J’ai vécu vingt ans sans savoir ce qu’était un fenouil. Inconnu au bataillon. Absent des menus familiaux, de la cantine, des comptines et des imagiers d’apprentissage, dans lesquels on découvre l’allure et le nom de fruits et légumes peu familiers. La seule chose qui aurait pu me mettre sur la voie était un vieil album de BD trouvé au grenier et intitulé La Famille Fenouillard, ringard à souhait… Mais de fenouil il n’était toujours pas question. J’avais bien eu la chance de voyager en Italie, mais au régime pizza-pasta-gelati… qui n’était pas pour me déplaire. C’est pourtant dans ce pays, un peu plus tard, que j’ai découvert ce drôle de légume et m’y suis convertie.
Une bizarrerie déjà que son nom (« petit foin » en latin) dans la langue française, qui ne compte avec ce suffixe qu’un aréopage féminin amusant, populaire et plutôt fantaisiste : tambouille, vadrouille, arsouille, fripouille, andouille, bafouille, bidouille, papouille, barbouille, couille, nouille, embrouille, chatouille et ratatouille… Une autre bizarrerie ensuite que sa silhouette, renflée et cordiforme, qui rappelle les schémas d’anatomie cardiaque. Mais le fenouil, dandy, soigne son look, drape son bulbe nacré dans de multiples couches côtelées savamment imbriquées, tout en arborant un joli plumet de feuillage vert tendre. Dans les champs, on le reconnaît de loin à ce halo vert vaporeux – au pied des oliviers, dans les Pouilles (pas que pour la rime), le long des chemins de pierre chauffés par le soleil et embaumés d’un parfum enivrant…
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Car le panache du fenouil n’est pas que visuel. Il est, bien plus encore, olfactif et gustatif, grâce à cette singulière et puissante saveur anisée qui le distingue du commun des légumes. C’est aussi le revers de la médaille : il fait grimacer ceux qui déclinent un petit jaune ou une mauresque au comptoir, évitent les sauces à l’aneth et bannissent la badiane (anis étoilé) de leurs menus. Et ils sont nombreux, hélas ! En France, seul un ménage sur cinq achète du fenouil au moins une fois par an, selon une étude de la filière fruits et légumes (CTIFL [Centre technique au service des fruits et légumes], 2010). Sa place dans nos assiettes demeure très marginale, bien loin de l’usage courant, varié et populaire que lui réservent nos voisins italiens.
Un parfum méditerranéen
Pour réparer cette injustice, commençons par acheter de beaux bulbes fermes et blancs, sans taches ni meurtrissures. Après un rinçage et une coupe rapide (haut des tiges, trognon et feuilles externes si besoin), les voilà prêts à être apprêtés. A l’état cru, le fenouil est croquant et rafraîchissant : émincé, il intègre en majesté toutes les salades d’été, dans lesquelles il côtoie volontiers tomates (fraîches ou confites), artichauts poivrade, oignons rouges, noisettes, fruits de mer, crevettes et anchois ; détaillé en tranches fines à la mandoline, il se transforme en carpaccio express, avec câpres à queue, copeaux de pecorino et vinaigrette à la tapenade. Pour tous ces usages crus, on pense à le citronner ou à l’arroser de balsamique blanc, pour préserver sa couleur.
Pour les novices ou récalcitrants, mieux vaut tenter une version cuite du fenouil, la cuisson estompant sa saveur anisée. C’est alors un allié de choix du poisson : compagnon fidèle du bar, il en garnit généreusement le ventre vidé tout en parfumant sa chair (la fameuse recette provençale du loup au fenouil). Braisé, étuvé, mijoté (avec un jus d’agrume) ou grillé, il surprend gentiment les papilles. En petits dés, il intègre un risotto ; en tranches, un gratin au parmesan ou une tarte à la tomate. J’en glisse toujours un ou deux parmi mes légumes rôtis au four (betterave, patate douce, céleri-rave, etc.), aromatisés d’une marinade huile d’olive-ail-vinaigre balsamique, origan et cardamome. Si l’on veut, enfin, l’introduire en dessert, on tentera une tarte tatin au fenouil ou fenouil/pomme, avec une pointe de gingembre râpé et un coulis au chocolat… Ouillouillouille !
La recette : salade de fenouil à la grenade et au sumac
Ingrédients : pour 8 personnes
1 grenade, 4 bulbes de fenouil, 4 c. à s. d’huile d’olive, 1,5 c. à s. de sumac (épice orientale rouge au goût citronné), 2 citrons, 20 olives noires Kalamata, 5 branches d’estragon, 3 branches de persil plat, sel, poivre noir fraîchement moulu, 150 g de bonne feta
Ouvrir une grenade et prélever les graines au-dessus d’un saladier, en tapotant sur la peau avec le dos d’une cuillère. Eliminer les résidus de membrane blanche entourant les graines. Rincer et sécher 4 bulbes de fenouil, couper un petit cône à la base et ôter les pluches, en en conservant quelques-unes pour le décor. Emincer la chair en fines tranches, si possible à la mandoline.
Dans un saladier, mélanger 4 c. à s. d’huile d’olive, 1,5 c. à s. de sumac, le jus de 2 citrons, les feuilles ciselées de 5 branches d’estragon et de 3 branches de persil plat, peu de sel mais une dose généreuse de poivre noir fraîchement moulu. Ajouter le fenouil, mélanger bien.
Ajouter 20 olives noires Kalamata et les graines de grenade ; émietter sur le dessus 150 g de bonne feta. Décorer avec quelques pluches de fenouil et saupoudrer d’une dernière pincée de sumac. Servir bien frais.
(Recette inspirée du Cookbook (Hachette) de Yotam Ottolenghi, chef originaire de Jérusalem et installé à Londres, qui cuisine les légumes avec passion et originalité.)
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