Academia.eduAcademia.edu
Référence du chapitre Van de Velde Cécile, « La fabrique des solitudes », in Rosanvallon Pierre (dir.), Refaire société, Le Seuil, La République des Idées, 2011, p.27-37. La fabrique des solitudes par Cécile Van de Velde O n la croit durable voire irréversible, conditionnée à un âge, la vieillesse, et à une situation, l’isolement géographique ou relationnel. En fait, elle est plus volontiers transversale, nichée à des âges plutôt précoces et au cœur même du lien familial et social. La solitude n’est pas l’isolement. Celui-ci répond à un statut tangible, objectivé par des indicateurs de rareté des liens ; tandis que celle-là relève d’une expérience subjective, fondamentalement inscrite dans la dynamique de nos appartenances et de leurs réversibilités. Le sentiment de solitude peut être conjugal, tandis que bien des modes de vie apparemment solitaires peuvent renvoyer à une intégration sociale effective. La solitude prend à contrepied l’évidence positive du lien et le caractère systématiquement subi du retrait – réel ou symbolique – vis-à-vis du collectif. C’est d’ailleurs ce caractère lexible et mouvant qui en fait un objet peu investi par les sociologues. Et pourtant, une fois déconstruite, la solitude dévoile un nouveau visage de la société française, et devient une clé de lecture originale qui invite à penser autrement notre « vivre ensemble », ses implications individuelles comme ses métamorphoses. 27 Refaire société [01-BR].indd 27 07/09/11 10:47 REFAIRE SOCIÉTÉ C a r t o g r a p h i e des s ol i t udes en France La solitude cristallise préjugés et représentations où se joue la peur de l’individu face à l’inutilité et l’échec social. Dans un premier temps de rélexion, tentons de dépasser ces mythes sociaux pour en visiter les igures émergentes et moins visibles. Quelles solitudes la société française fabrique-t-elle ? À quels moments de la vie, pour qui et sous quelle forme tend-elle aujourd’hui à se manifester ? Jusqu’ici, la sociologie française de la solitude s’est trouvée cloisonnée à certains âges ou à certaines populations cibles – les femmes célibataires et les personnes âgées notamment – et polarisée entre des échelles soit micro-, soit macro-sociales d’analyse. De récentes enquêtes françaises permettent une lecture plus dynamique des solitudes au il des âges, et témoignent de l’émergence d’une dialectique complexe entre l’individu et ses appartenances : en rendant possible une multiplicité de modes de mises en relation entre soi et les autres, les processus de dématérialisation des liens à l’œuvre aujourd’hui tendent à disjoindre la vie solitaire de la solitude. Des solitudes séniles aux solitudes juvéniles Premier mythe : la solitude serait un « mal » qui touche particulièrement les personnes âgées. Dès la in des années 1960, Simone de Beauvoir convoquait cette image du « vieux » solitaire et abandonné, dans des sociétés condamnant de plus en plus la vieillesse à une forme d’« exil 1 ». Une telle igure a été réactivée par l’épisode de la canicule de 2003, qui a mis la solitude des aînés sous l’éclairage médiatique et a fait émerger, dans les 1. Simone de Beauvoir, La Vieillesse, Paris, Gallimard, 1970. 28 Refaire société [01-BR].indd 28 07/09/11 10:47 LA FABRIQUE DES SOLITUDES catégories d’action politique, celle des « personnes âgées isolées ». Or, si l’isolement augmente avec l’âge, ce n’est pas le cas de la solitude – opérationnalisée par des indicateurs tels que « se sentir seul » : à partir des données de l’enquête « Relations quotidiennes et isolement » (INSEE, 1997), Jean-Louis Pan Ké Shon 1 montre que les personnes âgées sont au inal moins sensibles au sentiment de solitude que d’autres catégories d’âge, telles que les 35-54 ans, et plus encore, les 25-34 ans, courbe des âges qu’il conirmera par ailleurs avec des données de 2001. Dans la société française, le sentiment de solitude touche plutôt les catégories jeunes, même si on relève des cas de solitude extrême et durable parmi les personnes âgées. Une telle disjonction potentielle montre combien la solitude doit être pensée non pas sous la forme d’un statut, mais d’un rapport à soi. Par une approche sensible de la solitude des personnes âgées, Arnaud Campéon 2 prolonge cette déconstruction et rappelle que si la vieillesse peut conduire à un rapport d’étrangeté au monde, voire à soi-même, l’individu vieillissant n’est pas pour autant « hors du social », et bien des situations d’isolement relationnel ou de solitude apparente échappent à la détresse psychologique dans laquelle on pourrait spontanément les enfermer. La solitude a-t-elle un genre ? Second mythe : la solitude serait une expérience quasi exclusivement féminine, associée à la diffusion du célibat en milieu de vie, ou du veuvage au grand âge. C’est d’ailleurs par le prisme féminin qu’a majoritairement été étudiée la solitude de la « vie en solo », sans doute parce que la igure de la femme seule bouscule 1. Jean-Louis Pan Ké Shon, « Être seul », Données sociales. La société française, Paris, INSEE, 2002. 2. Arnaud Campéon, Des vieillesses en solitude. Trajectoires et expériences de solitude en retraite, thèse de doctorat pour le troisième cycle, université de Lille-3, 2010. 29 Refaire société [01-BR].indd 29 07/09/11 10:47 REFAIRE SOCIÉTÉ particulièrement les conceptions traditionnelles du modèle matrimonial. Une telle représentation est partiellement vériiée : à large échelle, les femmes ne sont pas plus isolées que les hommes, mais plus sensibles au sentiment de solitude 1. Cette subjectivité solitaire n’est pas uniquement liée à la vie seule ; elle se niche également au sein des ménages où la femme élève seule ses enfants. Le sentiment de solitude apparaît d’autant plus aigu qu’il s’inscrit dans des moments censés être socialement partagés, telle que la parentalité isolée en milieu de vie ou, dans la temporalité quotidienne, lors des repas. Jean-Claude Kaufmann 2 évoque ainsi les « lieux du malaise » évoqués par de nombreuses femmes célibataires, où pointe le « doigt accusateur » du collectif, portant avec lui le soupçon et le stigmate de l’échec. Apparaît une autre dimension de la solitude, comme rapport à la norme exigeant un apprentissage de la différence sociale. Erika Flahaut 3 distingue à cet égard, parmi les femmes vivant seules, celles « en manque », de celles « en marche » et des « apostates du conjugal » : les premières se voient privées de la possibilité de faire l’apprentissage de la solitude, tant leur célibat les éloigne de la norme à laquelle aspirent. Solitudes des villes, solitudes des champs Troisième mythe : celui d’une solitude géographiquement territorialisée, qu’elle soit pensée comme rurale, associée à l’isolement géographique prolongé, ou comme urbaine, telle l’« ultramoderne solitude » d’Alain Souchon. Analysant l’évolution du 1. Jean-Louis Pan Ké Shon, « Isolement relationnel et mal-être », INSEE Première, no 931, novembre 2003. 2. Jean-Claude Kaufmann, La Femme seule et le Prince charmant. Enquête sur la vie en solo, Paris, Nathan, 1999. 3. Erika Flahaut, Une vie à soi. Nouvelles formes de solitude au féminin, Rennes, PUR, 2009. 30 Refaire société [01-BR].indd 30 07/09/11 10:47 LA FABRIQUE DES SOLITUDES suicide, Christian Baudelot et Roger Establet 1 ont montré une inversion du rapport villes-campagne tout au long du xxe siècle : initialement urbain lors des premières enquêtes de Durkheim, le suicide s’est déplacé vers les campagnes, au gré du passage d’une civilisation rurale à une civilisation urbaine. La solitude suivraitelle cette migration territoriale ? Ce n’est apparemment pas le cas : même si elles appellent sans doute à des prolongements, les enquêtes récentes 2 se rejoignent pour montrer l’absence de structuration territoriale signiiante de ce phénomène. La solitude ne se territorialise pas de façon distinctive entre les zones urbaines, zones périurbaines et zones rurales. Pauvres solitudes La solitude fait jouer deux dimensions potentiellement interdépendantes : relationnelle, elle s’inscrit dans un rapport à l’autre ; sociale, elle relève d’un rapport à la société. Dans ces deux dimensions, la solitude touche davantage les populations en bas de l’échelle sociale, qui, d’une part, ont des réseaux de sociabilité moins nombreux que les milieux plus favorisés et sont plus fréquemment en situation d’isolement relationnel 3, et d’autre part, se retrouvent plus souvent aux « marges » sociales de la désafiliation, ce qui les rend particulièrement sensibles à la solitude. S’il peut exister une solitude des individus les plus « intégrés » au sein de la société, il existe aussi une solitude, plus durable, des « marges », qui touche notamment – mais pas uniquement – les milieux fragilisés économiquement et socialement. Évoquons à nouveau l’étude de JeanLouis Pan Ké Shon pour rappeler que le sentiment de solitude touche davantage les chômeurs de longue durée et les handicapés 1. Christian Baudelot et Roger Establet, Durkheim et le suicide, Paris, PUF, 2007. 2. Évoquons notamment celle de la Fondation de France, Les Solitudes en France en 2010, Observatoire de la Fondation de France, juillet 2010. 3. Fondation de France, Les Solitudes en France. L’impact de la pauvreté sur la vie sociale, Observatoire de la Fondation de France, juin 2011. 31 Refaire société [01-BR].indd 31 07/09/11 10:47 REFAIRE SOCIÉTÉ que les retraités et affecte particulièrement les peu diplômés et les individus en situation de pauvreté subjective 1. Dissipons pour inir un mythe émergent : le xxie siècle verrait poindre une nouvelle forme de solitude, que l’on pourrait appeler la « solitude numérique », associée à la figure d’un individu connecté mais seul, inscrit exclusivement dans des liens désincarnés. Là encore, cette conception compensatoire du lien numérique est à nuancer au proit de celle du cumul des liens, les plus « connectés » étant par ailleurs les plus intégrés socialement 2. C a p i t a l i s me s , i ndi v i dual i s me et solitudes Des « petites » aux « grandes » solitudes, les manifestations contemporaines de notre condition existentielle peuvent être associées à une pluralité d’attitudes : positivement connotée comme une source (voire une condition) de développement personnel, la solitude peut également, quand elle devient durable, être vécue comme un échec et une mise à distance de la norme. Nos sociétés sécularisées, « individualisées » et « libéralisées » induisent de multiples formes de solitude, invités que nous sommes à construire des existences autonomes, mais moins linéaires, soumises aux aléas d’une mobilité familiale, professionnelle et géographique croissante. Que ce soit celles du cœur social ou celles de ses marges, elles renvoient à l’émergence d’une éthique de la responsabilité de soi dans des vies de plus en plus discontinues. 1. Jean-Louis Pan Ké Shon, « Isolement relationnel et mal-être », art. cité. 2. Fondation de France, Les Solitudes en France en 2010, op. cit. ; et Dominique Cardon, La Démocratie Internet, Paris, Seuil-La République des Idées, 2010. 32 Refaire société [01-BR].indd 32 07/09/11 10:47 LA FABRIQUE DES SOLITUDES Le vertige de soi Quand il évoque la dificulté de pouvoir suspendre ses liens sociaux, ne serait-ce que le temps d’un week-end, ain de faire face à la course temporelle de son existence, le sociologue Harmut Rosa 1 ne sait pas qu’il convoque là une première facette de la solitude, celle codée comme « ressource » et comme relet ultime du sujet autonome. Ponctuel, impulsé voire maîtrisé par l’individu, ce face-à-soi se niche de façon transversale au cœur de l’intégration sociale. Dans son versant positif, il s’apparente à un interlude recherché, dont l’objectif est de faire le « plein de soi » nécessaire au renouvellement de sa force motrice : cette forme de solitude est considérée comme une condition du développement personnel et du dépassement de soi. Il s’agit donc là d’une solitude socialement valorisée, car individuellement maîtrisée, telle que l’incarne aujourd’hui la igure du navigateur, de l’artiste ou du randonneur. C’est d’ailleurs le développement social de cette solitude créatrice que Jacqueline Kelen 2 appelle de ses vœux. Pour autant, parce qu’elle répond à la nécessité du dépassement de soi dans des univers de compétition sociale, ce sentiment ponctuel de solitude s’incarne également dans des formes plus diffuses, moins choisies ou maîtrisées : elle peut survenir au cœur de collectif de travail, induite par des modes contemporains de management mêlant exigence du don de soi et incertitude quant à la stabilité de l’emploi ; elle descend également les âges, secrétée au sein de la société française par une compétition et une pression scolaire précoces, dès l’adolescence, voire l’enfance. Elle correspond en quelque sorte à un « vertige » lié à la mise à l’épreuve de soi et à la mise en jeu renouvelée des vies, accentuées par l’horizon d’une possible chute sociale. Elle s’inscrit ainsi dans les interstices de parcours 1. Harmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, Paris, La Découverte, 2010. 2. Jacqueline Kelen, L’Esprit de solitude, Paris, Albin Michel, 2005. 33 Refaire société [01-BR].indd 33 07/09/11 10:47 REFAIRE SOCIÉTÉ individualisés et mobiles : portée par les dynamiques récentes du capitalisme, qui mettent en discontinuité les vies professionnelles tout en appelant à la productivité, cette expérience renvoie également à la double norme d’autonomie et de responsabilité au sein des existences. Ruptures, distanciations, chutes Quand ce « vertige » se traduit par un retournement effectif des itinéraires, il ouvre sur une autre forme de solitude. Induite par la radicalité d’une rupture de vie – familiale ou sociale –, elle confronte l’individu aux normes et aux aspirations, personnelles ou collectives, dont il s’écarte. Le « vertige » se transforme alors en un sentiment plus aigu de solitude, potentiellement exacerbé par les autres. Ces solitudes s’enracinent dans le manque et dans la « perte 1 ». Ces pertes peuvent être de caractère familial, après un divorce par exemple, mais aussi social, à la suite d’un licenciement ou d’un changement de statut professionnel. L’enquête de la Fondation de France, réalisée en 2010, montre que le sentiment de solitude est attribué dans 56 % des cas à une rupture familiale – séparation ou veuvage – et dans 14 % des cas à une rupture professionnelle – perte d’emploi, changement de travail ou d’horaires. Ces solitudes s’inscrivent dans les transitions fortes, potentiellement dificiles, qui produisent une migration et une distanciation, réelle ou symbolique, du collectif initial d’appartenance. Une telle expérience est ainsi particulièrement perceptible dans les processus de traversée de l’espace social. Ascendantes, les trajectoires de réussite provoquent invariablement, comme le montre Jules Naudet 2, une tension morale et sociale, porteuse de solitude, 1. Voir Marie-Noëlle Schurmans, Les Solitudes, Paris, PUF, 2003. 2. Jules Naudet, Analyse comparée de l’expérience de la mobilité sociale ascendante intergénérationnelle aux États-Unis, en France et en Inde, thèse de doctorat de troisième cycle, Institut d’études politiques de Paris, 2010. 34 Refaire société [01-BR].indd 34 07/09/11 10:47 LA FABRIQUE DES SOLITUDES où se joue un processus de recomposition de soi et du rapport à la norme. Descendantes, ces traversées produisent la solitude des déclassés vivant un échec social vis-à-vis de leurs pairs, ou des « disqualiiés » en rupture sociale, dans un cumul possible de handicaps 1. Sous une forme extrême, c’est le propre du phénomène hirokokomi, ces jeunes Japonais, chômeurs de longue durée, qui s’enferment pendant plusieurs années chez leurs parents, face à l’intériorisation d’une honte sociale 2. Marges Au bout de ce processus vient la solitude durable, celle qui suscite la peur au sein des représentations sociales et s’associe à des sentiments d’inutilité, d’abandon ou de stigmate. Elle peut renvoyer à une marginalisation partielle, cloisonnée à un pan de vie familiale ou sociale, liée à une différence qui s’inscrit dans la durée : c’est la solitude de l’apprentissage d’un handicap, d’un stigmate hérité, d’un écart prolongé à la norme au sein d’un groupe d’appartenance. Mais, parce qu’elle fragilise l’individu sur d’autres pans de la vie sociale, elle peut relever d’un double processus de différenciation et de désafiliation, porteur d’une solitude non seulement relationnelle mais aussi sociale, pour aboutir à une vie de « marge » subie ou volontaire. En France, cette solitude des « désafiliés », privés d’intégration sociale – par l’emploi – ou de reconnaissance publique – par la protection d’État – est susceptible d’intervenir à différents âges de la vie. Elle se loge particulièrement dans les phases d’inactivité, chez les jeunes privés d’aide familiale ou publique, chez des chômeurs de longue durée, ou chez certaines personnes âgées, inscrites alors dans des trajectoires de vulnérabilisation 1. Serge Paugam, Le Lien social, Paris, PUF, 2008. 2. Yuji Genda, A Nagging Sense of Insecurity : the New Reality Facing Japanese Youth, Tokyo, International House of Japan, 2005. 35 Refaire société [01-BR].indd 35 07/09/11 10:47 REFAIRE SOCIÉTÉ radicale. Même l’intégration dans un groupe, tel que la maison de retraite, les contacts amicaux ou les associations, ne peut combler le sentiment vécu de solitude, nourri par le double relais de la culpabilité et de l’inutilité. Notons que ces solitudes s’inscrivent dans une dynamique et une temporalité longues et peuvent faire l’objet d’un apprentissage quotidien, pour osciller, selon les termes d’Arnaud Campéon, entre solitudes « contraintes » et solitudes « assumées », parfois positivement codées 1. Dans les interstices du modèle social français En France, ces itinéraires vers la grande solitude se logent aux interstices de notre maillage social, laissés vacants par une couverture partielle et segmentée, qui ouvrent la voie à des processus de marginalisation accélérée. Ils renvoient à une société qui lie la réussite et la protection sociale au statut professionnel, mais qui y associe une articulation peu lisible entre solidarités privées et publiques en cas de « décrochage » ou de perte de statut. L’épisode de la canicule a révélé, au détriment des personnes âgées, cette tension entre familles et État. La dissection par Eric Klinenberg 2 d’un épisode comparable (une canicule meurtrière à Chicago) invite à s’abstraire d’une lecture uniquement relationnelle et familiale de ce phénomène, pour saisir toute la complexité des interrelations entre régulations locales et étatiques qui en sont à l’origine. En France également, la famille ne peut constituer une valeur refuge exclusive, quitte à créer d’autres solitudes, par exemple parmi les « aidants » des personnes âgées dépendantes ou hospitalisées à domicile. Il en est de même pour les solidarités locales inter- ou 1. Arnaud Campéon, Des vieillesses en solitude. Trajectoires et expériences de solitude en retraite, op. cit. 2. Eric Klinenberg, Heat Wave. A Social Autopsy of Disaster in Chicago, Chicago, The University of Chicago Press, 2002. 36 Refaire société [01-BR].indd 36 07/09/11 10:47 LA FABRIQUE DES SOLITUDES intra-générationnelles, parfois vues comme autant de sésames contre les solitudes : celles-ci s’avèrent eficaces uniquement si elles ne vont pas à l’encontre de la norme d’autonomie individuelle, comme le montre l’expérience parfois dificile des cohabitations entre personnes âgées et étudiantes analysées par Sophie Nemoz 1. Parce qu’elle est relationnelle mais aussi sociale, la régulation de la solitude doit se jouer à des échelons multiples et nécessite avant tout de clariier le maillage des protections et des ilets de sécurité. Une telle clarté normative serait déjà une condition préventive de certaines solitudes sociales créées par la menace de désafiliation ; elle ouvrirait de plus vers un accompagnement plus eficace – car moins segmenté – des ruptures sociales et familiales susceptibles de conduire à la solitude durable. La lutte contre la « solitude » en France, grande cause nationale en 2011, fait fausse route si elle ne se départit pas d’une lecture unilatérale de ce phénomène, qui associerait la solitude au seul isolement, invitant donc à la combler par davantage de liens. La seule réponse relationnelle ne peut sufire ; comme pour d’autres problématiques sociales, une première étape serait de veiller à construire des indicateurs qui dépassent la seule question des conditions de vie pour aborder celle des conditions d’existence, attentive à l’allocation des solitudes au il des âges et des transitions familiales ou professionnelles. Les réponses à envisager ne sont pas dans un surplus d’interactions, mais plutôt dans une articulation plus lisible et transversale, tout au long des parcours de vie, du maillage social, et en particulier des interrelations entre l’État, la famille et les liens sociaux de proximité, susceptibles de mieux accompagner nos itinéraires de vie de plus en plus réversibles. 1. Sophie Nemoz, « De la co-âgitation urbaine aux maisonnées intergénérationnelles », Agora Débats Jeunesses, no 49, 2008, p. 30-39. Refaire société [01-BR].indd 37 07/09/11 10:47