Le régime algérien souffle sur les braises du terrorisme pour tétaniser le peuple

Le général Saïd Chengriha, avec des soldats algériens, à Tipaza.

Le général Saïd Chengriha, avec des soldats algériens, à Tipaza. . DR

L’armée algérienne agite à nouveau le spectre de la décennie sanglante (1992-2002). C’est le général Saïd Chengriha lui-même qui vient de grossir le trait au sujet d’un incident avec des présumés terroristes à Tipaza, dans le but de faire peur aux Algériens. Décryptage.

Le 06/01/2021 à 12h34

Le week-end dernier, un groupe présumé terroriste, composé de quatre membres, a eu un accrochage avec une unité de l’armée algérienne, qui l’a finalement neutralisé dans la région de Tipaza. Ce genre d’opérations militaires n’est pas nouveau, mais survient de temps à autre en Algérie avec des hommes armés, considérés comme des résidus des groupuscules islamistes qui avaient été créés dans les années 90.

Récemment, entre les 1er et 17 décembre derniers, le ministère algérien de la Défense nationale (MDN) a annoncé, dans un communiqué, deux opérations du même genre à Jijel, au cours desquelles «trois islamistes armés, des vétérans du jihad en Algérie, ainsi qu'un sergent-chef de l'armée avaient été tués dans un sérieux accrochage», début décembre, avant qu’un islamiste, quant à lui qualifié de «dangereux terroriste», ne soit capturé le 17 décembre «dans le cadre d'une opération antiterroriste à Jijel (nord-est de l'Algérie)», selon les termes employés dans un communiqué du MDN, relatant ces deux affaires. Quatre hommes armés ont été donc mis hors d’état de nuire en décembre, en plus de la mort d’un militaire.

C’est quasiment un incident similaire à ce fait divers qui vient de se dérouler lors des deux opérations séparées des 2 et 3 janvier derniers, à Tipaza, au cours desquelles six présumés terroristes et trois militaires algériens sont morts.

Sauf que ces dernières opérations ont été surmédiatisées en Algérie, à cause de l’arrivée sur place, un jour après la fin des accrochages bien sûr, du chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chengriha, qui a prononcé un long discours devant les soldats.

«J'ai tenu à vous rencontrer suite à la réussite de l'opération antiterroriste que vous avez exécutée le 2 janvier 2021. Vous, les vaillants personnels de nos unités, avez réussi à éliminer quatre terroristes sanguinaires et dangereux et à récupérer leurs armes», a affirmé Chengriha, selon un communiqué du MDN, repris par l’APS. Il a également demandé à l’armée de «faire preuve du plus haut degré de vigilance et de précaution… dans la lutte contre les résidus terroristes».

Ce discours, ainsi que la présence du chef d’état-major de l’armée algérienne, sur les lieux mêmes de l’opération, dite de «lutte contre le terrorisme», n’est pas anodin. Le chef d'état-major de l'armée algérienne s'est exprimé alors même que l’Etat algérien vient de rappeler les artisans de la décennie noire, dont un criminel de guerre notoire, le fugitif Khaled Nezzar, et l’ancien patron des renseignements, Mohamed Mediène, dit «Toufiq», auquel colle désormais le qualificatif de «détenu politique et d’opinion», prononcé par sa famille, quand il était derrière les barreaux. Il faut donc le dire tout de go: ce même régime essaie de faire du neuf avec du vieux, et ressort une vieille recette, qui a jadis montré son efficacité, celle de maintenir les Algériens chez eux... en maniant la terreur.

En brandissant ainsi une menace terroriste, Saïd Chengriha tente de réveiller les démons des années 90, et donc faire peur aux populations, au moment où le pays traverse la plus grave crise multiforme de son histoire.

Rappelons à cet égard que la Charte pour la paix et la réconciliation, liant pouvoir algérien et groupes terroristes repentis, signée en 2005, est censée avoir définitivement tourné la page de la «décennie noire» (1992-2002). Même si certaines poches, surtout liées au grand banditisme, sous couvert de terrorisme, restent actives en Algérie, dans des maquis du centre-est du pays, l’armée fait aujourd’hui monter les enchères en soufflant sur ces années de braises, qui s'étaient soldées par un lourd bilan, de plus de 200.000 morts dans le pays.

D’ailleurs, l’annonce, le 28 décembre dernier, de la récupération de 80.000 euros dans «les casemates de Jijel» a pour objectif d'effectuer un lien direct entre les opérations actuelles en Algérie, et les groupuscules terroristes opérant au Sahel, qui ont récemment libérés des otages contre le versement d’une rançon en euros. Toutefois, il est difficile de démêler la réalité des faits: l'exhibition de cette somme de 80.000 euros correspond-elle à une opération véridique, ou, en fait, à une mise en scène?

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Dans son édition du 4 janvier dernier, un journal algérien a vite fait de croire déceler une main étrangère, et un «acharnement des commanditaires» contre l’Algérie. «Cette somme [80.000 euros, Ndlr] provient d'une rançon versée à des terroristes opérant au Sahel. L'auteur de ce versement n'a pas été divulgué, mais on devine aisément qui a intérêt à entretenir ce fléau dans notre région», assure ce média.

Mais ce qui est certain, c’est que face à tous les ingrédients d’une inéluctable explosion populaire qui sont aujourd’hui réunis en Algérie, et face, aussi, au pacifisme affiché par le hirak durant toute une année de manifestations hebdomadaires, le pouvoir militaire tente de se perpétuer, en brandissant la menace du terrorisme.

Une question se pose donc aujourd’hui: jusqu’où ira le régime algérien avec cette stratégie de la menace terroriste? Personne n’oublie que pendant la décennie noire, le «qui tue qui?» était une interrogation focale. Pour le peuple algérien, il ne faisait pas de doute que nombre de massacres étaient perpétrés par ceux-là mêmes qui affirmaient pourtant lutter contre le terrorisme.

Par Mohammed Ould Boah
Le 06/01/2021 à 12h34