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Sochaux La nouvelle Citroën C5X va être fabriquée en Chine : "Que va-t-il rester à la France si même le haut de gamme part à l’étranger ?"

Le groupe Stellantis a décidé de produire la nouvelle Citroën C5X exclusivement en Chine, et non en France comme c’était le cas jusqu’ici pour tous les modèles haut de gamme (segment D) de la marque. Questions à Jean-Louis Loubet, chercheur spécialiste de l’automobile.
Recueillis par Alexandre BOLLENGIER - 16 avr. 2021 à 05:00 - Temps de lecture :
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Jean-Louis Loubet : « L’automobile devient une activité secondaire dans l’économie française. C’est un terrible constat. En vingt ans, les effectifs de la filière ont été divisés par deux. »  Photo  DR
Jean-Louis Loubet : « L’automobile devient une activité secondaire dans l’économie française. C’est un terrible constat. En vingt ans, les effectifs de la filière ont été divisés par deux. » Photo DR
Êtes-vous surpris par ce choix de localiser en Chine la production de la C5X ?

« Je suis très étonné, qui plus est dans le contexte économique et pandémique actuel. Cela va à l’encontre du discours ambiant autour de la relocalisation d’activités industrielles en France. Il était par ailleurs acquis que l’Hexagone fabrique des automobiles chères, cossues, de qualité et que les modèles bon marché soient produits à l’étranger, en Chine par exemple. Ce consensus a volé en éclats. Que va-t-il rester à la France si même le haut de gamme lui échappe ? Stellantis va-t-il saupoudrer des nouveaux modèles ici et là dans les usines terminales françaises ? La mondialisation, je crois, doit avoir des limites. Si le marché français devient un marché d’appoint, c’est grave. »

D’aucuns voient ici une preuve supplémentaire que la désindustrialisation de la France s’accélère. Et vous ?

« Oui, complètement. L’annonce par Stellantis, en février dernier, du transfert de la production de ses moteurs essence EP3 de Douvrin dans les Hauts-de-France vers la Hongrie en est un autre exemple (1). Autrefois, l’automobile française exportait et rapportait des devises ; aujourd’hui, on importe des voitures. C’est hallucinant. L’automobile devient une activité secondaire dans notre économie. Le constat est terrible. »

Comment expliquer le choix de la Chine pour fabriquer la C5X alors que de gros investissements ont été réalisés dans les usines françaises pour les transformer en usines du futur ? C’est notamment le cas du berceau du lion avec le programme Sochaux 2022 et ses 200 millions d’euros.

« Je pense qu’il y a un très mauvais calcul au départ, à savoir le suréquipement des usines chinoises. PSA (N.D.L.R. : qui a fusionné en janvier dernier avec Fiat Chrysler pour former Stellantis) a tellement investi en Chine, où le marché s’est effondré, qu’il est contraint de les charger pour ne pas les fermer. N’oublions pas que PSA s’est séparé de deux sites de production chinois en 2019. C’est peut-être ça la logique. C’est peut-être conjoncturel. »

N’est-ce pas un très mauvais signal commercial ? Les clients Citroën, qui ont une soixantaine d’années - l’âge moyen le plus élevé des acheteurs d’automobiles neuves - sont plutôt conservateurs, très sensibles au made in France.

« En termes d’image, c’est catastrophique. On n’achète pas un véhicule haut de gamme, qui est très cher, les yeux fermés. Dans les concessions, j’imagine mal les vendeurs intégrer le lieu de fabrication de la C5X dans leur argumentaire… Je ne sais pas si Citroën va vendre beaucoup d’exemplaires de ce modèle en France. Peut-être est-ce un baroud d’honneur, peut-être Stellantis ne lance-t-il la C5X, pas vraiment adaptée au marché européen, que pour l’écouler en Chine (et encore faut-il y parvenir). Si c’est le cas, ce serait gonflé. »

Est-ce un tabou qui a été brisé avec la fabrication de cette Citroën en dehors de nos frontières ?

« Pour moi, c’est un tournant. Aujourd’hui, pour les constructeurs et les industriels en général, seuls les coûts de revient et de fabrication comptent. Ce qui importe avant tout, c’est d’être rentable. La politique de Carlos Tavares, en fin de compte, c’est celle de l’ex-PDG de Renault-Nissan Carlos Ghosn : la même logique d’efficacité, la même logique financière. Reconnaissons tout de même que le premier a nettement mieux réussi que le second… »

À chacune de ses interventions, Carlos Tavares répète que c’est la pérennisation de l’entreprise qui guide ses choix.

« La pérennisation de l’entreprise, oui, mais le souci de préserver les sites, auxquels ont longtemps tenu les dirigeants de PSA, a aujourd’hui disparu. C’est la logique de la mondialisation qui prévaut. »

En 1997, Renault a fermé du jour au lendemain son usine flambant neuve de Vilvorde en Belgique en laissant plus de 3 000 salariés sur le carreau. Un tel scénario peut-il se reproduire, chez Stellantis ou chez un autre groupe automobile ?

« Je ne sais pas, mais rien ne dure aujourd’hui, même si on ne peut pas dire que c’est nouveau. Dans les années quatre-vingt, le succès de la Peugeot 205 a sauvé le site de Mulhouse. Sans lui, il aurait sans doute fermé. Mais à présent tout est devenu beaucoup plus fluctuant, changeant. La flexibilité est partout. Avec le XXIe  siècle, on est revenu à la rudesse du travail au XIXe  siècle. Son emploi, il faut aller le chercher et se démener pour le garder. Rien n’est jamais acquis. On réalise que le XXe  siècle, du moins dans sa seconde moitié, était, avec le plein-emploi, une jolie parenthèse. Tout cela est terminé désormais. »

(1) Stellantis vient d’attribuer la fabrication de son moteur EB Turbo au même site de Douvrin avec, selon une source syndicale, une prévision de 330 000 unités par an contre 220 000 pour le moteur essence EP3 promis à la Hongrie.

Jean-Loubet en quelques dates

1992 _ Professeur des Universités (histoire économique).

2000 _ Auteur de Histoire de l’automobile française (Seuil).

2001 _ Directeur du Laboratoire LHEST-Evry.

2009 _ Auteur de La Maison Peugeot (Perrin).

2010 _ Directeur du Laboratoire IDHE-Evry (CNRS).

2017 _ Auteur de Une autre histoire de l’automobile (PUR)

2021 _ Départ à la retraite. Deux nouveaux ouvrages en préparation.

Carlos Tavares a pris la tête du groupe PSA en 2014, puis celle du groupe Stellantis (PSA + Fiat Chrysler) début 2021.  Photo ER /Alexandre MARCHI

Stellantis : « Pas de réduction de notre empreinte industrielle en France »

Lors d’une conférence digitale, jeudi 15 avril, Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis, a promis « de 500 à 800 kilomètres d’autonomie pour les prochains véhicules électriques du groupe » via le développement de quatre châssis. Quelques jours plus tôt, le constructeur a annoncé l’attribution au site de Douvrin, dans les Haut-de-France, de son nouveau moteur EB Turbo de troisième génération (hybride), « ce qui offrirait à ses salariés une perspective jusqu’à 2028, voire au-delà », selon Force Ouvrière. C’est ce même site qui va accueillir une usine de cellules et modules de batteries pour voitures électriques , fruit de la coentreprise ACC (Automotive Cells Company) entre Saft, filiale de Total, et Stellantis.

« La pertinence de nos choix »

« Tout ceci démontre la pertinence de nos choix industriels, avec la localisation en France de la valeur de la chaîne de traction électrique, et explique nos choix pour Douvrin avec l’anticipation nécessaire, sans impact social, pour former les salariés à de nouvelles compétences en vue de fabriquer des batteries », précise le service communication de Stellantis, lequel réfute toute réduction de l’empreinte industrielle du groupe dans l’Hexagone et revendique « une gestion socialement responsable de la transition énergétique. »

A.B.