouchenaki qui m’a demandé de m’occuper du pont de Mostar. Je ne pouvais tout
de même pas être publiquement contre mais je trouvais problématique de mettre
sur la liste du Patrimoine mondial un faux, bien sûr à l’identique, mais c’est un
faux.
Voix homme : Ce n’est pas l’identique parce que le pont de Mostar les pierres ont
été taillées à la scie alors que les pierres d’origine évidemment ne l’étaient pas et
le pont de Mostar a pas du tout la qualité qu’il avait…
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Pierre-André Lablaude : Mais ce n’est pas parce que l’exécution est mauvaise
que le principe est condamnable. Si on veut aller plus loin, vous avez d’autres
exemples. Vous avez la Sagrada Familia qui est classée Patrimoine mondial, vous
avez l’église de Firminy qui est classée dans l’œuvre de Le Corbusier alors que Le
Corbusier n’en a pas vu un centimètre. L’église de Firminy, élévation posthume,
est classée au Patrimoine mondial.
Virginie Picon : La question est qui posée c’est celle de l’universalité. Parce que
si on est dans un système de critères universels, il faut qu’on s’entende sur ce qui
est universel selon les différents contextes… Si on renonce au critère d’universalité, on peut classer quelque chose qui date de la veille en disant que cela date du
Moyen Âge.
Pierre-André Lablaude : Oui mais là on tombe dans la balance classique, l’arrêt
constant de l’UNESCO valeur universel-diversité culturel, les deux doivent être
capable de se concilier. Il y a une culture de la restauration donc il faut voir ce
qu’il y a entre les différents pays, entre les différentes cultures, entre différentes
pratiques…
Voix homme : A la limite à Varsovie on est dans le patrimoine immatériel. On a
gardé l’image patrimoine immatériel.
Pierre-André Lablaude : Mais la reconstruction de la place d’Arras complètement
détruite par les bombardements de 1918 et le beffroi c’est la même chose.
Maria Gravari-Barbas : Pour ramener la discussion à sur notre terrain : il serait
intéressant de voir, au-delà de la doctrine de la restauration et de la conservation
comment dans ce laboratoire qu’est le CIC, tout ceci a pu fonctionner ensemble
? C’est miraculeux, le fait que ce ne soit pas explosé quand on voit ses diversités
d’approches et de cultures.
Pierre-André Lablaude : Je vous réponds franchement, j’ai le sentiment qu’on
n’a pas modifié les principes, les doctrines de restauration et leur mise en œuvre
en fonction de la demande touristique. Simplement il y a peut-être des types
d’intervention qui répondent plus à tel demande du public et des petites interventions
qui…
Kérya Sun : Je peux apporter un témoignage. Je venais d’arriver. Le premier CIC
c’était en 1996, on était une cinquantaine de personnes et j’étais épouvantée de voir
l’équipe, parce que, il faut dire que les Indiens ont été les premiers à venir aider
le Cambodge et il y a eu beaucoup de commentaires là-dessus. Les Indiens sont
venus en 1986 restaurer le temple d’Angkor Wat alors que tout le reste du monde
boudait le Cambodge. Beaucoup de Cambodgiens m’ont dit : « Oui, aujourd’hui la
communauté internationale critique mais nous à l’époque on n’avait personne pour
nous aider, on avait que les indiens ». Ce qui est vrai. Sauf qu’il n’y avait pas le
CIC à l’époque… Donc les Indiens étaient venus, y avait pas le CIC, Angkor n’était
pas encore classé patrimoine mondial donc ils faisaient à Angkor ce qu’il faisait
exactement comme chez eux. Ils ne l’ont pas fait pour détruire Angkor sauf qu’ils
ont nettoyer la pierre avec de l’acide…. Il y a eu le premier CIC en 1996, les indiens
étaient partis et puis ils voulaient revenir. Le CIC, Pr Beschaouch, avait demandé le
rapport et les indiens n’ont jamais voulu le donner. Il y a eu un clash, un vrai clash.
C’était le représentant diplomatique, l’ambassadeur.
Kérya Sun : Il s’était disputé avec le Pr Beschaouch. Après, quand ils sont revenus
travailler sur Ta Prohm, tous mes amis cambodgiens m’ont téléphoné : « Mais
comment vous, APSARA, pouvez-vous laisser les Indiens alors qu’ils ont déjà détruit
Angkor Wat ? ». Et en fait ils étaient revenus et ils ont accepté le cadre du CIC, et
c’est un miracle ! Parce que tout le monde travaille en harmonie même s’ils ne
sont pas tous vraiment d’accord. D’ailleurs, on a résolu un problème dernièrement
avec les Chinois. Il faut savoir que les Chinois n’ont jamais restauré de temples en
dehors de leur pays, le Cambodge est le seul dans le monde. Ceci est lié à l’amitié
entre le Cambodge et la Chine et notamment le roi Sihanouk, le seul roi du monde
a avoir un palais à Pékin. Donc ce qu’il fait qu’ils font très - attention parce qu’ils
ont toujours restauré chez eux et ils font ce qu’ils veulent, mais à Angkor c’est la
première fois. Ils ont cette crainte de carence.
Bruno Favel : La charte de Venise sur la conservation et la restauration des
monuments et des sites est tellement en crise que l’Union européenne nous a
demandé une réflexion dans le cadre de l’année européenne du patrimoine 2018,
les Français et les Allemands n’ayant pas du tout la même conception pour
restaurer les monuments historiques. On a vu ce qui s’est passé en Afghanistan
avec des divergences d’appréciations. La charte de Venise n’est pas un texte régi
par les pouvoirs publics, mais par ICOMOS international, un texte de praticiens..
LCOMOS devrait donc être associée à ces questions via ICOMOS Europe pour
justement permettre aux gens d’être moins dans un clivage. Je ne juge pas du tout :
il y a des pays qui respectent à la lettre la charte de Venise et d’autres pas du tout. La
charte de Nara sur l’authenticité était une contre-réponse à la charte de Venise mais
pas forcément pour des raisons nobles. C’est assez pervers le contexte de départ de
la charte de Nara faite pour permettre à certains pays et promoteurs immobiliers
de raser une grande partie de sites et d’autres pour justement pas avoir la charte de
Venise dans leur pays. Globalement, on ne retrouve pas tellement ce clivage dans
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les travaux du CIC. Je n’ai jamais vu des interprétations idéologiques terrifiantes
au CIC… On voit davantage cela à l’UNESCO, au sein du débat sur le patrimoine
mondial.
Pierre-André Lablaude : Il y a quand même eu des débats. J’ai eu par exemple
des débats avec le docteur Crochi. Après, c’est bien sûr des cultures différentes, des
architectures différentes. Le professeur Crochi lui considérait qu’il fallait figer les
monuments dans leur déformation, avec des des techniques ad hoc - fil de fer ou fil
de carbone qui coûtaient relativement cher mais qu’on utilise chez nous en Europe,
parce que la main d’œuvre coûte extrêmement cher - donc finalement trouver
des solutions techniques qui permettent de stabiliser le monument en l’état c’est
défendable. Au Cambodge, la journée d’un ouvrier est 3$, et donc il est plus simple,
on l’a vu avec Ta Prohm, de mettre cents gars démonter le monument et le remonter.
On crée des emplois pour le même prix, au lieu d’avoir un monument déformé.
Après il est question d’authenticité : est-ce que la déformation, est-ce que le début
de ruine fait partie de l’Histoire et de l’authenticité du monument ? Ou est-ce que
c’est une atteinte à l’authenticité du monument ? La structure elle était instable, elle
ne tient pas debout, on la démonte, on la remonte avec ces mêmes matériaux. C’est
un débat qu’on a eu plusieurs fois, effectivement.
Azedine Beschaouch : Mais sans animosité.
Pierre-André Lablaude : Sans animosité. Est-ce qu’on encourage, est-ce qu’on
autorise le démontage et est-ce qu’on encourage la stabilisation ? Et souvent on
trouvait des solutions qui étaient un peu mixtes, soit on démonte, soit on stabilise.
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Voix homme : Il y a un moment donné, il y a 20-25 ans, l’anastylose était quand
même un petit peu taboue.
Kérya Sun : On le fait mais on ne le dit pas !
Voix homme : Cela a quand même été décrié par des équipes qui n’avaient pas
d’expérience à Angkor en termes de restauration en pierre. Plusieurs intervenants
sont arrivés avec des discours en faisant pas mal de généralités sur l’anastylose en
présentant de nouvelles approches. Finalement, il y a eu beaucoup d’équipes qui
se sont résolues à rentrer dans ce système. Nos collègues japonais sont arrivés à
démonter-remonter.
Pierre-André Lablaude : Oui, et en le faisant très bien par ailleurs.
Kérya Sun : On ne va pas rentrer dans les détails techniques mais je peux vous
dire que depuis le temps que je travaille, des gens critiquent l’anastylose, d’autres
la pratiquent sans le dire, mais qu’est-ce qu’on a trouvé de mieux que l’anastylose
pour remonter les monuments depuis ?
Azedine Beschaouch : Le débat a été menée depuis vingt-cinq ans.
Kérya Sun : Marshall l’avait fait sur Banteay Srei
Azedine Beschaouch : Heureusement que cela a été fait. Mais il n’a jamais eu de
doctrine dans le sens de l’UNESCO.
Pierre-André Lablaude : Oui mais c’était presque une pratique honteuse. On ne
s’en ventait pas.
Virginie Picon-Lefebvre : Monsieur Lablaude, vous dites que le tourisme a assez
peu compté dans l’établissement des techniques de restauration mais est-ce que le
fait même de reconstruire un bâtiment n’est pas - par rapport à la question de la
science, de l’archéologie - n’est pas une manière de construire quelque chose pour
que les touristes puissent visiter ?
Pierre-André Lablaude : Mais la conservation du patrimoine ce n’est pas que la
science et l’archéologie, c’est d’abord avant tout des œuvres d’art. Si vous avez un
trou au milieu de la Joconde vous percevez ce trou comme une atteinte à la qualité
esthétique de l’œuvre et vous dites qu’il faut le cicatriser. Donc l’œuvre d’art,
avant d’être un objet scientifique, est une œuvre d’art. Bien sûr il y a une balance,
remonter des pierres sur un monument et les remettre en place sur le monument en
quoi c’est une atteinte à l’authenticité ? En quoi c’est une atteinte à l’archéologie ?
Au contraire, on l’a vu sur le chantier de Ta Prohm, le fait de démonter le monument
et d’avoir à le remonter c’est aussi une sorte de fouille archéologique et on connait
mieux le monument après démontage et remontage que quand il était en tas de
cailloux effondrés.
Azedine Beschaouch : Cela n’a jamais été fait pour les touristes.
Pierre-André Lablaude : Jamais.
Maria Gravari-Barbas : Je comprends très bien que cela n’a pas été fait pour les
touristes mais cela a été fait pour ceux qui peuvent jouir de cet édifice, qui est une
œuvre d’art…
Kérya Sun : Non, pour le sauver d’abord.
Pierre-André Lablaude : M. Grollier à l’époque ne pensait qu’au monument. Il
n’a jamais parlé, ni de tourisme, ni de quoi que ce soit. Pour lui c’était sauver un
monument.
Maria Gravari-Barbas : Est-ce que ceci aujourd’hui ne devient pas presque
politiquement incorrect ? Je ne veux dire qu’on ne pense qu’au monument et pas
aux hommes et aux femmes.
Kérya Sun : Non, parce qu’à Angkor je peux témoigner sur le cas de Ta Prohm. J’y
ai travaillé très étroitement avec les indiens, je m’occupais du tourisme à l’époque.
A propos des plateformes posées pour les photos : les chercheurs étaient bien sûr
venus protester en disant que en couvrant cela nous en empêche de chercher. J’en
ai parlé au professeur Beschaouch et il m’a dit que si vraiment il faut faire des
recherches, on enlève la plateforme mais on ne va pas faire plaisir aux chercheurs et
laisser des millions de touristes abîmer les monuments. Même avec Pascal Royère,
quand il avait fini le monument, j’étais venu travailler avec lui pour la gestion des
flux et c’est pour cela que deux escaliers ont été construits au Ta Prohm et vous
savez très bien que vous pouvez monter d’un côté et descendre de l’autre. Au Ta
Prohm, j’ai posé toutes les plateformes en travaillant étroitement avec les Indiens.
Les conservateurs aujourd’hui n’ont plus cette notion de toujours conserver pour
eux-mêmes. C’était au début, c’était la guerre éternelle entre la conservation et le
développement. Je leur dis que « Vous savez très bien que moi j’aime les monuments
comme vous, si j’ai décidé de travailler ici ce n’est pas parce que l’argent m’attire
mais sans le développement il n’y a pas d’argent et sans argent il y a pas de
restauration ». Aujourd’hui les conservateurs ont l’esprit beaucoup plus ouvert. Je
le vois. Pour l’instant je n’ai pas travaillé avec les japonais mais sur ce plan-là, mais
j’ai travaillé avec les indiens au Ta Prohm et Pascal Royère au Baphuon. On a fait
tout de suite car cela il faut le faire avant qu’il n’y ait tous ces flux. Tout à l’heure on
61
parlait de développement des parvis. Le parvis de Banteay Srei a été fait parce qu’il
y avait un impératif politique ; on a pu le faire et on a dépensé une fortune parce
qu’on a dû dégager les gens qui habitaient là.
Pierre-André Lablaude : Y a deux dimensions : une dimension qui est très
importante est la demande cambodgienne pour un monument identitaire. Il y a une
demande du pays qui fait appel à la coopération internationale, il se trouve que cette
restauration des monuments elle se fait, cette mise en valeur et cette ouverture du
site, l’aménagement du site se traduit par un développement touristique important
qui n’est jamais que le rattrapage de celui qui aurait dû se faire s’il n’y avait pas eu 20
ans d’interruption, que ce tourisme génère des recettes qui contribuent à l’économie
du pays. Regardez le problème de l’Egypte actuellement, ou tout le tourisme est
complètement planté et c’est un quart du budget du pays qui a disparu. Donc c’est
quelque chose qui profite au pays, c’est quelque chose qui profite aux populations,
à tel point qu’on a des populations qui viennent affluer pour habiter dans le site
d’Angkor - c’est quand même qu’il y a un retour économique. La question est de
savoir à partir de quand cet avantage devient une nuisance pour les monuments
qu’on a et pour la qualité de la visite. Est-ce que si la qualité de la visite se dégrade
par la sur-fréquentation du site, est-ce que cela va faire plonger le chiffre de visites
? Cela reste à discuter, moi je n’en suis pas convaincu, que même avec une qualité
dégradée on aurait moins de visiteurs.
62
2ème TABLE RONDE
ANGKOR ENTRE LE LOCAL ET LE GLOBAL : TERRITOIRE,
POPULATIONS LOCALES, MOBILITÉS TOURISTIQUES ET
OPTIONS DE DÉVELOPPEMENT
Pierre CLEMENT
Architecte, président de l’agence ARTE CHARPENTIER
On nous a demandé, à Jacques Fournier et moi-même, de parler du
travail que l’on a fait en 1994. Celui-ci a démarré en 1994, après l’inscription
du site au patrimoine mondial, après le travail qui avait été fait pour le ZEMP
(Zoning Environmental Master Plan) dont on a peu parlé et qui était un travail
fondamental, très important, pluridisciplinaire, et qui a réuni sur le site d’Angkor
des connaissances que personne n’avait. Jean-Marie Charpentier, le fondateur de
notre agence, avait été appelé par SE Vann Molyvann au moment où il a créé un
département d’architecture dans le cadre de la faculté des Beaux-arts à la fin des
années 1960. Moi-même j’ai été nommé à la faculté des Beaux-arts mais, pour des
raisons politiques, le ministère des Affaires étrangères a renoncé à m’envoyer.
Néanmoins, une grande amitié a lié Jean-Marie Charpentier et SE Monsieur Vann
Molyvann et le fait d’avoir été enseignant à Phnom Penh faisait qu’à l’agence il y
avait une importante communauté d’architectes khmer. Il y en a ici un témoin, un
représentant, Monsieur Or Kim Song qui va prendra sa retraite après avoir passé
toute sa vie à l’agence. Il est natif de Siem Reap et a participé aux travaux. Il
a continué à nous accompagner avec l’association des Amis d’Angkor. Il y avait
bien sûr aussi Ros Borath, qui a joué un rôle important dans le début des années
1990 puisqu’il a beaucoup incité SE Vann Molyvann à retourner au Cambodge. A
l’époque il était très hésitant et pas certain. L’association avait envoyé une première
délégation et ils l’ont convaincu qu’il avait un rôle à jouer dans ce contexte. Ce qui
fait que quand SE le Roi Norodom Sihanouk a décidé de faire un appel à l’UNESCO,
SE Vann Molyvann a demandé à l’agence de préparer le dossier.
Le premier zonage, la première esquisse de plan d’aménagement, a été fait justement
par cette équipe cambodgienne qui était à l’agence en 1991. Et je me souviens
d’avoir amené quelques années plus tard, pour la réunion de Berlin, le matin même,
deux exemplaires d’un livre, Passé, Présent et Avenir que Mr Bouchenaki a amené
à la réunion pour le Roi et la communauté scientifique. C’est ce contexte qui fait
que l’agence a travaillé très tôt sur la préservation des temples d’Angkor. Ce travail
qui s’appelait « Plan d’urbanisme de référence et projets prioritaires » avait été
mené par une équipe importante et pluridisciplinaire constituée d’Arte-Charpentier
63
associé au BCEOM (Bureau d’études techniques).
Nous avions parmi nous notamment Marie Martin, ethnologue qui avait participé
à l’étude du ZEMP, avec Ros Borath, travaillant alors à l’agence, et qui avait travaillé sur le plan urbain. Marie Martin avait menacé de quitter le travail du ZEMP
parce que certains envisageaient le fait que le parc n’aurait plus d’habitants et en
tant qu’ethnologue se sentait attaquée personnellement. R. Terry Schnadelbach1, un
environnementaliste-paysagiste américain qui a joué un rôle important et Jacques
Pouplart, un hydrologue du BCEOM qui a travaillé de façon très fine en Indonésie
et qui a fait un travail remarquable et pionnier sur des questions hydrauliques.
64
Je voulais revenir sur certains points. On a parlé d’Angkor-laboratoire, on a déjà
présenté un cer-tain nombre de ces éléments qui font qu’Angkor était en effet laboratoire et en particulier sur la représentation – il faut en parler car « plan d’urbanisme
» veut dire « cartographie », et effecti-vement les informations dont nous disposons
aujourd’hui sur le site et celles qui étaient disponibles en 1994 sont bien différentes, il y a eu un grand cheminement depuis. Il convient de mettre en avant tout
de suite (et c’est pour cela que l’urbanisme me semble important dans ce contexte),
qu’Angkor c’est d’abord des villes. C’est une grande capitale. Evidemment, il ne
nous reste que les monuments de pierres, enceintes, sculptures, temples tout à fait
remarquables… mais pendant longtemps, personne ne s’est soucié que c’étaient effectivement des villes. Beaucoup de chercheurs de l’école française consacrent une
bonne partie de leur temps à cette dimension territoriale et urbaine. Je pense que
SE Vann Molyvann avait cela en tête tout le temps quand il s’est retrouvé être notre
client, puisque c’était le maître d’ouvrage au titre d’Apsara, qui pilotait les études
que Jacques Fournier faisait sur le tourisme et l’institutionnel et que nous faisions
nous sur l’urbanisme. Cette question du plan et de la représentation de la réalité,
des connaissances et des moyens d’analyse était préalable pour pouvoir devenir
à un moment un document réglementaire. Il y a eu le travail du ZEMP, il y avait
déjà eu l’identification d’un certain nombre de zones (d’ailleurs on reparle de deux
zones mais à l’époque il y en avait beaucoup plus puisque son excel-lence Vann
Molyvann qui ne voyait pas en petit avait voulu englober l’ensemble de la région
de Siem Reap) APSARA avait une certaine ambition sur le développement économique de l’ensemble de la province et sur un grand territoire. Tout le monde s’était
rendu compte qu’il fallait de la cartographie donc l’AFD a financé l’IGN pour faire
un fond de plan sur la ville, mais évidemment, on est à deux pas d’Angkor. Au lieu
d’englober le site d’Angkor dans le fonds de plan, l’IGN a tiré un trait la limitant
au nord avant le parc archéologique, convaincu que tout le monde aurait besoin de
la cartographie du site et que donc on lui paierait une deuxième carte pour la partie
nord. Cela ne s’est pas passé parce que l’AFD qui s’intéressait peu au patrimoine à
l’époque, n’a pas voulu payer pour avoir la carte. Entre temps, il faut que je parle de
cette carte qui avait été le support de notre étude, montage de cartes de 1994 et de
1962 qu’avaient fait Ros Borath et Aline Pottier pour le ZEMP (Figure 1)
Or Kim Song l’a bricolée en ajoutant au Nord la carte ancienne réalisée par l’EFEO
- on n’avait pas de moyens techniques. En travaillant au Cambodge à l’époque,
j’avais une liberté totale, personne ne pouvait nous joindre de l’agence, je n’avais
pas de téléphone, pas de fax, le courrier n’en parlons pas, donc on savait qu’on était
1
Terry Schadelbach a poursuivi ses travaux sur Angkor et a publié récemment un ouvrage Angkor Ecology/Sustinable Khmer : A Brief History of the
Khmer Capital LAUD press, New York 2016.
complètement isolé du monde pendant cet été 1994. Nous avons ainsi bricolé cette
carte, qui d’ailleurs continue à être publiée sans que les gens ne sachent exactement
ce que c’est. Après ce sont les Japonais qui ont fait la carte financée par JICA.
Figure 21 :
Cette carte est un montage réalisé par Arte-charpentier
pour disposer au moment de l’étude du Plan d’urbanisme
(1994) d’une seule carte montrant à la fois la ville de SiemReap et le site du parc archéologique d’Angkor. La partie
sud est basée sur la nouvelle carte établie par l’IGN spécifiquement pour l’étude, la partie nord sur une carte du
parc de 1962 de l’EFEO
65
Je présente quelques cartes thématiques, sans m’étendre, mais pour dire l’importance de
l’environnementaliste et l’hydraulicien dans la réflexion globale.
Angkor c’est une ville ce qui implique un aménagement du territoire à une très grande
échelle et il faut analyser ce territoire globalement, pour comprendre l’hydraulique mais
aussi comprendre où sont implantés les temples par rapport à l’hydrologie. (figures 23,
24).
Dans l’approche et dans la mise en œuvre de la commande qui nous était faite, SE Vann
Molyvann avait un certain nombre d’idées très arrêtées sur la façon dont il fallait répartir les touristes et la population. C’est-à-dire qu’il fallait que les touristes n’aient pas
de contact avec la population. Il avait été à Bali et il avait vu les implantations de cités
touristiques totalement indépendantes et il voulait implanter une cité hôtelière hors de la
ville. Il a accepté dans la ville des guest houses uniquement. Le règlement d’urbanisme
a limité les hôtels en ville à 70 chambres. La cité hôtelière devait permettre de mettre des
grandes entités touristiques ailleurs. (figure 25).
Figure 22 :
Plan de la Ville de Siem Reap
D’après une carte réalisée par l’équipe
Japonaise en 2005, JICA-APSARA.
66
Figure 23 :
Géologie du Site d’Angkor
Arte – BCEOM 1994 - 1997.
67
Figure 24 :
Principaux réseaux Hydrographiques de la
Plaine d’Angkor
APSARA, Angkor, Passé, Présent et Avenir, 1996
La demande de SE Vann Molyvann était de les mettre au sud-ouest, c’est-à-dire,
sous le Baray occidental, zone irriguée, zone riche sur le plan agricole. C’était la
commande : « Vous allez nous mettre dans les rizières les hôtels pour les touristes
». Or, le travail des hydrauliciens et des environnementalistes a vite démontré que
ce n’était sans doute pas le meilleur choix et que la cité hôtelière devait être positionnée autrement. On ne devait pas implanter les touristes dans des zones agricoles riches. En revanche, toute la partie du nord-est était peu cultivée et avait des
mauvais sols et donc n’avait pas vraisemblablement des rendements agricoles assez
suffisants, pas de population. C’était donc la partie où l’on pouvait mettre les grands
équipements touristiques ; on avait imaginé qu’une douve allait servir de limite
physique entre la ville et le parc.
Un deuxième élément qui a été pris en compte c’étaient les flux touristiques et les
flux de circulation. Comme vous le savez tous, la nationale traverse totalement
la ville, le pont est au cœur de la ville. On imagine les flux. On avait à l’époque en 1994 - 40 000 touristes, c’était une année particulièrement faible parce qu’en
janvier il y avait eu un attentat sur la route de Banteay Srei entre la police et la
gendarmerie. On ne savait pas exactement qui contrôlait la route et des Américains
avaient été tués. Cet incident avait fait chuter nettement la population touristique.
Mais de toute façon, il n’y a jamais eu plus de 100 000 touristes par an sur le site
autrefois. C’est la guerre du Vietnam qui a inventé le tourisme de masse. Les AméFigure 25 :
68
Plan d’urbanisme
Plan d’urbanisme montrant l’implantation de la nouvelle route d’accès à
l’est d’Angkor Vat et l’implantation de la Cité hôtelière en limite de la Zone
de protection
ricains n’avaient pas d’avion pour emmener leurs troupes ils ont donc développé
des compagnies de charters qui étaient loués à l’armée américaine. Le jour où la
guerre s’arrête, qu’est-ce qu’on fait des flottes d’avion ? On les met à la disposition
des touristes, et on invente le charter ! Les quantités importantes de touristes sont la
conséquence de la fin de la guerre du Vietnam. On peut donner d’autres explications
mais celle-ci correspond à un moment historiquement important.
On arrivait à Angkor par une route qui montait du sud vers le nord qui arrivait dans
l’axe d’Angkor Vat. Si effectivement de 40 000 à 4 millions, tout le monde devait
passer par là, cela poserait des problèmes. La question des flux a été étudiée avec
l’équipe chargée à développer le tourisme qui nous a poussé à dire qu’il fallait imaginer une nouvelle entrée importante, laquelle partait à peu près au marché nouveau
à l’est et rejoignait le site pour créer une arrivée en centre du site pour pouvoir
mieux répartir les touristes. Jacques Fournier en parlera. Pour distribuer cette cité
hôtelière, y avait eu l’idée de créer une route qui rejoignait directement la route de
l’aéroport mais au moment où la route a commencé à s’esquisser, de l’autre côté du
pont, le terrain a été donné à l’hôpital pour enfants Jayavarman VII de la Fondation
Kantha Bopa, du docteur suisse Beat Richner.
La route n’a jamais pu franchir la rivière au-delà et rejoindre l’aéroport. Je reviens
sur cette route d’accès. L’idée était plutôt de dire que les équipements publics
pouvaient être sur la route mais d’éviter de la privatiser par l’implantation d’hôtels.
Mais c’est justement ce qu’il s’est fait parce que la cité hôtelière a mis beaucoup
de temps à se réaliser. Je ne sais pas exactement ce qu’il s’est passé, mais à un moment Vann Molyvann était effectivement chargé du patrimoine mais aussi chargé de
l’aménagement du territoire - il était aussi quasi maître de Phnom Penh à l’époque !
Il avait mis en place le bureau des Affaires urbaines. L’équipe des affaires urbaines
est venue à Angkor pour commencer à implanter la cité hôtelière. Les travaux se
sont arrêtés et finalement il n’y a pas eu de construction à ce moment-là. L’AFD
qui finançait mettait en place les moyens de gestion et financier. Donc les touristes,
et surtout les hôtels, se sont implantés ailleurs [Kérya Sun apporte une explication.
L’AFD avait fait tout le nécessaire mais il y avait des propriétaires partout et il faut
d’abord racheter tous ces terrains. Il n’était pas possible de préempter car l’Etat
a décidé de prendre cette portion de terrain pour développer une cité hôtelière].
A l’époque on se disait que Angkor étant une succession de villes, Siem Reap devait
être considéré comme le dernier avatar et être au niveau et à la qualité des villes
angkoriennes puisque c’est là que les gens venaient passer quelques jours et que les
touristes habitaient quand ils venaient à Angkor. Pourquoi ne pas se dire que la qualité devait être à ce niveau-là ? Moi je regrette personnellement qu’il n’y ait pas eu
la même attention sur le site et sur la ville, même si elle est récente, même si elle est
coloniale. Mais cet éloge de l’architecture locale et de l’architecture coloniale et de
la qualité des bâtiments qui auraient dû être au niveau du développement sont des
choses difficiles qu’on ne peut pas contrôler et le site était suffisamment important
pour qu’on se passe de faire des choses sur la ville. Néanmoins, les ministères de la
Culture et des Affaires étrangères avaient soutenu à la suite du travail qui avait été
fait sur le patrimoine et la ville de Phnom Penh sur lequel ont travaillé Christiane
Blancot et Aline Pottier.
Il y avait eu la même démarche, une action auprès du Bureau des Affaires Urbaines
de l’Apsara. Frédéric Mauret, envoyé par l’Ipraus, qui a fait un travail de relevé,
d’identification du patrimoine à préserver et malheureusement n’a pas eu de suite.
69
(Figure 26). Cette figure présente un des dessins de Frédéric Mauret sur la place du
marché. Le simple fait de l’avoir représenté, d’avoir tenté de le mettre en valeur,
cela a donné de l’importance à l’ensemble de ce secteur, même ici d’autres types de
bâtiments n’ont pas été conservés).
L’idée de mettre cette cité hôtelière en bordure de la limite du site était de dire qu’on
peut contrôler les touristes, ils sont derrière les enceintes, donc cela ne débordera
pas sur le site.
Voix homme : C’est en nombre d’hôtels ou en nombre de lits ?
Pierre Clément : C’est les hôtels. En nombre d’hôtels, on a vu l’explosion de
l’offre dans la ville elle-même dans le travail qu’a fait Adèle Esposito. Sur l’aspect
représentation et documents cartographiques : les Japonais ont, dix ans après l’IGN,
Figure 26 :
Bâtiment de la place du vieux marché de Siem Reap
Plan et coupe, identification du Patrimoine urbain de la ville par Frédéric
Mauret Apsara, 1996.
70
établi une nouvelle carte précise et précieuse. Au cours de ces vingt ans on a bénéficié des travaux des chercheurs de l’EFEO, Jacques Gaucher et Christophe Pottier et
des différents moyens de représentation. A un moment aussi, le radar est intervenu
grâce aux images de la NASA qui a organisé un séminaire à l’Université de Floride
à Gainsville, proche de leur plateforme de lancement de fusée, auquel nous avions
participé avec SE Vann Molyvann et Terry Schnadelbach.
On parlait de la formation. Je suis heureux de voir que l’Ecole d’Architecture de
Paris-Belleville a continué et a repris le flambeau d’un certain nombre d’actions
asiatiques. Les premiers ateliers de Belleville sur le site de Siem Reap avaient déjà
lieu en 1993. On a continué depuis cette date à recevoir les étudiants. Aujourd’hui
cela a pris une forme beaucoup plus internationale puisqu’il y a des étudiants thaïlandais de Bangkok et de Chiang Mai qui passent là, des étudiants indonésiens et
bien sur la faculté d’architecture de Phnom Penh. Nous sommes dans une continuité
d’investissement scientifique et de travail qui nous permet effectivement de tenter
d’aider nos amis cambodgiens sur la longue durée.
Figure 27 :
Site d’Angkor
Photo Satellite NASA
71
72
Florence EVIN
Journaliste au Monde
Il me semble qu’il y a effectivement une véritable volonté politique de
contrôles les visites de touristes et notamment des groupes. Il convient de travailler
très en amont avec les tours opérateurs. Ce qui est fait au Louvre : la grande salle
qui mène à la Joconde est prise d’assaut alors que les autres, les 3/4 sont vides,
notamment toutes les salles d’ouverture ou toute la peinture française a été reaccrochée, restaurée, enfin il y a des salles d’ouverture extraordinaire. Sont donc mis
en place aujourd’hui des circuits de visite avec des œuvres - cela se fait maintenant
dans beaucoup de musées, très en amont avec les agences de voyage qui lancent
leur programme longtemps en avance - avec des pôles de visite à imposer. Ce serait
vraiment important à mettre en place à Angkor.
Ce qui me semple important c’est une meilleure redistribution, notamment dans
les villages. Dès qu’on s’écarte un peu du centre, du cœur des monuments, on se
rend compte qu’il y a des villages très pauvres, où il y a un manque de moyens
et d’hygiène. Un projet qui a commencé à naître avec Hang Peou qui amenait les
paysans à l’agriculture. Car tous les besoins des hôtels sont à 90% importés du
Vietnam et de la Thaïlande alors qu’en fait si l’agriculture locale était organisée
en fonction de la demande sur place, touristique, cela pourrait faire une manne
pour les villageois et ce serait une façon de créer un lien vraiment réel entre le
patrimoine - leur patrimoine - et l’exploitation qui en est faite par le tourisme. Ils se
sentiraient vraiment parties prenantes. Je crois que Hang Peou a commencé à faire
des composts avec tous les déchets récupérés. Je crois qu’il y a quelques agriculteurs
aussi qui ont commencé à faire des cultures. Cela pourrait être l’une des solutions
pour augmenter un peu le niveau de vie de des villageois. Je crois qu’il y a 130 000
personnes qui habitent dans le parc d’Angkor et dont la pauvreté reste vraiment
criante. Cela m’a vraiment frappée et je me dis que ce n’est pas normal. Il faudrait
vraiment essayer d’améliorer, je sais qu’il y a des programmes qui ont été lancé par
Kérya Sun avec la Nouvelle-Zélande. Mais cela ne suffit pas.
Maria Gravari-Barbas : La population elle n’est pas stabilisée ?
Kérya Sun : Le problème de cette population c’est que ce sont surtout des
agriculteurs : ils font un peu d’agriculture, de la riziculture mais cela ne répond
pas au marché touristique. Surtout c’est une population qui a toujours été pauvre
73
parce que c’étaient des terriens, des endogènes et il faut encore pouvoir, pour les
inclure dans le marché touristique, qu’ils aient des métiers adaptés. Par exemple,
beaucoup sont devenus guide touristique mais ces gens-là viennent que d’ailleurs,
pas de Siem Reap, les gens de Siem Reap sont des agriculteurs et beaucoup se sont
enrichis parce qu’ils ont pu vendre leur terrain pour les constructions. Mais il y a
des gens qui du jour au lendemain sont devenu millionnaires à cause des terrains.
Mais le problème c’est que cette population, moi bien sûr que je suis d’accord de
les inclure dans le développement touristique. Je me rappelais toujours, on allait
dans les villages avec SE Vann Molyvann ; il suppliait les villageois en leur disant
« je vous en supplie ne vendez pas vos terrains ». Mais ils le vendaient quand
même, parce qu’ils n’ont jamais vu d’argent et pour 2000$ ils sont contents. Ils
vont acheter une moto, par exemple, mais quand la moto tombera en panne, ils ne
sauront pas la réparer et ils n’auront plus d’argent et ils n’auront plus de terrain…
Je me rappellerai toujours de voir Vann Molyvann les supplier… Quand moi j’ai
repris cela, j’avais dit que quel que soit le développement qu’on apportera, il n’est
pas question que les gens abandonnent leurs activités traditionnelles, parce que s’ils
abandonnent et que les touristes ne viennent plus, qu’est-ce qu’ls vont faire ? On
voit le cas des pays aujourd’hui sinistrés du tourisme…
74
L’hydraulicien Hang Peou a pu déjà les aider en réhabilitant l’ancien système
hydraulique qui leur permet d’avoir de l’eau. Maintenant, ils ont par exemple
deux récoltes par an, alors qu’il y avait qu’une, parce que c’était mal irrigué. Dans
le programme de participation communautaire avec la Nouvelle-Zélande nous
essayons d’aider les villages qui ont une spécialité. Ce qu’il faut et ont l’avait
fait avec les Australiens, mais ils ne l’ont jamais terminé et il faudrait peut-être
professeur Beschaouch que l’on reprenne cela, c’est ce que l’on appelle le « cultural
mapping » : la cartographie culturelle des villages pour identifier exactement quelle
est leur culture spécifique et pour attirer les touristes parce que le touriste qui vient
donner de l’argent ou « donner des bonbons » moi je n’en veux pas. Ces gens-là
sont pauvres et vulnérables et ils veulent gagner de l’argent vite mais l’argent rapide
ce n’est jamais stable. Je pense que ce n’est pas seulement le cas du Cambodge - je
rentre d’Iran et c’est un peu pareil. C’est pour cela que je mets en garde les iraniens,
faites attention, si vous commencez à développer, développer immédiatement la
conservation, et ne mettez pas la conservation avant. Car le touriste arrive et pour
vous développer ce sera trop tard. Jean-Marie Furt en parlera tout à l’heure, il est
expert pour évaluer le projet de la Nouvelle-Zélande de participation communautaire,
d’ailleurs cette fois j’ai planifié une journée entière pour évaluer le projet. Mais le
problème est : est-ce que la population elle est prête à répondre à tout cela ? C’est
peut-être dans la fatalité cambodgienne… Il y a toujours des requins à côté, mais
il y a des gens, les gens de Siem Reap qui parfois me touchent beaucoup… je me
rappellerai toujours avec Vatho on allait dans ce fameux village où il y a eu une
restauration avec Jet tour 500 pour acheter des statues en bois des deux déesses très
connues à Siem Reap qu’on appelle Pra tieng Pra Tiong. On avait commandé des
objets en bois qui étaient assez jolis. Au bout d’un mois on est revenu ils nous ont
donné, on les a payés et on a commandé autre chose. Mais quand on est revenu un
mois après rien n’était fait. Ils nous ont dit « Parce qu’on n’a pas fini de dépenser
votre argent ». Ce sont des gens qui ne cherchent pas à s’enrichir… Ils veulent
une vie tranquille. Nous avec notre développement on bouleverse tout et ils ne
peuvent pas nous suivre comme cela ... On a une politique, tout le monde parle de
communauté mais faut voir aussi ce qu’elle veut la communauté.
Jacques FOURNIER
Expert Tourisme, Patrimoine, Loisirs
Le Schéma de Développement Touristique d’Angkor Siem Reap a été mis
en place en 94-95, par une équipe d’une dizaine de consultants : Détente/JFTL,
Villes jumelées, Score Consultants. J’étais le Directeur de mission, je connaissais
déjà Angkor, 1er voyage en 64, mission de cadrage pour le MAE en 1993 – avec
Sauveterre. Le projet se déroulait en parallèle et en coordination avec le Schéma de
Développement Urbain de l’agence ARTE Charpentier, dirigé par Pierre Clément.
75
Les thématiques de l’étude tourisme étaient i) Marketing : fréquentation et
commercialisation ii) Transport : accès et interne iii) Organisation touristique et
accueil iv) Aménagements v) Organisation publique (APSARA) vi) Services /
prestations touristiques : hébergement, restauration, artisanat…
Les objectifs qualitatifs en 1994 étaient principalement de :
• Fixer des objectifs, qualitatifs et quantitatifs des fréquentations du Parc
Archéologique et de la ville de Siem Reap à horizon 10-15 ans à l’aube de la
mondialisation,
• Proposer une organisation de l’activité touristique dans le Parc Archéologique
qui optimise la protection patrimoniale et la qualité de visite
• Planifier le développement progressif d’une « industrie touristique » en
réponse aux besoins,
•
Définir les missions publiques, l’organisation et le programme d’actions.
La priorité était dans un premier cadrage à partir des segments de clientèle.
On pensait d’abord aux Cambodgiens mais lesquels ? les classes moyennes ? les
classes populaires ? les Cambodgiens aisés, formés ou fortunés ?
Et bien sûr les occidentaux et assimilés (les japonais à l’époque). La place des
Figure 28 :
Objectifs en 1994
Cadrage des segments et volumes de fréquentation
76
occidentaux, alors majoritaires, était généralement surestimée pour l’avenir, celle
des asiatiques sous-estimée, surtout celle des Chinois dont beaucoup professaient,
en 1995, qu’ils n’étaient pas intéressés par le patrimoine mais seulement par les
casin !…..Pour certains qui conseillaient le gouvernement et SE Vann Molyvann, il
fallait fuir le « tourisme de masse » et rechercher un « tourisme de qualité ». Mais
la question était bien : « C’est quoi un touriste de qualité ? Est-ce quelqu’un qui a
beaucoup d’argent, beaucoup de diplômes, beaucoup de muscles pour affronter des
difficultés physiques ? Ou simplement quelqu’un qui est prêt à faire plus d’efforts
que d’autres pour aller moins vite, rester plus longtemps, regarder autour de lui et
pas seulement consommer les principaux temples, grimper, redescendre, partir vers
le suivant ? » Qui avait « droit à Angkor » ?
Pour y voir clair, il fallait donc d’abord anticiper les fréquentations futures en
définissant des segments de clientèles, en les qualifiant et en anticipant leur évolution
quantitative. Les objectifs quantitatifs globaux étaient établis à environ 1,5 M de
visiteurs annuels (je crois que c’est à peu près ce qu’on avait gardé à 15 ans). Mais
cette estimation était aussitôt reliée à une autre, ces 1,5 de visiteurs combien de
temps restaient-ils ? Une journée ? Deux jours ? Une semaine ? en moyenne ? Il
fallait définir des durées moyennes de séjour par segment et globale, des nombres
de nuitées par catégorie d’hébergement, de journée dans le Parc, etc…
On avait en particulier évoqué la possibilité que certains touristes restent une
semaine entière à SR. J’avais parlé de « station patrimoniale » puisque que l’on
pressentait dès l’époque que quand il y a un fort patrimoine, surtout « mixte »,
à la fois culturel et naturel, et un environnement paysager exceptionnel, comme
à Angkor, il y avait une attractivité spécifique, différente de celle d’un simple «
monument », celle d’une « destination » complète, c’est à dire un lieu d’où on
n’a pas forcément envie de se limiter à la seule visite intensive des sites majeurs,
Angkor Vat, le Bayon, Ta Promh, Banteay Srei, pour repartir le lendemain, mais,
une fois assouvie l’envie de connaitre l’essentiel, de « varier », les visiteurs n’étant
pas forcément prêts à enchaîner aussitôt tous les autres, proches ou plus éloignés.
Il y a d’autres choses à faire. Je pense qu’Angkor/SR se développe un peu comme
cela dans la réalité d’aujourd’hui pour une partie des visiteurs. Ce n’est pas « deux/
trois jours à crapahuter et on repart ». La notion de « visite » évolue vers celle de «
séjour » comme dans beaucoup de « spots » touristiques dans le monde, de villes ou
de villages « patrimoniaux ».
Répartition, diffusion et surfréquentation
Les prévisions globales nous conduisaient aussi - et cela est un point important –
à imaginer comment serait répartie une fréquentation annuelle d’1,5 millions de
visiteurs, son organisation et sa consommation. Qu’est-ce que cela induisait par
jour de l’année ? Qu’est-ce que cela voulait dire à différents moments de la journée
? On avait fait un calcul qui permettait de penser que quand on avait 5000 personnes
dans l’aire de Siem Reap et du Parc, il n’y en aurait au maximum que 150 avec des
chances de se trouver simultanément, pour autant que ce soit autorisé, au niveau
le plus haut du corps central d’Angkor Vat. Cela paraissait supportable. Quand
on considère, parmi ces 5000 visiteurs ceux qui mangent, se déplacent entre deux
temples, se reposent, ceux qui sont malades, ceux qui sont restés à l’hôtel, à la
piscine, qui sont sur la route de l’aéroport dans un sens, dans l’autre, les nuisances
d’une fréquentation de masse, si on regarde bien, pouvaient être dédramatisées en
partie.
Je ne connais pas les comptages actuels, mais il me semble que, mis à part le matin
pour le lever de soleil et la découverte d’Angkor Wat, ou le coucher du soleil depuis
le Phnom Bakeng qui mobilisent des foules, tous les autres sites peuvent, à un
moment ou à un autre, être découverts dans des conditions de confort pas idéales
mais acceptables, comme, au hasard, Sras Srang, le Baphuon rétabli, Beng Melea…
et tant d’autres. Tous peuvent être calmes à certaines heures. Les visiteurs vont
rarement deux fois aux mêmes temples. Qu’on reste une semaine ou une journée,
on passe à peu près le même temps de visite dans chaque site et on n’y revient pas
ou de manière très aléatoire.
Pour revenir à l’essentiel, un objectif premier était d’optimiser la diffusion des
visiteurs sur l’ensemble du Parc, dans le temps et dans l’espace, tout en le préservant,
mais aussi tout en en maximisant les retombées économiques, publiques et privées.
Le principe des « circuits », ancrés dans comportements, à notre avis, ne répondait
plus aux principes d’aménagement à promouvoir. Les circuits avaient le défaut de
concentrer et d’accélérer les flux de visiteurs touristiques. Il paraissait souhaitable
de déstructurer les circuits, de les « casser » malgré leur apparente « évidence ».
C’était une proposition très difficile à défendre et à mettre en œuvre. Elle n’a pas
été reprise. On rompait avec la logique initiale et maintenue, celle des archéologues
qui ont créé ces circuits, dès l’origine de la découverte.
La proposition était de plutôt créer des pôles qui constituent un objet de visite
complet et préservé, sans voitures à immédiate proximité (le parvis conçu par
Kérya Chau Sun à Bantey Srei représente bien ce qui nous paraissait répondre aux
exigences d’un tourisme de qualité : ouvert, protégé ralenti, contenu et maîtrisé par
rapport à une consommation précipitée). On avait proposé de créer ces pôles à partir
d’un grand ou de plusieurs temples regroupés, dans lesquels ou entre lesquels les
visiteurs pouvaient circuler à pied, en vélo, en navette avec le plaisir du recul de
l’approche.
On avait distingué 5 ou 6 pôles comme cela et on proposait de déplacer l’entrée
générale du Parc, comme l’a dit Pierre Clément, à l’est de l’entrée actuelle, de
77
l’autre côté de la rivière. On proposait que des navettes partent de cette entrée et
rejoignent ces différents pôles, desservis par des navettes et pouvant être reliés
entre eux par des pistes cyclables, des sentiers. On avait proposé des choses qui
sont courantes aujourd’hui, telles qu’un visitors center, des navettes électriques,
l’aménagement des visites des temples avec du confort et de la sécurité. Il y a certes
des structures en bois qui altèrent les monuments si on veut, mais il est évident que
la visite d’un parc archéologique peut être dangereuse, il peut y avoir des chutes,
sans compter que quand dix « shorts » multicolores descendent ensemble l’escalier
d’un temple, face tournée vers les marches par crainte de chuter, ce n’est pas idéal.
On avait proposé des escaliers en bois et autres passages pour confort et sécurité,
comme un moindre mal.
On avait besoin que les touristes, se répartissent au maximum, tout en minimisant
les circulations motorisées. On parlait déjà de véhicules électriques. On avait
proposé de dissuader l’utilisation des automobiles dans le Parc, mais on sentait
une résistance évidente à ce qui paraissait impossible. Il fallait au moins essayer
d’écarter des temples les voitures, les véhicules quels qu’ils soient, même les
navettes. Il ne fallait pas que les voitures soient visibles depuis les temples mais
plutôt faire 50 voire 100 mètres de plus pour le stationnement automobile et pour
que chaque pôle, temple et groupe de temples soient des sortes d’îlots protégés,
bien présentés, commentés, éventuellement confortés par des animations.
Besoins de prestations et économie locale
78
Nous avons eu à anticiper, en les qualifiant et en les quantifiant, les différents besoins
de prestations, sur un horizon de 15ans me semble-t-il, pour disposer d’une base de
travail pour les besoins en hébergements, en restauration, en offre d’artisanat, en
animations culturelles, en stationnements, en capacités de l’aéroport et…en emplois
plus ou moins qualifiés, en formation professionnelle, etc…
Nous savions que les emplois allaient se créer et la population de Siem Reap
augmenter, plus ou moins 40 000 à l’époque, 170 000 aujourd’hui ( ?) pour
l’ensemble du territoire. Pour ce qui concerne les emplois on les destinait en
priorité aux populations vivant dans les villages dans et autour du Parc en espérant
les y maintenir, populations susceptibles d’augmenter en même temps que la
fréquentation touristique. Le revers de la médaille du gain de niveau de vie attendu
pouvait être l’abandon de l’agriculture traditionnelle, des rizières, constitutives du
paysage d’Angkor, l’augmentation des circulations de voitures ou de mobylettes
dans le Parc, le renforcement de la tendance à « maçonner » les rez-de-chaussée des
maisons sur pilotis. Nous ne souhaitions l’ »enrichissement » des habitants pas que
l’image touristique d’Angkor soit dénaturée, ce n’était pas le but recherché. Nous
étions donc là devant une contradiction classique du développement touristique.
Maîtrise de l’aménagement urbain
En termes de propositions sur l’aménagement, établies en liaison avec Arte
Charpentier qui avait la main, Il fallait également maitriser le développement
urbain lié au tourisme, celui des hôtels de toutes catégories, des commerces et
boutiques, des restaurants, respecter le zonage UNESCO, limiter la hauteur des
établissements hôteliers (vus de la terrasse supérieure d’Angkor Wat). On avait
à créer des conditions favorables à l’économie locale, hôtellerie, restauration, à
développer l’artisanat, les services touristiques et autres…
Pierre Clément a évoqué la route de l’aéroport, cette nouvelle route que nous avions
proposée, était un enjeu stratégique majeur. Elle devait faire en sorte que les flux de
véhicules liés au tourisme qui se rendaient aux hôtels depuis l’aéroport ou au Parc
depuis les hôtels, contournent la ville elle-même sans y entrer. Malheureusement
la CFD n’a pu lancer que le deuxième tronçon de la route, à l’est de la rivière
Siem Reap, mais pas le premier, faute de maîtrise foncière. Les véhicules venant
de l’aéroport ont continué à arriver dans SR par la route habituelle sans éliminer
l’engorgement attendu. A défaut d’autres voies ont été aménagées dans la ville.
Nous avions également proposé de créer une cité hôtelière destinée à accueillir et
concentrer les nouveaux hôtels haut de gamme, d’organiser les autres prestations
privées, les commerces, d’organiser l’accueil touristique, les animations, les
spectacles, les lieux de congrès, les séminaires etc… . De même que l’organisation
des services publics, le problème de la maîtrise foncière qui a été évoqué tout à
l’heure était essentiel, ainsi que celui de la sécurité, à l’époque on y pensait encore
beaucoup. Ainsi, au début de cette mission, nous étions encore accompagnés par la
police. En 1993 la mission de l’ONU qui était présente à Siem Reap.
A l’époque aussi le principe était posé que l’aéroport déménagerait, tantôt à l’est,
tantôt à l’ouest de Siem Reap… Je crois que finalement c’était prévu à l’est, mais
on ne déménage pas un aéroport facilement. S E Vann Molyvann craignait que les
vibrations du trafic aérien déstabilisent les assemblages de pierres des temples. Ce
n’était finalement pas la plus grande des urgences. Plus de vingt ans plus tard les
avions décollent toujours de la même piste, sans dégâts signalés.
A noter qu’on recevait également une forme d’injonction pour considérer que
l’ensemble des voyageurs aériens en visite transiteraient via Phnom Penh, pour
privilégier le transport aérien national cambodgien et un tourisme réparti sur le
pays. Prévoir, comme c’était normal à cette époque, que la moitié des visiteurs
viendraient de Bangkok, de Singapour ou d’Ho Chi Minh, était politiquement
irrecevable. Je ne sais plus comment on s’était sorti de cette difficulté dans le rapport
remis mais on recevait comme cela des demandes fermes, politiquement correctes,
mais en contradiction totale avec des logiques touristiques incontournables.
L’organisation publique
Les ressources publiques étaient un autre point. A qui étaient-elles destinées ? A
l’Apsara ? Aux personnes qui travaillaient et vivaient dans le Parc ? Aux la population
locale de Siemp Reap ? Au gouvernement cambodgien ? A l’ensemble du Cambodge
? Ce n’était pas à nous de répartir. Mais la question qui se posait pouvait être celle
du territoire d’appartenance d’Angkor. Angkor figure sur le drapeau cambodgien,
on doit ainsi considérer que l’ensemble de la population cambodgienne est fondé à
bénéficier des retombées économiques de ce patrimoine.
L’action publique passait d’abord par créer une structure publique, maîtriser
l’aménagement, optimiser les retombées financières et orienter les retombées
économiques et leurs impacts sur les entreprises et la population locale, ce à quoi
79
la création de l’APSARA a en partie répondu à travers ses missions. L’APSARA a
réalisé un premier aménagement, siège, petit musée au contact de la zone protégée
du Parc tel que nous proposions à peu près à hauteur de Angkor Vat / Prasat Kravan
/ si ma mémoire est bonne. Un Welcome Center y est maintenant programmé1.
Sur le point du prélèvement financier, le Bhoutan a montré la voie pour se faire
payer. Traditionnellement les sites ne demandent ou ne demandaient pas assez
d’argent aux touristes. C’est ce qu’on défendait alors. Les premiers 20$/j (40/j
aujourd’hui) ont été un grand progrès. Nous avions formulé des propositions plus
sophistiquées, sans doute trop, en essayant de faire des grilles. Quand vous pensez
à ce que les gens payent pour les hôtels, les achats, le voyage etc…, verser une
toute petite somme pour accéder à ce pour quoi ils sont là est quelque chose de
relativement déséquilibré, illogique. Nous avions fait une grille de prélèvements
sur des touristes, globalement à répartir entre l’APSARA, le gouvernement, le Parc
Archéologique, les restaurations, les infrastructures.
Les ressources provenaient du droit d’entrée dans le parc, des taxes d’aéroport atterrissage ou décollage-, d’une forme de péage / droit de stationnement à l’intérieur
de la ville et d’une taxe de séjour / taxe hôtelière. Et en pondérant et en mixant les
quatre là on était arrivé, avec Serge Goldberg, à ce que finalement une famille plutôt
moyenne du Laos, comme une famille de type Amis du Louvre ou du Metropolitan
Museum contribue aux recettes, chacune à hauteur de 10% de sa dépense globale
au départ de son pays vers Angkor, en jouant sur ces quatre modes de prélèvement.
Parce qu’il nous semblait que si on ne jouait que sur l’augmentation du prix d’entrée
du Parc, on exclurait certaines clientèles, et cela paraissait peu « démocratique ».
80
…et dans l’avenir…
Je fais partie des amoureux d’Angkor, comme chacun ici. J’y suis venu en 1967,
c’était un rêve qui s’accomplissait, un grand bonheur, et, depuis, je ne me suis
évidemment pas défait de cette empathie. J’y suis retourné pour mon plaisir
personnel, et aussi pour une mission tourisme qui ne portait pas directement sur
le Parc. Aujourd’hui on doit certainement se poser des questions, je ne sais pas
quels sont tous les chiffres, comment ils évoluent, le monde change, la première
étude ne citait même pas les Chinois de Chine comme clientèle potentielle… On
n’imaginait pas. Il y avait les 4 dragons, il y avait le Brésil dans les clientèles cibles
mais on n’imaginait pas que les Chinois viendraient. On disait que seuls les casinos
les intéressaient. Les clientèles touristiques évoluent, à Paris, avant, il y avait des
Américains et des Japonais, maintenant il y a des Russes et des Chinois. En 20 ans
les marchés touristiques et les clientèles d’Angkor ont évolué et seront encore bien
différents dans 20 ans, ainsi que leurs modes de consommation.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui va bien ? Il y a beaucoup (trop ?) de visiteurs et les
temples sont bien là, ils ne sont pas « massacrés ». L’Apsara a procédé à de nombreux
aménagements pertinents, les restaurations continuent, en particulier du système
hydraulique. Le Cambodge perçoit des recettes significatives, justifiées. Qu’est-ce
1
Précision de Kérya Sun : Le Welcome center il est programmé pour ce que l’on appelle
la cité culturelle touristique. On ne peut faire aucun aménagement en zone 1. Ce sera dans la cité
culturelle et touristique, en zone 5, c’est à dire constructible, à l’est, hors de la zone protégée.
qui pourrait être amélioré ? Est-ce qu’il faut introduire un numerus clausus, global,
par site ? Je pense que le numérique, le géopositionnement vont permettre à la fois
une simplification et une sophistication de l’accueil, du marketing, de l’organisation
du Parc et de la destination. Faire face aux à l’augmentation encore à prévoir de
la demande, principalement asiatique, sans « militariser », sans perdre la magie
d’Angkor. Cela devra se faire mais il y a sans doute de nouvelles dispositions à
prévoir en termes d’aménagement durable et d’organisation en fonction de la réalité
d’aujourd’hui, qui est évidemment différente de ce que nous avions pu imaginer
25 ans plus tôt. Certaines propositions d’alors, non reprises, sont peut-être encore
valides ?...
81
82
Jean-Marie FURT
Maître de Conférences - HDR, Université de Corse, expert Ad hoc
pour le Tourisme
Je voulais revenir sur une des problématiques de la journée qui était
d’interroger Angkor comme modèle de développement touristique. Je ferai sur
cet aspect plusieurs remarques. La première c’est que l’on a beaucoup parlé de
flux touristiques, de communautés locales, surtout sur l’après-midi, on a parlé
de travail, d’identité de travail, de la possibilité de professionnaliser certaines
personnes, on a aussi parlé de problématique foncière donc moi ce que je remarque
sur la modélisation possible. Ces problématiques on les retrouve dans toutes les
destinations touristiques qui fonctionnent sur la monoculture touristique et surtout
dans les destinations touristiques qui ne produisent pas leurs flux touristiques c’està-dire qui ne décident pas à un moment donné qu’il y aura un million de chinois
qui vont arriver ou y aura deux ou trois millions de coréens ... Pour ses destinations
là particulièrement et pour le Cambodge au sens large, je ne parle même pas de
Siem Reap, on ne peut pas se contenter comme en 1994 juste de s’occuper de la
problématique du parc d’Angkor, Il faut avoir si on n’a pas une vision large du
développement touristique et raisonner à l’échelon du territoire tout entier sinon
ce n’est pas possible. Comment, allez-vous me dire? Ce n’est pas évident, parce
que on n’a pas de lisibilité véritable sur les flux. Si je demande aujourd’hui à un
responsable du tourisme quelle est la répartition des clientèles individuelles il est
impossible pour lui de me répondre. Tant qu’on n’a pas cette image-là, on ne peut
pas parler de régulation des flux touristiques en amont. Et pourtant c’est sur celle-ci
qu’il va falloir jouer dans l’avenir.
Toujours en regardant Angkor au prisme de la modélisation il faut revenir
sur la méthodologie et les outils que tout le monde emploie lorsqu’on parle de
développement touristique. Celui-ci s’analyse en deux phases : une phase de
diagnostic, et un diagnostic qui doit être partagé par toutes les parties prenantes
et répétés à l’envie sur l’ensemble du territoire, et à partir de là on peut proposer
une stratégie à l’échelon d’un territoire plus ou moins large. On discute parfois au
CIC de certains aspects de ce diagnostic, mais j’ai l’impression qu’il y a beaucoup
de non-dit. Le Pr Beschaouch est intervenu à plusieurs reprises sur ce sujet. Il y a
deux éléments sur lesquels il faut se prononcer. Tout d’abord, est ce qu’Angkor
est « victime » d’un tourisme de masse ? Je fais partie des gens qui disent non, 2,7
millions, 3 millions en comptant les touristes internationaux au regard de ce qu’il
83
y a à voir même quand on raisonne que sur Angkor et Siem Reap, ce n’est pas du
tourisme de masse et on parlera de tourisme de masse quand on aura atteint un
chiffre qui sera insupportable pour la population locale. Angkor connait seulement
les effets d’un tourisme qui devient massif à certains endroits, à certaines heures
de la journée etc… Il y a surtout une problématique de développement global au
niveau de la population locale donc réglons les problèmes de l’eau, les problèmes
d’ordures ménagères et on sera peut-être en capacité d’accueillir autrement les
touristes dans d’autres conditions et leur faire payer le juste prix. Ça c’est le premier
point, tant qu’on n’est pas d’accord là-dessus on ne pourra pas agir ou réagir qu’aux
entournures. Ensuite il faut s’interroger sur le champ spatial de l’analyse, pour moi
là encore si l’on s’en tient au site, si l’on n’agit que sur le parc on fait fausse route.
Le champ d’action c’est au minimum la ville et bien évidemment le territoire car
il y a un effet déversoir. Tous les problèmes que l’on règle sur le site (ordures,
circulation, construction) se déversent en grande partie sur la ville.
84
Enfin au niveau de la stratégie, il faut rappeler que l’on ne peut pas plaquer sur
Angkor les solutions qui ont fonctionnés dans des pays développés même si on
retrouve les mêmes problématiques. Vous avez par exemple parlé ce matin des
ambassadeurs. Ce dispositif a fonctionné sur certains territoires mais pas partout.
J’ai un collègue qui a travaillé pendant des années dans la ville de Sienne à côté de
Florence, en essayant de mettre en avant à destination des touristes le concept de «
citoyen des terres de Sienne » ça peut effectivement fonctionner mais ça demande
des moyens, des investissements, des moyens humains, et ça doit être fait tout le
temps, tout le temps, parce que le monde change, le tourisme change. Lorsque je dis
que le diagnostic doit être partagé par toutes les parties prenantes, avec en pratique
va-t-on discuter ? Avec les gens qui sont en front office ou ceux qui sont au fin fond
des villages, avec les entrepreneurs ou les salariés? On risque finalement d’aller au
plus court et au plus simple ! Cela est une problématique, et cela suppose derrière
que l’on soit clair sur la stratégie et donc se demander si l’on veut vraiment faire
du développement touristique ? Cette question est essentielle et M. Pierre-André
Lablaude l’a rappelé, en parlant de l’Egypte. Tout le monde semble d’accord sur cette
nécessité mais il faut s’interroger sur les objectifs les conditions et sur les moyens
que l’on se donne pour y arriver. On parle par exemple de formation mais on ne peut
pas faire des formations et les arrêter, il faut une continuité. Il faut encore que la
formation concerne les étudiants, le public premier mais aussi les professionnels et
ce n’est pas une journée de formation qui va permettre de faire avancer les choses.
Il faut enfin que derrière il y ait un suivi. Autre exemple, il y a un an, un an et
demi, on a parlé au CIC des problématiques travail, salaires et de la problématique
emploi. Ce sont des questions fondamentales. Si on a des gens qui sont formés et
que derrière ils ne trouvent pas d’emplois ou des emplois sous qualifiés ou souspayés, on va retomber dans le schéma initial ou l’activité touristique va devenir
une activité occasionnelle, non professionnelle, qu’on va cumuler avec un autre
emploi qui va réussir à vous faire vivre ou subsister. Le dernier exemple concerne
l’organisation nécessaire à la mise en place de la stratégie On ne peut plus, et je pense
que tout le monde est d’accord, on ne peut plus fonctionner avec une organisation
comme l’Apsara. Vous ne pouvez pas, on ne peut pas penser faire évoluer quoi que
ce soit, gestion des flux, communauté locale, avec une organisation de ce type-là.
On ne sait pas qui décide, le directeur va changer du jour au lendemain pour des
raisons avouées ou inavouables, c’est pas possible. A minima on doit avoir une
structuration au niveau de l’Apsara qui soit une structuration fonctionnelle avec une
structure opérationnelle et une structure stratégique.
Enfin et dernier point sur cette vision d’un modèle on présente toujours, je dois
dire que j’y ai participé bien que j’essaie de faire changer les choses depuis un an
ou deux, on présente toujours le management plan d’Angkor comme une réussite c’est une réussite, parce que bien évidemment peu de sites peuvent se prévaloir de
la mise en œuvre, de la rédaction précise d’un tel plan. Le problème c’est que ce
n’est pas un plan de développement. Il reste peu opérationnel et il a l’inconvénient
de mélanger les objectifs opérationnels et stratégiques qui ne sont pas bien définis.
C’est un plan qui a une vocation transversale, c’est-à-dire qu’il devrait être mis en
œuvre et appliqué par différentes directions. En pratique, il est inappliqué dans sa
plus grande partie à part quelques effets heureux, parce qu’il ne fixe pas d’objectifs
précis, de cadre opérationnel et une méthode d’action.. Il y a donc une interrogation
forte sur le volet tourisme et gestion des flux. Le problème c’est qu’on ne pourra
pas se contenter de prendre, comme je le disais tout à l’heure, les choses petit bout
par petit bout. Si le parvis de Banteay Srei est une réussite totale on ne peut pas
modéliser le parvis de Banteay Srei c’est une réponse particulière à une situation
qui peut être transposée pour résoudre les problématiques d’autres temples mais ce
n’est pas une réponse qui peut être généralisée. C’est un exemple des limites de
la modélisation et de la nécessité pour l’organisation en charge du développement
touristique de s’adapter en permanence aux défis du moment. Je souhaite pour
terminer également réagir aux propos de Florence Evin concernant l’agriculture.
Figure 29 :
Le parvis de Bantei Srei
Source : Maria Gravari-Barbas, 2016
85
Nous avons aujourd’hui en Europe des problématiques nouvelles de circuits courts,
changement de mode de production, culture bio… Ces évolutions sont pour l’instant
difficilement transposables et nous devons nous situer dans une problématique de
temps long : cela n’a pas démarré hier comme, Kérya Sun l’a très bien dit. Nous
avons un problème d’alimentation de l’industrie locale, c’est-à-dire qu’il y a une
industrie touristique qui s’est construit à côté et qui a été complètement plaqué sur
une population et sur un territoire qui n’était pas du tout préparé à cela. C’est toujours
comme cela chaque fois qu’on a un développement touristique brutal et qu’un pays,
une région, un territoire vit soit essentiellement sur le tourisme et rien d’autre, soit
sur le tourisme et le textile, soit sur le tourisme et l’agriculture. Bien évidemment,
en gain économique c’est compliqué. Les gens vont se précipiter sur ce qui peut leur
permettre de vivre différemment, d’acheter ce qu’on leur dit d’acheter et de changer
une partie de leur vie. Donc notre intervention, si on peut dire les choses comme
cela, elle doit d’abord se faire sur la pointe des pieds. Elle ne sera que marginale s’il
n’y a pas une stratégie publique mise en place avec de véritables moyens. Dès lors
que l’on voudra une montée en puissance pour que les gens puissent alimenter le
marché local, répondre à une demande, il va falloir changer et organiser la montée
en puissance. Cela passe par l’intégration du système de formation, un travail en
amont avec les tours opérateurs, les hôteliers Le problème c’est là encore je vous
le disais, on bricole, en toute bonne foi, toute bonne volonté avec toute l’énergie
qu’on peut avoir mais dès que l’on touche à une pièce et il y a tout le système qui
bouge. Sans vision globale, sans volonté politique d’une régulation de l’industrie
touristique, il n’y a pas de solution viable.
86
Maria Gravari-Barbas remercie très chaleureusement tous les intervenants de
l’après-midi. Une deuxième séance de discussion s’ensuit entre les intervenants et
les participants.
Deuxième Session de Discussion
Bruno Favel : J’ai visité le Vietnam qui est un pays limitrophe du Cambodge en
2000, et une ville qui s’appelle Hôi An qui est une ville d’inspiration chinoise. Dans
cette ville il est impossible de visiter la totalité du site. Ils donnent à l’entrée un
ticket, ce qui permet seulement de visiter 2 ou 3 monuments à l’intérieur du site, ce
qui permet de mieux maîtriser les flux touristiques. L’exemple du Vietnam, pays qui
n’est pas forcément apprécié du Cambodge est tout à fait important pour justement
essayer de réguler ces flux touristiques. Et je pense ce qui’il serait important pour
cette question de répartition géographique de mieux former aussi les experts français
qui viennent pour la répartition géographique au sein du Cambodge, il n’y a pas
qu’Angkor, il y a beaucoup d’autres sites.
Mais je reviens aussi sur le problème de la spéculation foncière, de ventes de terrains,
qui est très ancien. Dans le sud de la France au XIXème siècle on assiste à ça. En
république Tchèque les gens vendent leurs appartements dans le centre historique
de Prague. C’est la même chose à Paris, les gens vendent leur appartement pour
louer et partir ailleurs pour avoir plus grand et ainsi de suite. , Finalement quelles
sont les préconisations vis-à-vis des organisations internationales du tourisme sur
ces questions-là ? La monopolisation, la gentrification des centres historiques en
Europe et c’est la dépossession territoriale touristique au sein d’Angkor eje rappelle
quand même, vingt ans en arrière on l’avait déjà dit, c’est-à-dire que le danger était
là. On l’avait vu, on l’avait même écrit. Donc ce qui m’a étonné c’est de voir que la
redistribution sociale pour les populations, je parle des populations autour du Tonlé
Sap. La misère des populations … L’état de misère des populations est abject, sans
soin, sans rien du tout. Je ne donnerai pas de leçon - y a pas de leçon à donner-, nous
on a les roms à Paris qui font la manche sur le parvis Notre-Dame, Il y a quand même
quelque chose qui a mon sens devrait être creuser au sein de ce développement
touristique durable des populations. De voir comment les populations s’intègrent
dans ce processus comme vous l’avez dit Florence, c’est le fait de mieux intégrer
les populations dans l’activité.
Florence Evin : Cela fait d’ailleurs partie du projet UNESCO.
Kérya Sun : Oui, c’est le cinquième C.
Maria Gravari-Barbas : Et est-ce que là vous pourriez nous dire un peu plus sur
la façon dont on associe les communautés locales en termes de développement
touristique ?
Kérya Sun : C’est-à-dire que quand on avait commencé le projet des néo-zélandais,
j’étais allée dans tous les villages de Tonlé Sap avec les néo-zélandais justement,
pour faire des enquêtes sur leurs activités et ce que vient de dire Bruno, c’est très
87
juste pour une simple raison : que les villages qui vivent autour du lac ils ne vivent
uniquement que de la pêche. Et la pêche ne pêche pas toute l’année. Le reste du
temps ils n’ont rien n’a faire et ils sont pauvres parce qu’ils ne pêchent pas. Et
maintenant avec le développement touristique il y a des sociétés privées qui ont
pris possession de leurs petits ports. Bon le premier ministre a mis fin à cela il y a
deux-trois ans mais par exemple, les gens dans les temples, quand j’ai enquêté avec
les néo-zélandais, le village le plus pauvre se trouve au cœur d’Angkor Tom parce
qu’ils n’ont rien a faire et ils n’ont même pas de terres pour cultiver ce qu’il fait
qu’ils n’ont pas de revenus. Ils ne peuvent pas développer. Ceux qui ont le plus sont
ceux qui ne sont pas loin de Siem Reap parce qu’ils ont deux saisons, maintenant
les choses ont changé un petit peu pour eux parce que…
Mais cela peut se passer que dans des petits pays comme le Cambodge parce que
si on applique les lois françaises on ne pourra jamais le faire, par exemple, nous
Apsara, on est le plus gros employeur de Siem Reap-Angkor. On a beaucoup de
gardiens et vous savez il ne faut surtout pas contrôler que c’est le nom parce qu’il
peut se faire remplacer par son cousin le lendemain parce qu’ils doivent travailler
dans le champ. Mais depuis qu’on embauche les paysans qui travaillent et qui vivent
dans le village aux alentours, ils travaillent pendant la saison où ils ne peuvent pas
cultiver par exemple, ils travaillent comme gardien chez Apsara ce qui fait qu’ils
ont un revenu assuré, même si ce n’est pas beaucoup, ils ne l’avaient pas. Mais par
exemple, malheureusement autour d’Angkor cela a disparu, mais souvent en saison
ou il n’y a pas de moisson, moi j’ai visité certains villages ou les hommes travaillent
dans la construction moitié de l’année et l’autre moitié de l’année ils cultivent et les
femmes tissent.
88
Mon métier de base c’est de faire changer cela et quand Jean-Marie Furt dit que
tout cela se passe comme cela ailleurs je suis ravie, parce qu’on a vraiment essayé,
comme Bruno Favel l’a dit ce matin, c’est vrai qu’on s’y met, on a des projets, on
n’arrête pas mais par exemple Hang Peou quand il a fait le baray nord il a rempli,
on a créé en même temps, vous voyez. On a créé des promenades, des circuits en
barque parce que notre ambition pour le futur c’est que quand il aura bien rempli
le Baray nord c’est de faire partir les gens au Mebon en bateau, ce qui serait
magnifique mais pour ça il faut que l’eau soit stable et tout ça et pour ça il faut
former la population et on leur a confié, on a payé les barques, on a tout fait mais
au bout de quelques mois ils ne le font plus parce que ce n’est pas leur métier. Vous
voyez c’est très difficile de la faire.
Florence Evin : C’est une question d’éducation.
Kérya Sun : Oui, mais il faut attendre une autre génération. Cette génération elle
ne peut pas.
Maria Gravari-Barbas : Je souhaiterais vous poser une question naïve : pourquoi
la localisation des gens tout près des temples représente-elle un tel enjeu ?
Kenya Sun : La population qui s’est implantée là, elle y était depuis toujours, elle
est là, elle est endogène, née là. Et d’ailleurs, quand on fait la zone de protection
et pour voir qui on garde et qui on ne garde pas, on a du mal à déterminer à partir
de quelle date on considère qu’il est là depuis longtemps. On a fixé à 2000 ou à
2004. Mais vous avez beaucoup de gens qui viennent de l’extérieur parce que, c’est
ce qu’a dit professeur Beschaouch. Je n’ai aucune compassion pour ces gens-là
: ils viennent là parce qu’ils ont déjà quelque chose ailleurs, ils viennent là pour
spéculer, sur le dos des pauvres qui vendent, vous voyez ? Donc c’est pour ça que
c’est un enjeu très important pour Apsara, un véritable défi. Bon, bien sûr il y a le
CIC qui peut faire pression mais surtout une volonté politique.
Florence Evin : Mais justement, les former à l’agriculture représente un plus.
Kérya Sun : Mais on a créé un département d’agriculture dans Apsara pour les
aider à faire du bio tout cela, mais cela ne marche pas très fort parce que tout le
monde n’est pas agriculteur. Beaucoup de gens travaillent en ville alors maintenant
le département d’agriculture a presque disparu, c’est Pov qui doit le reprendre
dans le sien, maintenant je ne sais pas comment il va faire, il a la conservation,
il a l’agriculture, il a la forêt, il a l’eau, l’environnement… Mais c’est un tout et
c’est une juste décision de regrouper, parce qu’en plus on ne peut pas travailler
séparément. Mais c’est que l’agriculture, encore faut-il que les gens aient des terres
pour cultiver.
Pierre-André Lablaude : Je souhaite intervenir là-dessus : je ne voudrais pas
mettre les pieds dans le plat mais cette préoccupation pour les communautés locales
sur le site d’Angkor elle est importante mais est-ce que finalement les gens qui
habitent sur le site d’Angkor ne sont pas des privilégiés par rapport à ceux qui
à Rotanah Kiri ou au Mondol Kiri ou dans les Cardamomes ? Il faut se le dire
franchement, il y a une telle concentration d’ONG sur les sites d’Angkor, on se
demande si l’ONG ce n’est pas une forme de tourisme détourné et plutôt d’aller
dans les fins fonds des Cardamomes les gens préfèrent être à Siem Reap …
C’est-à-dire que c’est très bien qu’on se soucie des gens qui habitent sur place sur
le site d’Angkor mais est-ce qu’on n’oublie pas en même temps tout le Cambodge
et si les gens qui vivent sur le site d’Angkor, s’il y a des populations qui viennent à
Angkor c’est qu’ils en tirent certaines ressources
Kenya Sun : Mais tu as parfaitement raison.
Pierre-André Lablaude : Et d’une certaine façon ce ne sont pas des privilégiés par
rapport à ceux qui habitent au fond du Rotanah Kiri.
Kérya Sun : J’ai discuté avec eux quand je fais les campagnes de sensibilisation
pour la protection du patrimoine et eux ils disent tout le temps « Nous on en a marre
du patrimoine mondial, on était tranquille avant, maintenant depuis qu’ils sont là y
a pleins de choses qu’on ne peut pas faire ». Et bon, la première chose que tout le
monde peut faire c’est les homestays.
Les gens qui sont à Angkor ne partent pas ! A moins qu’ile vendent leurs terrains…
C’est sût qu’ils sont plus privilégiés par rapport à ceux qui vivent à Rotanah Kiri,
mais ils ne sont pas privilégiés depuis qu’il y a le PM
Pierre-André Lablaude : On ne peut pas dire que le tourisme génère des emplois ?
Kérya Sun : Très peu.
Voix homme : Les gens dans les hôtels ils viennent d’ailleurs ?
Kérya Sun : Tous d’ailleurs.
Florence Evin : Pourquoi ?
Kérya Sun : Parce qu’ils ont de l’argent. Les gens d’Angkor ont toujours été
pauvres. Quand il y avait l’EFEO, certains travaillaient à l’EFEO. Regarder le film
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de Rithy Panh « Gens d’Angkor »1 il faut une recherche sur les gens qui vivent à
Angkor. Que signifie Angkor pour eux et ils disent, nos ancêtres étaient tellement
riches, pourquoi nous on n’y arrive pas ?
Florence Evin : Parmi les 2700 employés d’Apsara combien habitent le parc ?
Kérya Sun : A part les gardiens tout le monde habite en ville. Et à part les gardiens,
tous les autres viennent d’ailleurs, de Phnom Penh et d’ailleurs.
Florence Evin : Et l’entretien ?
Kérya Sun : L’entretien c’est des sociétés. Maintenant on loue des prestations.
Bruno Favel : Quels sont les mesures qui pourraient être prises pour encourager
l’insertion des populations de Siem Reap? Comme ce sont des populations anciennes
comment les intégrer dans le projet ? Est-ce qu’il y a des plans pour ça ? Va-t-on
considérer que l’on est dans un scenario à l’américaine, aux Etats-Unis avec es
réserves pour les Indiens et les natifs qui ne sont absolument pas intégrés ?
Non, on ne les déménage pas. On a prévu une zone à l’extérieur pour les familles,
On a fait un eco-village où on leur donne 1000 m de terrain et 1000 M3 de bois pour
construire une maison. Mais ce n’est pas parce qu’on donne un terrain pour cultiver
qu’ils cultivent.
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Maria Gravari-Barbas : C’est là où il y a un paradoxe : visiblement il y a un
attachement pour les lieux sur lesquels ils sont actuellement. On peut l’interpréter
aussi comme un calcul ou une prise en compte d’une rente situation qui est celle
de la proximité - sinon effectivement ils pourraient partir, ils accepteraient d’aller à
Ran Tarep ; s’ils n’y vont pas, d’après ce que je comprends, c’est qu’il y a d’autres
raisons, y a ce fantasme qui consiste à dire que les terrains sur lesquels ils sont
censés construire à Ran Tarep appartiennent encore à d’autres, il y a la crainte d’être
dépossédés plus tard. Mais il a visiblement une compréhension de l’intérêt que cela
représente d’être près des temples.
Kérya Sun : Je pense que ce n’est pas le même intérêt que l’on interprète en Europe.
Je discute avec les gens. Ils sont de là, ils veulent rester là. Ve n’est même pas une
question d’argent. Il ne faut pas oublier que pendant les 20 ans om Angkor était
abandonné, ils étaient là. C’est ce que Vann Molyvann disait tout le temps : Ma
pette, il faut toujours les privilégier, Ce sont eux les gardiens naturels d’Angkor.
Quand on n’était pas là ils étaient là. Moi je me souviens en 1992 quand j’étais
revenue j’avais demandé à un paysan « Est-ce que vous allez voir les temples ? », il
m’a répondu textuellement : « Mais pourquoi j’irai dans les temples, c’est réservé
aux Dieux ». Mais il habite à côté et il ne changera pas, parce que voilà. Et Run
Tapep, ils ont droit au titre de propriété au bout de 5 ans d’occupation continue.
Virginie Picon-Lefebvre : Est-ce qu’il ne faut pas leur donner un salaire comme
gardiens naturels des temples ?
Kérya Sun : Mais on les a embauchés, je vous ai dit. Vous avez déjà vu un pays au
Rithy Panh « Gens d’Angkor » : « Sur le chantier de restauration de Bapuon, une équipe d’ouvriers
travaille à l’assemblage des pierres dispersées d’anciens bas-reliefs. S’y dessinent peu à peu sous leurs yeux
toute l’histoire des anciens Khmers. Un jeune vendeur à la sauvette s’interroge sur son avenir, un ancien paysan, devenu ouvrier des chantiers, se sent amputé de sa terre. Et d’autres destins encore, qui s’entrecroisent et
se rejoignent, pour finalement dessiner une histoire, comme les pierres du passé et du présent s’entremêlent ».
France | 2003 | 90 minutes |
1
monde ou on met un salaire aux gens parce qu’ils sont là depuis longtemps ?
Maria Gravari-Barbas : Où est-ce qu’on en est avec le parvis d’Angkor Wat ?
Azedine Beschaouch : On est en interdiction de continuer si l’opérateur n’obéit pas
aux propositions logiques adoptées par le CIC sur proposition du groupe expert tant
d’ailleurs au développement que de la construction.
Maria Gravari Barbas : Donc pas d’évolution depuis l’année dernière ?
Azzedine Beschaouch : Ces temps-ci, un plan nous a été envoyé dans lequel il
y a de très belles photos sur les pizzas qu’on va manger. Il n’y a pas de centre
d’interprétation. Il y a une petite salle de 150 mètres alors que nous avons des
restaurants de 700 mètres alors nous leur avons renvoyé la copie. De toute façon à
notre niveau je ne pense pas que le temps est possible pour la construction.
Florence Evin : Est-ce que le problème du tourisme ce n’est pas essentiellement le
problème des groupes qui arrivent à flot, enfin c’est un flot continu et ne faudrait-il
pas limiter l’accès aux groupes des parties les plus fragiles des monuments ? J’ai
vu l’évolution des extérieurs des monuments, l’évolution scientifique, je suis assez
catastrophée quand je vois Angkor Wat à la TV, à la limite j’ai même plus envie
de monter voir les tours comme en 1991… Malgré les escaliers de bois qui sont
mis, malgré les précautions qui sont prises, ces monuments n’étaient pas faits pour
qu’on grimpe dessus. Seuls les prêtres montaient pour faire les prières, les rituels,
le roi je ne sais pas mais en tout cas, aucun public n’allait grimper dans les tours par
les escaliers etc., le peuple restait en bas, à l’extérieur. Compte tenu de la fragilité
de ces monuments, qui sont des « châteaux de sable » avec des parois en pierre, vu
le poids et les vibrations, par les milliers de personnes qui grimpent les escaliers - ce
n’est pas parce qu’il y a des escaliers en bois par-dessus que les vibrations ne sont
pas là. Est-ce qu’il ne faudrait pas limiter l’accès aux tours ? C’est pareil pour le
Bayon, quand on voit son état on tremble (galeries extérieures, bassins extérieurs,
etc.). Ne faudrait-il pas interdire l’accès aux publics ?
Je voulais juste par Ta Prohm où je trouve que l’accès à la circulation par les galeries
de bois extérieures c’est très bien, on voit ce qu’il y a à voir, on voit les arbres
emprisonner les murs etc. alors qu’à l’intérieur c’est très difficilement lisible par
quelqu’un qui n’est pas expert. On passe de pièce en pièce et c’est très encombré.
Je trouve que faire traverser des centaines et des centaines de groupes à l’intérieur
de Ta Prohm est totalement inutile. Ils sont là pour se prendre en photo devant un tas
de pierres écroulées… Je trouve que faire une visite à l’extérieur, comme cela a été
réalisé à Banteay Srei en expliquant qu’est-ce que c’est que le monument, qu’estce que la signification des symboles etc., une préparation à la visite du monument
par l’extérieur c’est vraiment intéressant. Il y a deux ou trois km de galeries de
bas-reliefs à Angkor Wat…Dans ces bas-reliefs il y a toute l’histoire du Cambodge.
C’est pareil au Baphuon. On ferait la visite des bas-reliefs qui racontent l’histoire, à
l’extérieur, ce serait plus intéressant. Les visages on les voit mieux d’en bas que d’en
haut donc je me demande s’il n’y a pas aussi un travail à faire sur la planification.
Sur un monument comme le Baphuon, qui est extraordinaire et qui vient d’être
totalement rénové il n’y a personne. Or, c’est beaucoup plus lisible pour un touriste
que Ta Prohm.
Maria Gravari-Barbas : Florence Evin, je lisais vos articles dans Le Monde en
1994 et en ce moment-là, les prévisions parlaient d’un million de touristes pour l’an
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92
2000. En 2000 il n’y a pas eu un million, mais la moitié, 500 000. Nous parlons
donc aujourd’hui d’un tourisme qui était largement anticipé, voire surestimé, il y
a une vingtaine d’années. On ne peut plus s’étonner aujourd’hui que le tourisme
augmente. On le savait, et on sait qu’il augmentera. Il est appelé à augmenter et
rien ne peut l’arrêter parce que quand bien même la situation sur place déçoit
plusieurs, qui décideront peut-être de ne jamais y retourner, il y a un tel vivier
de touristes potentiels (ne serait-ce que pour des questions géographiques, on sait
bien que le tourisme est avant tout un phénomène régionalisé) que rien ne fléchira
la courbe actuelle des visiteurs si on opte pour le laissez-faire. Il conviendrait de
dire les choses de façon sans doute politiquement coûteuse, mais réaliste et sincère
: plutôt que de renvoyer systématiquement la balle aux touristes eux-mêmes et
aux tours opérateurs, il faut dire que tout est une question politique à un niveau
local et national. L’éducation du touriste et l’éducation du tour opérateur contre
leurs intérêts, pour les uns, et leur cœur de métier pour les autres. Je doute fort
sur ces stratégies, qui sont nécessaires, mais qui n’apporteront pas les évolutions
urgentes qui sont nécessaires à Angkor. Je suis tout à fait d’accord avec les propos
de Jean-Marie Furt sur le fait que si cette question n’est pas posée avec un certain
courage politique, pas seulement Angkor, mais pratiquement aucun site touristique
ne maîtrise ses flux. On sait que dans plusieurs sites le problème ne sont pas les
touristes mais les mafias locales. Je pense que le code de conduite du touriste est
certes un acte culturellement et symboliquement important mais je crains qu’il ne
réponde qu’aux problèmes périphériques, pas au cœur du problème de la gestion
des flux touristiques. Aujourd’hui ce serait totalement malhonnête de notre part de
dire que on sera étonné si d’ici trois ans le nombre de touristes à Angkor ne soit
pas à 5 millions et demi comme aujourd’hui mais à 7 millions. Un chiffre comme
celui-ci est aujourd’hui tout à fait réaliste. Comment envisage-t-on aujourd’hui de
contrôler les flux à Angkor ? Y a -t-il des réflexions et des projets ? Si oui, qu’estce qu’il empêche de les appliquer ? Peut-on expliquer tous les problèmes comme
un bras de fer entre une gouvernance internationale qui contrôle et qui assure une
qualité de « produit » (le site restauré d’Angkor) et un gouvernement local qui le
« commercialise » mal ? De quelle façon ces deux circuits (produit et diffusion) se
rencontrent-ils ?
Bruno Favel : Il y a des cas extrêmes sur la Liste du patrimoine mondial en
France, Lascaux et la grotte Chauvet qui sont inaccessibles. La grotte de Lascaux
a été fermée. Il a fallu une prise de conscience et comprendre qu’elle était en très
mauvais état. Chauvet dès le départ c’était impossible, aussi pour des raisons
biologiques, on ne pouvait pas respirer l’air. Depuis longtemps on a développé
des artefacts qui connaissent un très grand succès. Si je vous dis cela, c’est que
je trouve invraisemblable que l’on n’ait pas tiré des leçons de la maladie de la
grotte et dans le cas extrême ou il a fallu arrêter les visites à Lascaux pour dire : «
Attention, il y a des sites qui vont mourir ». On dit plutôt « Oh mais on ne peut pas
les interdire ». Des artefacts bien faits peuvent aussi remplacer les sites, mais alors
il faut les spécialistes et des professionnels. Posons-nous néanmoins la question
de la transmission aux générations futures. Est-ce qu’on a le droit de saccager un
patrimoine comme cela au nom du plaisir ? Je rappelle que le tourisme c’est quand
même le principe du plaisir.
Maria Gravari-Barbas : La question est aussi le pourquoi du tourisme. À Angkor
la problématique n’est pas seulement les conditions dans lesquelles les visites
sont faites mais c’est surtout, les retombées locales et leur répartition. La question
pourrait être posée avec cette arrière-pensée (du fait que le tourisme est une activité
économique) cultivée ou à cultiver, dans un objectif prévis de développement local
(et pas seulement l’enrichissement culturel, intellectuel et personnel des visiteurs,
objectifs par ailleurs tout à fait louables).
Azedine Beschaouch : Permettez-moi de parler de politique. Cette année les
chinois dépasseront un million. Cette population est heureuse parce qu’ils achètent,
ils dépensent, ils vont dans des cafés etc. Ces Chinois arrivent en groupes énormes,
cela part dans tous les sens, et ils entrent partout où ils veulent. J’aimerai savoir
quelle est la politique, qui est l’autorité qui peut aller leur dire « mettez-vous comme
cela et pas là »..
Virginie Picon : Il faut réguler pour empêcher que tous les gens aillent au même
moment au même endroit. A partir de telle heure on autorise X personne
Azedine Beschaouch : Réguler les Chinois ? J’aimerai bien voir cela. On ne peut
pas faire cela, non…
Kérya Sun : Non. Vous savez je vais vous dire, depuis janvier de l’année dernière,
non janvier de cette année, le prix des, parce que certains d’entre vous ne payez
pas donc vous ne vous rendez pas compte mais le prix du billet n’avait pas bougé
pendant vingt ans (vingt dollars par jour, quarante pour trois jours consécutifs et
soixante pour sept jours). Récemment, ont augmenté le prix d’une journée à cause
de la clientèle asiatique à trente-sept dollars. C’est presque une augmentation de
100%. Tout le monde avait dit, « oh ça va diminuer la clientèle » eh bien rien du
tout. Le tourisme a continué. Comme quoi ce n’est pas du tout une question de prix.
Je pense qu’il y a une politique à faire et cela je ne sais pas si les experts du CIC
oseront le dire, ouvertement un jour mais il faut le faire pour la régulation des
flux. Je pense que la billetterie, même si c’est tenu par le ministère des finances,
et je travaille beaucoup avec eux, s’il y a une volonté politique du ministère de la
culture avec le CIC de leur expliquer, je pense qu’ils joueront le jeu. Pour la gestion
des flux il faudrait faire une billetterie par pôle. Angkor Vat ne voudra jamais le
vendre avec Bacai parce que tout le monde sait que ce temple est très beau, qu’il a
une signification historique très importante dans l’histoire d’Angkor et y a jamais
personne dans la journée. Le soir les touristes viennent pour le coucher du soleil
qui ne dure même pas une minute. Comme il a tellement de monde on a régulé :
pas plus de trois cents personnes. On a développé d’autres sites pour le coucher du
soleil qui est devenu partout un culte. Si on fait la billetterie par pôle il faut mettre
avec Angkor Vat des temples qui sont magnifiques mais où il n’y a jamais personne
pour pouvoir prolonger le séjour des gens, et leur donner un choix d’aller vers un
temps moins connu. C’est à nous de suggérer cela au gouvernement. Il faut peutêtre qu’on arrive là. Parce qu’il n’est pas question de faire par monuments mais par
pôles pourquoi pas.
Jean-Marie Furt : C’est là que se pose la question de la gestion de ces situations,
mais vous ne pourrez pas dire à un touriste chinois qui vient pour le week-end en
avion depuis le sud de la Chine : « Désolée monsieur, ce week-end Angkor Vat est
plein, aller voir tel autre temple ». Cela ne marche pas. Les gens veulent d’abord
voir les cinq tours d’Angkor Vat, les lotus, le reflet dans l’eau et après ils peuvent
aller voir d’autres choses. On peut donc jouer sur les horaires, sur les circuits de
visite, on peut essayer de rentabiliser au maximum la fréquentation du monument
mais il y a bien un moment où on sera à saturation. Heureusement quand même,
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Angkor Wat c’est plus grand que la Galerie des glaces. Mais maintenant la Galerie
des glaces c’est complètement contingenté. Vous réservez quinze jours à l’avance…
Jacques Fournier : Le président chinois disait qu’il avait 400 millions de touristes
chinois à envoyer.
Maria Gravari-Barbas : Il y a toujours de nouveaux publics. L’augmentation
mondiale du tourisme montre que les flux sont très loin de s’épuiser.
C’est un moment approprié pour présenter Yves Ubelmann, de Société Iconem, car
sans doute, une partie des solutions que nous cherchons viendront du numérique.
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Yves UBELMANN,
Société Iconem
Je vous remercie de m’avoir demandé de faire cette présentation. Je vais
faire un parallèle avec un projet qu’on est en train d’expérimenter. C’est une
expérimentation qui tourne plutôt bien donc avec l’Aga Khan Trust for culture.
C’est une expérimentation que l’on mène en Inde et qui illustre assez bien comment
l’imaginaire numérique 3D peut accompagner les projets de valorisation de sites
touristiques et aussi apporter des réponses à des problématiques dont on a parlé
avant moi dans le débat.
On travaille sur deux sites en parallèle avec ATC justement qui sont des sites de
mausolée moghols. Ce sont des sites assez grands qui font en général 1km carré
avec une quarantaine ou une cinquantaine de mausolées dedans. Il y a un site à
New Delhi et un site à Hyderabad. L’ATC est en train de faire des gros travaux de
rénovation de ses sites pour la valorisation touristique. Dans le cadre de ses travaux
ils nous ont demandé de faire une numérisation 3D intégrale de ces deux sites. Nous
ce qui nous intéresse ce sont des numérisations multiscalaires. On va numériser à
la fois l’échelle des paysages, l’échelle de l’architecture, l’échelle de la sculpture,
l’échelle des décors, et on crée une base de données qui sont des nuages de points
avec des milliards de points dans lequel on peut se promener à travers le site.
Nous fonctionnons avec des centaines de milliers d’images, obtenues avec des
drones, et avec différentes techniques. Nous produisons des nuages de points qui
présentent le site et tous ses mausolées jusqu’au détail. Ce ne sont pas des photos
mais des modèles 3D : on peut par exemple « entrer » dans les mausolées. A l’origine
on avait fait cela pour la restauration et pour accompagner le travail des architectes.
Je parlerai de ces aspects le mois prochain au comité à Angkor : comment utiliser
cela dans le cadre des projets de conservation. Mais on s’est aperçu petit à petit que
cela allait servir énormément pour le plan de valorisation.
En fait on a créé à partir de ses modèles 3D un masterplan général qui a permis
aux architectes et aux paysagistes de cartographier de manière très précise
les constructions illégales. Ce travail est dynamique, c’est à dire on retourne
régulièrement sur le terrain et on arrive à voir l’évolution des constructions illégales
et de prendre des mesures adéquates. On a réussi aussi à voir aussi l’évolution de
la végétation, je pense aussi que c’est un point assez important pour Angkor. C’est-
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à-dire que toute cette cartographie permet de voir tous les phénomènes éphémères
dans les sites notamment la végétation ; pour les paysagistes c’était intéressant aussi
parce qu’on a pu déterminer l’essence de toutes les végétations grâce à ce master
plan 3D en général et aussi bien sûr à la modélisation des flux. Ce qui est intéressant
c’est que dans le même modèle on a à la fois le km carré du site et les intérieurs
et on peut modéliser assez facilement justement les flux touristiques et voir les
limites dans les visites des intérieurs et savoir les mausolées qu’on allait ouvrir
et ceux qu’on n’allait pas pouvoir ouvrir justement pour éviter d’avoir un flux
continu de touristes qui allaient abimer le mausolée. Tout cela, ce premier point, ces
techniques, représentent d’abord une aide à la conception et à la valorisation, pour
le master plan de ses sites qui sont assez grands et on s’est aperçu que cela servait
aussi, que cela apportait des réponses à des problématiques dont on a parlé ici, de
fréquentation de masse touristique.
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Alors en quoi cela peut répondre à ces points-là ? Ce qui se passe dans les sites
comme cela quand les touristes commencent à arriver ; on est à un taux de
fréquentation d’environ 2 millions de touristes par an. On en attend 4 millions dans
les prochaines années, quand le parc va vraiment ouvrir parce que là le parc n’est pas
complètement ouvert. Qu’est-ce qui se passe ? De plus en plus on décide de rendre
inaccessible certains sites pour les préserver de l’érosion touristique ; de plus en
plus des dispositifs de protection se développent pour limiter le contact du touriste
avec le bâtiment. On créée des pontons, des passages, et du coup l’expérience de
visite est abimée, on voit de plus en plus de dispositifs et moins de bâtiments, donc
on s’est aperçu avec la ATC que tout ce corpus numérique que l’on crée permettait
de retrouver une expérience de visite virtuelle qui redonne à voir le site dans une
certaine authenticité, avant qu’on ait rajouté tous ces différents dispositifs qui sont
nécessaires à la protection du site.
Cela c’était le premier point ; le deuxième point est que face au flot des touristes
de masse il faut essayer de créer des chemins de détournement. On construit des
centres d’interprétation à côté des sites pour détourner les touristes et les occuper
avant qu’ils aillent visiter le site lui-même. Cela se développe partout dans le monde,
c’est quelque chose sur lequel on travaille dans le cadre de ce travail. Ces centres
d’interprétation on ne sait jamais exactement ce que c’est, et qu’est-ce qu’il faut
mettre dedans, parce que souvent on n’a pas d’objets ou de collections à présenter.
L’idée avec la ATC a été de tirer parti de tout ce corpus numérique et de créer des
expositions virtuelles à l’intérieur de ce centre d’interprétation. Cela a été fait pour
New Delhi et pour le site d’Hyderabad. L’idée c’est de recréer dans un environnement
climatisé et reposant - dans un pays ou les chaleurs montent jusqu’à 45 degrés l’été
– une expérience de visite confortable, dans un environnement agréable, reposant.
On y crée et on scénarise une visite à travers les images numériques donc une
visite immersive qui va être explicative. Les visiteurs profitent d’images qui vont
expliquer le site y compris des éléments que l’on ne peut pas voir quand on visite in
situ parce que tout n’est pas accessible justement.
Pour contrebalancer le fait que l’accessibilité du site diminue quand le flot touristique
augmente on redonne une accessibilité via ces techniques numériques par le biais
de ces centres d’interprétation. On est en train de construire le projet scénaristique
de ce centre d’interprétation. Pour illustrer un peu ce qu’on peut faire comme visite
immersive, je vous présente des images et une vidéo préparées dans le cadre de
l’exposition au Grand Palais appelée « Cités éternelles ». L’idée c’était de transporter
des sites qui malheureusement aujourd’hui ne sont plus accessibles en Syrie et en
Irak, de les transporter à Paris par ces technologies numériques et pour faire en
sorte que le public parisien puisse découvrir ses sites en les remettant à l’échelle
grâce à des projections. Aujourd’hui on peut recontextualiser des espaces et faire en
sorte que le visiteur puisse se promener à l’intérieur de cet espace en les projetant à
l’échelle. On avait quatre sites : Khorsabad, Palmyre, Le Crac des chevaliers et la
Mosquée des Omeyades. En faisant une projection à 360 degrés autour du visiteur
on arrivait à le replonger dans l’évolution de l’architecture. C’est en se basant sur
ses modèles qu’on construit la scénarisation du centre d’interprétation que la ATC
est en train de créer sur ces deux sites d’Hyderabad et de New Delhi.
Cette présentation vise à faire réfléchir au potentiel du numérique qui va apporter
aussi un nouveau type de tourisme, un « tourisme virtuel ». Celui-ci va compléter
la visite concrète. Il ne la remplace pas bien sûr mais qui la complète. Il permettra
d’absorber l’augmentation du tourisme qui aujourd’hui pose un vrai problème.
Virginie Picon-Lefebvre : Je trouve cela vraiment formidable mais je ne suis pas très
convaincue sur le fait que cela va diminuer la pression sur le site. C’est formidable
parce que cela permet plein de choses que ne permet pas la visite physique sur le
site et je pense qu’il serait formidable qu’on ait plus de dispositifs sur le site, par
exemple pour les personnes à mobilité réduite. On a plein de sites avec des escaliers
infranchissables, on ne peut pas penser qu’on va mettre des ascenseurs pour monter
les fauteuils donc donner à voir des choses que l’on ne peut pas voir si on n’est
pas mobile rien que pour cela c’est formidable. Et en plus je pense que cela peut
donner des instruments d’éducation ou de formation. On se promène dans quelque
chose qui n’est pas le troisième âge mais qui malheureusement, avant pour projeter
sur un écran c’était complètement autre chose. Je trouve qu’il y a une potentialité
a minima de sujets. Mais il y a aussi la question de la restauration. C’est-à-dire
montrer des choses qui se sont écroulées. Cela pose la question effectivement qu’on
posait tout à l’heure, est-ce qu’il faut remonter des temples détruits ou est-ce qu’il
ne faut pas conserver les deux c’est-à-dire à la fois l’extérieur de la destruction qui
est une méditation peut être occidentale sur les ruines qui est à mon avis au-delà de
la question du romantisme et du pittoresque, est vraiment un objet culturel en soit
la question des ruines. Pouvoir montrer, par un dispositif en immersion, on a d’une
certaine manière les deux expériences qui se complètent.
Azedine Beschaouch : Est-ce que quand même est appliqué le projet de restauration
d’Alep comme cela a été annoncé, vous y êtes ?
Yves Ubelmann : Bien sûr.
Azzedine Beschaouch : Cela est très important. Cela c’est un autre problème, cela
c’est une destruction mais cela n’a pas eu lieu. Au-delà de la politique, on n’a pas le
droit de laisser la ville d’Alep dans l’état ou elle est. Sinon c’est la victoire à jamais
de tous ces terroristes.
Yves Ubelmann : Alors là c’est une autre problématique, celle de l’intervention
d’urgence à Alep. Effectivement pour nous ce qui a été important c’est juste après
les destructions avant que commencent les premières reconstructions. Parce que
les reconstructions ont déjà commencé, les gens réinvestissent la ville aujourd’hui
et c’est cela qui pose problème, ce n’est pas tant la destruction elle-même que la
réexploitation immédiate de la ville. Les maisons mais aussi du souk, c’est-à-dire
que le souk attire les convoitises de nombreux capitaux, de pays différents tout
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autour, et donc il y a énormément de projets qui sont en train de se faire sur les
souks d’Alep et qui ne sont pas forcément tous dans le respect de conservation et
du monument ancien.
Azzedine Beschaouch : Vous intervenez à Alep ?
Yves Ubelmann : On est déjà intervenu pour créer l’imagerie objective juste à la fin
des combats, c’est-à-dire quelques jours après la fin des combats. Et cela a servi. Y
compris pour la mosquée Al Mayad et du minaret qui s’est effondré.
Maria Gravari-Barbas remercie l’ensemble des intervenants et participants,
conclut brièvement sur les suites à donner pour le compte-rendu du séminaire et
clôture la journée
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Mise en page : Chloé Barbas
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