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ReportageMonde

Coronavirus : aux Pays-Bas, le gouvernement mise sur le « confinement intelligent »

Tandis que les Français doivent rester enfermés chez eux pour empêcher la propagation du Covid-19, les Pays-Bas misent sur « l’immunité collective » et le « confinement intelligent ». Avec le souci de préserver les libertés en s’appuyant sur le sens de la responsabilité collective.

  • Amsterdam, (Pays-Bas), correspondance

Avec une population de 17 millions d’habitants, les Pays-Bas ont un nombre de morts du coronavirus relativement élevé : 1.867, d’après l’Institut national de la santé publique et de l’environnement (RIVM). Pourtant, mardi 31 mars, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a annoncé lors d’une conférence de presse qu’il n’y aurait pas de changement de mesure dans le pays. « L’immunité collective » ou « le confinement intelligent » reste la tactique privilégiée par le gouvernement.

« Tant que les capacités de soins intensifs ont de la place, cette option reste la meilleure » selon le docteur Kees Brinkman, immunologue et spécialiste des maladies infectieuses. « Notre capacité en temps normal est de 1.150 lits, nous l’avons légèrement augmentée et nous pouvons aller jusqu’à 2.400 maximum. Au-delà, nous n’aurons pas assez de personnel pour gérer les malades. » Une infirmière spécialisée en soin intensif s’occupe d’ordinaire d’un voire deux lits maximum, « depuis le début de la pandémie, elles sont passées de deux à trois patients par personne » indique Margriet Bakker, porte-parole de l’association professionnelle des infirmiers V&VN. Comme en France, les tests sont uniquement effectués sur les personnes qui présentent des symptômes sévères du coronavirus. Le gouvernement a toutefois annoncé qu’ils seraient étendus — de 4.000 tests par jours à 17.500 — poussé par la colère du personnel soignant.

Malgré ces chiffres inquiétants, les Néerlandais vivent quasiment comme à l’accoutumée. Même si les restaurants, bars, coffee shops et écoles sont fermés, et ce jusqu’au 28 avril, la population est invitée — et non contrainte — à rester chez elle le plus possible. Les règles à respecter sont cependant confuses. Les habitants des Pays-Bas peuvent se réunir, mais à trois maximum, que ce soit chez eux ou dehors, en respectant une distance de sécurité d’un mètre cinquante. Les restaurants ont également la possibilité de rester ouverts s’ils pratiquent la vente à emporter. Les magasins ne sont pas non plus contraints de fermer s’ils respectent les distances de sécurité et n’accueillent pas plus de deux personnes à l’intérieur.

Dans le centre-ville, un homme animait les rues tout en respectant les consignes de sécurité.

Pour que « l’immunité collective » fonctionne, il faudrait que 50 à 60 % de la population soit atteinte du coronavirus, selon Jaap Van Dissel, directeur du Centre de contrôle des maladies infectieuses du RIVM.

Si le Covid-19 doit contaminer une grande partie de la population néerlandaise, certaines personnes sont plus fragiles face au virus que d’autres. L’idée du « confinement intelligent » est « inconsidérée, pour les personnes vulnérables et particulièrement pour les infirmières, si les gens n’écoutent pas les conseils du gouvernement » juge Frederieke Vos, infirmière à l’hôpital UMC, à Amsterdam. « Les personnes âgées et en moins bonne santé se doivent de faire plus attention. »

Les plus fragiles continuent de se promener dans la ville et de faire leurs courses comme si de rien n’était. « Notre magasin, Albert Heijn, est ouvert de 7 h à 8 h pour les seniors mais on en voit quand même toute la journée et pour certains, tous les jours ou plusieurs fois par semaine », témoigne Coline Mauxion, employée du supermarché.

Une démocratie « fière et adulte »

La mairie d’Amsterdam, conseillée par le service de santé publique néerlandais (GGD), a demandé à ce que la plupart des refuges pour sans-abri ne soient ouverts que la nuit. « La GGD a annoncé qu’il est dangereux d’enfermer un grand nombre de personnes à l’intérieur durant la journée. Pourtant la nuit, les personnes vivant dans la rue peuvent se réunir dans des gymnases ouverts à l’occasion par groupe de cinquante. Ce n’est pas logique », regrette Savannah Koolen, fondatrice de l’ONG Here to Support, qui s’occupe de personnes sans papiers à Amsterdam. « Je peux comprendre qu’il soit difficile pour la municipalité de trouver de la place où les personnes peuvent s’abriter, mais les réfugiés sont victimes de racisme, ils sont perdus, c’est une vie très dure. » Les personnes sans domicile fixe peuvent bénéficier d’un toit à partir de 16 h dans la capitale néerlandaise depuis le début de la pandémie, mais doivent quitter les lieux à 9 h du matin.

Les Néerlandais trouvent toutefois un commun accord sur le principe de liberté individuelle. « Nous aurions pu faire comme la Corée du Sud par exemple : tester tout le monde et isoler les personnes contaminées », dit à Reporterre le spécialiste en immunologie Kees Brinkman, « mais c’est quelque chose qui ne peut pas se dérouler ici. Nous sommes habitués à notre liberté, et jamais nous ne serions d’accord pour que la police nous suive partout. Nous sommes cependant responsables et disciplinés ».

Une file de gens attendant en respectant les distances pour profiter d’une glace.

Le gouvernement de Mark Rutte répétait le 31 mars à quel point il était « fier » de sa démocratie « adulte » face à la baisse drastique de fréquentation dans les lieux publics des villes du pays. D’après un rapport sur la tendance de mobilité publié par Google reposant sur les données anonymes de Google Maps, les habitants des Pays-Bas passent 65 % de temps en moins dans les endroits publics comme les parcs depuis le début de la pandémie. Pour ce qui est des transports en commun, la fréquentation a baissé de 68 %.

Le « confinement intelligent » fonctionnerait donc correctement. Des mesures sont aussi appliquées dans le pays pour venir en aide aux plus démunis. « Il y a d’abord eu une concentration pour la protection des groupes plus faibles — les personnes âgées, malades — et plus tard, il y a eu un soutien pour les autres personnes fragiles (sans abri, familles sans emploi...). Il y a beaucoup d’aides pour les personnes vivant dans la précarité. Bien sûr, on pourrait toujours faire mieux, et on devrait faire mieux… », explique à Reporterre le docteur Christian Bröeur, du département de sociologie à l’université d’Amsterdam.

Les personnes en maison de retraite n’ont plus le droit de prendre les transports en commun et ne peuvent plus recevoir de visites. « C’est la meilleure décision pour protéger nos aînés », affirme Amélie van der Veen, docteure dans une maison de retraite. De surcroît, des campagnes ont été lancées en soutien aux citoyens âgés, comme Luisterlijn, une organisation bénévole d’écoute aux personnes en détresse. Ils répondent à environ 1.200 appels par jour depuis le début de la pandémie, selon le site web de l’association.

Le système de santé néerlandais existe sous sa forme actuelle depuis 2006. Il est considéré comme un des meilleurs d’Europe selon la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap|Un laboratoire d’idées français créé en 1985]). La structure de l’assurance a un caractère privé — elle coûte environ cent euros par mois —, mais elle est régie par des conditions fixées par les pouvoirs publics qui comportent une assurance de base pour tous et des compensations pour les personnes à revenus modestes. Ce système explique le sentiment de sécurité qui règne aux Pays-Bas.

Les ONG s’accordent à dire que le pays fait du bon travail pour respecter les droits de l’Homme et les libertés publiques

« Le gouvernement a investi énormément d’argent pour fournir un support économique aux petites et moyennes entreprises, pour qu’ils ne renvoient pas leur personnel, et pour les auto-entrepreneurs. Je ne pense pas que la stratégie du gouvernement néerlandais mette les personnes vulnérables plus en danger que n’importe quelle autre méthode contre le coronavirus », dit à Reporterre Stuart Blume, professeur émérite au département d’anthropologie de l’université d’Amsterdam.

Les ONG s’accordent à dire que le pays fait du bon travail pour respecter les droits de l’Homme et les libertés publiques. « Aux Pays-Bas, le gouvernement prend soin de la situation et fait des efforts pour les réfugiés et demandeurs d’asile. Il n’y a pas de discrimination dans les soins hospitaliers, ni de sélection comme dans certaines autres régions du monde », atteste Sradhanand Sital, président de l’ONG Global Human Rights Defense, à la Haye.

Sur la banderole de ces réfugiés, soutenus par l’ONG Here to support à Amsterdam : « Je resterais à la maison si j’en avais une. »

À Rotterdam et Amsterdam, des lits ont été installés dans d’anciens hôtels pour que les personnes sans domicile fixe puissent être soignées en cas de début de symptômes du coronavirus. « Il y a 70 places à Amsterdam qui ne sont pas toutes occupées, indique Savannah Koolen. Il est cependant difficile d’expliquer aux personnes sans papiers qu’elles peuvent avoir un lit si elles sont malades, et qu’elles doivent errer dans la rue si elles ne le sont pas, même si cette action amstellodamoise est honorable. »

Lundi 6 avril, à 13 h 30, le nombre de patients admis en soins intensifs atteints de symptômes du Covid-19 aux Pays-Bas était de 1.238, dix de moins que la veille, selon les données de RIVM. Une tendance à la baisse déjà observée vendredi 4 avril.

« Il est trop tôt pour être optimiste » a cependant averti Diederik Gommers, président de l’association des soins intensifs (NVIC) lors d’un discours télévisé lundi 6 avril, alors que la situation semble se stabiliser dans le pays. Il attend une augmentation des patients admis en soins intensifs lors des deux prochaines semaines. « Ils seront probablement 2.000, cela sera déjà trop pour les hôpitaux. »

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