"Rémunération scandaleuse" : le coup de gueule d'étudiants en médecine mobilisés face au coronavirus

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"Rémunération scandaleuse" : le coup de gueule d'étudiants en médecine mobilisés face au coronavirus

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Des étudiants estiment aussi qu'une éventuelle prime ne doit pas occulter le problème plus large de leur rémunération.
Des étudiants estiment aussi qu'une éventuelle prime ne doit pas occulter le problème plus large de leur rémunération.
© AFP - Burger / Phanie

Le ministère de la Santé assure à France Inter qu'il y aura bien des primes, versées en complément du salaire du mois de mai. Mais pour des étudiants en médecine, la crise du coronavirus révèle surtout le problème plus large d'une trop faible rémunération des externes et des internes.

47,18€ en plus sur les versements de leur paie du mois d’avril. C’est ce qu’ont pu constater avec dépit sur leur compte bancaire Yves C* et d'autres étudiants en médecine, mobilisés en cette période d’épidémie. 

L'étudiant, en 6e année à l’Université Paris Diderot, ne cache pas son amertume : "Ce montant est bien loin des primes promises par Olivier Véran pour les soignants", déplore le jeune externe, actuellement affecté en unité Covid à l’hôpital Beaujon. "La considération du gouvernement n’est à mon sens absolument pas au rendez-vous et les communiqués du ministère par rapport aux étudiants hospitaliers sont extrêmement flous, voire inexistants."

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La paie d'Yves C. pour le mois de mars. Il n'a pas encore reçu celle du mois d'avril, mais a d'ores et déjà pu constater sur son compte un "bonus" inexpliqué de seulement 47,18 euros.
La paie d'Yves C. pour le mois de mars. Il n'a pas encore reçu celle du mois d'avril, mais a d'ores et déjà pu constater sur son compte un "bonus" inexpliqué de seulement 47,18 euros.
- Yves C.

"Je ressens un réel manque de considération pour notre travail par le gouvernement, d’autant plus que nous prenons en cette période des risques pour notre santé physique mais aussi mentale en étant nombreux à rester isolés pour éviter de contaminer notre famille", Yves C.

Des primes permettraient aux plus précaires des externes (les "étudiants hospitaliers" entre la 4e et la 6e année, qui partagent leur temps entre hôpitaux et bancs de la fac), de "sortir la tête de l’eau", estime Yves C. : "Mes collègues en 4e et 5e année sont encore moins bien lotis avec respectivement 118€ et 216€ net par mois, dont 14,25€ de participation des transports d’Île-de-France."

Deniz* est justement étudiante en 5e année de médecine. Sa période de stage, dans un service de réanimation médicale, est tombée en plein pendant l’épidémie. Étant mobilisée en "secteur Covid" avec cinq autres externes, elle est quotidiennement exposée au virus. Depuis sept semaines, elle et ses camarades travaillent "parfois bien plus" que 35 heures. "Et malgré tout ça, nous touchons un salaire de 200€ en 5e année au titre d’étudiant hospitalier salarié", lâche la jeune femme de 23 ans.

"Nous demandons simplement que les étudiants en médecine de quatrième, cinquième et sixième années puissent bénéficier de la prime au même titre que tous les soignants", Deniz.

"Bien sûr, nous, les externes, ne sauvons pas le monde, mais nous sommes sur le terrain tous les jours, aidons le personnel médical à notre échelle", estime celle qui n’a pas vu sa famille depuis le début de l’épidémie. "Et quand on voit que l’État évoque la prime pour les personnels soignants et que la question des externes n’a même pas été évoquée, nous sommes quand même assez contrariés."

De son côté, Clémence est dans la dernière ligne droite de ses études : l'internat, après la 6e année, qui dure jusqu'à 5 ans selon la spécialité. Les internes sont plus rémunérés que les externes (environ 1 400 euros en 1e année, 1 500 euros en 2e, 1 700 euros en 3e...). Actuellement interne dans un service de chirurgie, Clémence a eu "dernièrement, un peu la sensation que le gouvernement reconnait que les internes sont indispensables à l’hôpital. Mais malheureusement, il y a beaucoup d’effets d’annonce, comme la 'prime Covid' par exemple", juge la jeune femme de 26 ans, en stage dans un établissement de l’APHP (Assistance Publique - Hôpitaux de Paris). Elle travaille "au minimum 50 heures par semaines", malgré la durée de travail maximale de 48 heures hebdomadaires imposée par la législation européenne.

Le ministère de la Santé assure qu'il y aura des primes

Pour y voir plus clair sur ces primes, France Inter a sollicité le ministère de la Santé. La Direction générale de l'offre de soins assure qu'il y aura bel et bien des primes pour les externes et les internes de médecine mobilisés. En seront bénéficiaires :

  • Les internes en médecine, pharmacie et odontologie ayant exercé en établissement public de santé.
  • Les internes en médecine en stage en dehors de l'hôpital (cabinet médical de médecin généraliste, centre de santé, etc.)
  • Les étudiants de 2e cycle (externes) en médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique, qui ont exercé en établissement public de santé.
  • Les étudiants de 2e cycle (externes) en médecine en stage ambulatoire (dans un cabinet, un centre de santé, un établissement médico-social, etc.)

Ces primes seront versées sous condition d’avoir réalisé un service effectif, en particulier pour les externes l’équivalent d’un mois sur la période. Les étudiants qui seront restés à domicile car leur stage aura été annulé pendant la période ne bénéficieront pas de ce bonus.

Quant aux modalités d’attribution de la prime, en particulier pour la détermination des montants, le ministère fait savoir à France Inter qu'elles seront alignées sur celles du reste des personnels hospitaliers en fonction de la localisation du stage, de l’exercice et de l'établissement de rattachement. Des primes qui se grefferont sur le salaire du mois de mai, "sous réserve de la faisabilité des DRH", précise la Direction générale de l'offre de soins.

"Le minimum c’est que la prime soit la même pour tout le monde."

Ces annonces du ministère font redouter à Bruno Blaes, président du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), une prime à géométrie variable : "Ça crée une espèce de hiérarchie selon laquelle les étudiants qui travaillent dans les hôpitaux auraient fourni plus d’efforts, auraient davantage contribué que des étudiants qui travaillent dans des services de psychiatrie par exemple. Des services qui ne sont pas des services dédiés aux soins Covid, mais qui permettent d’assurer la continuité des soins hors Covid."

Il va même jusqu'à interroger la pertinence d'une prime : "On reste dans un régime d'héroïsation des soignants, qui permet d’éluder la rémunération des professionnels qui fait l’objet de manifestations depuis un an."

Plus largement, la demande d'une revalorisation des salaires

La question de la prime, estiment les étudiants, ne doit pas éclipser selon eux une question plus large : celle de leur rémunération. Pour Deniz, la crise a soulevé ce problème de fond de l’hôpital public : "Personne n’en parle et, à force de nous taire, on nous fait penser que la situation est normale. Quand on ose se plaindre de la précarité de notre situation, beaucoup sont assez étonnés voire même surpris", constate-t-elle. "Quand je vois que la gratification minimale de stage de l'ensemble des étudiants hors santé est de 3,9€/h, je me demande pourquoi nous, étudiants en médecine, nous sommes si peu payés, 2€/h en moyenne."

Yves C., l'externe à l'université Paris Diderot, abonde : "J’estime que la rémunération est scandaleuse par rapport au travail fourni. Ce très faible revenu, au vu du temps passé, nous met pour beaucoup dans une situation extrêmement précaire puisque nos stages se poursuivent pendant les vacances universitaires, ce qui nous empêche le plus souvent de travailler à côté. Ayant un statut mixte d’étudiants-salariés nous n’avons d’ailleurs pas droit à certaines aides sociales comme le RSA", souligne-t-il.

Tout comme l'Association Nationale des Étudiants en Médecine de France (ANEMF), le jeune homme réclame une revalorisation des salaires avec pour minimum les 3,90€/h, pour l’ensemble des étudiants hospitaliers. Il va même plus loin : "Il faudrait clarifier notre rôle pour permettre à ceux qui effectuent des tâches annexes non prévues d’être rémunérés au SMIC horaire, et ainsi éviter un certain glissement de tâches qui se produit dans certains services."

Pour Clémence, interne, il s'agit de trouver des solutions sur le long terme : "On a un peu l’impression qu’on nous donne cette prime pour qu’on 'se taise' quand cette crise sera finie." Mais pour elle, l'amélioration passerait d'abord par une refonte de leurs conditions de travail : "Je pense que si déjà on travaillait dans des conditions qui nous permettaient d’être satisfaits du travail que l’on fournit, et d’être moins sous tension permanente, on ferait déjà un grand pas en avant."

*Les prénoms ont été modifiés

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