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Les armes exhibées dans les vidéos d'affrontements à Dijon sont-elles réelles ou factices ?

De nombreuses vidéos, tournées dans la ville de Bourgogne à la suite d'altercations entre différentes communautés, montrent des hommes cagoulés et armés, parfois lourdement. Plusieurs éléments indiquent que certaines armes sont authentiques.
par Fabien Leboucq et Anaïs Condomines
publié le 16 juin 2020 à 19h46

Question posée le 16/06/2020

Bonjour,

Vous nous saisissez suite aux évènements qui se déroulent depuis quelques jours à Dijon (Côte-d'Or). La ville est le théâtre d'affrontements violents et inédits entre des membres de la communauté tchétchène et des habitants dijonnais, sur fond de règlements de comptes «communautaires», selon les mots du procureur de la République.

Dès vendredi, les violences et intimidations entre les deux camps ont débuté, après le passage à tabac d'un jeune homme appartenant à la communauté tchétchène «par des personnes issues de la communauté maghrébine», a précisé le magistrat. Une escalade de violence qui a fait jusqu'à présent une dizaine de blessés au cours de rixes ou encore d'un impressionnant accident de voiture. Une équipe de France 3 Bourgogne-Franche-Comté a également été violemment prise à partie, dans ce contexte, suscitant le dépôt d'une plainte.

Vous nous interrogez sur des vidéos massivement partagées depuis lundi soir, souvent d’abord sur Snapchat puis sur Twitter. On y voit des individus dans les quartiers dijonnais des Grésilles et de Saint-Apollinaire. Certaines de ces personnes sont cagoulées et semblent porter des gilets pare-balles. Surtout, elles exhibent des armes de poing, mais aussi des armes qui semblent être de plus gros calibre.

Une partie du succès de ces vidéos en ligne a été entretenu par des militants d’extrême droite, qui les ont relayées – comme l’identitaire Damien Rieu.

Certaines images donnent à voir des jeunes hommes posant fièrement avec leurs armes, qu’ils brandissent à bout de bras.

Ces vidéos, qui ont gagné en audience à partir de lundi soir, ont vraisemblablement été tournées le jour même, dans un contexte qui, paradoxalement, s'était un peu pacifié par rapport aux jours précédents, marqués par de violents affrontements. Selon le préfet, les membres de la communauté tchétchène présents en nombre à Dijon jusque-là n'étaient plus impliqués dans les rassemblements en début de semaine. «Nous n'avons identifié aucune présence extérieure, ce sont des personnes originaires de Dijon», a ainsi assuré Bernard Schmeltz auprès de l'AFP. Lundi soir, aucun blessé n'a été déploré par les autorités.

Il semblerait que ces scènes filmées s'inscrivent dans une forme de démonstration de force de la part des Dijonnais, une fois les bandes rivales parties. Dans plusieurs de ces vidéos, on entend toutefois des invectives ou des menaces contre cette communauté, comme «à mort les Tchétchènes», par exemple. Reste à savoir si les armes qu'on voit dans ces mises en scène sont factices, ou bien réelles.

Airsoft et «revolver de défense»

Par définition, il est compliqué de distinguer une réplique airsoft d’une véritable arme à feu, les premières étant conçues comme des imitations. Ces armes, dont le port est permis à partir de 18 ans, tirent des billes en plastique et peuvent être achetées à partir d’une petite centaine d’euros. Les répliques d’assaut électriques (AEG) sont particulièrement prisées par les joueurs et permettent de tirer en rafales.

Selon Benoît Marius, président de la Fédération française d'airsoft (FFA), contacté par CheckNews, «il est très compliqué de faire la différence entre une réplique et une arme, simplement d'après le visuel. Sur certaines répliques, les chargeurs à molettes permettent de les distinguer, mais pas sur toutes. Par ailleurs, le poids n'est pas non plus un critère, la plupart des répliques faisant le même poids que les armes réelles. Nous sommes conscients du fait que certaines répliques peuvent prêter à confusion, c'est pourquoi nous recommandons de ne pas les sortir en public, y compris lors de trajets.»

Autre cas de figure : des armes présentées dans les vidéos pourraient être des armes tirant des billes en caoutchouc. Ainsi, dans la première vidéo de cet article, au bout de vingt secondes, un internaute pense reconnaître un modèle correspondant à un «revolver de défense» de marque Umarex.

«Les armes réelles ne sont pas la majorité des armes exhibées»

Du côté des autorités, on se montre davantage affirmatif. Lors d'un point presse à Dijon, le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur Laurent Nuñez a estimé qu'il n'y a «pas de raison de penser» que les armes exposées dans les vidéos soient des armes factices. «Pour partie c'était des armes réelles, en tout cas c'est ce que m'ont dit les policiers», a-t-il complété.

Une déclaration que vient corroborer une source policière sur place auprès de CheckNews : «Très clairement, il y a les deux : des armes factices et des réelles. Il y a des tirs à l'arme réelle et au fusil d'assaut. Les douilles et balles retrouvées au sol laissent peu de doute quant à la présence de kalachnikov à Dijon. Des impacts retrouvés dans les lampadaires ont aussi été faits au fusil de chasse calibre 12.» Sur ce point, une personne proche des hommes en armes que l'on voit dans les vidéos nous glisse : «Je n'ai rien à voir là-dedans, mais je vous dis juste que les caméras [de vidéosurveillance] n'ont pas sauté toutes seules.» Une référence à peine voilée à des vidéos (également relayées à l'extrême droite du web) où des hommes semblent tirer sur des caméras de vidéosurveillance.

«Je dois dire qu'à mon sens, les armes réelles ne sont pas la majorité des armes exhibées. Il y a aussi beaucoup d'airsoft et de mise en scène», poursuit notre source policière. Qui précise qu'il n'y a pas eu pour le moment de saisie d'armes.

Un blessé par balle

Autre indice qui permet de reconnaître une réplique et d'attester de la présence d'armes réelles lundi soir, dans le quartier des Grésilles : les détonations. Ces dernières peuvent être entendues, notamment, sur ces vidéos. CheckNews a soumis ces documents au président de la FFA. Benoît Marius «confirme sans l'ombre d'un doute qu'elles n'ont pas été causées par des répliques d'airsoft. Le bruit d'une réplique d'airsoft est provoqué par un mécanisme à air comprimé via un petit piston, voire, pour certaines, au claquement d'une pièce en métal. Mais il n'y a aucune détonation et les bruits sont loin d'être aussi bruyants. Je ne peux pas vous garantir qu'il n'y a aucune réplique d'airsoft dans le lot, mais les détonations entendues ne peuvent, en aucun cas, être causées par des répliques d'airsoft».

A lire aussi : A Dijon, une mise «en scène de la solidarité entre Tchétchènes»

Par ailleurs, preuve d'une circulation effective d'armes réelles à Dijon, le parquet a confirmé un blessé par balles samedi soir.

A noter que, si ces répliques d'airsoft ne sont pas classifiées comme des armes à feu et que leur vente est légale, leur utilisation peut tomber sous le coup de la loi si elles sont utilisées pour menacer, blesser ou tuer. D'après le code pénal, elles peuvent alors être considérées comme des armes par destination.

A Dijon, une enquête a été ouverte pour tentative de meurtre en bande organisée, dégradations, incitation à la violence, en cosaisine entre la police judiciaire et la sécurité publique.

Cordialement,

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Un Bruxellois de 19 ans accuse les forces de l'ordre de l'avoir «tapé» et «insulté» en marge d'une manifestation en hommage à George Floyd dans la capitale belge, le 7 juin 2020. Alors que la vidéo où le jeune homme apparaît le visage tuméfié devient virale, les journalistes Anaïs Condomines et Vincent Coquaz tentent de remonter à la source de l'histoire.

Pour aller plus loin :

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