Krass Kariert : Le renouveau du petit jeu de cartes

Si vous me demandez quel était mon jeu préféré de 2019 … bon il y a de grandes chances pour que je vous réponde Root, mais si vous me demandez mon deuxième jeu préféré de 2019, Krass Kariert s’imposera presque comme une évidence.
Tout droit issu de l’esprit de Katja Stremmel, une nouvelle autrice dans le monde du jeu de société (et ça fait plaisir), Krass Kariert suit la lignée bien connue et presque traditionnelle des petits jeux de cartes de chez Amigo dont l’illustre représentant est le 6 qui prend.

Loin des buzz, le jeu n’est actuellement pas très connu des francophones mais la version française nommée Carro Combo qui arrive chez Gigamic au printemps 2020 attirera, je l’espère, l’attention sur cette petite pépite.

 

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Une bouillabaisse de mécaniques

Krass Kariert est très loin d’être intuitif. À vrai dire, plus vous vous y connaissez en jeux de cartes, plus il a de chances de vous retourner le cerveau car ce jeu emprunte quelques mécaniques ici et là à tout un tas de jeux différents mais jamais l’entièreté, jamais le cœur de ces jeux. Une vision qui nous semble familière et qui nous fait nous raccrocher à ce que l’on connaît mais qui est immédiatement brisée par cet assemblage unique qui ne fonctionne pas comme on se l’imaginerait.

Ce monstre de Frankenstein est à la fois un jeu de défausse, un jeu de pli, un jeu d’escalade (pensez à Gang of Four ou au jeu du Président), un jeu de combinaisons, un jeu de gestion de main, un jeu avec un.e seul.e perdant.e et un jeu où l’on ne peut pas bouger les cartes dans sa main (pensez à Bohnanza). Et dire que je pensais que Decrypto était un jeu compliqué à présenter…

Malgré cela, cet Uno mystérieux fonctionne à merveille ! Ce Rami maléfique se dévoile au fur et à mesure des manches et des parties. Ce Tichu tordu s’apprivoise et suit au final le même apprentissage naturel que n’importe quel jeu de carte traditionnel, avec notamment des règles très spécifiques et bizarres, même si ici, c’est plutôt l’enchevêtrement de mécaniques qui entraîne ces cas particuliers.

 

Stratégie et Chaos

Encore une particularité : le jeu offre deux voies vers la victoire, ou plutôt vers la non-défaite puisque le but d’une manche est avant tout de ne pas être le·la perdant·e. D’un côté vous pouvez viser la défausse pour être ainsi à l’abri une fois votre main vide de cartes et laisser les autres s’entre-tuer, ou bien vous pouvez viser l’attaque brutale en jouant des combinaisons fortes en espérant qu’un.e adversaire tombera sous les coups.

Les deux stratégies sont souvent contradictoire et Krass Kariert est ainsi un jeu à tempo : il faut sentir ce qui se passe autour de la table pour savoir à quel moment partir vers une stratégie ou une autre, à quel moment il faut frapper et à quel moment il ne faut pas trop s’exposer.

On ne va pas se le cacher, c’est parfois plus chaotique que juste. Il est possible d’avoir un tirage hors-normes et les quelques cartes spéciales sont vraiment violentes. C’est au final plutôt positif pour le fonctionnement du jeu car cela évite les coups imparables (même la plus grosse combinaison, le triple 12, peut se faire annuler par une carte STOP).

 

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Pour autant le jeu regorge de choix significatifs, à une échelle tactique comme stratégique. Est-ce que j’attaque quitte à abandonner des grosses combinaisons ? Dans quel ordre dois-je défausser mes cartes ? Mieux vaut une grosse et une petite combinaison ou deux moyennes ? Est-ce que je passe mon tour pour améliorer ma main ? Est-ce que je ralentis le tempo quitte à finir dernier si ça se joue à la défausse ?

Ces choix dérivent de la mécanique à la Bohnanza qui interdit de changer l’ordre des cartes de sa main. Bohnanza l’utilisait pour forcer les joueurs et joueuses à négocier et s’échanger leurs cartes ; le jeu Luxor l’a ensuite reprise pour créer un système de « double file » où l’on peut anticiper les prochaines options que l’on aura. Krass Kariert s’en sert plutôt pour créer un sentiment proche des jeux vidéo d’arcade ou des « match 3 » : jouer les combinaisons dans le bon ordre permet d’en former d’autres dans sa main, c’est une combo de combinaisons !

Ces différents aspects donnent donc un très bon flux au jeu. Un ratio choix/hasard qui laisse à la fois un sentiment de contrôle et un chaos explosif qui permet des surprises et une variabilité des parties. Il n’a rien à envier à tous ces jeux de cartes dont il s’inspire, et procure ce même petit goût de reviens-y.

À combien y jouer ?
Plutôt à 4 personnes si vous voulez profiter pleinement de ce que le jeu à offrir ; à 3 joueurs ou joueuses le jeu aura tendance à être trop basé sur la défausse et à 5 il sera à l’inverse plutôt axé sur l’attaque frontale à coup de grosses combinaisons.
Autre bémol, les parties peuvent durer bien plus longtemps à 5 puisqu’on joue des manches jusqu’à ce que quelqu’un ait perdu un certain nombre de fois.

 

Beau de loin mais loin d’être beau

Alors attention à ne pas attraper un mal de mer en mélangeant votre paquet de cartes : leur dos ressemble à un trip psychédélique qui aurait mal tourné et même en étant daltonien j’arrive à voir qu’il y a un soucis avec la composition des couleurs !
Le reste est assez banal mais il n’y a pas vraiment à attendre plus de la part d’un petit jeu de carte de ce genre. Mentionnons tout de même la bonne qualité des cartes.

 

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Conclusion

Krass Kariert a beaucoup de raisons de vous donner des maux de tête. Que ça soit par ses illustrations qui arrachent la rétine ou via ses règles qui vous retournent le cerveau, ce jeu n’a rien d’encourageant à première vue. Et pourtant, quel chef d’oeuvre de fluidité, d’innovation et de pur concentré de fun ! Telle une DJ, Katja Stremmel a réussi à échantillonner les meilleurs parties de tout un tas de jeux de cartes usés jusqu’à la corde pour créer un sentiment nouveau. Pour un premier jeu, c’est plutôt impressionnant et cela la classe immédiatement dans la catégorie des autrices prometteuses à surveiller.

Krass Kariert est le digne successeur de nombreux petits jeux de cartes, sûrement le meilleur de chez Amigo, et il aurait mérité une nomination au Spiel (en tout cas, plus que Lama).

 

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4 Commentaires

  1. morlockbob 29/01/2020
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    on en parlait dans le small # 21. C’est bien de l’avoir localisé

  2. Salmanazar 31/01/2020
    Répondre

    Comme ça balance pour Lama (uh uh )

  3. Fabien Lebouleux 17/03/2020
    Répondre

    Très belle plume comme d’habitude Pionfesseur 😉

    Vivement la localisation Gigamic !

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