Aurélie Palud, agrégée de lettres modernes, docteure en littérature comparée, a soutenu sa thèse sur « la contagion des imaginaires : lectures camusiennes du récit d’épidémie contemporain », dont la publication est prévue cet été, aux Presses universitaires de Rennes. Elle nous éclaire sur l’imaginaire social et intime qu’exprime cette littérature, qui connaît en Italie un spectaculaire regain d’intérêt.
Quel est le premier récit d’épidémie, dans l’histoire littéraire, puis la période où celui-ci a essaimé ?
Il est fait mention d’une épidémie dans l’Iliade, d’Homère. Agamemnon tient captive Chryséis, la fille d’un prêtre troyen d’Apollon. Aussi Apollon envoie-t-il la peste sur l’armée grecque pour se venger. On trouve déjà l’association entre guerre et peste que la littérature des siècles suivants récupérera. Non seulement la peste émerge souvent en contexte de guerre, par exemple les prémices de la guerre d’indépendance italienne dans Le Hussard sur le toit, de Jean Giono [Gallimard, 1951], mais elle oblige les hommes à entrer en guerre contre la maladie.
Les romans contemporains se nourrissent de motifs littéraires plurisé,culaires mais tendent également à les renouveler. Paru en 1947, La Peste, d’Albert Camus [Gallimard], a eu une influence sur des récits d’épidémie des années 1980-2000 : L’Aveuglement, de José Saramago [Seuil, 1997], L’Amour au temps du choléra, de Gabriel Garcia Marquez [Grasset, 1987], La Quarantaine, de J. M. G. Le Clézio [Gallimard, 1995], Un mal qui répand la terreur, de Stewart O’Nan [L’Olivier, 2001], Les Vertus de l’oiseau solitaire, de Juan Goytisolo [Fayard, 1990], et Le Mur de la peste, d’André Brink [Stock, 1984]. La résurgence de cette thématique à partir de 1980 n’est pas sans lien avec l’émergence du sida.
En quoi chacun de ces romans reflète-t-il un imaginaire social ?
Par-delà la réalité médicale et les mesures prophylactiques, l’épidémie favorise le déploiement d’images, de rumeurs, de discours qui tendent à distordre la réalité du mal. Confrontés à un ennemi invisible, les individus peuvent sous-estimer l’épidémie et la banaliser ou exagérer son impact, ce qui génère des propos et des comportements inattendus. Alors que la quarantaine pourrait favoriser la création d’une nouvelle société, elle tend à dévoiler des préjugés latents et des rapports de domination plus ou moins assumés. Les récits offrent un miroir grossissant de l’homme dès lors qu’ils mettent en exergue sa folie et sa possible régression, tout en célébrant sa capacité à s’adapter aux circonstances exceptionnelles, à développer des stratégies pour lutter contre la maladie, à prendre soin d’autrui pour sauver la dignité humaine.
Il vous reste 69.77% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.