Les registres de l’hémophilie et les résultats cliniques

Le 18 février, le Consortium européen de l’hémophilie (EHC) a organisé une table ronde au Parlement européen, à Bruxelles, sur les registres de l’hémophilie et les résultats cliniques. Sujet simple à première vue, il est en réalité bien plus complexe et au cœur d’un enjeu important. Susan Cammas a eu l’occasion d’y assister et vous raconte.

« Réunir autour de la table différents acteurs, c’est-à-dire différents types de personnes impliquées dans les soins de l’hémophilie comme les médecins, les patients, l’industrie, les politiciens et les représentants des agences de régulation a permis d’avoir une conversation ouverte sur la question des registres de l’hémophilie.

Le Parlement européen est la seule institution européenne qui ait des représentants élus. Élus parmi le peuple, et pour servir les intérêts des citoyens européens. En tant que tel, il est bon d’y amener les questions communautaires, afin que les membres du Parlement européen (MPE) puissent prendre des décisions éclairées lors de l’élaboration des lois. Les problèmes auxquels la communauté des hémophiles est confrontée ne sont pas si différents de ceux des autres communautés de patients qui s’occupent aussi de registres, et l’expérience de la communauté des hémophiles peut probablement être appliquée à d’autres domaines médicaux, aux médicaments et même aux dispositifs médicaux.

La table ronde a été présidé par Katalin Cseh (Députée européenne hongroise). Des participants du Danemark, de la France, de l’Inde, de l’Irlande du Portugal de la Roumanie, de la Slovénie, et de la Suède, y ont assisté.

Si l’événement porte sur l’hémophilie, il faut essayer également de garder à l’esprit la manière dont cette question peut concerner d’autres troubles rares de la coagulation. Il est bon d’avoir une perspective multidisciplinaire sur un sujet particulier afin de pouvoir travailler ensemble de manière constructive pour obtenir de meilleurs soins pour la communauté.

Centralisation et uniformité : enjeux

Dans son exposé « Les questions relatives aux approches européennes et mondiales de la collecte de données », le Professeur Cédric Hermans, Cliniques – Universitaires St Luc, (Bruxelles) fait remarquer que selon les 10 principes européens de soins de l’hémophilie (EHC/WFH) chaque pays devrait disposer d’un registre national des patients hémophiles géré par une organisation centrale d’hémophilie. Il faut une organisation solide avec un comité directeur national qui inclut les patients, un mécanisme permettant aux patients de signaler leurs saignements et un financement indépendant (garanti par le prestataire de soins de santé).

Les données du registre peuvent être utilisées pour faciliter la planification et l’allocation des ressources et pour fournir des informations précises sur le nombre de patients, les habitudes de prescription, la répartition géographique et les effets indésirables.

Tous les registres doivent être tenus avec une attention appropriée à la confidentialité, à la réglementation nationale et aux meilleures pratiques éthiques locales.

La raison pour laquelle le sujet des registres a été identifié pour cette table ronde est qu’aujourd’hui, le paysage des registres est un peu en désordre. A ce jour, il n’y a pas de structure paneuropéenne pour la gestion, la conception ou l’hébergement de ces registres. Certains pays ont d’excellents registres, comme la France avec le réseau France Coag et le Royaume-Uni qui maintient un registre national. Ils parviennent à collecter des données pertinentes, à les analyser et à publier des articles qui ont un réel impact sur la pratique clinique, avec le développement d’inhibiteurs, par exemple. 

Cependant, dans la majorité des autres pays, plusieurs niveaux de registres coexistent : Registre des patients dans le centre de traitement, Registres régionaux ou centres de traitement collaborant localement, Registre national, Registres et collections de données européens et transrégionaux, Collections de données et registres internationaux, Collecte de données à l’initiative de l’industrie. Ils sont mis en place par différentes parties prenantes à différents moments et se concentrent sur différents aspects de la maladie, de sorte que certains pays se retrouvent avec plusieurs registres nationaux dont l’interopérabilité est nulle ou mineure. 

En Belgique, par exemple où il n’y a pas de registre national d’hémophiles, beaucoup de patients sont inclus dans les registres locaux, EUHASS (Surveillance européenne de la sécurité de l’hémophilie), des registres de post commercialisation ou certains patients sont inclus dans le WBDR. Ceci induit évidemment une multiplication de consentements éclairés. 

Cette situation ne permet pas d’examiner toutes les données et de poursuivre les recherches. Pour obtenir des résultats significatifs, il faut des cohortes de patients plus importantes. Ces résultats ne peuvent être obtenus qu’en utilisant des bases de données mondiales. Le Registre mondial des troubles de la coagulation de la FMH (WBDR) fut conçu en mettant l’accent sur les aspects démographiques, diagnostiques et cliniques de chaque individu ; à ce jour, 38 pays sont inscrits, avec 80 CTH (4644 personnes atteintes d’hémophilie).

Les questions liées aux registres existent depuis un certain temps, mais il faut à nouveau aborder le sujet car une nouvelle ère de traitement arrive, apportant des concepts de traitement différents. Certains sont déjà là, comme la demi-vie prolongée et les anticorps bispécifiques, et d’autres, comme les agents de rééquilibrage et la thérapie génique, qui changent complètement le paysage des traitements, arriveront bientôt. 

Amélioration des soins et la compréhension des nouveaux traitements

L’exposé de Caroline Voltz par vidéo conférence sur « L’utilisation des registres à des fins réglementaires : la vision du European Medicines Agency (EMA) » conclu que l’expérience acquise avec les médicaments contre l’hémophilie a montré les avantages supplémentaires que présente l’utilisation de registres dans diverses situations pour caractériser les risques et permettre une comparaison de la sécurité, pour obtenir une notification rapide des effets indésirables graves des médicaments afin de permettre une action réglementaire rapide si nécessaire et pour obtenir des données sur la sécurité et l’efficacité à long terme des médicaments afin d’obtenir des données sur l’efficacité à long terme.

Il faut comprendre les profils de sécurité et d’efficacité de tous les produits, anciens et nouveaux. Mais on ne doit pas non plus négliger les signaux qui ne sont pas directement liés à la sécurité du médicament lui-même. Il faut mieux comprendre la façon dont les médicaments agissent et être en mesure de répondre à des questions telles que « Et s’il existe des facteurs qui rendent un patient plus adapté qu’un autre pour un traitement particulier » ou « Et si, en augmentant les niveaux de coagulation, l’évolution naturelle de la maladie est modifiée d’une manière à laquelle on n’avait pas pensé ? « 

Il faut être plus astucieux dans la façon dont on organise les registres et se mettre d’accord sur le choix des données collectées et sur la manière dont elles sont classées dans une base de données. On doit être en mesure de disposer de registres interopérables afin d’élargir le pool de données pour identifier les signaux qui permettent d’améliorer la manière dont on dispense les traitements et les soins. Le registre de la République Tchèque en est un bon exemple. Il a été intégré au Registre mondial des troubles de la coagulation (WBDR) de la Fédération mondiale de l’hémophilie (FMH). Cette approche collaborative est le type de réflexion nécessaire, et on doit les féliciter pour cet effort.

Plusieurs participants ont fait remarquer que la collecte de données allait changer radicalement avec les applications et les appareils portables, comme les montres intelligentes, etc. Ces nouveaux développements technologiques peuvent en effet permettre l’accès à une énorme quantité de données qui ne sont pas seulement liées aux saignements et aux régimes de traitement, mais aussi à d’autres paramètres de la qualité de vie, comme l’exercice physique, la capacité à marcher, la qualité du sommeil, etc. C’est une manière passive pour les patients de fournir des informations qui peuvent les aider à améliorer leur propre prise de décision ; cependant, il est vraiment nécessaire de planifier à l’avance car ces données devront toujours être introduites dans une base de données et elles devront être analysées pour obtenir un retour d’information tangible et bénéfique. Pour ce faire, il faut une structure.

En Irlande, ils ont créé un dossier de santé électronique national pour les troubles hémorragiques. Il a des fonctions de dossier médical individuel ET de registre national. Il permet de renforcer la coopération et l’échange d’informations entre les différents médecins qui traitent et soignent les personnes atteintes d’hémophilie et une réduction significative de coûts de fourniture des FIIIV, FIX et vWF. Le portail des patients est un site web sécurisé qui permet aux patients connectés à Internet d’accéder facilement, 24 heures sur 24, à des informations personnelles sur la santé, où qu’ils soient. Ceci procure un certain nombre d’avantages : l’accès aux informations essentielles sur la santé, le partage d’informations sur les soins de santé, la contribution du patient au dossier médical, la correction d’une date erronée, des voies de communication bidirectionnelles entre les patients et l’équipe de soins, l’autonomisation des patients et un modèle de soins plus centré sur le patient renforçant ainsi l’importance de la relation patient-médecin et de l’engagement des patients dans la collecte de données sur l’hémophilie.

La question de la confidentialité des données a également été soulevée. Comme l’a souligné le Dr Niamh O’Connell, il est vraiment important que les patients aient confiance dans le fait que leurs données soient conservées et traitées avec soin et utilisées de manière appropriée. Il s’agit vraiment d’informations très sensibles que les patients partagent avec les registres. Cela signifie qu’une bonne sécurité doit être mise en place. 

Financer et éduquer

Cela a conduit à deux autres points.

Le premier est que rien de tout cela ne peut se faire sans financement. Les gouvernements doivent investir dans leurs registres. Ils doivent fournir des fonds pour la structure ou s’engager dans des projets comme le WBDR. Mais les gestionnaires de données sont tout aussi importants (car la qualité des résultats dépend de la qualité des données fournies). Il faut des gestionnaires de données capables de saisir et prendre en charge l’analyse des données.

Le deuxième point est l’éducation. Elle n’est pas limitée aux patients, mais aussi aux cliniciens et aux gestionnaires de données. Quiconque est impliqué dans le registre doit comprendre l’importance des registres, et pourquoi il est important que les données soient collectées correctement.

L’inscription et le suivi de TOUS les patients dans des registres bien conçus et bien gérés permettra de fournir des informations utiles pour évaluer la sécurité et l’efficacité de la gestion actuelle et des nouveaux produits thérapeutiques. Les registres peuvent potentiellement élucider des questions primordiales et contribuer à optimiser le traitement.

Néanmoins, un certain nombre de problèmes sont liés aux registres : la sécurité et la protection des données, l’harmonisation des ensembles de données (données de structure), la liaison entre les données des patients provenant de différents registres, la gestion des données des patients dans les essais cliniques, l’incorporation des données déclarées par les patients, l’interface entre la collecte de données et la gestion clinique de routine, la pharmacovigilance (passage de plus en plus fréquent du système de gestion des médicaments aux registres de surveillance des effets indésirables) et l’Identification du patient. 

Le consentement éclairé écrit pose un problème particulier, car certains pays, la Cote d’Ivoire par exemple, ne sont pas familiers avec cette notion. De plus, le nombre de registres dans un pays implique le même nombre de consentements. »

Susan Cammas – Bénévole

Exposés présentés à la table ronde :

  1. L’utilisation des registres à des fins réglementaires : la vision du European Medicines Agency (EMA) – par vidéoconférence, Caroline Voltz 
  2. Les défis de la collecte de données pour la pratique clinique et réglementaire des soins de l’hémophilie – Résultats de la réunion de consensus de la European Directorate for the Quality of Medicines  Marie-Laure Hecquet, EDQM
  3. Les questions relatives aux approches européennes et mondiales de la collecte de données -le Professeur Cédric Hermans, Cliniques – Universitaires St Luc (Bruxelles)
  4. Pourquoi nous avons besoin d’une collecte de données pour la pratique clinique et ce que nous pouvons en tirer – Une étude de cas irlandais – Dr. Niamh O’Connell, Hôpital St James (Dublin)
  5. Résultats cliniques et rapportés par les patients dans les nouvelles technologies – Où en sont-ils actuellement et où devraient-ils aller ? Declan Noone, président du EHC