Une partie de la dette publique des pays européennes est détenue par la banque centrale européenne.

Une partie de la dette publique des pays européennes est détenue par la banque centrale européenne.

L'Express

C'est une proposition qui revient régulièrement dans l'actualité depuis l'arrivée de la crise sanitaire. Dimanche, l'ancien ministre Arnaud Montebourg a appelé à "une annulation concertée de toutes les dettes Covid de tous les pays de la zone euro, et un rachat massif par la Banque centrale européenne, qui ne spoliera personne". "On ne va pas avoir des plans d'austérité ad vitam aeternam pour rembourser une dette dans laquelle nous n'avons aucune responsabilité ni morale, ni politique, ni économique", a insisté l'ancien ministre du Redressement productif sous François Hollande sur le plateau du Grand rendez-vous Europe 1-Les Echos-CNews.

Publicité

LIRE AUSSI >> Nicolas Bouzou : Pourquoi l'annulation de la dette est une (très) mauvaise idée

D'après l'Insee, fin 2019, la France affichait une dette représentant 98,1% du PIB à 2 380,1 milliards d'euros. Entre-temps, le gouvernement a mis en place tout un arsenal de mesures pour éviter un effondrement de l'économie, dont des prêts aux entreprises, le chômage partiel ou encore des annulations de charge. Après le premier confinement, le PIB a fortement chuté. De fait, la dette va considérablement augmenter cette année. "Nous avions prévu pour 2020 un niveau d'endettement de 117,5% du PIB. Ce chiffre va passer à 119,8%", a annoncé Bruno Le Maire dans une interview au Parisien le 30 octobre dernier.

Comme en France, la dette publique a explosé dans les autres Etats-membres de l'Union européenne qui ont eux aussi pris des mesures de soutien. Au deuxième trimestre 2020, les pays de l'UE ont vu leur niveau de dette publique bondir. Sept d'entre eux affichent désormais une dette publique supérieure à 100% du PIB, d'après Eurostat : la Belgique (115,3 %), la Grèce (187,4%), l'Italie (149,4%), la France (114,1%), le Portugal (126,1%), Chypre (113,2%) et l'Espagne (101,1%).

Règle contournée par la BCE

La dette publique de la France, comme celle des pays européens, est détenue par plusieurs acteurs : des investisseurs privés, des banques, des assureurs ou encore des fonds de pension. Une partie de cette dette publique est également détenue par la banque centrale européenne. Ce mécanisme de rachat de dette souveraine, assez récent, a été utilisé par la BCE dans la zone euro à partir de 2015 pour stimuler la croissance. En pratique, l'article 123 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdit "l'acquisition directe par la Banque centrale européenne, ou les banques centrales nationales, des instruments de la dette [des Etats]".

LIRE AUSSI >> Faut-il effacer les dettes publiques liées au coronavirus?

La BCE contourne en réalité cette règle en ne rachetant pas directement la dette des Etats mais en rachetant, par l'intermédiaire des banques centrales nationales, une partie de cette dette directement aux créanciers de l'Etat sur "le marché secondaire". En mai dernier, la Cour constitutionnelle allemande a d'ailleurs épinglé la BCE en lui demandant de justifier cette pratique. Une partie de la dette de la zone euro est en effet détenue par la Banque centrale européenne (20%). Cela correspond à 2 320 milliards d'euros pour l'ensemble de l'UE, dont 457 milliards d'euros pour la France, à fin mai 2020.

Plusieurs voix s'élèvent aujourd'hui pour annuler purement et simplement cette dette pour permettre aux Etats-membres de passer la crise économique liée au Covid-19. Annuler la dette détenue par les autres créanciers est en revanche impossible, c'est pourquoi seule l'annulation de la dette détenue par la BCE est envisagée. "Cela aurait des effets déstabilisants sur le marché, cela créerait un vent de panique", note auprès de L'Express Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences en économie bancaire et financière à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et co-signataire de plusieurs tribunes appelant à l'annulation d'une partie des dettes publiques de la BCE.

La question divise les économistes

Chez les économistes, la question divise. Le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne contient aucune disposition légale sur l'annulation de la dette détenue par la BCE. "L'article 123 interdit clairement la monétisation des déficits publics. En revanche, il n'interdit pas une annulation de dette. Les juristes européens pourraient considérer que cela va contre l'esprit du traité", estime Jézabel Couppey-Soubeyran. Pour l'économiste Véronique Riches-Flores, interrogée par L'Express, "rien n'est impossible dès lors qu'il y a décision politique. Cela fait 10 ans que l'on vit hors cadre. La BCE est relativement récente. Elle a été créée dans un contexte où l'on était très loin d'imaginer ce qui allait se passer."

LIRE AUSSI >> Quelle relance économique pour demain : les pistes pour sept économistes

Une telle décision pourrait néanmoins déstabiliser l'entente des pays de la zone euro. "Les pays du Nord vont être violemment contre. Cela va induire des tensions politiques extrêmement préjudiciables", prévient auprès de L'Express François Ecalle, ancien rapporteur général du rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques et président de l'association Fipeco. "Il y a beaucoup de résistance au sein de la zone euro. Elles sont essentiellement politiques. La dette est aussi un instrument de pression politique qui permet d'orchestrer l'austérité", ajoute Jézabel Couppey-Soubeyran.

Situation exceptionnelle

La situation exceptionnelle du Covid pourrait amener la BCE à prendre des décisions inédites, même si elle s'y résigne jusqu'à présent. "Avec le Covid, on ne peut pas vraiment dire que les Etats ou qui que ce soit est responsable. C'est un choc assez imprévisible qui n'est pas lié à un comportement trop dépensier de la part d'un Etat. Cela amène à justifier un traitement spécifique", estime auprès de L'Express Raul Sampognaro, économiste au département Analyse et Prévisions de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE-Sciences Po).

Les conséquences de l'annulation de la dette détenue par la BCE dans la zone euro sont encore incertaines. Pour Véronique Riches-Flores, il ne faudrait pas annuler toutes les dettes, mais faire du cas par cas. "Le plus grand bénéficiaire serait l'Allemagne. Est-ce qu'on a envie d'imaginer une zone euro dans laquelle l'Allemagne serait considérablement allégée de sa dette publique ?", interroge-t-elle. "Cela serait beaucoup moins risqué de faire au cas par cas plutôt que de faire des annulations générales qui soulèvent bien d'autres risques qui sont difficiles à anticiper", ajoute l'économiste.

Selon Jézabel Couppey-Soubeyran, l'annulation des dettes détenues par le BCE aurait un coût "qui serait pris en charge par la BCE. Le fait de renoncer à une partie des créances qu'elle détient, cela va engendrer une perte. Cette perte est largement supportable pour une institution comme la BCE". En revanche, cela pourrait envoyer des signaux négatifs aux acteurs financiers auprès desquels les Etats empruntent. "Dès qu'on envoie le signal qu'on ne paie pas une dette, il y a toujours le risque de savoir si on va payer la dette le surlendemain, relève Raul Sampognaro. On entrouvre une porte",

Publicité