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La Commission européenne propose un plan de relance de 750 milliards, empruntés en commun

Il s’agit là d’une véritable révolution dans l’histoire communautaire : face à l’opposition radicale de l’Europe du Nord, jamais la Commission n’avait proposé l’émission d’une dette mutualisée européenne de grande ampleur. Mais la négociation s’annonce difficile.

Par  (Bruxelles, bureau européen)

Publié le 27 mai 2020 à 13h08, modifié le 28 mai 2020 à 11h08

Temps de Lecture 5 min.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Bruxelles, le 23 avril.

Emission d’un grand emprunt européen, augmentation sans précédent des transferts au sein du budget communautaire, mise en place de ressources propres qui permettraient à la Commission de se financer indépendamment des Etats membres… Le plan de relance qu’a présenté, mercredi 27 mai, Ursula von der Leyen, la présidente de l’exécutif communautaire, pour aider l’Europe à surmonter les ravages de la pandémie de Covid-19, fait tomber des dogmes qui ont jusqu’ici empêché l’Union d’aller vers plus d’intégration. « Pour l’instant, ces mécanismes sont ciblés sur la gestion de la crise. Mais oui, ce plan pose les jalons d’une nouvelle manière de fonctionner », reconnaît un diplomate.

Mme von der Leyen a annoncé que la Commission emprunterait 750 milliards d’euros pour aider le continent à sortir d’une récession sans précédent. Pour prendre la mesure de l’effort annoncé, il faut rappeler que le budget européen en cours de discussion, avant le plan de relance, représentait un total de 1 100 milliards d’euros sur la période 2021-2027.

Avant de se lancer, l’ex-ministre d’Angela Merkel a beaucoup consulté, souvent tergiversé. Plusieurs fois, elle a repoussé ses annonces, ne voyant pas quelle martingale constituerait une base de négociations acceptable pour les Vingt-Sept. Entre une Europe du Nord opposée à toute mutualisation de la dette et très soucieuse de ses deniers et une Europe du Sud demandant plus de solidarité à ses partenaires, l’équation semblait impossible. D’autant que le traumatisme de la crise grecque, qui a failli emporter avec elle la zone euro dans les années 2010 et a déchiré les Européens, reste dans tous les esprits.

C’est d’Allemagne qu’est venue la solution. Quand, le 18 mai, la chancelière Angela Merkel et le président Emmanuel Macron ont présenté leur « initiative » – l’émission d’une dette commune européenne de 500 milliards d’euros pour subventionner les pays les plus abîmés par la crise −, nombre de commentateurs ont parlé d’un « moment hamiltonien » pour l’Europe, en référence à Alexander Hamilton, le premier secrétaire au Trésor des Etats-Unis, qui, en 1790, avait convaincu le Congrès de créer une dette fédérale, et fait basculer la confédération américaine dans le fédéralisme.

« On revient de loin »

Dès lors, les équilibres internes à l’Europe ont été modifiés et Mme von der Leyen, dont les plans étaient jusque-là très timides, a pu envisager les choses autrement. Pour financer son plan, la Commission empruntera donc sur les marchés 750 milliards d’euros, qui viendront abonder le budget communautaire. « C’est le moment de l’Europe », a commenté Mme von der Leyen, qui a exhorté les Vingt-Sept − et plus particulièrement les quatre « frugaux » que sont les Pays-Bas, l’Autriche, la Suède et le Danemark − à « mettre de côté les vieux préjugés ».

Sur cette somme, a-t-elle expliqué, 250 milliards seront prêtés et 500 milliards seront transférés, par le canal du budget européen, aux Etats membres qui ont été les plus affectés par le Covid-19. En réalité, comme on peut le voir dans les documents publiés par la Commission mercredi, ce ne sont pas 500 mais 433 milliards de subventions qui sont prévues. Près de 67 milliards d’euros pourront par ailleurs être apportés en garanties à des établissements bancaires, comme la Banque européenne d’investissement, qui verront ainsi leur capacité de prêts s’accroître. « Pour nous, 500 milliards, c’est un minimum », rétorque-t-on à l’Elysée.

« Qu’importe, on revient de loin. Et 433 milliards, c’est déjà beaucoup quand on pense à ce qui était dans les cartons il y a encore deux semaines », se réjouit une source bien informée. Avant le 18 mai, la Commission travaillait sur un schéma qui prévoyait moins de 200 milliards d’euros de subventions… Mais, là aussi, l’évolution de Berlin, longtemps opposé à toute idée de redistribution, a changé la donne.

Afin de donner des gages aux « frugaux », Mme von der Leyen a prévu d’assortir ces transferts de conditions. Les pays qui voudront en bénéficier présenteront un plan d’investissements et de réformes, que la Commission et les Etats membres devront (ou pas) valider. Celui-ci devra être compatible avec les priorités de l’exécutif communautaire, à savoir le Green Deal − la transition écologique. Il lui faudra aussi tenir compte des « recommandations » annuelles de la Commission pour accroître la compétitivité.

Pour l’heure, Bruxelles a réservé une enveloppe à laquelle pourra prétendre chacun des Vingt-Sept. Ainsi l’Italie, la plus touchée par la pandémie et sans marge de manœuvres budgétaires, pourra-t-elle toucher jusqu’à près de 82 milliards d’euros de subventions, l’Espagne jusqu’à 77 milliards, la France 39 milliards, la Pologne 38 milliards, l’Allemagne 29 milliards… Les 250 milliards d’euros de prêts ont également été préalloués : 91 milliards pour l’Italie, 63 milliards pour l’Espagne, 26 milliards pour la Pologne, rien pour la France ou l’Allemagne.

Marchandages

La Commission prévoit de commencer à payer ses dettes en 2028, et ce jusqu’en 2058. Pour cela, « soit on augmente les contributions nationales des Vingt-Sept, soit on réduit les dépenses européennes, soit on trouve des « ressources propres » à l’Europe, ce qui est ma solution préférée », a développé Mme von der Leyen, en évoquant la possibilité d’instaurer une taxe digitale ou de récupérer une partie des recettes générées par les droits d’émission de CO2.

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En clair, un pan du budget européen ne dépendrait plus des Etats et la Commission lèverait elle-même des impôts. Une révolution, là aussi, dont les pays du Nord ne voulaient pas entendre parler jusqu’ici et sur laquelle l’Allemagne a également donné des signes d’évolution.

A plus court terme, nombre d’éléments dans le plan de relance de Mme von der Leyen feront l’objet de discussions difficiles entre les Vingt-Sept. D’autant qu’ils devront aussi s’entendre sur les détails du budget européen pour la période 2021-2027. Entre les « frugaux », qui veulent conserver leur rabais sur leurs contributions et réduire le volume des dépenses agricoles ainsi que les aides aux régions pauvres (fonds de cohésion), le Sud, qui réclame plus d’argent pour faire face à la récession, et les pays de l’Est, qui prétendent également à cette manne mais seront très vigilants à ce que les fonds de cohésion ne soient pas sacrifiés, cela laisse présager des débats houleux.

Mercredi, le chancelier autrichien conservateur, Sebastian Kurz, qui dirige un gouvernement de coalition avec les Verts, favorables au plan de relance européen, n’a pas opposé une fin de non-recevoir à sa proposition, qu’il a considérée comme « une base de négociations ». « Il est difficile d’imaginer que cette proposition soit le résultat ultime de ces négociations », a averti, pour sa part, un diplomate néerlandais. « Les quatre « frugaux » n’ont pas tous la même sensibilité », juge un autre diplomate, « mais il y a une chose qui les unit, c’est leur volonté de ne pas perdre leur rabais ». Les marchandages sont ouverts…

« Tout doit être fait pour avoir un accord avant la pause estivale », a déclaré Charles Michel, le président du Conseil européen. Car, si les Vingt-Sept parviennent à s’entendre sur un plan de relance − l’unanimité est requise −, il faudra ensuite que les parlements nationaux se prononcent. Et, vu la gravité de la récession, l’Europe n’a pas de temps à perdre.

Dette, « coronabonds », BCE… Retrouvez nos tribunes sur la réponse européenne à la crise du Covid-19

Le Conseil européen se réunit jeudi 23 avril pour élaborer une riposte coordonnée de l’Union européenne en réponse à la crise économique et sociale provoquée par le confinement quasi généralisé des pays européens.

Pays du Nord et du Sud s’affrontent sur la nature et l’ampleur des instruments qu’il convient de déployer pour financer la riposte sanitaire, venir en aide aux entreprises et aux ménages en difficulté, et préparer la relance économique nécessaire lorsque la pandémie due au coronavirus aura entamé sa décrue.

Retrouvez les prises de position, les propositions et les critiques publiées dans Le Monde qui ont ponctué ce débat depuis plus d’un mois.

« Comment financer l’explosion de la dépense publique ? », Jean-Eric Hyafil, économiste, 20 mars.

« Gérer l’urgence et préparer l’avenir », Xavier Ragot, économiste, 20 mars.

« Il faut que les banques centrales alimentent les entreprises en cash, sans limites », François Meunier, ancien banquier, 21 mars.

« Les banques centrales doivent changer d’instruments », Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste, 22 mars.

« Les pays de la zone euro devraient émettre 1 000 milliards d’euros d’obligations communautaires », sept économistes allemands, 27 mars.

« Le message des marchés à la Banque centrale européenne », Patrick Artus, économiste, 27 mars.

« Coronabonds : Il serait temps, à Paris, de faire un peu de droit et un peu moins de politique », Bruno Alomar, économiste, 2 avril.

« La solidarité européenne doit prendre forme en recourant rapidement aux institutions et aux instruments existants », Klaus Regling, directeur général du Mécanisme européen de stabilité (MES), 2 avril.

« L’intransigeance de certains dirigeants pourrait être fatale à l’Union européenne », Alexis Tsipras, ancien premier ministre grec, 3 avril.

« Il faudra se résoudre à ce que, la crise passée, la dette injectée dans l’économie n’aura pas à être remboursée », Frédéric Peltier, avocat, 3 avril.

« Les gouvernements européens doivent être côte à côte pour déployer ensemble des politiques face à un choc commun », Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, 8 avril.

« Il faut percer le mur de la dette », Laurence Scialom et Baptiste Bridonneau, économistes, 10 avril.

« L’Europe doit cesser son jeu de dupes », François Geerolf et Thomas Grjebine, économistes, 10 avril.

« L’ordolibéralisme allemand semble se fissurer », Dorothea Bohnekamp et Holger Müller, économistes, 10 avril.

« L’Union européenne doit créer des coronabonds financés par l’Union avec les garanties des Etats membres », huit personnalités politiques et économiques, dont quatre ministres ou anciens ministres européens – Hans Eichel, Jésus Caldera, Paul Magnette et Pier Carlo Padoan, 10 avril.

« Le refus d’un emprunt commun n’est pas seulement égoïste, il est irresponsable » Gabrielle Siry, 10 avril.

– Nous vivons « la transition d’une économie de marché capitaliste à une économie administrée par les banques centrales », Christopher Dembik, économiste de banque, 10 avril.

« Avec le senior coronabond, les Etats européens pourraient emprunter sur les marchés obligataires en leur propre nom », Lee C. Buchheit, avocat, 10 avril.

« Le rachat massif de titres d’Etat par la BCE ne créera pas d’inflation », Paul De Grauwe et André Grjebine, économistes, 10 avril.

« Il n’y a pas de miracle : nous devrons porter plus longtemps des dettes publiques plus élevées », François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, 10 avril.

« La création monétaire n’est en aucune façon un remède miracle », Jean-Michel Naulot, ancien membre de l’Autorité des marchés financiers, 10 avril.

« En Europe, il nous faudra développer un modèle de prospérité nouveau », collectif à l’initiative de Pascal Canfin, président de la commission environnement au Parlement européen, 14 avril.

« La fable de la monnaie hélicoptère », Jean-Paul Pollin, économiste, 18 avril.

« La culture gestionnaire a éloigné les finances publiques de la réalité vécue par les citoyens », Michel Bouvier, juriste, 19 avril.

« Il faut financer la crise et les investissements climatiques avec une dette de très longue durée à 50 ou 100 ans, voire perpétuelle », Daniel Cohen, économiste, et Nicolas Théry, banquier, 20 avril.

« La proposition des “coronabonds” vire au chantage sous couvert de générosité et de bon sens économique », Nicolas Leron, politiste, 22 avril.

« Reconstruire l’économie européenne sur une nouvelle base durable », collectif de sept économistes européens, 22 avril.

« L’avenir commun de l’Europe doit aussi être financé conjointement », par Nicolas Hermes, 10 mai.

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