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Derrière le coup d’Etat au Mali, la rivalité entre Paris et Moscou

Certains officiers putschistes maliens sont proches de Moscou. Paris ne cache pas une certaine nervosité

Des manifestants brandissent le portrait des officiers putschistes maliens aux côtés d'un drapeau russe, le 28 mai 2021 à Bamako. — © REUTERS
Des manifestants brandissent le portrait des officiers putschistes maliens aux côtés d'un drapeau russe, le 28 mai 2021 à Bamako. — © REUTERS

Neuf mois après son premier coup d’Etat, le colonel Assimi Goïta est le nouveau président du Mali. Exit les civils chargés de mener le pays jusqu’aux prochaines élections. Les militaires sont désormais seuls à la barre. Et les condamnations internationales, d’abord virulentes, ont baissé d’un ton.

Une semaine après avoir écarté le président et le premier ministre, le jeune colonel est revenu conforté d’un sommet extraordinaire dimanche des pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui menaçait d’imposer des sanctions à leur voisin enclavé et exsangue.

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Finalement, Bamako n’a été que suspendu des instances de la Cédéao. Même Emmanuel Macron, très remonté la semaine dernière contre le nouveau coup de force du putschiste malien, s’est rangé derrière la position de la Cédéao, pourvu que les élections se tiennent comme prévu en février 2022.

De mystérieux contrats d’armement

La France est revenue à de meilleurs sentiments, car elle ne veut pas s’aliéner les militaires maliens. Ceux-ci combattent les groupes djihadistes aux côtés des soldats français déployés dans le désert malien depuis 2013. D’autant que l’ancienne puissance coloniale voit sa relation exclusive avec le Mali contestée. Au lendemain du coup de force du colonel Goïta, qui avait arrêté le président et le premier ministre, la presse malienne voyait le résultat des divergences sur des contrats d’armement russe.

Certains putschistes, qui avaient renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, sont en effet proches de Moscou. «Le colonel Sadio Camara était en Russie juste avant le coup d’Etat d’août 2020», analyse Mohamed Amara, sociologue à l’Université des lettres et des sciences de Bamako et à l’Université de Lyon, auteur des «Marchands d’angoisse, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être» (Editions Grandvaux, 2019).

Ce colonel avait hérité du Ministère stratégique de la défense. Mais il ne figurait plus dans le gouvernement remanié annoncé la semaine dernière par le président de la transition malienne Bah N’Daw. Réplique immédiate d’Assimi Goïta: le président, juste revenu de Paris où il avait assisté à un sommet sur le financement des économies africaines, et le premier ministre étaient emmenés par les militaires et démis de leurs fonctions.

Manifestation pro-russe

Les divergences sur un éventuel rapprochement avec la Russie ne sont pas la seule explication du second putsch malien. «Il est certain que le feu vert international à la succession dynastique au Tchad a donné des idées aux officiers maliens», continue Mohamed Amara. La junte au pouvoir joue aussi sur le ressentiment grandissant envers la France. Depuis son intervention militaire, la situation sécuritaire du pays a empiré.

Durant le week-end, plusieurs centaines de Maliens ont manifesté contre la présence militaire française, brandissant des drapeaux russes. Quelques jours plus tôt, le président Emmanuel Macron avait dénoncé un «coup d’Etat dans le coup d’Etat», prônant même des sanctions ciblées contre les colonels maliens.

Précédent centrafricain

Il est certain qu’aucun reproche de ce type ne serait à craindre de Moscou. Une aide militaire doublée d’un soutien diplomatique, voilà ce que fournit la Russie à la Centrafrique depuis quelques années. Les Russes sont d’abord arrivés dans ce pays délaissé, ancien pré carré français, sur la pointe des pieds. Il apparaît aujourd’hui que les instructeurs russes combattent en réalité aux côtés du gouvernement et des Casques bleus de l’ONU contre les rebelles, en échange d’un accès aux ressources minières du pays. Trois de ces «instructeurs» russes ont d’ailleurs été tués jeudi dernier.

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La France ne cache pas son irritation. Dimanche, au retour d’un voyage en Afrique, Emmanuel Macron a estimé que le président centrafricain était «l’otage» des mercenaires russes qui assurent sa protection. Dans le même entretien, accordé au Journal du dimanche, le président français a aussi menacé Bamako de retirer les troupes françaises. La majorité des 5100 soldats français de la force Barkhane sont basés au Mali.

Emmanuel Macron veut donner des gages à son opinion publique, moins d’un an avant la présidentielle française. Mohamed Amara ne croit pas que le président mettra ses menaces à exécution, car ce serait un terrible aveu d’échec de la lutte contre les djihadistes. «La France et le Mali ont des relations très étroites, pas seulement militaires mais aussi économiques. C’est comme un vieux couple qui s’engueule mais qui reste ensemble.»