Ayez confiance : l’argent public n’aidera pas les entreprises établies dans des paradis fiscaux

La liste française des paradis fiscaux comprend Anguilla, les Bahamas, les Fidji, Guam, les Iles Vierges américaines, les Iles vierges britanniques, Oman, le Panama, les Samoa américaines, les Samoa, les Seychelles (ici en photo), Trinité et Tobago,  ©AFP - Yasuyoshi CHIBA
La liste française des paradis fiscaux comprend Anguilla, les Bahamas, les Fidji, Guam, les Iles Vierges américaines, les Iles vierges britanniques, Oman, le Panama, les Samoa américaines, les Samoa, les Seychelles (ici en photo), Trinité et Tobago, ©AFP - Yasuyoshi CHIBA
La liste française des paradis fiscaux comprend Anguilla, les Bahamas, les Fidji, Guam, les Iles Vierges américaines, les Iles vierges britanniques, Oman, le Panama, les Samoa américaines, les Samoa, les Seychelles (ici en photo), Trinité et Tobago, ©AFP - Yasuyoshi CHIBA
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Le ministre des finances Bruno Le Maire a assuré qu’aucune entreprise ayant des filiales dans des paradis fiscaux ne pourrait bénéficier d’aides publiques. Mais il n’y aura finalement rien dans la loi à ce sujet. La confiance s’impose donc a priori. Et a posteriori aussi. Explications.

Le projet de loi de finance rectificatif, le deuxième, prévoit d’augmenter encore le soutien de l’Etat aux entreprises en difficulté. En passant au Sénat, le texte de loi a été augmenté d’un amendement, disant explicitement que les dispositions de la loi "ne s’appliquent pas aux entreprises dont des filiales ou des établissements sont établis dans des Etats et territoires non coopératifs" (ainsi nomme-t-on administrativement les paradis fiscaux). 

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Mais quelques heures après les déclarations du Ministre des Finances allant dans le même sens, l’amendement a été retiré lors de la commission mixte paritaire qui harmonise les textes du Sénat et de l’Assemblée. 

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Aucune contradiction cependant du point de vue de Bercy, pour qui, il n’y a pas besoin que ce soit inscrit dans la loi pour que la parole du ministre s’applique dans les faits. 

Cela pour une raison simple, explique Bercy. 

L’évasion, ou l’optimisation fiscale agressive est surtout l’apanage des grandes entreprises, or au-dessus d’un chiffre d’affaire d’un milliards 500 millions d’euros (cela concerne 300 entreprises en France), les aides de trésorerie sont directement signées par les ministres, Gérald Darmanin pour les reports de charge, et Bruno Le Maire pour les prêts garantis par l’Etat, DONC, ils veilleront eux même directement à ce qu’aucune entreprise opérant dans les paradis fiscaux ne bénéficie d’aides publiques. Même chose pour les rachats d’action ou le versement de dividendes. 

En somme, donc, pas d’inquiétude à avoir à condition de faire confiance au gouvernement pour respecter sa parole. Le rapporteur du texte pour le Sénat a dit lors de la discussion que les parlementaires y veilleraient. 

Sur les États non-coopératifs, la disposition évoquée par mon collègue de la France insoumise visait à interdire les abandons de créance de loyer ou le bénéfice du fonds de solidarité ou des prêts garantis par l'État (PGE) si l'entreprise en cause disposait d'une filiale dans un État non-coopératif (…) Le Gouvernement s'est depuis engagé sur le fait que les entreprises ayant des filiales dans ces pays ne puissent effectivement pas bénéficier des aides. Il conviendra de vérifier que c'est bien le cas. M. Albéric de Montgolfier, sénateur, rapporteur pour le Sénat.

De grandes limites à ce principe

Tout d’abord, cela ne concerne que les aides à la trésorerie, pas les aides au chômage partiel. Cela met donc de côté 20 milliards d'euros d’aide publique. 

Ensuite, il y a bien sur, toujours cette question de la définition du paradis fiscal que l’on retient. Bercy explique que ce sera  la liste française des paradis fiscaux. Une liste mise à jour début janvier, et qui comprend 13 Etats ou Territoire : le Panama, les Bahamas, les Seychelles… mais aucun pays européen bien sûr. 

Pas plus que la liste de l’Union Européenne, celle de la France n’engage un casus belli avec Chypre, Malte, l'Irlande, le Luxembourg et les Pays Bas même si ces 5 états européens ont été désignés paradis fiscaux par le parlement européen il y a un an. 

A écouter : Pays-Bas : toujours le paradis des multinationales

Le Reportage de la rédaction
4 min

Or selon une étude récente, publiée par l’économiste Gabriel Zucman, la concurrence fiscale intra européenne coûterait chaque année 11 milliards d’euros de recettes en moins au budget Français. 

La France perd 22% de ses recettes d’impôt sur les bénéfices à cause des paradis fiscaux essentiellement européens
La France perd 22% de ses recettes d’impôt sur les bénéfices à cause des paradis fiscaux essentiellement européens
- Missing profit (copie d'écran)

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Troisième limite, dans un courrier adressé à la Directrice Générale du Trésor jeudi 23 avril, Bruno Le Maire précise que pour que l’interdit s’applique, il faut que la filiale implantée dans le paradis fiscal soit je cite " sans substance économique ". Autrement dit, il faut que la raison de cette implantation ne soit QUE fiscale. 

Si Europcar a une filiale aux Seychelles, explicite Bercy, la raison est bien économique, vue son activité. Mais au-delà de cet exemple simple, la notion de substance économique est bien plus complexe, et elle a déjà été contournée par l’embauche de deux trois personnes dans des sociétés autrefois réduite à des boites aux lettre (cf le reportage au Pays Bas mis en lien plus haut). De plus, cette notion n'est pas très stable juridiquement. 

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Un nouveau mini verrou de Bercy ?

Quatrième limite : qui va juger du bien-fondé de cette substance économique ? A priori, ce sont les entreprises elles même. Selon des informations recueillies par un confrère de France Info, 

Cela passera par une déclaration sur l'honneur. Chaque société de plus de 5 000 salariés ou dont le chiffre d'affaires est supérieur à 1,5 milliard d'euros devra en signer une s'il veut demander un prêt garanti par l'Etat. Et déclarer qu'elle n'a pas de siège fiscal ou de filiale sans activité économique réelle dans ces paradis fiscaux. "Après on fera des contrôles", précise Bercy. Extrait de l'article de Brice Le Borgne : Coronavirus : pourquoi le refus d'aider les entreprises françaises implantées dans des paradis fiscaux n'aura qu'un impact limité

A posteriori, seule l'administration fiscale pourra faire les contrôles. Mais nous, journalistes, et public, nous ne pourront pas en juger car seule l’administration fiscale sait quelles entreprises françaises ont des filiales dans les paradis fiscaux. Ce fut l’un des combats de plusieurs associations de rendre ces données publiques, mais le Conseil Constitutionnel a rejeté la mesure qui avait été votée dans la loi sapin 2

A lire / écouter : Impartiaux les sages du Conseil Constitutionnel ? 

La Bulle économique
4 min

La situation présente rappelle donc un peu le verrou de Bercy, cette possibilité qu’avait le seul Ministre du Budget de déclencher des procédures pour fraude fiscale. Là, le verrou est moins fort, on n’empêche pas la justice d’enquêter, mais de fait, les journalistes, et les associations ne peuvent pas alerter s’il y a un hiatus entre le dire et le faire. Quand des centaines de milliards d’euros d’argent public sont sur la table, c’est tout de même assez problématique. 

On a quand même beaucoup progressé depuis la dernière crise

Danemark, Pologne, Italie, et Belgique discutent aussi pour interdire l’accès aux aides publiques aux entreprises opérant dans des paradis fiscaux, l'Allemagne y réfléchirait aussi, et bien qu’aucun dispositif ne soit parfait, c’est quand même une grande avancée par rapport à 2008. 

Il y a 12 ans, on n’a jamais évoqué de conditionnalité « paradis fiscal » lorsque des aides ont été octroyées aux banques, alors qu’elles sont plus centrales encore dans les schémas d’évitement fiscal. Aujourd’hui, cela devient compliqué pour les autorités de faire l’impasse à ce propos. Et c’est un leg positif de la crise financière de 2008. C’est depuis cette crise (et tous les scandales Panama Papers, Lux Leaks, Paradise Papers etc..) que les discussions internationales ont réellement avancé. On est loin d’en avoir fini, mais avant c’était quasiment le "Far West". 

L'OCDE prépare pour la fin de l'année des propositions pour avancer encore sur la taxation des multinationales (notamment du numérique, mais pas uniquement) et malgré le confinement, Pascal Saint Amans, directeur fiscal de l'OCDE, assure que rien n'est interrompu, que les négociations se poursuivent à distance. Cet automne l'Ocde avait déjà présenté un premier pilier de ce que certains nomment (mais ce n'est pas mon analyse, voir ci-dessous) une révolution fiscale dans la taxation des entreprises.

A lire / écouter : Pas de révolution en vue pour la taxation des multinationales

La Bulle économique
3 min

Même si rien n'est encore fait, cela donne quand même un peu d'espoir. La crise de 2008 a débouché sur des avancées, peut être que cette crise là du coronavirus, fera elle aussi avancer au moins la prise de conscience sur un voire (au diable le pessimisme ! ), plusieurs sujets clefs. 

Marie Viennot

L'équipe